Revue de Pneumologie clinique (2013) 69, 358—362
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ScienceDirect www.sciencedirect.com
SÉRIE : LES LYMPHATIQUES PLEURO-PULMONAIRES EN SITUATION NORMALE ET PATHOLOGIQUE
Lymphatiques pleuraux et pathologies liées aux fibres Pleural lymphatics and pleural diseases related to fibres J. Fleury Feith a,∗, M.-C. Jaurand b a b
Faculté de médecine, université Pierre-et-Marie-Curie, 75013 Paris, France Inserm, UMR-674, IUH, 75010 Paris, France
Disponible sur Internet le 5 novembre 2013
MOTS CLÉS Lymphatiques pleuraux ; Amiante ; Nanotubes de carbone ; Stomatas ; Blackspots ; Mésothéliome
∗
Résumé Les pathologies pleurales liées à l’exposition aux fibres sont maintenant bien connues pour les fibres d’amiante, bien que le mécanisme d’action de ces fibres ne soit pas encore totalement élucidé. Le développement des fibres minérales artificielles et des nanotubes de carbone, dont les caractéristiques morphologiques sont proches des fibres d’amiante, remet en première ligne les hypothèses physiopathologiques associant exposition aux fibres et pathologies pleurales. Les plaques pleurales se développent uniquement dans la plèvre pariétale, et dès les années 1990, des observations cliniques ont montré que le développement précoce du mésothéliome se produisait également au niveau de la plèvre pariétale. La particularité de la plèvre pariétale par rapport à la plèvre viscérale est la présence de « stomatas ou stomas » qui sont des orifices de communication entre la cavité pleurale et les vaisseaux lymphatiques de la plèvre pariétale. Des observations morphologiques en thoracoscopie et des études expérimentales ont permis de montrer que les fibres étaient présentes dans la plèvre pariétale au niveau de zones anthracosiques particulières (blackspots) et qu’elles s’accumulaient au niveau des stomas, allant jusqu’à les obstruer et provoquant localement une réaction inflammatoire, avec libération de cytokines, pouvant faire le lit du mésothéliome. Cependant, malgré les données expérimentales et les observations en pathologie humaine, les mécanismes responsables de la translocation des fibres dans la plèvre pariétale ne sont pas encore clairement établis. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Service d’histologie biologie tumorale, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France. Adresses e-mail : jocelyne.fl
[email protected] (J. Fleury Feith),
[email protected] (M.-C. Jaurand).
0761-8417/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2013.09.007
Lymphatiques pleuraux et pathologies liées aux fibres
KEYWORDS Pleural lymphatics; Asbestos fibres; Carbon nanotubes; Stomatas; Blackspots; Mesothelioma
359
Summary It is now well established that some pleural diseases, pleural plaques and malignant mesothelioma are related to asbestos fibre exposure although the mechanism of action of asbestos fibres is not fully understood. The development of artificial mineral fibres and carbon nanotubes, which share some morphological characteristics similar to asbestos fibres, is a present concern in the context of pleural diseases. Pleural plaques develop only in the parietal pleura, and in the 1990s, clinical observations have shown that the early development of mesothelioma also occurred on the parietal pleura. The peculiarity of the parietal pleura in contrast to the visceral pleura is the presence of ‘‘stomas’’ which are communication holes between the pleural cavity and the parietal pleura lymphatics. Morphological observations by thoracoscopy and experimental studies have shown that inhaled fibres translocate to the pleural space and, in human, are present in the parietal pleura at specific anthracotic areas (blackspots). Fibres accumulate on the stomas, up to block and locally induce an inflammatory reaction with cytokines release, that can be the bed of mesothelioma. However, despite the experimental data and observations in human pathology, the mechanisms of fibre translocation into the pleura is not yet clearly established. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le lien entre pathologies pleurales et exposition aux fibres minérales est reconnu depuis les années 1960—1970 [1,2]. Ce sont les plaques pleurales et pleurésies, et surtout le mésothéliome. Les fibres incriminées sont essentiellement les fibres d’amiante, à des degrés variables suivant des caractéristiques physicochimiques [3]. Différentes études ont remis en première ligne les hypothèses physiopathologiques entre exposition aux fibres et pathologies pleurales. Des études épidémiologiques ont montré que l’exposition à d’autres fibres minérales non asbestosiques (amphiboles : fluoro-édénite et zéolite : érionite) est associée au mésothéliome ; des études toxicologiques expérimentales ont montré une association entre tumeurs pulmonaires et/ou mésothéliome et exposition à certaines fibres minérales artificielles et aux nanotubes de carbone qui ont des caractéristiques morphologiques proches des fibres d’amiante et provoquent des mésothéliomes chez le rat (en injection intrapéritonéale) [4,5]. Si l’implication des fibres dans certaines pathologies pleurales n’est plus à démontrer, les mécanismes d’action ne sont pas totalement élucidés. Des questions restent actuellement posées quant au mécanisme d’action des fibres : • y a-t-il un effet direct des fibres, et dans ce cas comment les fibres atteignent-elles la plèvre ? • Quels sont les mécanismes d’action au niveau local ? • Quel est le rôle des lymphatiques pleuraux ?
