L'art de se rendre conforme. De la psychose et de ses aménagements

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Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 517–521 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Communication L’art de se rendre conforme. De la psychose...

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Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 517–521 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Communication

L’art de se rendre conforme. De la psychose et de ses aménagements The art of conformism. On psychosis and on its adjustments J.-P. Rondier a,*, A. Payen b a

b

Assistant de Psychiatrie, Service de psychiatrie, HIA du Val-de-Grâce, 74, boulevard de Port-Royal, 75230 Paris cedex 05, France Professeur Agrégé du Val-de-Grâce, Chef du service de psychiatrie, HIA Robert-Picqué, 351, route de Toulouse, 33998 Bordeaux-Armées, France Disponible sur internet le 26 juillet 2006

Résumé Jean-Jacques, âgé de 24 ans, est hospitalisé en urgence. Il présente des manifestations dépressives qui l’amènent à concevoir des idées suicidaires. La survenue de ces troubles est consécutive à sa sortie d’hospitalisation en chirurgie qui s’est réalisée la veille et, est à mettre en rapport avec l’intolérance à la séparation de son compagnon de chambre. Jean-Jacques est un garçon remarquable par sa capacité de se conformer aux exigences de la vie sociale, notamment en ce qui concerne le domaine des études où il tend à l’excellence, jusqu’à intégrer une école des plus « prestigieuses ». Par ailleurs, Jean-Jacques apparaît isolé sur le plan relationnel. Cette solitude prend ses racines dans l’enfance. Elle s’inscrit dans le contexte d’une psychose dont on repère les premières manifestations dès l’âge de cinq ans. Ce qui fait la caractéristique de cette histoire clinique, c’est le contraste entre l’évolution de longue date d’une schizophrénie aux productions luxuriantes et la qualité de l’adaptation dans des études qui ne sont pas uniquement centrées sur les sciences dures, mais ressortissent aussi du domaine des humanités. On s’interroge également sur les circonstances ayant favorisé la survenue de l’épisode actuel, la rencontre d’un « double » pour un sujet qui vit dans un monde où il n’y a pas d’autrui. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Jean-Jacques, 24 years old, has to be urgently hospitalised. He is depressive and has suicidal ideas. These troubles are consecutive to his leaving the surgery service of a hospital the day before and to the intolerable pain of having been separated from his roommate. On the one hand, Jean-Jacques is remarkable in his capacity to conform to the requirements of social life notably in his studies in which he is excellent as he was admitted into one of the most prestigious French colleges. On the other hand, Jean-Jacques seems to be lonely. This solitude started in his childhood. It is part of a psychosis of which the first manifestations were signalled when he was five years old. What characterises this clinical case is the contrast between the long evolution of his schizophrenia with luxurious productions and the quality of his adaptation to studies which are not only based on sciences but also on humanities. We questioned the circumstances which brought on his recent suffering: viz his meeting of a double, regarding a subject who lives in a world where there is no ‘other’. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Conformisme ; Discordance ; Double ; Identification ; Schizophrénie Keywords: Conformism; Discordance; Double; Identification; Schizophrenia

1. Introduction La rencontre avec les patients psychotiques se déroule souvent sous le sceau de l’étrange, du mystère. Leur expérience subjective présente une part importante d’incommunicable. Aussi nous est-il difficile de nous représenter leur monde inté-

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Rondier).

0003-4487/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2006.05.012

rieur. Ce qui nous apparaît remarquable dans l’histoire clinique que nous présentons ici, c’est en premier lieu la capacité que présente ce patient de saisir et de nommer ce qui se joue en son for intérieur. 2. Histoire clinique Jean-Jacques est âgé de 24 ans. On le rencontre lors d’une hospitalisation, inaugurale pour lui de soins en psychiatrie. Il est reçu en urgence. Il est sorti la veille d’une hospitalisation

