Revue du rhumatisme 80 (2013) 357–362
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Mise au point
L’ossification dans les spondyloarthrites axiales夽 Daniel Wendling a,∗ , Pascal Claudepierre b a b
Service de rhumatologie, EA 4266 université de Franche-Comté, CHRU de Besanc¸on, 2, boulevard Fleming, 25030 Besanc¸on, France Service de rhumatologie, CHU Henri-Mondor, AP–HP, 94000 Créteil, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : ´ 2012 Accepté le 20 decembre Disponible sur Internet le 6 mars 2013 Mots clés : Spondyloarthrite Spondylarthrite ankylosante Ossification Syndesmophyte Radiographie IRM AINS Agents anti TNF
r é s u m é L’ossification des enthèses pouvant aboutir à l’ankylose est une caractéristique des spondyloarthrites axiales. Elle peut être évaluée et quantifiée par les scores radiographiques. Les systèmes impliqués dans cette ossification sont complexes et font intervenir les voies de signalisation d’ostéoformation Wnt et ses inhibiteurs (DKK-1, sclérostine) et également des facteurs de croissance tels que les bone morphogenetic proteins (BMP) ; ces systèmes sont modulés par les cytokines pro-inflammatoires, en particulier le TNF. Les facteurs prédictifs de progression de l’ossification sont la présence de syndesmophytes, certains marqueurs biologiques (CRP, MMP-3, sclérostine, DKK-1, BMP), le tabagisme et les lésions préalables de l’angle vertébral (inflammation et surtout résolution de l’inflammation). Les AINS semblent capables de freiner la progression radiographique, ce qui n’a pas été observé à ce jour avec les agents anti TNF dans les spondyloarthrites axiales. © 2013 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Les spondyloarthrites (SpA) correspondent à des maladies inflammatoires rhumatologiques chroniques avec comme caractéristiques une atteinte axiale (rachis et articulations sacroiliaques) et la possibilité d’une évolution vers l’ossification sous-ligamentaire. Cette dernière se traduit alors par des aspects radiographiques caractéristiques (syndesmophytes en particulier) qui occupent une place centrale dans la démarche diagnostique de ces patients. Cependant, ces modifications radiographiques sont tardives dans l’évolution de la maladie ; cela a généré la prise en compte d’autres techniques d’imagerie (IRM) permettant d’affirmer plus précocement l’existence de lésions inflammatoires ou de réparation en des sites particuliers et incluses dans les nouveaux systèmes de critères de classification proposés par l’ASAS [1]. Cela a suscité un regain d’intérêt en vue d’une meilleure compréhension de l’histoire naturelle de cette ossification, de ses déterminants cellulaires et moléculaires, et de l’effet des traitements actuels. 1. L’enthèse est l’élément central concerné par les mécanismes d’ossification Dans la SpA, il s’agit d’une atteinte des enthèses fibrocartilagineuses, avec mise en évidence d’un infiltrat inflammatoire
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jbspin.2013.02.004. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais la référence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Wendling).
