Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, S15-S18
L’urticaire au froid : un modèle de prise en charge des urticaires chroniques difficiles à traiter Cold urticaria: a management model for difficult-to-treat chronic urticaria D’après la communication du Pr Marcus Maurer Service de dermatologie et d’allergologie, Charité, Université de médecine, Berlin
Mots clés
Urticaire au froid ; Urticaire chronique ; Étude de dose ; Desloratadine
Keywords
Cold urticaria; Chronic urticaria; Dose-ranging trial; Desloratadine
Résumé Lorsqu’un traitement de première intention de l’urticaire chronique par les antihistaminiques anti-H1 de deuxième génération s’avère insuffisant, les recommandations conjointement rédigées par l’EAACI (European Academy of Allergy and Clinical Immunology) et le GA2LEN (Global Allergy and Asthma European Network), et acceptées ensuite par l’EDF (European Dermatology Forum), proposent d’augmenter les doses jusqu’à 4 fois la posologie habituelle de ces anti-histaminiques plutôt que de faire des associations ou d’utiliser des anti-histaminiques de première génération qui ont des effets sédatifs et anticholinergiques. Ces recommandations sont des recommandations d’experts mais il est nécessaire d’avoir des études contrôlées pour affirmer le bien-fondé de cette attitude. L’urticaire au froid apparaît comme un modèle d’étude intéressant pour vérifier l’intérêt de l’augmentation des doses d’anti-histaminiques car il existe des tests de provocation et également parce qu’il existe une résistance classique aux doses habituellement utilisées. Une étude randomisée en crossover, en double aveugle et contre placebo a permis de montrer que le contrôle total des symptômes était significativement plus fréquent avec des doses d’antihistaminiques anti-H1 de seconde génération 4 fois supérieures à la normale. Les critères d’évaluation permettaient d’évaluer le seuil de température de déclenchement de l’urticaire au froid pour les patients ainsi que le volume et la température de surface des lésions provoquées. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary In case of failure with first-line treatment using second-generation nonsedative anti-H1 antihistamines, the joint EAACI (European Academy of Allergy and Clinical Immunology) and GA2LEN (Global Allergy and Asthma European Network) guidelines, subsequently accepted by the EDF (European Dermatology Forum), propose to increase the dosage of these antihistamines up to fourfold rather than associating medications or using first-generation antihistamines that
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D’après la communication du Pr Marcus Maurer
have sedative and anticholinergic effects. These recommendations are expert recommendations, but due to the lack of controlled studies further investigations in this field are necessary. Cold urticaria seems to be an interesting study model to verify the value of increasing doses of antihistamines because provocation tests are available and there is a classic resistance to the dosages currently in use. A randomized double-blind, crossover, placebo-controlled trial has shown that the total control of symptoms was reached more frequently with doses of second-generation anti-H1 antihistamines four times greater than the normal dose. The assessment criteria evaluated the temperature threshold of cold urticaria as well as the volume of induced wheals. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
C
haque dermatologue a rencontré dans sa clientèle des patients ayant une urticaire résistante aux antihistaminiques anti-H1 aux posologies habituellement prescrites. Selon les recommandations conjointement rédigées par l’EAACI (European Academy of Allergy and Clinical Immunology) et le GA2LEN (Global Allergy and Asthma European Network) et acceptées ensuite par l’EDF (European Dermatology Forum), le traitement de première intention de l’urticaire chronique est représenté par les anti-histaminiques anti-H1 non sédatifs de seconde génération. En cas d’échec, il est préférable d’augmenter les doses jusqu’à 4 fois la posologie habituelle de ces anti-histaminiques plutôt que de faire des associations ou d’utiliser des anti-histaminiques de première génération qui ont des effets sédatifs et anticholinergiques [1]. Ces recommandations sont des recommandations d’experts mais il est nécessaire d’avoir des études contrôlées pour affirmer le bien-fondé de cette attitude. On considère aujourd’hui que 10 % des urticaires chroniques sont résistantes au traitement de première intention si l’on prend comme critère principal pour les études une amélioration de 75 % des symptômes. Si l’on considère la guérison complète comme critère principal, seulement 42,5 % (4 à 68 % selon les études) des patients sont totalement asymptomatiques avec le traitement de première intention. Parmi les urticaires physiques (dermographisme, urticaire à la pression, au froid, à la chaleur ou au soleil) l’urticaire au froid apparaît comme un modèle expérimental d’études
pour les urticaires chroniques difficiles à traiter. En effet l’urticaire au froid est le plus souvent résistante au traitement de première intention par les anti-histaminiques anti-H1 de seconde génération et elle est facilement déclenchée par une épreuve de provocation au froid (Fig. 1). Une étude a donc été réalisée avec des patients ayant une urticaire au froid dont l’objectif était de comparer l’efficacité d’un traitement par desloratadine à dose habituelle à celle d’un traitement par desloratadine à une dose 4 fois plus importante.
