L’ischémie critique chronique des membres : organisation de la prise en charge d’une maladie maligne

L’ischémie critique chronique des membres : organisation de la prise en charge d’une maladie maligne

Journal des Maladies Vasculaires (Paris) © Masson, 2005, 30, 4, 213-216 L’ISCHÉMIE CRITIQUE CHRONIQUE DES MEMBRES : ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARG...

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Journal des Maladies Vasculaires (Paris) © Masson, 2005, 30, 4, 213-216

L’ISCHÉMIE CRITIQUE CHRONIQUE DES MEMBRES : ORGANISATION DE LA PRISE EN CHARGE D’UNE MALADIE MALIGNE H. BOCCALON Service de MédecineVasculaire, Pôle cardiovasculaire et métabolique, CHU, TSA 50032, 31059 Toulouse Cedex 9.

RÉSUMÉ :

ABSTRACT:

L’ischémie critique chronique des membres : organisation de la prise en charge d’une maladie maligne

Critical chronic ischemia of the limbs: organization of the management of a malignant disease

L’ischémie critique chronique des membres (ICCM) pose encore le problème de son diagnostic précoce et d’une prise en charge spécialisée. C’est un challenge qui nous est proposé puisque cette ICCM a une incidence de 500 à 1 000 patients/million de population/an, l’incidence des amputations majeures étant de 100 à 300/million de population/an. La mortalité de ces patients atteint 20 % à 6 mois et plus de 80 % à 10 ans, ce qui place l’ICCM dans le groupe des pathologies oncologiques très malignes. Malgré les progrès thérapeutiques, le taux d’amputation continue à progresser notamment chez le diabétique dont l’espérance de vie augmente grâce à une excellente prise en charge de la coronaropathie. Les compétences nécessaires sont résumées dans le consensus TASC et dans la réflexion à l’élaboration de centres vasculaires : équipes multidisciplinaires, registre de l’artériopathie (incluant l’ICCM et un audit des centres), développement de protocoles (évaluation coût — efficacité des traitements de revascularisation et des traitements médicaux, évaluation des projets d’angiogénèse), collaboration entre centre vasculaire et réseau. L’ICCM est une pathologie maligne dont l’incidence augmente, qui oblige à une prise en charge précoce et spécialisée ; les moyens existent mais des efforts doivent être effectués quant à leur évaluation et leur coordination. (J Mal Vasc 2005 ; 30 : 213-216)

Chronic critical ischemia of the limbs (CCIL) typically raises the problem of early diagnosis and specialized treatment. The challenge is considerable since the incidence of CCIL is in the range of 500 to 1,000 patients/million inhabitants/year, with an incidence of major amputations from 100 to 300/million inhabitants/year. Mortality of these patients reaches 20% at 6 months and more than 80% at 10 years, which places the CCIL in the group of highly malignant oncological diseases. Despite therapeutic advances, the rate of amputations continues to progress especially in diabetics whose life expectancy is increasing due the excellent contribution of coronaropathy. Prequisites are summarized in the TASC consensus and in the discussions conducted during the creation of vascular centres: multidisciplinary teams, arteriopathy register (including CCIL and center audits), development of protocols (evaluation cost – efficiency of revascularization and medical treatments, evaluation of angiogenesis projects), collaboration between vascular centers and networks. CCIL is a malignant disease with an increasing incidence implying early and specialized care; means exist but efforts have to be made regarding their evaluation and coordination. (J Mal Vasc 2005; 30: 213-216)

Mots-clés : Ischémie critique. Amputation. Centre vasculaire. Traitement. Artériopathie.

Key-words: Critical ischemia. Treatment of the arteriopathy.

L’ischémie critique chronique des membres (ICCM) est l’aboutissement malheureux de l’athérosclérose au niveau des membres inférieurs ; cette évolution péjorative représente un véritable challenge pour toutes les disciplines médicales car sa fréquence ne diminue pas. Elle ne représente pas une fatalité, malgré un pronostic encore sévère, car des solutions thérapeutiques existent

et de nombreux projets se mettent en place. Nous envisagerons d’abord l’amplitude du problème, puis les compétences incontournables pour apporter des solutions, enfin les propositions utiles à une réflexion sur le modèle de la santé publique.

Amputation.

Vascular centre.

L’ICCM REPRÉSENTE UN VÉRITABLE CHALLENGE Reçu le 30 mai 2005. Acceptation par le Comité de rédaction le 17 juin 2005.