(lymphoplasmocytaire) initial responsable d’une image d’érosion, et suivi d’un phénomène de cicatrisation par ossification endochondrale aboutissant à la formation de l’ enthésophyte [2] (Fig. 1). Cette ossification enchondrale se fait en plusieurs étapes : apoptose des chondrocytes et remplacement des logettes par des pré-ostéoblastes, différenciation de pré-ostéoblastes en ostéoblastes, fabrication de la matrice osseuse par les ostéoblastes, avec des ostéocytes emmurés dans l’épaisseur de la matrice osseuse. L’ensemble a une traduction en IRM : signal inflammatoire, puis régression de l’inflammation (avec signal d’allure graisseuse) et ossification ; et également en imagerie par rayons X : érosion initiale, puis ossification secondaire. Ces lésions touchent avec prédilection sur le rachis l’angle vertébral, qui correspond à une enthèse. Ces modifications peuvent être quantifiées, en IRM et en radiographie, tant aux sacro-iliaques qu’au rachis [3,4]. L’inflammation est mieux appréhendée par l’IRM, et l’ossification par la radiographie. Pour cette dernière, les scores utilisés sont les stades de sacroiliite pour l’atteinte sacroiiaque, et le modified Stoke Ankylosing Spondylitis Spinal Score (mSASSS) pour le rachis. Ce score évalue sur le cliché de profil les lésions de l’angle vertébral antérieur à l’étage lombaire (inférieur de D12 à supérieur de S1), mais aussi cervical (inférieure de C2 à supérieur de D1). Chaque angle est coté entre zéro (normal), 1 (érosion, mise au carré ou sclérose), 2 (enthésophyte), 3 (pont osseux complet), avec une amplitude de score total entre zéro et 72. C’est ce score qui a été retenu par les groupes d’experts internationaux. On voit que dans ce score, le phénomène d’ossification a plus de poids que le phénomène d’érosion.
1169-8330/$ – see front matter © 2013 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2012.12.015
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Fig. 1. Différents stades de l’ossification de l’angle vertébral : en radiographie conventionnelle à rayons X, érosion de l’angle vertébral antérieur, condensation péri-lésionnelle et ossification sous-ligamentaire pouvant aboutir à l’ankylose (de gauche à droite) ; en IRM, hypersignal en séquence T2 (image inférieure).
2. Progression radiographique dans les spondyloarthrites Plusieurs études longitudinales de cohorte ont illustré l’hétérogénéité de la progression radiographique dans les SpA axiales et en particulier dans la spondylarthrite ankylosante (SA). Ainsi Brophy et al. [5] ont montré à l’aide de 2284 radiographies provenant de 571 patients atteints de spondylarthrite ankylosante, évoluant en moyenne depuis 20 ans, suivis dans leur centre, que la progression radiographique évaluée rétrospectivement à l’aide du score BASRI était linéaire sur une période de dix ans. Baraliakos et al., en 2007, [6] évaluent 116 SA (répondant aux critères de New York modifiés) de 11 ans d’évolution en moyenne, suivis deux ans. Cinquante et un pour cent des patients ont un score mSASSS égal à 0 à l’inclusion du suivi. La progression moyenne est de 1,5 unités mSASSS/deux ans, alors que la variation minimale détectable (Smallest Detectable Change [SDC]) est de deux unités mSASSS/deux ans. Vingt-huit pour cent des patients ont une progression supérieure au SDC en deux ans ; une progression est présente dans 44 % des cas chez les SA avec syndesmophyte à T0, et 19 % chez SA sans syndesmophyte à T0 (p = 0,03). Ainsi, la présence de syndesmophytes représente le meilleur prédicteur de progression radiographique ultérieure. Van der Heijde [7] ont rappelé que la progression radiographique dans cette maladie était lente, peu fréquente et peu importante (moyenne en deux ans < SDD), plus marquée en cas de lésion préalable, nécessitant une durée d’au moins deux ans pour une étude contrôlée destinée à évaluer une différence de progression radiographique. Dans la cohorte Oasis, la progression moyenne du score mSASSS (n = 133) en deux ans est 1,2 ± 2,8 unités. Baraliakos et al. [8], à partir de 146 patients de la cohorte GESPIC, ont pu individualiser
