L’injonction thérapeutique de la loi du 17 juin 1998 : une tentative pour articuler la peine et le soin

L’injonction thérapeutique de la loi du 17 juin 1998 : une tentative pour articuler la peine et le soin

Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 851–856 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Communication L’injonction thérapeutique de la loi du 17 ...

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Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 851–856 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Communication

L’injonction thérapeutique de la loi du 17 juin 1998 : une tentative pour articuler la peine et le soin The therapeutic injunction of the June 17, 1998 Law: an approach to structure sentence and care G. Dubret Centre hospitalier René-Dubos, 6, avenue de l’Île-de-France, 95301 Cergy-Pontoise Cedex, France

Résumé L’injonction thérapeutique pour les auteurs d’infractions sexuelles, telle qu’elle est conçue dans la loi du 17 juin 1998, découle de l’hypothèse que l’infraction prend son origine, chez des sujets qui ont un profil de personnalité particulier, dans un contexte psychopathologique spécifique qui pourra bénéficier de soins spécialisés dont le but le plus souvent est de mettre au jour la dynamique interne du passage à l’acte transgressif. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The therapeutic injunction for authors of sexual offences as conceived by the June 17, 1998 law is based on the assumption that for persons with a particular personality profile the offence originates within a specific psychopathological context which could benefit from specialised care, the aim of this care being better knowledge of the transgressing acting out. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Infractions sexuelles ; Injonction thérapeutique ; Loi du 17 juin 1998 ; Obligation de soins Keywords: 17th June 1998 Law; Obligation of Care; Sexual Offences; Therapeutic Injunction

L’injonction thérapeutique pour les auteurs d’infractions sexuelles, telle qu’elle est conçue dans la loi du 17 juin 1998, découle de l’hypothèse que l’infraction prend son origine, chez des sujets qui ont un profil de personnalité particulier, dans un contexte psychopathologique spécifique qui pourra bénéficier de soins spécialisés. Les soins visent le plus souvent à mettre au jour la dynamique interne du passage à l’acte transgressif. 1. Pression de l’actualité et élaboration du cadre de loi Dans l’opinion publique, chaque nouvelle affaire de violence ou d’agression sexuelle suscite des commentaires exaspérés. L’ensemble des délinquants sexuels est identifié aux plus

dangereux d’entre eux. On réclame plus de sécurité, le plus souvent sous la forme d’une répression accrue. Si, parfois, on pressent la nécessité de soins spécialisés, les modalités de leur mise en œuvre restent bien obscures. En effet, avant d’être rattrapés par la justice, ces sujets ne demandent rien et surtout pas des soins. Ils ne ressentent pas de réelle souffrance qui puisse motiver une demande de consultations. Ceux qui, les premiers, constatent leurs comportements déviants, policiers, magistrats, experts judiciaires, même s’ils pressentent que ces troubles sont sous-tendus par un profil psychologique particulier, n’ont pas la possibilité de délivrer des soins ni même de les initier. Et, très vite, on se heurte à la problématique suivante : « Comment faire pour adresser des sujets qui ne demandent