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d’un service de chirurgie viscérale où il était demeuré pendant trois semaines pour une intervention d’une récidive d’un kyste sacrococcygien. Jean-Jacques ne peut contenir ses manifestations émotionnelles, ses pleurs, expression d’une détresse qui tranche avec le contrôle qu’il exerce habituellement sur luimême. Il a fait part à son entourage d’intentions suicidaires. 2.1. Une pensée abstraite et alambiquée Il se montre réservé vis-à-vis de la nécessité de soins. Il s’exprime avec un souci marqué de correction mais avec des formules souvent déconcertantes. C’est, dit-il au sujet de l’hospitalisation, « une contrainte par rapport à une vie plus classique ». On remarque la pâleur de son visage empreint de sérieux, son allure un peu raide, ses vêtements sans âge. C’est un jeune homme prématurément vieilli. Le contact est marqué d’une forme de détachement mais, en contradiction avec la réticence énoncée, il se confie volontiers. Ce qu’il indique de ses difficultés est imprégné du style abstrait et complexe de son mode de pensée, sous le sceau du rationalisme morbide : c’est « ce nœud que j’ai en moi [qu’il nomme également sa névrose], qui me prend de l’énergie, qui m’enlève de la confiance… mais c’est aussi quelque chose qui m’éduque ». C’est, précise-t-il, « une relation ambivalente ; cela m’empêche de me réaliser mais peut m’aider dans le contournement de l’enfermement vis-à-vis de soi ». JeanJacques se plaint de la difficulté de s’extraire de cette claustration, de s’ouvrir au monde. Il décrit par ailleurs une impression d’impasse dans son lien à ses parents qui constituent, dit-il, sa « seule relation sociale ». Il dépeint la confrontation invariable « aux mêmes mimiques, aux mêmes sentiments. » 2.2. La douleur de l’absence Il a eu un compagnon de chambre en chirurgie. Il a beaucoup investi la relation à cet homme, jusqu’à redouter que le séjour hospitalier arrive à son terme. « Me séparer de lui a peut-être provoqué une déchirure » nous confie-t-il. « Ce pourrait être mon frère, mon jumeau, je suis fils unique ; le fait d’être avec quelqu’un de mon âge, avec la même pathologie, c’est troublant », insinue-t-il, mettant en doute le caractère fortuit de cette rencontre. Quelque chose lui apparaît remarquable chez son compagnon de chambre : une impression de sérénité et d’équilibre qui se dégage de sa personne. Aussi nous dit-il : « J’essayais de lui prendre son bonheur, j’avais besoin de lui prendre son bonheur pour exister moi. » C’est l’incertitude sur la pérennité de leur relation, au-delà de l’hospitalisation, qui a plongé Jean-Jacques dans un état de déréliction jusqu’à en concevoir des idées suicidaires. Cependant, précise-t-il : « Des pulsions – suicidaires – que j’ai pu avoir, je n’en serais jamais venu aux actes, c’est un vade retro pour mettre fin à ces angoisses ; je suis incapable de faire l’acte, je ferais un souci terrible à mes parents. » Il énonce toutefois qu’il lui sera beaucoup plus difficile de résister à ses tendances suicidaires après leur décès.