différents profils de progression radiographique, illustrant la grande variabilité individuelle dans ce domaine. Ainsi, il reconnaît des progresseurs lents (variation de moins de deux unités mSASSS en deux ans), des progresseurs moyens (entre deux et cinq unités mSASSS en deux ans), et des progresseurs rapides (plus de cinq unités mSASSS en deux ans). 3. Mécanismes de l’ossification des enthèses L’étude en clinique humaine est limitée par la difficulté d’accès à du matériel analysable en immuno-histochimie, les informations sont tirées des expériences sur les modèles animaux [9]. L’érosion initiale va évoluer vers un tissu fibreux. C’est un processus de cicatrisation qui se fait en deux temps, évolution vers un tissu fibreux suivie d’un processus d’ossification, classiquement sur un mode endochondral, mais peut être également par formation osseuse directe [10]. Cela permet le remplissage du défect initial, puis l’ossification, jusqu’à la terminaison érodée du ligament, avec ensuite un néo-fibrocartilage, qui passe au-dessus. Deux systèmes régulent, à l’échelon cellulaire, les mécanismes locaux de l’ossification et peuvent potentiellement être impliqués dans l’ossification de l’enthèse de la spondyloarthrite. Il s’agit, de plus, des Bone morphogenetic proteins (BMP) qui jouent un rôle important dans l’ossification endochondrale. Les études immunohistochimiques en particulier sur le modèle d’arthrite spontanée de la souris DBA/1 ont mis en évidence une production locale de diverses BMP par les cellules progénitrices des enthèses en différenciation chondrogénique, lors des stades initiaux de la maladie. Les BMP sont induites dans différents types cellulaires par les cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL-1 et le TNF. L’utilisation d’un
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inhibiteur de BMP tel que noggin (par transfert de gène) protège de l’arthrite et de l’ankylose, de fac¸on préventive (transfert de gène avant le début des symptômes) ou curative (transfert de gène au moment des symptômes) [10,11]. De plus, l’implication de la voie de signalisation Wnt paraît grandissante en partie dans les stades plus tardifs de la formation osseuse endochondrale [11]. Plusieurs inhibiteurs de cette voie Wnt sont connus, en particulier DKK-1. La production de DKK-1 est stimulée par le TNF. Dans les modèles animaux (souris transgéniques pour le TNF humain) le traitement par anti DKK-1 s’accompagne de la formation d’ostéophytes [in 11]. La sclérostine est un autre inhibiteur de Wnt, et a fait l’objet d’études dans la SA, c’est également un inhibiteur de BMP. Il a été montré par ailleurs que les contraintes mécaniques exercées sur l’ostéocyte pouvaient stimuler sa production de certaines BMP [12], et pouvait aboutir à une diminution de DKK et sclérostine et à une activation de Wnt [13], ce qui pourrait rendre compte de la localisation privilégiée de l’ossification aux zones de sollicitation mécanique intense que sont les enthèses. 4. Facteurs associés, facteurs prédictifs de l’ossification dans les spondyloarthrites Ces informations sont issues d’études épidémiologiques de cohortes, mais également d’études prospectives à l’occasion d’évaluations thérapeutiques. 4.1. Facteurs épidémiologiques Comme évoqué plus haut, la présence de syndesmophytes est un facteur significativement prédicteur d’une progression structurale [6,7]. Cela a été confirmé par l’étude de 132 patients de la cohorte Oasis, de plus de 11 ans d’ancienneté moyenne de la maladie [14] avec des radiographies à deux et quatre ans de suivi. Au début de l’étude, 61 % des patients ont des syndesmophytes ; des nouveaux syndesmophytes apparaissent dans 33 % des cas à deux ans et 48 % à quatre ans, avec un risque relatif de développement de nouveau syndesmophyte de 5,0 [IC 95 % : 2,5–10,2] en cas de syndesmophyte pré-existant. En faisant abstraction de ce paramètre dans le modèle d’analyse, l’âge et le sexe masculin sont significativement associés à l’apparition de nouveaux syndesmophytes. De la même manière, Maksymowych et al. [15] analysent les déterminants de la progression du score radiographique mSASSS sur deux ans chez 97 patients et confirment que la progression est plus importante chez les patients ayant un score mSASSS plus élevé au départ. Parmi les facteurs cliniques associés à une progression structurale radiographique, l’âge et l’atteinte de la coxo-fémorale ont été évoqués [16,17]. Dans une étude transversale, 398 patients atteints de SA sont évalués radiologiquement avec le score BASRI en fonction de la durée d’évolution [18]. La sévérité radiographique est liée à l’âge de début (odds ratio : 1,1 par année), le sexe masculin (OR : 1,9), le tabagisme (OR : 4,7), et la présence des allèles HLA-B*4100, DRB1*0804, DQA1*0401, DQB1*0603, DRB1*0801, et