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rien à des médecins qui, pour leur majorité, ne se sentent ni compétents, ni concernés ? » Plusieurs modalités d’accès aux soins ont été imaginées par la justice, plus ou moins incitatives, plus ou moins coercitives… Injonction thérapeutique et obligation de soins sont des termes qui figurent, depuis plusieurs années, dans l’arsenal judiciaire : ● l’injonction est un ordre donné par le juge, une sommation expresse. Dans la loi de 1970 sur les toxicomanes, c’est le procureur de la République qui formule cette injonction thérapeutique et qui suspend l’action publique tant que le sujet se conforme au traitement médical indiqué ; ● l’obligation de soins, pour sa part, n’a peut-être pas le caractère coercitif que lui désigne le sens commun, en particulier lorsqu’elle désigne un lien contractuel. Elle est utilisée dans trois types de situation judiciaire : ● Dans l’attente d’un jugement, lorsque le prévenu ou le mis en examen est laissé en liberté sous contrôle judiciaire ; ● En matière correctionnelle, dans le cadre d’une condamnation à une peine de prison avec sursis, assortie d’une période de mise à l’épreuve ; ● En matière criminelle, lorsque le condamné demande à bénéficier d’une libération conditionnelle. Dans ces trois situations durant lesquelles le sujet se trouve sous contrôle judiciaire, parmi les conditions qui vont permettre le maintien de son sursis ou sa remise en liberté, le magistrat peut définir une obligation de soins. Mais cette obligation de soins fonctionne très mal. Le psychiatre ou le psychologue qui reçoit un sujet adressé par le service de probation, dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve assorti d’une obligation de soins, ignore tout de l’affaire pénale et des motifs de la condamnation ou, plutôt, il en connaît seulement ce que le délinquant veut bien lui en dire. On rencontre alors souvent un patient au contact fuyant, minimisant ou banalisant devant le médecin les faits pour lesquels il a été condamné, réécrivant son histoire avec sa subjectivité marquée par le déni et la projectivité caractéristique de ces sujets. Il est sorti de prison et il considère qu’il a payé sa dette : « J’ai fait ma peine, nous dit-il, maintenant je veux oublier. » D’emblée, ce psychiatre qui s’obstine à le faire parler de ce pourquoi il a été condamné apparaît comme un gêneur, comme un empêcheur de jouir de cette liberté retrouvée. De plus, paradoxalement, pour ces prises en charge particulièrement complexes, le psychiatre traitant reste très isolé. Tous les intervenants précédents qui ont eu à connaître tout ou partie de l’histoire du délinquant gardent leurs informations pardevers eux, qu’il s’agisse des observations médicales effectuées par les psychiatres du milieu carcéral ou des expertises pénales réalisées durant l’instruction ou la détention, ou encore d’une connaissance précise de la situation pénale du condamné telle qu’elle est connue par le juge de l’application des peines.

Entre tous ces intervenants successifs, aucune information ne filtre. Dans cet environnement clivé, le potentiel manipulateur des auteurs d’agressions sexuelles trouve à s’épanouir. Pour certains d’entre eux (les pères incestueux par exemple), l’application jusqu’à l’absurde de ce cloisonnement peut apparaître comme une incitation au clivage et, en tout cas, comme un prolongement inattendu des secrets de famille qui ont si longtemps protégé leurs transgressions. C’est pour pallier ces difficultés que le législateur s’est efforcé depuis quelques années d’élaborer un cadre de loi qui fasse cohabiter la peine et le soin. C’était l’un des objectifs de la loi du 17 juin 1998, telle qu’elle a été préparée par les services de Mme Élisabeth Guigou. Cette loi faisait suite au projet présenté, à l’automne 1996, par M. Jacques Toubon, alors garde des Sceaux. Quelques mots sur ce premier projet qui instituait une peine complémentaire de suivi médicosocial, laquelle devait prendre effet à la sortie de prison. Cette fois, il s’agissait d’une condamnation à deux étages : d’abord la prison, ensuite les soins. Ici, le mode d’accès aux soins n’avait plus rien d’incitatif ou de contractuel : le délinquant sexuel était condamné à se soigner. Malgré les commentaires favorables de l’opinion publique émue à juste titre par le sort des victimes, l’immense majorité des voix médicales et psychiatriques qui se sont fait entendre, tout en approuvant sans restriction les objectifs de protection sociale énoncés par le projet de loi, a souligné combien ce texte était ambigu au regard de l’éthique médicale. Paradoxalement, c’est dans son caractère volontariste, dans son choix pour les méthodes autoritaires, qu’il apparaissait le moins crédible, parce qu’inadapté à l’instauration d’un lien thérapeutique authentique, générateur d’une illusion de soins. Par ailleurs, il ne comprenait aucune disposition qui puisse faciliter l’accès aux soins durant les longues périodes de détention de ces condamnés. Enfin, sans qu’il soit tenu le moindre compte de l’évolution possible du condamné, la durée de son traitement était fixée dès le prononcé du jugement. Le seul mérite de ce projet aura été d’ouvrir un débat, non seulement au sein des psychiatres, mais également entre tous les futurs acteurs d’un cadre de loi adapté à ce problème : pouvoirs publics, magistrats, médecins… La loi adoptée en juin 1998 par le Parlement conçoit les soins aux délinquants sexuels selon une philosophie radicalement différente. Le suivi sociojudiciaire qu’il instaure définit avant tout des mesures de contrôle social et de surveillance. Ce ne sont pas les psychiatres, mais les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) qui exercent ce contrôle qui s’applique à tous les délinquants, y compris ceux qui demeurent inaccessibles à des mesures de soins. Les soins spécialisés peuvent venir se greffer à tout moment sous la forme d’une injonction thérapeutique sur ce dispositif de contrôle social lorsqu’une expertise psychiatrique du délinquant a conclu qu’il était susceptible de bénéficier d’un traitement. Cette décision peut être prise d’emblée par le magistrat qui rend la sentence, ou plus tard par le juge d’application des peines, en raison de l’évolution du condamné.