2.3. Les productions imaginatives luxuriantes d’un enfant solitaire Les parents de Jean-Jacques étaient restaurateurs, très impliqués dans leur activité professionnelle. Son enfance fut solitaire. Une nourrice s’est occupée de lui jusqu’à l’âge de cinq ans, puis indique-t-il, « plus personne de particulier ». C’est à l’âge de quatre ou cinq ans, alors qu’il se tenait sous le préau de l’école, que Jean-Jacques a senti une « présence » qui ne le quittera pas et désormais le « guide », et au sujet de laquelle il précise : « Je suis chrétien, j’ai tendance à croire dans la destinée. » Il s’en remet à elle de certains de ses choix existentiels. Cette présence, ce n’est pas une voix, c’est, dit-il, « comme une ombre froide, une conscience », quelque chose « qui n’est pas moi, j’en suis certain ». Enfant solitaire, Jean-Jacques s’est créé un monde de fantasmagorie imaginaire dans lequel il évolue parfois sous la forme d’un cerf aux bois de diamant. Il s’est construit une représentation allégorique de la Suisse, où il endosse le rôle de gouverneur de la banque centrale, et qui s’étend dans la maison : le salon est Bâle, le couloir est Berne. Il évolue dans cet univers où les fluctuations des taux de changes suivent le cours de ses états d’âme. On est saisi par le caractère désertique, l’aspect de froideur affective de cette production imaginative infantile où l’on ne croise pas âme qui vive. À l’âge de sept ans, il relate un épisode où il s’entaille la peau avec un couteau, calmement, « juste pour voir à quoi ressemble un os ». 2.4. La relation à l’autre sur le mode de l’ « autodéfense » Jean-Jacques se plaint de son isolement social. Il décrit ainsi sa difficulté, son incapacité de rencontrer autrui : « En prenant à autrui sans rien donner, je cannibalise les individus. C’est une pulsion d’autodéfense vis-à-vis de l’autre : le tuer avant qu’il ne me tue. Je ne peux m’empêcher de croire que l’autre est forcément hostile. » Cette hostilité, Jean-Jacques se la représente ainsi : « L’autre me cannibaliserait, m’obligerait à donner de moi-même, à pervertir ma personne ; je ne serais plus pur, j’aurais été érodé par la présence d’autrui. Mon identité est très fragile, je ne peux pas la partager. » La vie affective de Jean-Jacques est pauvre et marquée par une importante inhibition. Il s’interroge sur son identité sexuelle : « Je ne suis pas vraiment hétéro ou homosexuel. Je ne sais pas comment me définir. Je ne sais pas exactement ce que je suis. » Il indique être attiré physiquement par le corps masculin et aimer les femmes qui lui ressemblent sur le plan de la personnalité. 2.5. Un candidat exemplaire Sur le plan des études, Jean-Jacques a le souci de l’excellence. Son parcours scolaire s’est déroulé sans encombre et sans que rien de ce que l’on peut supposer du caractère insolite de son comportement n’attire l’attention des enseignants. Il n’a jamais été adressé à un psychologue scolaire. À l’issue de sa classe de Mathématiques Spéciales, il intègre une école d’ingé-

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nieur. Dans le cours de la scolarité dans cette école, il prépare un diplôme de finances. Il est reçu sur concours dans une prestigieuse école d’administration. Il a une excellente note lors du grand oral. Il se sent à l’aise dans ce qu’il nomme « ce type de représentation ex cathedra ». La nature convenue et formalisée des relations dans ces situations d’examen lui permet de se repérer aisément et de se sentir tout à fait à l’aise. Il se dit capable de se conformer précisément à ce qui est attendu par ses interlocuteurs. Il semble que dans ce contexte son expression reste claire et n’est pas imprégnée du style abstrait et hermétique qu’il utilise lorsqu’il tente de témoigner de son expérience subjective. Par ailleurs, s’il se montre performant dans les disciplines littéraires, sa prédilection va aux mathématiques. Il dit sa jubilation de « manipuler » des chiffres froids et alors « antipathiques », pour les « animer », les transformer en données pertinentes. Cela est pour lui, dit-il, « vecteur de sens ». 2.6. Comment insuffler de la vie à ses parents Ses parents ne l’ont jamais félicité de ses réussites. Sa mère ne manque par ailleurs jamais de fustiger son manque d’assurance, le fait « qu’il ne sait pas se mettre en avant ». Sa réussite, c’est pourtant à eux qu’il la voue. Il souhaiterait, dit-il, « jouer le Robin des Bois, prendre aux riches pour pouvoir donner aux pauvres, les gâter, leur offrir des voyages », offrir à sa mère un manteau de fourrure. Il présente ce projet comme une forme de réparation des souffrances endurées par sa mère pendant son enfance. Cette femme qui lui a toujours paru profondément déprimée et peu chaleureuse était, dit-il, « la fée carabosse dans sa famille ». La mère de celle-ci qui cherchait fréquemment à l’humilier faisait souvent mine de ne pas se remémorer son prénom. Sa mère a, selon Jean-Jacques, trouvé ensuite une sorte d’équilibre dans une abnégation au service du travail. Quant à son père, Jean-Jacques le décrit comme un homme paralysé dans sa capacité de décider et d’agir par l’incertitude et le doute. « Mon père, j’essaie surtout de le remuer », nous indique Jean-Gérard au sujet de cet homme qu’il estime « fragile car il intériorise beaucoup ». 3. Discussion Cette histoire clinique nous montre un jeune homme présentant une psychose d’évolution chronique dont on repère les premières manifestations dans la prime enfance, sans que cela n’ait donné lieu à une prise en charge. Malgré la difficulté à lier des contacts sociaux, ces troubles n’ont pas empêché JeanJacques de s’inscrire dans un parcours scolaire remarquable où il a su faire preuve d’efficience tant dans le domaine scientifique, caractérisé par la rigueur de son formalisme, que dans celui des sciences humaines où les concepts utilisés sont plus mouvants. Jean-Jacques présente une schizophrénie où la discordance s’exprime dans la sphère affective – par un émoussement de l’expression affective – et, dans la sphère intellectuelle, avec une abstraction hermétique de la pensée.