DPB1*0202. Le tabac est incriminé également dans l’étude de la cohorte Gespic [19] comportant 210 patients atteints de SA suivis deux ans et évalués en mSASSS. Parmi les patients atteints de SpA axiale, 14 % ont une progression radiographique à deux ans. Les paramètres indépendamment associés à la progression radiographique sont : la présence de syndesmophytes au début du suivi (odds ratio 6,2), des taux élevés de marqueurs biologiques de l’inflammation (VS : OR : 4) et le tabagisme (cigarette) (OR : 2,75). Dans la cohorte Desir [20] concernant des patients atteints de rachialgies récentes évocatrices de spondyloarthrite, il a été montré, sur les 647 patients analysés, que le tabagisme était significativement associé, en analyse multivariée, à divers éléments péjoratifs : début plus précoce des rachialgies, activité plus élevée, retentissement fonctionnel et
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de qualité de vie plus marqué, atteinte IRM plus marquée (structurale et inflammatoire, rachis et sacro-iliaque), et score mSASSS plus élevé (fumeurs : 1,4 ± 3,3 ; non fumeurs : 0,9 ± 2,6). 4.2. Facteurs biologiques Les marqueurs biologiques d’inflammation sont associés à la progression radiographique dans plusieurs études. Dans la cohorte Gespic, la progression radiographique est corrélée à la CRP (taux moyenné sur deux ans), avec un OR de 3,8 [19]. Dans le travail de Maksymowych et al. [15] déjà évoqué, est notée, sur 97 patients suivis deux ans, une corrélation entre la CRP initiale et la progression du score mSASSS en deux ans ; en régression linéaire après ajustement pour l’âge, le sexe, la durée de la maladie, les taux de base de mSASS et de CRP, seuls les taux de base de MMP-3 sont prédictifs de la progression radiographique à deux ans. Dans le travail de Vosse et al. [17], les marqueurs de dégradation du cartilage (CTX-II) sont corrélés au score radiographique. Les taux de sclérostine sont significativement plus bas chez 46 patients atteints de SA, non traités par anti TNF, comparativement à 50 sujets témoins [21], les taux bas chez les patients SA sont significativement associés à la formation de nouveaux syndesmophytes. Dans un autre travail [22] les taux de sclérostine et de DKK-1 fonctionnel ont été dosés dans le sérum de 65 patients atteints de SA de la cohorte Gespic et corrélés à la progression syndesmophytique radiographique sur deux ans. Les taux de sclérostine et de DKK-1 sont fortement corrélés entre eux, mais pas à la CRP. Les taux de DKK-1 sont significativement plus élevés chez les patients sans progression de syndesmophytes. Les taux de BMP circulantes ont été évalués par Chen et al. [23] lors d’une étude transversale des patients atteints de 60 SA avec ankylose rachidienne et 60 sans ankylose. Les taux de BMP 2 et BMP 4 sont significativement plus élevés chez les patients avec ankylose, et sont corrélés au score radiographique (BASRI). 4.3. Facteurs IRM Le suivi des patients de certaines études ou cohortes a permis d’évaluer la valeur prédictive de certaines modifications initiales sur l’évolution radiographique ultérieure. Il a en particulier été recherché une corrélation entre une atteinte de l’angle vertébral en IRM (parfois décrite comme une lésion de type Romanus magnétique) et la survenue ultérieure d’un syndesmophyte sur cette même localisation. Trois études principales ont évalué le lien entre atteinte inflammatoire de l’angle vertébral en IRM (hyposignal en séquence T1, hypersignal en séquence T2 ou STIR, réhaussement du signal après gadolinium) et la survenue d’une ossification sous-ligamentaire au même endroit dans le suivi (Tableau 1) [24–26]. Les syndesmophytes se développent après deux ans plus fréquemment sur des localisations siège d’une inflammation IRM à T0, mais les odds ratios restent faibles. Par exemple, dans l’étude de Baraliakos et al. [24], en présence d’inflammation IRM initiale, un syndesmophyte est présent à deux ans dans 6,5 % des cas, alors qu’en l’absence de modification inflammatoire, un syndesmophyte est présent à un site donné dans 2,1 % des cas. À l’inverse, si l’on analyse les Tableau 1 Association entre présence d’inflammation IRM et apparition ultérieure de syndesmophytes. Données de la littérature. Auteur (référence)
n
N sous anti TNF
Suivi (ans)
OR
Baraliakos et al. [24] Maksymowych et al. [25] Van der Heijde et al. [26]
39 70 182
39 36 182
2 2 2
2,7–3,3 3,3 1,5–2,2
n : nombre ; OR : odds ratio.