L’étude AUDACU (Up-Dosing in Acquired Cold Urticaria) [2] Cet essai thérapeutique était contrôlé, randomisé, en double aveugle et contre placebo. Trente patients ayant une urticaire acquise au froid étaient inclus dans l’étude et randomisés en trois groupes ; un groupe placebo, un groupe traité par desloratadine 5 mg et un groupe traité par desloratadine 20 mg. Les patients prenaient leur traitement pendant une semaine et un test de provocation au froid était réalisé. Après un wash-out de 14 jours, les patients prenaient un traitement différent (les 3 groupes étant tous traités en crossover) pendant une semaine et un nouveau test de provocation était réalisé. Après un second wash-out de 14 jours, les patients prenaient le troisième traitement (ainsi tous les patients avaient reçu en aveugle au moins une semaine le placebo, la desloratadine 5 mg et la desloratadine 20 mg) pendant une semaine et un dernier test de provocation était réalisé.
Test de provocation au froid
Figure 1. Urticaire au froid déclenchée par l’eau froide.
Les tests de provocation au froid ont été réalisés avec un appareil de type Temptest 2.1 dont la sonde (véritable « glaçon électronique ») permet d’appliquer une température déterminée pendant 5 minutes afin d’identifier le seuil de déclenchement de l’urticaire (Fig. 2A). Les appareils de dernière génération de type Temptest 3.0 (Fig. 2B) sont munis de sondes permettant de tester sur la peau du patient en une seule fois 12 températures différentes (réglables à volonté).
L’urticaire au froid : un modèle de prise en charge des urticaires chroniques difficiles à traiter
L’efficacité des traitements a été évaluée sur le volume, la surface et l’épaisseur des lésions provoquées.
Résultats Le seuil de température déclenchant les lésions était compris entre 18 et 27 °C pour la majorité des patients ; les extrêmes étant situés entre 2-4 °C et 28-31 °C. Ce seuil peut paraître étonnamment élevé mais il correspond à des températures auxquelles chacun est confronté lors des activités de la vie quotidienne. A titre d’exemple, 28 °C correspond à la nage en piscine chauffée ; 20 °C correspond à la température du siège des toilettes ; 16 °C correspond à un bain dans l’océan atlantique ; 10 °C correspond à la préparation des aliments pour la cuisine ou aux activités de ski ; 4 °C correspond à une bataille de boules de neige ou bien à l’ingestion de boissons fraîches. Ce type d’évaluation du seuil de déclenchement de l’urticaire au froid pourrait devenir un critère d’évaluation pour l’efficacité des traitements. Car au-delà de la guérison complète du patient, l’abaissement du seuil de déclenchement de l’urticaire pourrait être un résultat intermédiaire intéressant.
significativement plus importante le seuil de déclenchement que la desloratadine 5 mg (Fig. 3).
Volume des papules de surface La desloratadine 5 mg et 20 mg diminue significativement le volume de la réaction cutanée après test de provocation par rapport au placebo. La desloratadine 20 mg diminue de façon significativement plus importante le volume que la desloratadine 5 mg (Fig. 4).
Illustration de l’étude à partir d’une observation Pour illustrer ces résultats, voici l’observation d’un patient âgé de 62 ans. Au début de l’étude le seuil de déclenchement
*** 30
Seuil de température critique (°C)
Évaluation de l’efficacité des traitements
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Seuil de déclenchement de l’urticaire La desloratadine 5 mg et 20 mg diminue significativement le seuil de déclenchement de l’urticaire au froid par rapport au placebo. La desloratadine 20 mg diminue de façon
***
20
15
10
5
0
Figure 3.
