L'émergence de la résistance plasmidique aux quinolones chez les entérobactéries

L'émergence de la résistance plasmidique aux quinolones chez les entérobactéries

Pathologie Biologie 54 (2006) 7–9 http://france.elsevier.com/direct/PATBIO/ Éditorial L’émergence de la résistance plasmidique aux quinolones chez l...

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Pathologie Biologie 54 (2006) 7–9 http://france.elsevier.com/direct/PATBIO/

Éditorial

L’émergence de la résistance plasmidique aux quinolones chez les entérobactéries Emergence of plasmid-mediated resistance to quinolones in Enterobacteriaceae Mots clés : Quinolone ; Plasmide ; Qnr ; Résistance ; Antibiotique Keywords: Quinolone; Plasmid; Qnr; Resistance; Antibiotic

Dans les années 1960, l’acide nalidixique, la 1ère molécule de synthèse chimique de la famille des quinolones fut commercialisée. Elle était très efficace mais son spectre d’activité était limitée au seul traitement des infections urinaires compte tenu de sa diffusion essentiellement urinaire. Puis de nouveaux composés de cette même famille d’antibiotiques furent mis au point, dont certains additionnés d’un atome de fluor (norfloxacine, péfloxacine, ciprofloxacine, ofloxacine...) possédaient une activité plus étendue d’usage parentéral et indiqués dans le traitement des infections systémiques et tissulaires à bacilles à Gram négatif et à cocci à Gram positif. Les fluoroquinolones les plus récentes (lévofloxacine, moxiflocacine...) ont une activité étendue aux anaérobies et à certains autres cocci à Gram (+) comme les streptocoques ou le pneumocoque. Les mécanismes d’actions de ces antibiotiques expliquent leurs mécanismes de résistance. Après avoir pénétré à l’intérieur des cellules bactériennes par des protéines de perméabilité spécifique, ces molécules hydrophiles inhibent les topo-isomérases de type II (gyrase) et IV empêchant leur action dans le déroulement harmonieux de l’ADN qui est nécessaire à sa réplication [1]. L’activité des quinolones et des fluoroquinolones était au début de leur commercialisation, extrêmement bonne vis-àvis de la plupart des espèces d’entérobactéries qui sont naturellement sensibles à ces antibiotiques. Les entérobactéries telles que Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis, Enterobacter spp. ou Serratia spp. sont très fréquemment isolées en médecine de ville comme en médecine hospitalière et sont à l’origine d’une grande variété d’infections, comme les infections urinaires ou les septicémies. Cependant, les niveaux de résistance aux quinolones et fluoroquinolones ont évolué ces dernières années pour atteindre en France en 2003 de l’ordre de 12 à 15 % des souches d’entérobactéries résistantes aux quinolones et près 10 % des 0369-8114/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.patbio.2005.01.001

souches résistantes aux fluoroquinolones [2 et données non publiées]. Si en France, fait très inhabituel en matière de résistance aux antibiotiques, les taux de résistance aux quinolones chez les entérobactéries sont légèrement plus faibles que ceux de la moyenne européenne, ils s’élèvent graduellement chaque année. Classiquement, les mécanismes de résistance aux quinolones chez les entérobactéries résultent essentiellement de modifications ponctuelles des cibles, les topo-isomérases, et plus rarement d’une diminution de la concentration intracellulaire de ces antibiotiques par imperméabilité membranaire et/ou surexpression des systèmes d’efflux [1]. Les déterminants de ces mécanismes de résistance sont chromosomiques, c’est-à-dire stables et non transférables. Ils ne sont pas associés physiquement à des gènes de résistance à d’autres familles d’antibiotiques. En 1998, un nouveau mécanisme de résistance aux quinolones fut décrit dans une souche nord-américaine de K. pneumoniae [3]. Il s’agissait d’un mécanisme de résistance jusque-là inconnu dit « Qnr » (Quinolone Resistance). Ce déterminant de résistance est une protéine qui s’intercale entre les topo-isomérases de type II (gyrase) et les quinolones et fluroquinolones bloquant ainsi tout ou partie de leur activité antibiotique [4,5]. Ce nouveau mécanisme de résistance entraîne habituellement une résistance aux quinolones et une diminution de sensibilité aux fluoroquinolones. Fait remarquable, cette résistance est plasmidique c’est-à-dire transférable d’une souche d’entérobactérie à une autre. Cette localisation sur un élément d’ADN mobile, explique l’association de ces gènes de type qnr à des gènes codant pour des résistances à d’autres familles d’antibiotiques. Après avoir été identifié aux États-Unis, ce mécanisme de résistance fut trouvé dans de nombreuses autres souches nord-américaines [6,7], quelques souches de E. coli de Chine [8], une souche de Pro-