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Le décret d’application précisant les rôles respectifs du médecin traitant et du médecin coordonnateur n’a été publié que beaucoup plus tard, en mai 2000, soit deux ans après la promulgation de la loi, délai qui en dit long sur les difficultés de mise en œuvre d’un texte qui vise à l’articulation de la peine et du soin. On est frappé, à la lecture de la loi et du décret par leur caractère pointilleux concernant les prérogatives de chacun, l’établissement des listes de médecins coordonnateurs, les procédures de choix du médecin traitant, etc., et par leur silence assourdissant pour tout ce qui concerne les vrais problèmes de confidentialité, d’éthique et l’ambiguïté de ses soins dont rarement les condamnés seront réellement demandeurs. Il est clair pour tout le monde que de telles dispositions vont susciter des demandes de soins qui ne seront jamais dénuées d’arrière-pensées ni de calculs… C’est pourtant à celles-là qu’il nous faudra répondre dans un premier temps, quitte à préciser ensuite avec le délinquant la réalité de sa demande. C’est donc dans ce domaine de l’éthique et de la déontologie médicale qu’il convient de définir clairement quelles sont les conditions indispensables pour qu’un tel cadre de soins puisse s’élaborer. 2. Articuler la peine et le soin 2.1. Pas de soins sans indication médicale posée par un expert La première condition s’inscrit dans une logique toute médicale : toute démarche thérapeutique doit s’appuyer sur des indications rigoureuses. Toutes les disciplines médicales connaissent cette règle intangible. Le chirurgien le plus habile ne réussira jamais une bonne intervention sur une indication mal posée. Il en va de même pour les psychiatres. Les indications de ces injonctions de soins doivent donc être posées selon des règles strictes. Pour autant, la formulation de la loi est sibylline et pourrait prêter aux plus larges interprétations : « Cette injonction peut être prononcée par la juridiction de jugement s’il est établi après une expertise médicale […] que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement. » Deux commentaires se dégagent de cette courte phrase : ● Pour qu’un sujet fasse l’objet d’une injonction de soins, il faut qu’un trouble soit identifié. Ici, on recherchera un trouble de la personnalité sous-jacent aux troubles des conduites sexuelles, mais il faut savoir que ces troubles de la personnalité peuvent souvent demeurer masqués sous l’apparence de la normalité. Les troubles des conduites sexuelles peuvent en être la seule expression clinique. On mesure alors les graves difficultés rencontrées par le praticien pour mettre en œuvre des soins lorsqu’aucun trouble des conduites sexuelles n’est reconnu. Qu’y a t-il à soigner chez ce sujet qui nous affirme que tout va bien et qu’il a seulement été victime d’une erreur judiciaire ?

