L’Encéphale (2013) Supplément 2, S110-S114
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Psychoéducation des patients et de leurs proches dans les épisodes psychotiques Psychoeducation of patients and their family members during episode psychosis Y. Hodé Centre hospitalier de Rouffach, Pôle 8/9, 27 rue du 4e RSM, 68250 Rouffach, France
MOTS-CLÉS Intervention familiale ; Éducation thérapeutique ; Psychoéducation ; Schizophrénie ; Trouble psychotique
KEYWORDS Family intervention; Therapeutic education; Psychoeducation; Schizophrenia; Psychosis
Résumé Le concept de psychoéducation, proche de celui d’éducation thérapeutique, correspond à un type d’intervention éducative concernant un public souffrant de troubles psychologiques. Dans le cadre des troubles psychotiques, la psychoéducation peut concerner soit le patient, soit sa famille. L’efÀcacité de la psychoéducation du patient sur l’observance thérapeutique et le fonctionnement social est aujourd’hui démontrée mais suppose une action conjointe psychoéducative en direction de sa famille. La psychoéducation des familles, même en l’absence du patient, a une efÀcacité démontrée sur la réduction des rechutes avec une amplitude de l’effet équivalente à celle de l’amplitude de l’effet préventif des traitements médicamenteux. © L’Encéphale, Paris, 2013. Summary The concept of psychoeducation is close to the concept of therapeutic education and refers to a kind of education intervention targeting people with a mental health condition. In the framework of psychosis, psychoeducation can be offered to patients, family members or both. The efÀcacy of patient psychoeducation on treatment adherence or social functioning is well-established but only if the family beneÀts of a joint psychoeducational intervention. Family psychoeducation, even without patient psychoeducation has proven efÀcacy in reducing relapse rate. This reduction is of the same order of magnitude as that obtained with an antipsychotic medication. © L’Encéphale, Paris, 2013.
ou sensoriel ou un trouble des apprentissages. Le concept
Psychoéducation des patients et de leurs proches dans les épisodes psychotiques
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des troubles comportementaux et cognitifs, et « éducation thérapeutique » les actions éducatives par rapport à des troubles somatiques d’évolution chronique. En France, la loi HPST est venue donner, en 2009, un sens légal à la notion d’éducation thérapeutique du patient, basée sur un mode d’intervention ciblant spéciÀquement le patient et obéissant au modèle de prise en charge d’un trouble somatique dont le type est le diabète. Pour obtenir des moyens, des actions de psychoéducation ont donc été rebaptisées éducation thérapeutique, non sans difÀcultés pour être reconnues, en raison des spéciÀcités de la psychiatrie et de la rigidité des déÀnitions réglementaires. Le terme de psychoéducation étant celui qui est plus courant dans la littérature psychiatrique pour les patients souffrant de troubles psychotiques, nous avons conservé ce terme plutôt que celui d’éducation thérapeutique. Nous allons dans un premier temps aborder la psychoéducation des patients et nous verrons ensuite celle de la famille puis nous discuterons des perspectives d’utilisation des programmes psychoéducatifs.
des cliniciens citaient leur manque d’aisance à énoncer le diagnostic comme une des causes de la non-information du patient. Une des difÀcultés dans la transmission d’informations avec les patients souffrant de schizophrénie est liée aux troubles cognitifs de ceux-ci. Leur défaut d’insight qui est présent chez 60 % d’entre eux, leurs fréquents déÀcits d’analyse du contexte et leur tendance à sauter aux conclusions rendent plus délicate la transmission d’informations dans des conditions qui n’entraînent pas une rupture de l’alliance thérapeutique. Si l’annonce diagnostique doit entraîner une rupture de l’alliance, cela va plutôt à l’encontre du projet d’action psychoéducative. Cependant, la prise régulière du traitement étant un facteur comportemental contribuant à la bonne évolution du patient, comment obtenir ce comportement si le diagnostic n’est pas donné et expliqué, puisque dans le modèle médical classique, le traitement est la suite d’un diagnostic. Ce dilemme illustre la difÀculté à déÀnir le contenu d’un programme psychoéducatif pour ce type de patient.
Psychoéducation des patients
Quel doit être le contenu d’un programme psychoéducatif dans la schizophrénie ?
