Rev Mect Interne 1999 ; 20 Suppl 2 : 279-80 © Elsevier, Paris
L'interniste connait la rnusique rnais pas sur rnicrosillons S. Berthier l, F. Jaeger I, H. Gill, A.S. Dupond I, F. Aubin 2, J.L. Dupond I I Service
de medecine interne. 2 service de dermatologie I, centre hospitalier. 25030 Besanfon cedex
LES FAITS CLINIQUES Un homme, age de 85 ans, est hospitalise en fevrier 1998 pour Ie bilan etiologique d'une eruption cutanee. Le patient est traite par Haloperinol et Paroxetine pour un syndrome anxiodepressif avec episodes hallucinatoires. Depuis un mois, il presente des lesions papuleuses, infiltrees, prurigineuses et discretement purpuriques. Elles predominent au niveau du tronc et de la racine des membres. II s'y associe une asthenie, sans amaigrissement. Le patient est apyretique. L' examen clinique, outre les lesions cutanees, revele la presence d'adenopathies inguinales, bilaterales, de 1,5 et 2 cm de diametre, fermes, mobiles et indolores. II n'existe pas d'adenopathie dans les autres territoires; on ne note pas d'organomegalie. L'examen neurologique est normal; I'auscultation cardiaque est sans particularite. Les examens complementaires donnent les resultats suivants. Biologiques OB: 23 800/mm3 (PNN: 76,5 %; PNE: 6 %; PNB : 0%,; Ly: 14 %; monocytes: 3,5 %), Hb: 12,8 g/dlVOM: 99,5 /p, Plaquettes: 190 OOO/mm3, C-reactive proteine: 2 mgIL (N < 10), VS: 4 mm a la premiere heure, fibrine: 3,4 gIL (N: 2,5-4), uree: 11,2 mmollL (N: 3-8), creatinine: 77 mmollL (N: 65-130), proteinurie: 0, II g/24 heures, SOOT: 22 UIIL (N: 7-40), SOPT: 19 UIIL (N: 5-50), phosphatases alcalines: 41 UIIL (N: 45-130), gamma OT: 9 UlIL (N: 3-70), serologie hepatites B et C negative, LDH: 550 UIIL (N: 200-480), IgE: 63 kUIIL (N: 1-180), CH50 < 28 (N: 50-100), C3: 828 mg/L (N: 929-1415), C4: 218 mg/L (N: 162-378), IgM: 1,21 g/L(N:0,511,45), IgO: 10,25 gIL (N: 6,73-12,49), IgA: 2,36 gIL (N: 1,04-3,33), immuno-electrophorese des proteines sanguines: normale. Anticorps anticytoplasme des
polynucleaires positifs en P-Anca a un titre de 1180, anticorps antimembrane basale negatifs. Radiologiques La radiographie pulmonaire est normale. L'echographie abdomino-pelvienne est sans particularite; la mensuration de la rate est normale et il n'existe pas d' adenopathies retroperitoneales. Histologiques La biopsie cutanee met en evidence un infiltrat inflammatoire perivasculaire compose de lymphocytes, de polynucleaires eosinophiles et neutrophiles, associe ades thromboses capillaires. lIn'existe pas de necrose fibrinoi'de au niveau des parois vasculaires. Une procedure diagnostique est realisee. Le patient quitte Ie service apres avoir rer;u un traitement par corticoi'des et immunosuppresseurs motive par les resultats de la procedure diagnostique. Le patient est rehospitalise un mois plus tard devant l'aggravation des lesions cutanees a type d'erythrodermie, peu prurigineuses, associees a des squames de la region perimamelonnaire. II existe une hyperthermie a 39°C et deux hemocultures sont positives au staphylocoque dore. DEMARCHE DIAGNOSTIQUE Le patient, age de 85 ans, presente : - une dermatose prurigineuse, secondairement compliquee d'une erythrodermie et d'une septicemie a staphylocoque aureus, avec un aspect de vascularite sur la biopsie de peau ; - une hyperleucocytose associee aune hypereosinophilie; - un deficit complementaire avec presence d'anticorps anticytoplasme des polynucleaires de type P-Anca. La demarche diagnostique a ete appuyee sur I' as-
Les Printemps de la medecine interne
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pect clinique et evolutif des lesions. A la phase initiale de I'eruption ont ete discutes : - une toxidermie, d'autant que l'exantheme initial etait papuleux, purpurique et predominant au niveau des plis inguinaux. L'evolution pejorative des lesions avec I' arret du traitement medicamenteux n' a pas conforte cette hypothese; - une dermatite atopique sur Ie caractere prurigineux et l'hypereosinophilie. Le taux des IgE etait normal; - une pemphigolde bulleuse a evoquer devant tout prurit du sujet age associe a une hypereosinophilie. L'examen par immunofluorescence directe sur la biopsie cutanee etait negatif, de meme que Ie dosage des anticorps antimembrane basale ; - un lymphome cutane, d'autant que I'exantheme avait un aspect infiltre et que la ponction biopsie osseuse a mis en evidence un lymphome B de faible grade de malignite. Cependant, les