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● Si des troubles ont été identifiés, les soins ne pourront être entrepris que s’ils sont susceptibles d’avoir un impact sur eux, sinon pour les faire disparaître définitivement mais au moins pour les atténuer. Les soins ne peuvent être prescrits que s’ils ont une chance de remédier au trouble. Il ne suffit donc pas à l’expert ou au magistrat de penser, d’une façon générale, qu’il serait bon que ce sujet condamné se soigne ; pour poser une bonne indication, ils doivent se demander si les troubles identifiés chez ce sujet précis pourront bénéficier de soins spécialisés relevant d’une compétence médicale connue. Il découle de ces commentaires quelques règles simples concernant les indications médicales de ces injonctions de soins : ● les sujets qui ne reconnaissent pas les faits qui leur sont reprochés ne relèvent pas d’une injonction de soin. S’ils sont condamnés, ils relèvent seulement d’une sanction pénale. La négation des faits est un critère absolu d’exclusion des soins ; ● la reconnaissance partielle des faits pourra souvent permettre de commencer les soins, au moins de façon partielle, mais un minimum de reconnaissance des faits, au moins dans leur matérialité, demeure un critère incontournable ; ● mais, au-delà, c’est surtout la capacité du sujet à se reconnaître porteur d’un dysfonctionnement interne qui sera le moteur de la démarche de soins. Le sujet devra savoir se regarder sans complaisance, chercher à faire la lumière en lui. L’indication de soins ne pourra être posée que si l’expert retrouve chez le sujet un minimum de capacité d’introspection et d’autocritique. Ce sont là les conditions indispensables pour que le travail thérapeutique puisse progresser. Ce sont là les critères qui doivent être retrouvés pour que l’indication d’une injonction de soins soit correctement posée. 2.2. Pas de soins sans consentement La deuxième condition concerne le consentement. Aucun soin sans consentement ne peut s’envisager dans ce domaine. D’abord pour des raisons d’éthique, bien sûr, mais les tenants de la manière forte se moquent souvent de l’éthique. Il faudra donc souligner que des soins spécialisés imposés aux délinquants sexuels sans leur consentement courent avant tout le risque d’être inefficaces et illusoires. L’absence de maladie mentale de dimension aliénante chez ces sujets nous place clairement en dehors du champ d’application de la loi du 27 juin 1990 qui régit les soins psychiatriques sous contrainte et qui ne pourrait s’appliquer seulement dans les cas où l’irresponsabilité pénale du sujet serait retenue, en application de l’article 122-1 alinéa 1 du code pénal. Ce sont les seuls cas où des soins peuvent être imposés. Dans le registre de troubles de la personnalité où s’inscrivent le plus souvent les délinquants sexuels, l’irresponsabilité