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Fig. 2. Évolution des lésions locales, adapté d’après Sieper et al. [40].
nouveaux syndesmophytes, seuls 38 % avaient une inflammation IRM au même endroit deux ans avant. L’argument en faveur d’une relation de filiation directe entre inflammation en IRM et ossification en radiographie est donc statistiquement faible. Ces études ont cependant leur limites, car on ne dispose pas d’information sur l’évolution potentielle en IRM durant des périodes de un à deux ans (par exemple, avec des IRM à M0, M3, M6, M12). Des travaux récents argumentent en faveur d’une valeur prédictive de lésions graisseuses de résolution de l’inflammation pour le développement ultérieur de syndesmophytes. Ainsi, l’équipe de Maksymowych [27,28], en suivant 100 patients sur deux ans, a montré que les nouveaux syndesmophytes survenaient plus fréquemment de fac¸on significative sur les coins vertébraux avec dépôts graisseux ; après ajustement, les odds ratios de prédiction de nouveau syndesmophyte sont de 7,6 [1,5–38,5] pour les angles vertébraux graisse+ et inflammation+, 5,8 [2,2–15,3] pour inflammation+ et 1,9 [0,9–4,1] pour graisse+, suggérant l’hypothèse d’une évolution des lésions inflammatoires vers l’ossification par l’intermédiaire d’un processus de métaplasie tissulaire comprenant un infiltrat graisseux. L’évolution de marqueurs biologiques chez des patients traités par anti TNF pour une SA montrant que la persistance d’une inflammation systémique était associée à l’absence de progression radiographique irait dans le même sens [29]. 5. Effets des traitements L’effet sur la progression radiographique peut représenter un enjeu ou un élément d’évaluation des traitements des spA.
deux groupes et à la limite de la détection clinique (cf. supra). Une analyse post-hoc de cette étude [31] a stratifié les résultats en fonction du niveau d’inflammation biologique (VS et CRP moyenne) et du niveau d’activité (BASDAI et ASDAS moyens). L’effet de ralentissement de la progression radiographique sous prise continue d’AINS est plus marqué chez les patients ayant une VS, CRP, un ASDAS moyen élevés (différence non observée pour BASDAI élevé). L’influence de la consommation d’AINS sur la progression radiographique rachidienne sur deux ans a été étudiée chez 164 SpA de la cohorte Gespic [32] (88 SA et 76 SpA axiale non radiographique) à l’aide du mSASSS et du score de consommation d’AINS. Une consommation élevée d’AINS (index ≥ 50) est associée à une moindre progression radiographique (définie par une aggravation du score mSASSS d’au moins deux unités) (après ajustement au mSASSS initial, la CRP et le tabagisme) comparativement aux patients à faible consommation d’AINS. La différence est particulièrement nette pour les patients avec SA ayant des syndesmophytes à l’entrée de l’étude et une CRP élevée dans le temps. Dans les formes de spA axiales non radiographiques, il n’y a pas de différence de progression radiographique en fonction du niveau de prise d’AINS. Dans une étude non randomisée, Haroon et al. [33] ont comparé l’évolution du score mSASSS à deux ans chez 40 patients traités par anti TNF ; 20 d’entre eux continuaient la prise d’AINS, les 20 autres non. À deux ans, la progression est moindre dans le groupe anti TNF + AINS (0,2 ± 3,4 unités mSASSS) par rapport au groupe anti TNF seul (3,1 ± 2,7). Des arguments biologiques peuvent rendre compte de ce potentiel effet structural des AINS [34], mais une prise continue, indépendamment de la symptomatologie, doit faire évaluer la balance bénéfice–risques de cette classe thérapeutique.