L’AMPLEUR DU PROBLÈME

Tirés à part : H. BOCCALON, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] Ce travail a été présenté au Collège Français de Pathologie Vasculaire — Paris 16 Mars 2005. « Le challenge de l’ischémie critique des membres et les compétences nécessaires à sa prise en charge ».

L’épidémiologie de l’ICCM peut aboutir à des données différentes selon que l’on considère les malades ayant eu ou non une claudication artérielle. Selon le consensus TASC (1) 5 % à 10 % des claudicants évoluent

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vers l’ICCM dans un délai moyen de 5 ans ; l’incidence de la claudication artérielle qui est de 1 % par an, aboutit à 500 à 1 000 ICCM/million de population chaque année ; l’échec thérapeutique se traduit par 25 % d’amputations majeures soit 100 à 300 amputés/million de population chaque année. Cependant la claudication ne précède pas toujours l’ICCM ; une étude recense 100 malades consécutifs présentant une ICCM (2) ; 37 n’ont jamais signalé de claudication, 20 d’entre eux étant diabétiques ; cette étude note que 89 % des malades du groupe des non claudicants ont une ulcération ischémique d’emblée, alors que seulement 59 % présentent cette ulcération inaugurale parmi le groupe des claudicants. Le tableau d’ICCM révèle l’existence d’une artériopathie dans 50 % des cas, ce qui représente un constat d’échec de la détection précoce de l’artériopathie (3). LA GRAVITÉ DU PROBLÈME La mortalité qui menace dans un bref délai les malades au stade d’ICCM est un véritable désastre. Le taux de mortalité à 6 mois est de 20 % (1) ; à 10 ans il est compris entre 80 % (en l’absence de troubles trophiques) et 95 % (si troubles trophiques) (4). Si le malade a été amputé de jambe le taux de mortalité à 5 ans est estimé à 50 % (1). Nous sommes confrontés à un véritable fléau puisque le pronostic de l’ICCM est comparable à celui des maladies oncologiques des plus malignes. Cette malignité pose un réel problème quant au choix thérapeutique local dans un tel contexte ; nous sommes véritablement interrogés quant aux solutions pouvant préserver l’espérance de vie. La réduction de mobilité après prise en charge non spécialisée de l’ICCM conduit à un handicap que l’on peut bien souvent qualifier de « méprisé ». Le risque d’amputation majeure est multiplié par 2 à 5 si un trouble trophique ischémique s’est installé (5, 6) ; ceci doit nous motiver quant à une prise en charge précoce avant que n’apparaisse cette ulcération « catastrophique ». La récupération d’une mobilité acceptable est obtenue dans 3 fois plus de cas d’amputations de jambe par rapport aux cas d’amputation de cuisse (1). Nous pourrions actuellement nous rassurer du fait de la possibilité de solutions de revascularisation plus accessibles ; d’ailleurs une étude « globale » du taux d’amputations primaires fait état d’une réduction du taux d’amputations sur une période de suivi de 8 ans en Suède (de 61 à 47 %) (7). Cependant une analyse spécifique et non globale montre que ces résultats sont à interpréter en fonction de l’âge ; après 65 ans, le taux d’amputation a augmenté de 54 % sur une période de 9 ans en Écosse (8), alors qu’elle a diminué de 45 % chez les malades âgés de moins de 65 ans. Plus récemment le suivi des malades diabétiques aux USA fait état d’une augmentation de leur durée de vie (meilleure prise en charge coronarienne), mais d’une augmentation du nombre annuel d’amputations (67 000 à 86 000/an sur 2 ans) (9, 10).