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pénale n’est jamais retenue. On a vu, de plus, la fragilité des demandes qui nous seront adressées. C’est dire que le consentement aux soins est la condition minimale en deçà de laquelle l’éthique impose de se récuser. On se souvient du projet de Jacques Toubon de 1996 qui, sans doute par souci d’efficacité, ne s’embarrassait pas d’une telle question. Le délinquant était condamné à se soigner. Or, on ne recueille pas le consentement d’un prévenu pour le condamner, fût-ce à des soins. Cela voulait-il dire qu’il nous fallait nous saisir de ces délinquants et leur administrer de force des traitements hormonaux ou extirper leurs fantasmes déviants par d’hypothétiques psychothérapies de coercition ? Certes non, mais l’image toujours floue du psychiatre dérivait ici dangereusement vers celle d’un psychorééducateur ou d’un auxiliaire de la répression pénale. Avec la loi Guigou, c’est le président qui, au moment du prononcé du jugement, avertit le condamné qu’aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement. C’est donc à la justice de s’assurer du consentement avant d’adresser le délinquant au médecin. Toutefois le texte ajoute que le condamné, s’il refuse les soins, se verra appliquer une peine d’emprisonnement supplémentaire (deux ans maximum en matière délictuelle ; cinq ans en matière criminelle). On ne se trouve donc pas devant un consentement libre au sens de la loi Huriet ou du Comité National d’Éthique. Il est probable que cette alternative contraignante suscitera plus d’acceptations passives que de réelles demandes de soins. Cette acceptation passive est à l’origine d’un biais fondamental ; le sujet est porteur de la demande d’un autre : « Je viens parce que le juge m’a dit de venir vous voir, répond-il invariablement aux premières questions. » Sans engagement de sa part, les soins restent de pure forme ; le sujet vient consulter régulièrement, le psychiatre lui délivre des attestations de suivi, mais rien ne se passe, rien n’est dit : l’injonction s’est transformée en illusion de soins. C’est dire la vigilance avec laquelle ces soins devront être régulièrement évalués.

C’est le moment de rappeler que le secret médical n’est pas un rideau de fumée derrière lequel se réfugie le médecin chaque fois qu’il ne veut pas répondre. Le secret médical n’est pas une prérogative du médecin, c’est une contrainte que l’éthique lui impose, condition minimale pour que s’instaure une relation thérapeutique authentique et confiante. Sans confidentialité, la première difficulté sera celle de thérapies vides, de consultations où il ne se passe rien, avec des sujets qui viendront répéter inlassablement que tout va bien : « Je n’y pense plus, docteur, je ne sais pas ce qui m’a pris mais tout ça c’est fini. » Un strict respect du secret médical est indispensable pour qu’ils puissent se risquer à confier à leur thérapeute les fantasmes déviants qui les hantent. Sinon, le délinquant ne verra dans un médecin délié du secret médical qu’une simple boîte aux lettres par laquelle il s’efforcera de diffuser les messages rassurants qu’il destine au juge. Dès lors les soins ne seront plus possibles. Pour autant, qu’on ne se méprenne pas : la fonction du secret dans la relation psychothérapique est de faciliter la verbalisation, non de couvrir les passages à l’acte. Le sujet doit en être solennellement averti dès le début des soins. Le code pénal actuel prévoit déjà parfaitement cette situation, lorsqu’un danger impose d’agir en urgence. L’article 226-14 permet au médecin de rompre le secret chaque fois qu’il a connaissance de sévices touchant des mineurs ou des personnes incapables de se protéger en raison de leur état physique ou psychique. De même, l’article 223-6 dispose que quiconque s’abstient d’empêcher un crime ou délit, qu’il aurait pu éviter par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, est passible de poursuites pénales. Bien entendu les juges de l’application des peines doivent pouvoir être informés de l’évolution des sujets soumis à l’obligation de soins. C’est le rôle de l’expert (éventuellement désigné en post-sententiel) ou du médecin coordonnateur, jamais celui du médecin traitant.

2.3. Pas de soins sans secret médical 2.4. Pas de soins sans évaluation La troisième condition, indispensable pour ces soins spécialisés, c’est la confidentialité, à travers un strict respect du secret médical. De leur côté, tous les condamnés qui viennent nous consulter sont persuadés que tout ce qu’ils vont nous dire sera rapporté in extenso au juge. Cette idée n’est souvent pas pour leur déplaire puisque, nous assurent-ils, ils n’ont rien à cacher au juge. Bien entendu, dès les premiers entretiens, nous expliquons que nous sommes soumis aux règles du secret et que rien, dans leurs propos, ne transpirera en dehors du cabinet de consultation. Bien entendu, ils n’en croient pas un mot. Ils approuvent nos propos pour la forme et nous répètent qu’ils n’ont rien à cacher au juge. Le premier objectif de ces soins va être de tenter d’installer un espace de confidentialité.