5.1. Les AINS 5.2. Les anti TNF Un essai randomisé contrôlé [30] a comparé, sur une période de deux ans la progression radiographique de patients atteints de SA et traités par AINS soit de fac¸on continue (données complètes pour 76 patients), soit à la demande, en fonction de l’existence de symptômes (n = 74). Le score moyen de progression radiographique est de 0,4 ± 1,7 unités mSASSS dans le groupe traitement continu et 1,5 ± 2,5 unités dans le groupe à la demande (p = 0,002). Même si la différence de consommation effective d’AINS est peu importante entre les deux groupes, la différence de progression radiographique reste significative après ajustement au score radiographique à l’inclusion et à l’activité de la maladie. On notera toutefois que cette progression radiographique est faible dans les
Sur le plan radiographique, il n’y a pas d’étude contrôlée du fait de l’impossibilité éthique de maintenir des patients sous placebo durant deux ans, les privant ainsi d’un traitement dont l’efficacité clinique n’est pas contestée. Nous disposons d’études ayant comparé des groupes de patients traités par anti TNF durant une certaine période, à des patients suivis dans des cohortes constituées avant la mise à disposition des anti TNF et pour lesquels un suivi radiographique est disponible. La première porte sur 33 patients atteints de SA et traités par infliximab pendant quatre ans [35]. Les résultats radiographiques sont comparés à ceux de la cohorte historique internationale (Oasis). La variation moyenne
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sur quatre ans dans le groupe infliximab est de 1,6 ± 2,6 unités mSASSS (0,9 ± 2,3 pour la période T0-deux ans versus 0,7 ± 1,6 pour la période deux ans – quatre ans). Dans la cohorte Oasis, la progression en quatre ans est de 4,4 unités. Trente pour cent des patients sous anti TNF voient leur score radiographique progresser entre T0 et quatre ans. Les patients avec des lésions rachidiennes à T0 sont ceux qui ont le plus progressé à quatre ans. D. van der Heijde, dans la phase d’extension d’études contrôlées a recueilli les informations concernant l’etanercept, l’infliximab et l’adalimumab sur deux ans et a comparé les variations du score mSASSS. Ainsi, pour l’etanercept [36], 257 patients traités pendant 96 semaines ont été comparés avec 175 patients non sélectionnés de la cohorte Oasis. La lecture était faite par deux experts indépendants, en insu du groupe et de l’ordre. Il n’y a pas de différence en termes de variation du score mSASSS sur cette période entre les deux groupes : 0,91 ± 2,45 pour le groupe etanercept et 0,95 ± 3,18 pour le groupe Oasis. De la même manière, avec l’infliximab, en prenant les patients de l’étude Assert traités par infliximab pendant 96 semaines (n = 279) et 192 patients de la cohorte Oasis, le même auteur [37] n’observe pas de différence entre les deux groupes : 0,9 ± 2,6 unités pour le groupe infliximab et 1,0 ± 3,2 pour le groupe Oasis. L’absence de différence persiste en ne prenant que les patients de la cohorte Oasis remplissant les critères d’inclusion de l’étude Assert (n = 70). Des résultats similaires ont été observés pour l’adalimumab (étude Atlas) sur deux ans, comparativement à la cohorte Oasis. [38] (307 SA sous adalimumab comparés à 169 patients de la cohorte Oasis). Ces études ont leurs limites. L’étude de Baraliakos [35] suggère un ralentissement de progression radiographique sur quatre ans de traitement par infliximab, par rapport à l’évolution du score radiographique d’une cohorte traitée sans anti TNF. Cependant, dans ce travail, la lecture n’a pas été effectuée en insu, et les données de la cohorte Oasis ont été extraites de données publiées, cela limite la portée du résultat. Pour les trois études de Van der Heijde [36–38], il ne s’agit pas d’études randomisées, mais de comparaison avec une cohorte. La progression est faible sur deux ans dans les différents groupes, et en-dec¸à de la plus petite différence pertinente pour le mSASSS. Cette absence de démonstration d’effet structural des anti TNF dans la SA reste un sujet de débat [39].