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Ces manifestations sont associées à une autonomisation d’une partie de la vie psychique qui réalise un automatisme mental avec un syndrome d’influence, cette « présence » qui s’impose de l’extérieur et qui accompagne et guide JeanJacques. Cette première inscription dans des soins en psychiatrie se réalise alors que Jean-Jacques présente un moment de recrudescence de souffrance dépressive qui est à mettre en lien avec ce qui peut être repéré comme le temps d’une séparation affective consécutive à sa sortie du service de chirurgie. La rencontre avec son compagnon de chambre, nous l’avons noté, s’est produite sous le sceau d’une idée délirante à mécanisme interprétatif tendant à nier le hasard d’une telle rencontre, alors que Jean-Jacques dit « croire en la destinée. » Elle se réalise dans un contexte d’isolement social, d’impossibilité de nouer des relations affectives, situation qui renvoie inéluctablement Jean-Jacques à une confrontation oppressante avec lui-même et avec ses parents. Il nous a indiqué combien les relations à autrui sont pour lui mobilisatrices d’un vécu qui renvoie à des angoisses archaïques où il est question de destruction, de dévoration, de cannibalisme, d’intrusion, de menace de perte de l’identité. Dans son rapport à l’autre, c’est pour Jean-Jacques le temps du stade du miroir qui semble s’être éternisé. Ce temps, « l’enfant au miroir » – tel que l’a décrit Lacan [3] s’appuyant sur les conceptions de Wallon [5] –, qui s’étend de l’âge de 6 à 18 mois, permet au sujet de se représenter son unité affective, voire son identité, par la médiation de son image spéculaire. Le sujet réalise là une identification primordiale à une image, à une forme. Cependant, le monde propre à cette phase est un monde narcissique. L’univers du sujet s’y trouve structuré, dit Lacan, selon « le plein sens du mythe de Narcisse ; que ce sens indique la mort : [de par] l’insuffisance vitale dont ce monde est issu ». La réflexion spéculaire recèle l’imago du double qui lui est centrale. « Ce monde ne contient pas d’autrui » dit Lacan [4]. « La perception de l’activité d’autrui ne suffit pas en effet à rompre l’isolement affectif du sujet… Bien plus […] l’image ne fait qu’ajouter l’intrusion temporaire d’une tendance étrangère […] le moi […] se confond avec cette image qui le forme mais l’aliène primordialement ». Ainsi la maturation subjective par l’image n’épuise pas pour autant le processus de subjectivation. L’absence d’autrui laisse le sujet soumis aux affres de la captation imaginaire. Le sujet risque de rester figé dans l’image, si la trouvaille de l’autrui ne lui permet pas d’émerger à la différence (symbolique). Pour ne pas rester entièrement imaginaire, il faut que la maturation subjective rencontre une instance, celle de l’imago paternelle dans le complexe d’œdipe. Les coordonnées personnelles de son histoire n’ont pas été telles que Jean-Jacques puisse atteindre à ce niveau de développement. Son défaut de maturation subjective se traduit notamment par un trouble de l’identité sexuelle. Il ne sait pas qui il est. Aussi, dans un monde qui ne contient pas d’autrui, se trouve-t-il confronté dans ses relations à ses semblables à des