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L’observation très générale des conditions de prise en charge permet de conclure au fait que beaucoup de progrès peuvent être réalisés. Lorsque l’ischémie critique présente un début brutal, l’amputation est réalisée dans 30 à 70 % des cas sans qu’il n’y ait eu de prise en charge dans un centre spécialisé (11). LES COMPÉTENCES NÉCESSAIRES La prise en charge de l’ICCM doit tirer bénéfice des recommandations du consensus TASC ainsi que des réflexions émises à l’occasion de la structuration des centres vasculaires. Selon la lecture du consensus TASC (1) nous pouvons dégager une synthèse de thématiques issues des « recommandations » et des « points non résolus » Le recours à un clinicien vasculaire spécialisé s’impose : la recommandation 73 propose une définition du profil du clinicien vasculaire ; la recommandation 75 dit qu’une prise en charge thérapeutique vasculaire généralisée accroît les chances de succès. Le point non résolu Nq 27 dit que plusieurs patients à haut risque d’ICCM ne répondent pas toujours aux critères d’ICCM mais que le recours aux cliniciens spécialisés s’impose car leur prise en charge mérite d’être rigoureuse. Les explorations vasculaires spécialisées sont indispensables : la recommandation Nq 74 fait état des valeurs de pression artérielle distale et de tcpO2 afin qu’un patient présente les critères standards d’éligibilité pour être inclus dans un essai thérapeutique. Ces mesures ne peuvent être réalisées qu’en milieu spécialisé du fait des difficultés qu’elles posent au stade d’ICCM. L’équipe multidisciplinaire est recommandée à plusieurs reprises : pour l’approche diagnostique et thérapeutique (Nq 76 : spécialiste vasculaire, diabétologue), pour diffuser les objectifs de l’évaluation diagnostique (Nq78 : médecin et chirurgien vasculaires, anesthésiste, hémodynamicien), pour l’évaluation polyvasculaire (Nq 79 : imagerie vasculaire, cardiologue), pour le traitement de la douleur (Nq82 centres antidouleur, protocoles), pour le traitement des troubles trophiques (Nq 83 ; centres de cicatrisation), pour le traitement d’une surinfection (Nq 84 : protocoles de prélèvements bactériologiques et d’antibiothérapie), pour l’utilisation des prostanoïdes (Nq85 : unités de concertation pluridisciplinaire pour déterminer les impossibilités à la revascularisation. Un point non résolu (Nq 28) insiste sur la nécessité de l’évaluation du risque opératoire en fonction du type de revascularisation, impliquant les anesthésistes et les différents spécialistes vasculaires. La nécessité d’un registre de patients avec ICCM apparaît à plusieurs reprises et comporte plusieurs

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rubriques : un audit des centres avec recueil des données (Nq 77), la définition des paramètres de réussite d’un traitement (cicatrisation, qualité de vie, perméabilité vasculaire : recommandation Nq 80), la définition de l’état de sauvetage d’un membre préservant sa fonction et son suivi (recommandation Nq 81). Différents protocoles de recherche clinique doivent être conçus. Des études coût/efficacité doivent concerner les protocoles de revascularisation dont les résultats paraissent être comparables (recommandation Nq 87). Ces études coût/efficacité doivent également concerner la totalité des traitements proposés (revascularisation, réadaptation à l’effort, médicaments : point non résolu Nq18). Les prostanoïdes devraient être évalués à un stade plus précoce que l’ICCM constituée (point non résolu Nq29). Les protocoles d’angiogénèse doivent être de plus en plus considérés dans cette pathologie (point non résolu Nq 31). Les résultats de la compression pneumatique intermittente, de l’amputation première versus la revascularisation, de l’importance de tests fixant le niveau idéal d’amputation sont à évaluer (points non résolus Nq 44,45,46). Une échelle de qualité de vie spécifique à l’ICCM mérite d’être développée (point non résolu Nq47) sachant que l’échelle Vascu Qol a été publiée depuis (12). Selon les réflexions concernant les Centres Vasculaires, l’Union Internationale d’Angiologie avait initié une réflexion (13) qui se poursuit dans le cadre de la Section Chirurgie Vasculaire de l’Union Européenne des Spécialités Médicales. Aux USA, une enquête réalisée auprès de 3 771 médecins généralistes montre que la majorité est intéressée par la création de Centres Vasculaires (14). Les chirurgiens vasculaires ne souhaitent pas réaliser eux-mêmes une prise en charge médicale stricte des artériopathes et préfèrent avoir recours à un expert médical à ce sujet (15,16), de façon complémentaire. Les moyens nécessaires à la constitution d’un centre vasculaire concernent le personnel et les équipements. Le personnel médical doit être à la fois disponible pour les urgences vasculaires et pour l’activité programmée, donc en nombre suffisant. La qualité des intervenants est fonction de leur expérience donc de l’activité quantitative du centre. Dans ce contexte, une réflexion doit s’engager pour ce qui concerne la place accordée aux techniciens d’explorations vasculaires et leur formation. Dans le cadre des équipements et des locaux, l’intégration de la chirurgie vasculaire, des thérapeutiques endovasculaires, pourrait être envisagée mais ne s’est pas toujours avérée comme étant un succès (17). Les tests d’explorations vasculaires doivent inclure l’écho-Doppler artériel, le Doppler trans-crânien, la radiologie vasculaire et doivent être disponibles 24h/24h. Ceci indique la notion de proximité entre Centres Vasculaire et Neurovasculaire.