Les évolutions des rapports sociaux et du regard porté sur les maladies ont progressivement modiÀé le comportement des patients. Ceux-ci sont devenus plus actifs dans leurs soins et ils ont revendiqué un plus grand respect de leurs capacités de décision et d’action. Le corollaire de ce changement est une exigence d’informations pour pouvoir prendre les décisions de façon appropriée. Parallèlement, il était constaté que de nombreux patients, quelle que soit leur pathologie, ne proÀtent pas pleinement des progrès thérapeutiques simplement parce qu’ils n’ont pas un comportement optimal, adapté pour réduire l’impact de leur trouble (en termes de prise de traitement, de suivi, de respect des règles d’hygiène de vie). Ces observations ont amené une réÁexion sur les actions à entreprendre pour modiÀer ces comportements. Ceux-ci sont en partie inÁuencés par des cognitions inadéquates concernant les pathologies. L’idée de modiÀer ces cognitions par la transmission d’informations adaptées est donc apparue comme une nécessité pour améliorer l’efÀcacité des soins. Cependant, la psychoéducation ne doit pas être réduite à une simple transmission d’informations. Le but étant un changement de comportement, d’autres facteurs que la cognition interviennent, notamment des facteurs motivationnels. En psychiatrie, l’information du patient sur ses troubles est une pratique qui a eu quelques retards par rapport à d’autres spécialités. On observe cependant des progrès puisqu’une enquête transversale réalisée dans le
Information concernant le diagnostic Les connaissances modiÀent nos comportements et mieux connaître ses troubles permet d’agir de façon plus appropriée. Cette idée paraît logique et elle est soutenue par de nombreux exemples. Il semble donc pertinent dans un programme de psychoéducation de transmettre des connaissances sur le diagnostic. Cependant, chez les patients manquant d’insight, ce projet est condamné à l’échec car le manque d’insight est principalement une anosognosie et non la conséquence d’un manque d’informations [3]. Cet argument n’est pas pour autant une justiÀcation pour ne pas informer les patients de leur diagnostic. Connaître l’hypothèse diagnostique du médecin et les arguments qui la soutiennent est certainement un droit que peut réclamer tout patient, y compris ceux qui souffrent de schizophrénie. Pour certains, connaître ce diagnostic, à condition qu’il soit annoncé de façon appropriée, a son utilité : une distanciation entre leur représentation d’eux-mêmes et celle de leur trouble, la réduction de leur culpabilité par rapport à leurs difÀcultés et à leurs échecs, la possibilité d’aller s’informer sur le diagnostic, de rejoindre des groupes de pairs, et d’agir pour réduire les discriminations à leur égard. Le manque d’habiletés de communication du patient et son
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l’acceptabilité de celui-ci dépend beaucoup de la façon dont on le présente [4]. Présenter le diagnostic comme une hypothèse du médecin, et comme le terme qu’on donne par consensus à des symptômes qu’il a eus évite trois écueils. Celui d’afÀrmer car cela réduit les possibilités pour le patient d’exprimer un désaccord sans rompre l’alliance, celui de confondre la personne et son diagnostic, et celui de confondre diagnostic et pronostic. Le diagnostic de schizophrénie n’est pas une étiquette mise sur un patient, c’est l’étiquette mise sur les symptômes qu’il a eus. • EnÀn, il est important de normaliser et dédramatiser le diagnostic, en montrant que ce trouble est relativement fréquent, qu’il n’est pas infamant et que de bonnes évolutions existent. Il est important aussi de ne pas imposer le modèle médical, et d’agir pour développer chez le patient une croyance d’efÀcacité personnelle favorable au rétablissement. Les programmes de psychoéducation ont une utilité pour favoriser cette dédramatisation du diagnostic, réduire la culpabilité du patient par rapport à ses échecs et restaurer une image plus positive et plus chargée d’espoir. Ceci est obtenu par la participation du patient à des groupes où d’autres patients parlent de leurs troubles et de la façon dont ils y ont fait face, accompagnée de la transmission d’informations appropriées déstigmatisantes. Cela peut être accompagné par la mise en relation du patient avec des associations de patients ou des indications de sites internet où il trouvera des témoignages et des informations utiles. Comme le diagnostic n’est pas accepté par tous les patients, l’information donnée dans les programmes psychoéducatifs concernant le diagnostic doit être formulée d’une façon acceptable pour quelqu’un qui n’accepterait pas ce diagnostic.