localisations cutanees sont surtout frequentes au cours des lymphomes T et les recherches de cellules Iymphomateuses dans Ie sang et sur la biopsie de peau se sont revelees negatives; - une vascularite par complexes immuns circulants satellite du lymphome B. A la phase initiale de I'observation, cette hypothese a ete discutee sur les donnees histologiques de la biopsie cutanee, la positivite des anticorps anticytoplasme des polynucleaires, I'activation du complement et la regression partielle des lesions apres traitement par corticoldes et chimiotherapie. Devant les resultats de la ponction biopsie osseuse, un traitement par oncovin et chloraminophene, associe a une corticotherapie, a ete administre. Une mois plus tard, les lesions cutanees se sont aggravees, prenant un aspect d'erythrodermie diffuse avec presence de fines squames grises en perimamelonnaire et au niveau des extremites. A la phase erythrodermique ont ete discutes : - un syndrome de Sezary; aucune cellule lymphomateuse circulante n' a ete mise en evidence; - une erythrodermie psoriasique; mais la localisation des squames et la regression du prurit etaient atypique; - une gale norvegienne; Ie diagnostic a ete retenu devant I' absence de prurit intense, I' existence de squames en perimamelonnaire et au niveau des extremites, I'age du sujet, Ie contexte immunosupprime et I'intensification de I'eruption apres corticotherapie. Le patient a ete traite par ivermectine a la dose de 200 J1g/kg en deux prises a IS jours d'intervalle, associee a de multiples badigeons d' Ascabiol. Les lesions ont disparu.
caracterisee par sa contagiosite extreme; Ie nombre de parasites se comptant par millions chez un meme individu [I]. Classiquement, la gale norvegienne se traduit par une erythrodermie prurigineuse et hyperkeratosique. L'hyperkeratose prend un aspect «farineux» localise preferentiellement au niveau palmoplantaire et perimamelonnaire. Le prurit est en general discret par rapport a I'importance des lesions [1]. La gale norvegienne se rencontre preferentiellement chez les sujets immunodeprimes. Elle a ete decrite chez des sujets transplantes. Elle est favorisee par l' application de corticoldes locaux. Elle est en recrudescence chez les patients porteurs d'un syndrome d'immunodeficience acquis [1]. Elle est d'autant plus frequente que Ie taux de lymphocytes T CD4 circulants est bas [2]. La gale norvegienne a aussi ete decrite chez des sujets atteints d'une dermatopolymyosite avec une concordance entre la localisation cutanee de la parasitose et celIe de la connectivite [3]. Histologiquement, la gale peut etre a l' origine de lesions de vascularite. Ces vascularites sont d'autant plus frequente que l'infiltrat perivasculaire contient des polynucleaires eosinophiles [4]. L'ivermectine est actuellement largement utilisee dans Ie traitement de la gale, bien qu'H n'ait pas d'autorisation de mise sur Ie marche dans cette indication. II est administre a une posologie de 200 J1glkg en une prise. Dans la majorite des cas, la posologie classique est suffisante. Chez certains immunodeprimes, il est necessaire de recourir a une double dose administree a 15 jours d'intervalle [5]. Un traitement par badigeon d'ascabiol et desinfection du linge par aphtiria a ete adjoint chez notre patient. CONCLUSION Toute erythrodermie prurigineuse chez un sujet immunodeprime doit faire evoquer de principe une gale norvegienne. REFERENCES
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DISCUSSION
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La gale est une ectoparasitose cutanee due a Sarcoptes scabiei. La gale norvegienne (ou gale crouteuse) est
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Jaramillo-Ayerbe F. Berrio-Munoz J. Ivermectin for crusted norvegian scabies induced by use of topical steroids. Arch Dermato11998; 134: 143-5. Portu 11. Santamaria JM. Zuberto Z. et aI. Atypical scabies in HIV positive patients. J Am Acad Dermatol1996; 34: 915-7. Dourmishev AL. Serafimova DK. Dourmishev LA. Mualla MA. Papaharalambous V. Malchevsky T. Crusted scabies of the scalp in dermatomyositis patients: three cases treated with oral ivermectin. Int J Dermatol 1998 ; 37 : 231-4. Falk ES. Eide TJ. Histologic and clinical findings in human scabies. Int J Dermatol 1981 ; 20 : 600-5. Meinking TL. Taplin D. Hermida JL. Pardo R. Kerdel F. The treatment of scabies with ivermectin. New Engl J Med 1995 ; 333: 26-30.