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videncia stuartii d’Égypte [9] et très récemment dans des souches de E. coli de Corée du Sud [10]. À Shanghai, la prévalence de ce mécanisme de résistance a été estimé à 7,7 % des souches de E. coli résistantes à la ciprofloxacine [8]. En analysant les déterminants de multirésistance de souches d’entérobactéries isolées en France, nous avons mis en évidence un déterminant de type Qnr, à partir d’un isolat de E. coli de l’hôpital de Bicêtre fin 2003. Il s’agissait de la première souche européenne identifiée comme exprimant ce nouveau mécanisme de résistance [11] Cette souche est résistante aux quinolones mais également à la plupart des b-lactamines de spectre large, aux aminosides, à la rifampicine, au chloramphénicol et à la tétracycline. Tous ces déterminants de résistance sont transférables à d’autres entérobactéries et la résistance aux b-lactamines est liée à une b-lactamase dite b-lactamase à spectre élargi (BLSE) (VEB-1). Il s’agit d’un des exemples les plus marquants de multirésistance acquise dans une espèce bactérienne, E. coli, qui naturellement est particulièrement sensible à la plupart des antibiotiques. Une analyse de l’environnement génétique du gène qnr dans cette souche mettait en évidence son association avec un mécanisme particulier de recombinaison génétique impliqué dans son expression [11]. La prévalence de ce gène (0,3 %) parmi les souches de E. coli résistantes à l’acide nalidixique isolées dans notre hôpital en 2003 reste faible [11]. Cependant, cette prévalence peut sous-estimer la réalité puisque nous avons montré que ce gène peut être présent et s’exprimer faiblement et donc demeurer indétectable si l’on se fie au seul critère de sensibilité/ résistance à l’acide nalidixique d’après les résultats d’un antibiogramme classique. Mobilité et donc fluidité de ce gène de résistance s’exprimant ou non à un haut niveau et son association à d’autres déterminants de multirésistance aux antibiotiques concourent à faire de ce mécanisme de résistance nouvellement identifié en Europe une menace concernant l’efficacité des quinolones et fluoroquinolones. Une étude présentée lors d’un des congrès internationaux récents montrait l’existence de résistance plasmidique aux quinolones dans plusieurs espèces d’entérobactéries avec transfert de l’une à l’autre d’un même déterminant Qnr avec une évolution selon un mode épidémique dans un hôpital aux Pays-Bas, pays réputé pour avoir des taux d’infections nosocomiales bas [12]. Nos travaux actuels mettent en évidence la présence de gènes de résistance analogues dans d’autres espèces d’entérobactéries K. pneumoniae, E. sp., Citrobacter freundii et ceci dans d’autres continents (P. Nordmann, résultats personnels). Une étude européenne nous conduira à préciser la prévalence de la diffusion de ce gène de résistance en Europe. Cette résistance plasmidique aux quinolones peut faire le lit de la résistance aux fluoroquinolones puisque dans les souches cliniques les mécanismes de résistances plasmidique et chromosomique s’additionnent [11,13]. Nos résultats les plus

récents montre l’association fréquente entre ces gènes plasmidiques de type qnr et certaines gènes de BLSE (prévalence de l’association de l’ordre de 5 % parmi les souches BLSEpositives) soulignant les difficultés thérapeutiques qui en découleront pour traiter des infections avec ce type de souches. La diffusion de ces gènes de résistance soulève des inquiétudes de thérapeutique, puisqu’un nombre croissant de souches d’entérobactéries isolées en ville et tout particulièrement de E. coli produisent des BLSE qui inactivent toutes les b-lactamines disponibles en médecine de ville. On voit donc la possibilité de l’émergence de souches d’entérobactéries multirésistantes avec leur diffusion communautaire alors que jusqu’à présent ces souches étaient l’apanage quasi exclusif de la médecine hospitalière. Enfin, l’origine des gènes du type qnr ou leur réservoir demeurent inconnus. La sélection de ces gènes peut être la résultante d’une pression de sélection par des quinolones et fluoroquinolones en médecine humaine mais aussi en médecine vétérinaire ou dans l’environnement. En effet plusieurs quinolones et dérivés sont utilisés en médecine vétérinaire et les entérobactéries font partie des rares espèces bactériennes qui s’échangent facilement entre l’homme et l’animal. L’avenir permettrait de déterminer, quels sont les antibiotiques et les familles d’antibiotiques qui seraient à l’origine du maintien, de la diffusion voire de la mobilité de ces nouveaux gènes de résistance aux quinolones.

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Éditorial / Pathologie Biologie 54 (2006) 7–9 [10] Kim SH, Kwak Y, Lee M, Kim J, Jeong Y, Kim K. Plasmid-mediated quinolone resistance in clinical isolates of E.coli from Korea. In: Proceeding 44th Intersci. Conf. Antimicrob. Agents Chemother. Abstr C2-1711. 2004. [11] Mammeri H, Van De Loo M, Poirel L, Martinez-Martinez L, Nordmann P. Emergence of plasmid-mediated quinolone resistance in Escherichia coli in Europe. Antimicrob Agents Chemother 2005;49: 71–6. [12] Paauw A, Fluit AC, Verhoef J, Leverstein-Van Hall MA. A major outbreak with plasmid-mediated qnr-encoded quinolone resistance. In: Proceedings 44th Intersci. Conf. Antimicrob. Agents Chemother., abstr C2-1898. 2004. [13] Martinez-Martinez L, Pascual A, Garcia I, Tran J, Jacoby GA. Interaction of plasmid and host quinolone resistance. J Antimicrob Chemother 2003;51:1037–9.

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P. Nordmann Service de bactériologie–virologie, hôpital de Bicêtre, AP-HP, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 K.-Bicêtre, et unité UPRES EA3539 « Mécanismes émergents de résistance aux antibiotiques », faculté de médecine Paris-Sud, université Paris-XI, France Adresse e-mail : [email protected] (P. Nordmann). Reçu le 12 janvier 2005 ; accepté le 19 janvier 2005 Disponible sur internet le 02 mars 2005