On aborde ici une question d’importance. Les soins n’ont de chance d’aboutir que si le sujet s’y engage activement. C’est dire que ce ne sont pas les compétences du médecin traitant qu’il s’agit d’évaluer, mais l’investissement du sujet dans les soins qui lui sont proposés. C’est dire aussi que ces soins peuvent échouer ou rester de pure forme. Dans ce domaine, l’illusion de soins serait plus grave que l’absence de soins. Aussi est-il indispensable que le juge de l’application des peines puisse être informé de l’évolution clinique du condamné. On aura compris que pour des raisons d’éthique et d’efficacité, ce n’est pas le rôle du médecin traitant d’évaluer, pour le compte du juge de l’application des peines, les soins qu’il dispense. Il est donc nécessaire qu’il existe une évaluation externe. C’est le rôle du médecin coordonnateur, désigné par le juge de l’application des peines.

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C’est ce coordonnateur qui, au vu des expertises réalisées durant l’instruction et la détention, invite le condamné à choisir un médecin traitant. C’est lui encore qui adresse au médecin traitant les éléments d’information qui lui seraient nécessaires (expertises antérieures, réquisitoire définitif, arrêt de condamnation…). C’est lui enfin qui transmet au magistrat les éléments nécessaires au contrôle du suivi de l’injonction de soins. Le médecin coordonnateur est donc en quelque sorte un expert aux missions élargies qui rencontrerait régulièrement le condamné (au moins une fois par an) pour assurer une évaluation longitudinale permettant d’apprécier au mieux l’évolution du condamné, d’en informer les services de l’application des peines et de préserver le secret médical du thérapeute. 2.5. La période d’emprisonnement doit être une phase d’incitation aux soins Tous les condamnés que nous rencontrons le disent : les premiers temps de leur incarcération ont donné lieu à un bouillonnement de réflexions dans lequel s’affrontent les idées de culpabilité d’une part, et, d’autre part, les modalités défensives habituelles : minimisation, banalisation, voire parfois élaboration d’un système de défense projectif. Les troubles anxiodépressifs et les insomnies de début d’incarcération ne sont pas seulement le fait de la privation de liberté. Ils témoignent de cette ébullition qui assiège l’esprit du sujet et où il importe de puiser les premières élaborations introspectives. C’est dire l’importance d’une prise en charge précoce, dès le début de l’incarcération, à l’heure où les remises en question sont encore possibles. Après, quand la machine judiciaire s’est mise en route, tout se rigidifie au fur et à mesure que les déclarations sont fixées dans les procès-verbaux de la procédure. C’est durant l’incarcération que les soins doivent pouvoir s’instaurer. Non pas de façon autoritaire puisqu’on n’impose pas des soins à un sujet privé de liberté, mais sous une forme contractuelle, même si ce terme peut paraître odieux lorsqu’il s’agit de grands criminels. Prôner des soins spécialisés pour les délinquants sexuels durant leur peine de prison, c’est immédiatement soulever deux préalables : ● prévoir des mesures d’incitation qui puissent constituer le ressort de futures demandes de soins ; ● donner aux psychiatres qui exercent en milieu carcéral des moyens qui leur permettent de développer une offre de soins conséquente. La question de l’incitation amène à réfléchir au sens de la peine. Quelles sont les motivations qui peuvent pousser un condamné à s’engager dans un processus de soins qu’il n’avait jamais envisagé auparavant ? Ce pourrait être la volonté de faire la lumière en lui-même, mais ne faisons pas d’angélisme. Cette motivation est souvent mêlée de l’espoir implicite de bénéficier d’une plus prompte remise en liberté. C’est la perspective d’une remise de peine, d’une libération conditionnelle,