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figures de double dans un effet de captation imaginaire dont il décrit le caractère menaçant. Par ailleurs, et aussi grâce à la qualité de son efficience intellectuelle, il possède des capacités de se conformer à l’image de ce qui est attendu d’un candidat en situation d’examen. Susceptible, tel un caméléon, d’adopter la « bonne forme », il se trouve à l’aise dans le formalisme d’une telle situation qui n’exige pas le même degré d’implication subjective que celui qui est requis lorsqu’il s’agit de s’engager dans une relation affective. Cette capacité de s’adapter, de se conformer aux exigences de l’environnement évoque ce qu’Hélène Deutsch décrit au sujet de la personnalité « comme si » dans un texte intitulé « Divers troubles affectifs et leurs rapports avec la schizophrénie » [1]. C’est par une série d’identifications multiples avec le milieu environnant, semblables au mimétisme, que consiste cette personnalité qui procède d’une « perte réelle de l’investissement d’objet ». Pour Lacan [2], le mécanisme « comme si » apparaît être un mécanisme de compensation imaginaire de l’œdipe absent. Le mécanisme « comme si » réalisé par identifications successives permet à Jean-Jacques de se positionner de manière adéquate dans les situations où il endosse un rôle social. L’engagement dans une relation affective mobilise plus singulièrement la vérité de l’être. Le conformisme ne permet pas de se repérer dans ce type de situation. JeanJacques sait coïncider avec ce qui est exigé par le membre d’un jury de concours. Il est plus difficile de connaître la demande, l’attente, d’un partenaire dans une relation affective. Dans ces circonstances, il se trouve livré aux affres de la relation imaginaire, mobilisatrice d’angoisses archaïques. L’hypothèse que nous faisons au sujet du moment de décompensation qui amène Jean-Jacques à s’engager dans des soins est que la rencontre avec cette figure de double dans une chambre d’hôpital, qui a pu lui apparaître un temps comme un double rassurant, bienveillant, ne débouche que sur une nouvelle impasse relationnelle ; aussi Jean-Gérard se trouve-t-il rejeté à l’insondable de sa solitude, de son désespoir.

4. Conclusion Cette observation est illustrative du « savoir-faire » d’un sujet, par sa capacité de se conformer, de trouver la « bonne forme » sociale, mais aussi par son rapport au savoir, afin de trouver un aménagement aux conditions de sa psychose qui l’inscrit dans un monde « désertique » – nous l’avons dit – où pour lui il n’y a pas d’autrui. La prise en charge, qui comprend un traitement neuroleptique, du Risperdal®, permet à Jean-Jacques de se soutenir d’entretiens réguliers. Après l’hospitalisation, il a pu reprendre le cours de ses études et s’est engagé intensément dans une activité sportive, l’escrime, regrettant cependant de commencer trop tard pour devenir un champion. La relation avec son ancien compagnon de chambre, si fortement marquée d’ambiguïtés, s’est rapidement délitée et ils ne se voient plus. Cela renvoie Jean-Jacques à son isolement. S’il apparaît actuellement plus apaisé sur le plan de la souffrance dépressive, il doute néanmoins de l’avenir et de ses capacités d’insertion professionnelle, avec « le sentiment que l’âge d’or est terminé ». Il ne conçoit pas de possibilité de se dégager de l’impasse que représente pour lui la relation avec autrui. Cela rentre pourtant en contradiction avec la qualité de son engagement dans la relation de soins où il vient témoigner scrupuleusement de ce qui constitue son expérience subjective. Références [1] Deutsch H. Divers troubles affectifs et leurs rapports avec la schizophrénie. Paris: Payot; 1975. [2] Lacan J. In: Le séminaire, livre III, Les psychoses. Paris: Le Seuil; 1981. p. 218. [3] Lacan J. In: Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je. Écrits. Paris: Le Seuil; 1966. p. 93–100. [4] Lacan J. Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je. Op. cit. [5] Wallon H. Les origines du caractère chez l’enfant. Paris: PUF; 1949.