A
Référence
Volume de papule (mm³)
5 mg 20 mg Desloratadine
Placebo
Diminution significative du seuil de déclenchement de l’urticaire au froid avec la desloratadine par rapport au placebo. La diminution est significativement plus importante pour la desloratadine à la dose de 20 mg par jour [3].
1200
C
***
25
***
***
1000
800
600
***
400
200
0
Référence
B Figure 2.
Matériel utilisé pour les tests de provocation au froid. A : Temptest 2.1 utilisé pour les tests de provocation en appliquant une température pendant 5 min ; B : sonde du Temptest 3.0 avec 12 plots permettant d’appliquer des températures différentes sur la peau [3].
Figure 4.
Placebo
DL 5 mg
DL 20 mg
Diminution significative du volume des papules après test de provocation au froid avec la desloratadine par rapport au placebo. La diminution est significativement plus importante pour la desloratadine à la dose de 20 mg par jour [3].
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D’après la communication du Pr Marcus Maurer
de l’urticaire au froid était situé à 25 °C. Après 7 jours de desloratadine 5 mg, les lésions étaient déclenchées à partir de 14 °C. Après 7 jours de desloratadine 20 mg, les lésions ne pouvaient plus être provoquées pour une température de 4 °C. La figure 5 correspond aux images acquises chez ce patient pour la mesure du volume, de l’épaisseur et de la surface des papules provoquées à 25 °C sous placebo, à 14 ° sous desloratadine 5 mg et à 4 °C sous desloratadine 20 mg. On observe qu’aucune papule n’a pu être déclenchée à 4 °C sous desloratadine 20 mg.
Conclusion Les doses habituelles d’anti-histaminique anti-H1 de seconde génération ont une certaine efficacité pour le traitement de l’urticaire au froid. Mais cette efficacité est souvent incomplète. L’augmentation des doses à 4 fois la dose habituelle permet d’obtenir plus souvent le contrôle total des symptômes. Il est difficile cependant d’extrapoler ces résultats aux autres urticaires chroniques et notamment aux urticaires chroniques idiopathiques. De nouvelles études sont donc en cours pour évaluer l’efficacité des fortes doses d’anti-histaminiques dans les autres types d’urticaires chroniques. L’algorithme de décision utilisé actuellement dans le service de dermatologie et d’allergologie de Berlin pour le traitement d’une urticaire chronique est le suivant : prescription initiale d’un anti-histaminique anti-H1 non sédatif de seconde génération pendant une semaine ; évaluation à 1 semaine et si inefficace, augmentation jusqu’à 4 fois la dose initiale du même anti-histaminique ; évaluation 4 semaines plus tard et si inefficace, association à un anti-histaminique anti-H2 et/ou à un anti-leucotriène ; évaluation 4 semaines plus tard et si inefficace, changement de traitement avec utilisation de ciclosporine ou de dapsone ou d’immunoglobulines intra-veineuses, etc. Il est important de réévaluer rapidement les patients.
Conflits d’intérêts Le Pr Marcus Maurer a été investigateur, intervenant et/ ou conseiller pour les laboratoires Almirall Hermal, Bayer Schering Pharma, Biofrontera, Essex Pharma, Genentech, JADO Technologies, Jerini, Novartis, Schering-Plough, Symbiopharm, UCB, Uriach.
Patient n°24 : changement volumétrique sous traitement
Figure 5. Mesure du volume, de l’épaisseur et de la surface des papules provoquées chez un même patient [3].
Références [1] Zuberbier T, Bindslev-Jensen C, Canonica W, Grattan CE, Greaves MW, Henz BM, et al. EAACI/GA2LEN/EDF guideline: management of urticaria. Allergy 2006;61:321-31. [2] Maurer M, Siebenhaar F, Degener F, Zuberbier, Martus P. Up-dosing of Desloratadine Reduces Cold Provocation Test Responses in Patients with Cold Urticaria. J Allergy Clin Immunol 2008;121:794 (abst). [3] Siebenhaar F, Degener F, Zuberbier T, Martus P, Maurer M. High-dose desloratadine decreases wheal volume and improves cold provocation thresholds compared with standard-dose treatment in patients with acquired cold urticaria: a randomized, placebo-controlled, crossover study. J Allergy Clin Immunol 2009;123:672-9.