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qui constitue le plus puissant ressort à cette fragile demande de soins. Faire disparaître cet espoir, prôner des peines incompressibles, refuser toute idée de libération conditionnelle, c’est à coup sûr supprimer toute possibilité de voir émerger cette demande de soins. À terme, le condamné s’est forgé la certitude qu’il n’a plus de compte à rendre à la société puisqu’il a purgé sa peine. Sur ce point, les pouvoirs publics devront faire un choix entre une justice solennelle qui condamne et qui entend que ses sentences soient exécutées jusqu’à leur terme, et une justice de terrain qui suit le condamné après la sentence et qui sait combien il importe d’aménager la peine en fonction de son évolution. L’opinion publique est peu préparée à ce débat. Elle s’émeut, le plus souvent au travers des médias, lorsqu’un condamné n’exécute pas la totalité de sa peine privative de liberté. Mais qu’est-il de plus inquiétant ? Que le condamné soit remis en liberté avant terme ou bien qu’après avoir purgé la totalité de sa peine, il quitte la prison dans les mêmes dispositions d’esprit qu’il y était entré ? Il est indispensable que chaque citoyen sache ce qu’il attend de l’institution pénitentiaire : ● la prison sert-elle uniquement à punir ? Dans ce cas, pour forcer le trait jusqu’à la caricature, point n’est besoin de psychiatre en prison ni de juge de l’application des peines. Il suffit que les sanctions soient proportionnelles à la gravité des crimes ; le condamné sort de prison quand il a purgé toute sa peine : un point c’est tout ! ● La prison sert-elle à protéger la société, à mettre le condamné hors d’état de nuire ? Dans ce cas, qui nous dit qu’il sera moins dangereux au terme de sa peine qu’il ne l’était avant ? ● La prison ne doit-elle pas aussi donner au condamné le temps et les moyens de s’amender ? Dans ce cas, c’est toute l’institution pénitentiaire qu’il faut faire évoluer. Il importe alors de revenir à une conception dynamique de la peine, qui développe et améliore le système des libérations conditionnelles ou des aménagements de peine, seul capable de placer le délinquant sexuel en face d’un choix : celui de subir sa détention jusqu’à son terme ou celui de s’engager activement dans des soins durant sa période de détention et, audelà, en ambulatoire puisque la peine pourra se prolonger après la sortie de prison, par les mesures du suivi sociojudiciaire. C’est d’ailleurs la critique de fond que l’on peut adresser à l’injonction du SSJ qui n’apparaît pas clairement comme un aménagement de peine, mais comme un surcroît de peine. Paradoxalement, ce sont les sujets dont on a reconnu qu’ils pouvaient bénéficier de soins qui se voient infliger ce surcroît de peine. Bien entendu, ce n’est pas la simple inscription du condamné dans un programme de soins qui doit lui faire obtenir, ipso facto, des aménagements de peine comme on l’entend caricaturer ici ou là.

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Les soins doivent être régulièrement évalués par des expertises répétées :

est confiée dans le cadre de l’obligation de soins ou de l’injonction thérapeutique.

● c’est à l’expert et non au thérapeute qu’il incombe de se prononcer sur un éventuel résultat positif des soins ; ● c’est à nouveau à l’expert et non au thérapeute de faire la part, pour le compte du juge de l’application des peines, des démarches de soins purement utilitaires de celles qui témoignent d’une authentique remise en question.

● C’est dire que la prise en charge de ces délinquants s’accommode mal d’un exercice isolé. ● C’est dire combien il est indispensable que les praticiens qui s’engageront dans de tels suivis puissent s’intégrer dans un tel réseau de soins où ils pourront trouver des structures d’échange, de synthèse et des actions de formation mutuelle.