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LES DONNÉES D’UNE ÉPIDÉMIE MAL CONTRÔLÉE L’objectif de notre prise en charge est bien sûr d’allonger l’espérance de vie ; cependant l’âge est un facteur de risque d’ICCM et d’amputation. Donc la population de personnes âgées, dont la prévalence augmente, doit faire l’objet d’une prophylaxie rigoureuse pour ce qui concerne la détection de l’artériopathie et sa gestion thérapeutique (18). Le diabète est une pathologie dont la prévalence augmente également. Le patient diabétique est pris en charge de façon plus rigoureuse en ce qui concerne la prévention des complications coronariennes ; de ce fait l’espérance de vie est améliorée. Le patient diabétique est ainsi exposé à une plus forte incidence d’artériopathie des membres inférieurs et de survenue d’ICCM (9, 10). L’artériopathie des membres inférieurs doit être prise en charge dans tous les cas grâce à un traitement médical strict et répondant à des objectifs bien définis. L’indication thérapeutique, la pratique d’un exercice physique régulier, la prise d’un traitement médical selon les règles BASIC sont très largement divulguées par les experts. Cependant les constats sont décevants et font état d’une prise en charge que l’on peut qualifier de très insuffisante, les cibles de traitement des facteurs de risque n’étant pas atteintes (19). De fait, l’augmentation de l’expérience de vie de la population générale, des patients diabétiques en particulier, le défaut de rigueur de prise en charge de l’artériopathie, sont autant de facteurs de majoration de l’incidence de l’ICCM. Il n’est pas certain que la réflexion médicale générale ait réellement conscience de ce fait au niveau stratégique de la politique de santé publique.

LES PROPOSITIONS Lorsque nous prenons en compte chacune des réflexions précédentes nous pouvons émettre les recommandations suivantes : – l’ICCM doit être considérée comme une pathologie hautement maligne et souvent incurable si l’on n’intervient pas dès le stade de sa détection. Cette pathologie présente un risque de mortalité élevée à court et moyen termes comparable à certaines pathologies oncologiques. La conséquence doit en être d’amplifier ce message afin d’organiser une prise en charge spécialisée précoce telle qu’elle est possible dans un centre vasculaire ; les centres vasculaires doivent s’imposer tout autant que les centres de traitement des cancers ; – le risque de survenue d’ICCM augmente de façon paradoxale avec notre mission d’allonger la durée de vie de nos patients, notamment les diabétiques. La conséquence doit en être de déclencher pour cette population à haut risque, des moyens de détection systématique de

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l’artériopathie des membres inférieurs, avec élaboration de recommandations fortes ; – le traitement médical de l’artériopathie athéroscléreuse doit être soumis à des protocoles thérapeutiques aussi stricts que doivent l’être les autres protocoles thérapeutiques (chirurgie par exemple). L’atteinte des cibles thérapeutiques doit concerner tout stade d’artériopathie, y compris lors de la prise en charge d’une ICCM ; – il convient de mettre en place un registre de l’artériopathie des membres inférieurs, incluant notamment les cas d’ICCM. Il permettra d’établir un état des lieux et un meilleur suivi des pratiques ; – la recherche clinique concernant notamment l’évaluation de toutes les pratiques thérapeutiques de l’ICCM doit aboutir à une meilleure connaissance de la notion du rapport coût/efficacité des techniques de revascularisation, mais également de toute thérapeutique médicale ; – l’organisation d’une prise en charge rigoureuse de cette maladie sévère qu’est l’ICCM doit aboutir à structurer un système de soins très spécialisés articulant les centres vasculaires et les réseaux afin d’éviter les retards de prise en charge et d’offrir les techniques appropriées. CONCLUSION Nous résumerons le challenge et les propositions par la figure 1.

Challenge = Ischémie critique des membres = Pathologie maligne épidémique

Propositions

Centres vasculaires et réseaux : ⇒ Détection précoce

Registre de l’artériopathie des membres : ⇒ Évaluation des pratiques

⇒ Traitement spécifique

⇒ Coût-efficacité des traitements

FIG 1. – Les propositions stratégiques de prise en charge de

l’ischémie critique des membres. Strategic suggestions for the management of critical ischemia of the limbs.

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