Informations concernant le traitement Que le patient perçoive ou non ses troubles, il peut être intéressé pour en savoir plus sur le traitement qu’il a reçu, et par les traitements en général. Le fait que des explications soient données dans un autre contexte que celui d’une consultation, avec un temps plus long pour expliquer, peut créer une écoute différente, une meilleure compréhension, et donc favoriser une meilleure compliance. Par ailleurs, un patient peut accepter de prendre un traitement pour une autre raison que celle du diagnostic qu’on lui a donné. Il peut par exemple trouver le traitement intéressant pour être plus détendu ou pour mieux dormir. EnÀn, le patient peut aussi être intéressé par les façons de minimiser les effets indésirables.
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Hygiène de vie Souffrir de schizophrénie, c’est avoir une espérance de vie réduite en moyenne de 25 ans [5]. Trois facteurs contribuent fortement à cette baisse d’espérance de vie : le tabagisme, l’alimentation déséquilibrée et la sédentarité. Un programme psychoéducatif visant à développer des comportements plus protecteurs pour la santé est très utile. Ces programmes doivent transmettre des informations utiles mais aussi utiliser des techniques motivationnelles et des exercices comportementaux car on ne modiÀe pas facilement un comportement par une action limitée sur la cognition.
Les différentes formes de psychoéducation des patients Les programmes psychoéducatifs destinés uniquement aux patients comprennent souvent un nombre limité de séances (de 4 à 8) [6] de durée courte. Des programmes plus longs incluent les familles ou les proches signiÀcatifs. La possibilité de faire animer des groupes de psychoéducation par des pairs formés a également été explorée, avec des résultats comparables à des groupes animés par des professionnels [7]. Des programmes ont aussi été conçus pour les psychoses débutantes, avec un support utilisant des dessins humoristiques pour une meilleure acceptabilité chez les adolescents ou les adultes jeunes [8].
Résultats Une méta-analyse, ne retenant que les essais randomisés contrôlés entre 1998 et 2009, a recensé 44 études [9] et conclu que les programmes psychoéducatifs améliorent l’observance du traitement, la qualité de vie et le fonctionnement social. Cependant, la plupart des études incluaient aussi une action psychoéducative en direction des proches des patients. Une étude a comparé un programme psychoéducatif ne concernant que des patients avec un programme psychoéducatif impliquant aussi les proches [10]. L’absence des proches donne des résultats moins favorables. L’efÀcacité de programmes psychoéducatifs, ne concernant que les malades, n’atteint donc pas encore un niveau de preuve sufÀsant, même si une efÀcacité est rapportée à partir d’études non randomisées. Ainsi, une étude n’incluant que les patients mais non randomisée a montré qu’un programme psychoéducatif pouvait réduire l’autostigmatisation et améliorer aussi les scores à une échelle d’insight [11].