6. Discussion Le phénomène d’ossification dans les spA est complexe et multifactoriel entre l’élément initial sur l’enthèse (stress mécanique ou inflammation) et la constatation radiographique de l’ossification sous forme de syndesmophyte. Ce processus met en jeu des acteurs cellulaires, des facteurs de croissance (BMP), des voies de signalisation (Wnt et ses inhibiteurs : DKK-1 et sclérostine), dont l’activité est modulée, entre autres, par les cytokines pro inflammatoires, en particulier le TNF. L’importance de ces différents acteurs et activateurs peut varier en fonction des stades évolutifs du processus. Les relations entre inflammation locale et ossification vers l’ankylose restent discutées [40–43]. L’inflammation et l’ossification seraient liées, mais non directement couplées dans la SA, avec un stade intermédiaire de résolution de l’inflammation et de réparation tissulaire permettant le développement de l’ossification secondaire (Fig. 2). L’effet du TNF (et donc des anti TNF) serait différent sur ces diverses phases, rendant compte de l’absence de mise en évidence de ralentissement de l’ossification sous anti TNF une fois que le processus d’ostéoformation est initié. Une autre hypothèse fait envisager un facteur déclenchant commun pour l’inflammation et l’ossification, ces deux phénomènes se développant ensuite par des mécanismes moléculaires différents [42]. Ces constatations argumentent pour une prise en charge thérapeutique précoce, avant l’enclenchement du processus local
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d’ossification, pour utiliser une éventuelle fenêtre d’opportunité [44]. Les formes non radiographiques de spA représentent donc un enjeu, non seulement diagnostique, mais également thérapeutique [45]. Déclaration d’intérêts D.W. : interventions ponctuelles : Abbott, Amgen, BMS, Pfizer, Roche, Chugai, Nordic Pharma, Sanofi Aventis, MSD. Interêts indirects : Abbott, BMS, Pfizer, Roche-Chugai, MSD. P.C. : évènements ponctuels : invitation à des congrès ou participation comme orateur à des formations organisées par les laboratoires MSD, Pfizer, Abbott, Roche, BMS, UCB et Janssen ; aucun intérêt indirect. Références [1] Rudwaleit M, Taylor WJ. Classification criteria for psoriatic arthritis and ankylosing spondylitis/axial spondyloarthritis. Best Pract Res Clin Rheumatol 2010;24:589–604. [2] Claudepierre P, Voisin MC. The entheses: histology, pathology, and pathophysiology. Joint Bone Spine 2005;72:32–7. [3] Wendling D, Toussirot E, Streit G, et al. Imaging study scores for ankylosing spondylitis. Joint Bone Spine 2006;73:655–60. [4] Chary-Valckenaere I, d’Agostino MA, Loeuille D. Role for imaging studies in ankylosing spondylitis. Joint Bone Spine 2011;78:138–43. [5] Brophy S, Mac Kay K, Al-Saidi A, et al. The natural history of ankylosing spondylitis as defined by radiological progression. J Rheumatol 2002;29:1236–43. [6] Baraliakos X, Listing J, Rudwaleit M, et al. Progression of radiographic damage in patients with ankylosing spondylitis: defining the central role of syndesmophytes. Ann Rheum Dis 2007;66:910–5. [7] Van der Heijde D, Landewé R, Van der Linden S. How should treatment effect on spinal radiographic progression in patients with ankylosing spondylitis be