Discussion Dr P. Houillon – Dans l’exemple rapporté par les auteurs, deux attitudes du patient retiennent l’attention. Des précisions intéressantes sur le plan clinique ont été fournies. D’une part, on a vu que l’intéressé avait par exemple des dispositions et des facilités pour saisir au cours d’un examen ou d’un concours ce qu’un jury attendait de lui, et ce avec habileté afin d’en tirer le meilleur profit. Cela démontre une aptitude certaine à l’évaluation et à un usage pertinent de capacités relationnelles. D’autre part, on a relevé que le même patient, en position duelle, ne pouvait « saisir l’affect de l’autre » et que « pour lui il n’y a pas d’autrui ». En outre, nous avons retenu qu’il était « pris dans une grande souffrance dépressive ». Une telle description n’est pas sans poser plusieurs questions : quelles sont la valeur et l’importance des troubles de l’humeur associés à ce qui a été décrit comme étant de nature psychotique ? Le double visage du patient doit-il vraiment s’intégrer dans un

registre psychotique compte tenu de ses capacités habituelles et/ou résiduelles ? La poursuite des investigations et un approfondissement sémiologique ne pourraient-ils pas aboutir à une approche diagnostique un peu différente ? C’est la finesse de la description clinique et la richesse même de la symptomatologie qui nous incitent à cerner de plus près encore un comportement qui reste problématique. Pr J.-M. Vanelle – Votre approche thérapeutique par antipsychotique fait davantage retenir le diagnostic d’effondrement schizophrénique plus que celui d’état dépressif caractérisé. Ma première question concerne aussi le diagnostic : schizophrénie simple – compte tenu des symptômes de discordance et des phénomènes délirants durables – bien davantage que psychose blanche ou fonctionnement as if, si ces symptômes sont absents ? Qu’en pensez-vous ?

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Ma deuxième question concerne le pronostic, compte tenu de la froideur affective et du rationalisme morbide. Quid notamment du risque de déficit ou du risque suicidaire pouvant justifier des mesures thérapeutiques pendant une certaine durée ? Réponse du Rapporteur – Au Dr Houillon – Si l’on cherche à caractériser le trouble de l’humeur, on note qu’il s’agit d’un premier épisode dépressif que l’on qualifie d’épisode dépressif sévère au sens de la CIM 10. Concernant le diagnostic de psychose, il s’appuie sur des arguments cliniques, au premier rang desquels le syndrome d’automatisme mental dont on repère les premières manifestations dans l’enfance, ainsi que sur des argu-

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ments psychodynamiques, notamment le caractère d’impasse imaginaire que constitue la relation objectale pour ce sujet. Au Pr Vannelle – Le traitement anti-psychotique apporte un apaisement de l’angoisse, entraînant une atténuation de la souffrance dépressive. Les éléments de discordance dans la sphère du langage et dans le registre affectif amènent effectivement à porter le diagnostic de schizophrénie simple. Ces éléments sémiologiques marquent la prévalence d’une symptomatologie négative prédictive d’une moindre réponse au traitement psychotrope et d’une évolution plus défavorable, éventuellement déficitaire. Il convient en effet que le projet thérapeutique s’inscrive dans la durée.