Psychoéducation des patients et de leurs proches dans les épisodes psychotiques
moyens humains affectés à des activités d’art thérapie dans les hôpitaux de jour en France sont comparativement plus importants que ceux attribués à l’animation de groupes psychoéducatifs. Pourtant, une étude récente ne retrouvait pas d’efÀcacité supérieure de l’art thérapie sur l’évolution de patients souffrant de schizophrénie comparativement à une prise en charge standard [14]. L’hypothèse sous-jacente aux programmes psychoéducatifs est qu’il existe souvent une inadaptation cognitive et/ou émotionnelle et/ou comportementale de certains membres de la famille du patient, inadaptation qui est : • d’une part liée au stress d’avoir un proche atteint de schizophrénie, 30 à 60 % des familles ayant un niveau de détresse signiÀcatif [15,16] ; • d’autre part au caractère déroutant et non familier des troubles observés dans la schizophrénie. • cette inadaptation a des conséquences néfastes pour le patient et pour sa famille. Le but est de modiÀer cela par l’apprentissage d’autres réactions adaptatives. De nombreux types de programmes psychoéducatifs ont été proposés. Les différences portaient : • soit sur la composition du groupe : il existe des modèles monofamiliaux et des modèles multifamiliaux (avec ou sans présence du malade). Il n’y a pas de claire différence d’efÀcacité entre ces modèles [17], chacun ayant ses avantages et ses inconvénients ; • soit sur le contenu : les interventions limitées à la transmission d’informations sur la maladie, le traitement et les aides sociales sont sans impact sur l’évolution du malade [18]. Pour être efÀcace, il est nécessaire d’inclure des apprentissages portant sur les habiletés de communication, de gestion du stress et de résolution de problèmes ; • soit sur la durée : une durée supérieure à un an semble nécessaire pour observer un effet sur le malade [19], certains programmes atteignant une durée de trois ans. Dans le monde francophone, le programme psychoéducatif le plus utilisé se nomme « Profamille ». C’est un programme multifamilial où le patient ne participe pas. Créé par Cormier en 1987, il comprenait à l’origine 9 séances. Amélioré régulièrement depuis plusieurs années, grâce à des évaluations systématiques, il en est aujourd’hui à sa version V3.2 qui comprend une séance d’engagement, un module de formation initial de 14 séances au contenu très structuré, et un module d’approfondissement et de consolidation de 8 séances, auxquels s’ajoutent, pour certains participants, 3 séances individuelles. Un groupe est composé habituellement de 12 participants et il est animé par deux personnes. Les résultats préliminaires montrent un taux d’absentéisme très faible, une réduction de près de 50 % du nombre de jours de ré-hospitalisation et une nette
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ont été proposés pour les psychoses débutantes avec des résultats favorables en termes d’acquisition de connaissance par rapport au trouble [20]. Cependant, ces interventions sont moins efÀcaces sur la diminution des taux de rechute que dans les programmes psychoéducatifs pour des schizophrénies avérées. Deux raisons ont été évoquées : un lien plus faible entre le niveau d’émotions exprimées et la rechute pour un premier épisode psychotique ou, seconde raison, une moins grande motivation des familles pour changer leur comportement lors d’un premier épisode psychotique.
Perspectives La psychoéducation qui a les effets les plus nets est celle où les proches du patient sont impliqués. Le niveau de preuve pour la psychoéducation concernant uniquement les patients est encore faible, par manque d’études randomisées contrôlées en nombre sufÀsant. Cette psychoéducation a un mérite celui de traiter le patient souffrant de schizophrénie comme n’importe quel autre patient. Elle comporte un risque : celui de vouloir imposer un modèle médical à un patient qui souvent ne se perçoit pas comme malade et d’amener à une rupture de l’alliance thérapeutique. L’approche motivationnelle est donc un préalable à toute action psychoéducative et elle doit être intégrée tout au long de cette action. Ce qu’on appelle « approche motivationnelle » n’est pas motiver le patient au sens commun de l’expression. Il s’agit de techniques spéciÀques, basées sur les théories de la motivation et dont l’utilisation rigoureuse demande une formation et un entraînement. Les programmes psychoéducatifs concernant uniquement les patients sont habituellement courts, ce qui pose plusieurs questions. Les patients ont d’importants troubles cognitifs, notamment des déficits mnésiques. Les chances qu’un programme court soit durablement mémorisé sont faibles. Par ailleurs, l’apprentissage de nouveaux comportements demande une certaine durée pour être consolidé. De nombreux patients ont aussi un défaut d’initiative qui limite leurs expérimentations de nouveaux comportements. Il y a donc une limite d’efÀcacité à ces programmes courts. Ceux-ci pourraient être associés à des programmes complémentaires d’orientation cognitivo-comportementale pour mieux gérer les symptômes ou à des programmes spéciÀques concernant le traitement des comorbidités, notamment somatiques ou l’hygiène de vie [21,22]. Le but d’un programme psychoéducatif initial pourrait être de créer une demande pour participer à des programmes complémentaires sur certains aspects spéciÀques du comportement à changer (concernant les conduites alimentaires, la sédentarité, le tabagisme, la
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Liens d’intérêts Y. Hodé : essais cliniques : en qualité d’investigateur principal, coordonnateur ou expérimentateur principal (Roche) ; conférences : invitations en qualité d’intervenant (BMS, Otsuka, Janssen, Lilly) et en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise) (BMS, Otsuka, Janssen, Lilly, Lundbeck, AstraZeneca).
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