measured? Arthritis Rheum 2005;52:1979–85. [8] Baraliakos X, Listing J, von der Recke A, et al. The natural course of radiographic progression in ankylosing spondylitis – evidence for major individual variations in a large proportion of patients. J Rheumatol 2009;36:997–1002. [9] Braem K, Lories RJ. Insights into the pathophysiology of ankylosing spondylitis: contributions from animal models. Joint Bone Spine 2012;79:243–8. [10] Carter S, Braem K, Lories RJ. The role of bone morphogenetic proteins in ankylosing spondylitis. Ther Adv Musculoskel Dis 2012;4:293–9. [11] Lories RJU, Luyten FP, de Vlam K. Mechanisms of new bone formation in spondyloarthritis. Arthritis Res Ther 2009;11:221. [12] Santos A, Bakker AD, Willems HM, et al. Mechanical loading stimulates BMP7, but not BMP2, production by osteocytes. Calcif Tissue Int 2011;89:318–26. [13] Bonewald LF, Johnson ML. Osteocytes, mechanosensing and Wnt signaling. Bone 2008;42:606–15. [14] van Tubergen A, Ramiro S, van der Heijde D, et al. Development of new syndesmophytes and bridges in ankylosing spondylitis and theirpredictors: a longitudinal study. Ann Rheum Dis 2012;71:518–23. [15] Maksymowych WP, Landewé R, Conner-Spady B, et al. Serum matrix metalloproteinase 3 is an independent predictor of structural damage progression in patients with ankylosing spondylitis. Arthritis Rheum 2007;56:1846–53. [16] Brophy S, Mackay K, Al-Saidi A, et al. The natural history of ankylosing spondylitis as defined by radiological progression. J Rheumatol 2002;29:1236–43. [17] Vosse D, Landewé R, Garnero P, et al. Association of markers of bone- and cartilage-degradation with radiological changes at baseline and after 2 years follow-up in patients with ankylosing spondylitis. Rheumatology (Oxford) 2008;47:1219–22. [18] Ward MM, Hendrey MR, Malley JD, et al. Clinical and immunogenetic prognostic factors for radiographic severity in ankylosing spondylitis. Arthritis Rheum 2009;61:859–66. [19] Poddubnyy D, Haibel H, Listing J, et al. Baseline radiographic damage, elevated acute-phase reactant levels, and cigarette smoking status predict spinal radiographic progression in early axial spondylarthritis. Arthritis Rheum 2012;64:1388–98. [20] Chung HY, Machado P, van der Heijde D, et al. Smokers in early axial spondyloarthritis have earlier disease onset, more disease activity, inflammation and damage, and poorer function and health-related quality of life: results from the DESIR cohort. Ann Rheum Dis 2012;71:809–16. [21] Appel H, Ruiz-Heiland G, Listing J, et al. Altered skeletal expression of sclerostin and its link to radiographic progression in ankylosing spondylitis. Arthritis Rheum 2009;60:3257–62. [22] Heiland GR, Appel H, Poddubnyy D, et al. High level of functional dickkopf1 predicts protection from syndesmophyte formation in patients with ankylosing spondylitis. Ann Rheum Dis 2012;71:572–4. [23] Chen HA, Chen CH, Lin YJ, et al. Association of bone morphogenetic proteins with spinal fusion in ankylosing spondylitis. J Rheumatol 2010;37:2126–32. [24] Baraliakos X, Listing J, Rudwaleit M, et al. The relationship between inflammation and new bone formation in patients with ankylosing spondylitis. Arthritis Res Ther 2008;10:R104.
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