2.6. Les soins en ambulatoire doivent s’inscrire dans un double réseau Si les soins ont pu commencer en prison, leur poursuite en ambulatoire tentera de s’inscrire dans la continuité. Certains SMPR ont déjà développé des consultations externes pour ces suivis post-carcéraux, mais l’éloignement ou le nombre amèneront les psychiatres de la prison à adresser leurs patients dans les dispensaires de secteur. Si rien n’a pu se faire entre les murs de la prison, les soins ambulatoires ne pourront s’amorcer que sous la pression du juge d’application des peines. 2.6.1. Le premier réseau est donc un réseau Santé-Justice Il doit regrouper des praticiens du droit et des praticiens de la santé. Cette composition bipartite implique, bien entendu, qu’il n’est pas question d’y exposer des cas cliniques, mais seulement d’y étudier les modalités d’accès aux soins, les difficultés rencontrées dans la transmission des informations afin de limiter les effets de clivages, d’expliquer les nécessités d’interrompre certains suivis par trop illusoires. Cette commission Santé–Justice regroupe des intervenants judiciaires : juge d’application des peines, procureur, agent de probation ; et des intervenants médicaux : psychiatres traitants, psychologues, experts, coordonnateurs… C’est l’occasion de repérer les fonctions de chacun puisqu’il s’agit pour chaque intervenant de tenir une partition bien précise qui doit s’harmoniser avec celles de l’autre. 2.6.2. Le second réseau est un réseau soignant, régi par des règles de confidentialité Il doit regrouper, à l’échelon du département, les médecins et les psychologues qui s’engageront dans de tels soins. Dans ces prises en charge pour lesquelles notre expérience est encore récente, le risque est souvent grand, face à ces sujets dont la sortie récente de prison pose d’évidents problèmes de réinsertion, de laisser dans l’ombre les conduites sexuelles déviantes qui ont motivé sa condamnation et de privilégier une réponse d’assistance psychologique qui nous est plus familière, d’autant que les symptômes anxiodépressifs sont souvent manifestes. On aura compris, même si cette dimension ne doit pas être négligée, que ce n’est pas là la mission qui nous

Les soins spécialisés destinés aux auteurs d’infractions sexuelles constituent un travail singulier dans lequel il importe de créer un espace de confidentialité propre à susciter la confiance sans pour autant prolonger des cloisonnements qui favorisent le déni et le clivage. Il faut savoir débusquer à temps les faux-semblants sans arrêter trop tôt les élaborations laborieuses ou improductives. Peut-on rester neutre et bienveillant à l’écoute de ces fantasmes déviants qu’on nous confie ? Sont-ils ici des mécanismes de défense qui permettent au sujet de s’accorder dans l’imaginaire, ce qu’il saura s’interdire dans le réel ? Sont-ils au contraire le premier maillon d’une chaîne délictuelle qui mène irrémédiablement à la récidive ? 3. Conclusion Dans ce domaine que nous connaissons mal, où notre expérience est encore balbutiante, il nous faut revendiquer un droit à l’erreur même si celle-ci nous expose un jour à la vindicte des médias et de l’opinion publique. Loin de stigmatiser les échecs ou les difficultés, il faudra les analyser pour en tirer tous les enseignements. Les connaissances actuelles sur la psychopathologie et les traitements des auteurs d’agressions sexuelles sont encore fragmentaires et empiriques. Elles devront faire l’objet d’évaluations et de validations selon des méthodologies fiables. En cela, les connaissances dans ce domaine ne diffèrent en rien de l’histoire des connaissances médicales en général. C’est seulement lorsque les médecins rencontrent des patients et les troubles dont ils sont porteurs qu’ils peuvent commencer à formuler des hypothèses étiopathogéniques, proposer des schémas thérapeutiques et constituer un corpus théorique. En proposant d’articuler la peine et le soin, dans un cadre médicolégal qui respecte l’éthique et la déontologie, la loi du 17 juin 1998 permet de commencer à travailler, en ce sens qu’elle suscite, qu’elle organise et parfois qu’elle impose cette rencontre sans laquelle aucune observation clinique n’est possible. Formulons le vœu que de cette rencontre clinique-là naissent des connaissances qui, dans la décennie à venir, ne seront plus ni fragmentaires, ni empiriques…