Pathologies pleurales liées aux fibres Les pathologies pleurales liées aux fibres ont essentiellement été décrites avec les fibres d’amiante et touchent avant tout la plèvre pariétale. Nous les résumerons ici. Les pathologies bénignes de la plèvre sont, en dehors des épisodes de pleurésies bénignes qui n’ont rien de spécifique, les plaques pleurales et les atteintes pleurales diffuses. Les plaques pleurales se caractérisent par des zones bien délimitées de fibrose collagène prenant un aspect
nacré. Cette fibrose est acellulaire et peut se calcifier au cours du temps. Ces plaques sont localisées essentiellement au niveau de la plèvre pariétale, n’intéressant habituellement pas la plèvre viscérale. Les épaississements pleuraux diffus ne sont pas spécifiques, ils s’accompagnent fréquemment d’une symphyse pleurale ou de prolongements fibreux parenchymateux. La pathologie pleurale maligne est représentée par le mésothéliome : tumeur mésothéliale de mauvais pronostic et dont le lien avec l’exposition à l’amiante est clairement démontré. Les principales caractéristiques des lésions spécifiques liées aux fibres que sont les plaques pleurales et le mésothéliome sont la latence : 35 ans en moyenne pour le mésothéliome, et la localisation, au moins aux stades précoces, dans la plèvre pariétale. Cette localisation pariétale a été décrite en premier par Boutin et al. [6,7] lors des premières thoracoscopies médicales où ces auteurs ont montré que les mésothéliomes de petite taille étaient localisés à la plèvre pariétale et que le temps de survie des patients était significativement plus long lorsque la tumeur était localisée à la plèvre pariétale que lorsque la plèvre viscérale était atteinte. Cette observation a été également confirmée par des expérimentations animales qui, chez le rongeur, ont montré la survenue de mésothéliomes pleuraux après inhalation et, avec une fréquence plus élevée, après injection de fibres d’amiante dans la cavité pleurale ou péritonéale [8—10].
Les fibres Les fibres d’amiante sont les premières incriminées dans les pathologies pleurales. Du grec amiantos, ce sont des silicates hydratés ayant une morphologie fibreuse (longueur > 5 m ; rapport longueur/diamètre ≥ 3 selon la définition de l’OMS). Elles appartiennent à deux grandes classes de minéraux : les amphiboles et les serpentines, avec plusieurs sous-classes dans chaque catégorie.
360 Le chrysotile est l’unique représentant des serpentines. Il a été largement utilisé dans l’industrie et reste actuellement employé dans de nombreux pays (Chine, Inde, Russie. . .). C’est un silicate de magnésium hydraté qui est souvent associé à des amphiboles de type trémolite. Les amphiboles regroupent plusieurs types de fibres dont certaines, comme l’amosite ou le crocidolite, ont eu des applications industrielles importantes et d’autres comme le trémolite. L’interdiction de l’amiante dans la majorité des pays industrialisés est responsable d’une large utilisation des fibres de substitution, les fibres minérales artificielles (FMA), qui ont des propriétés proches de celles de l’amiante, en particulier pour l’isolation phonique et thermique. Ces fibres comportent les laines minérales (laine de verre, de roche, de laitier), les fibres de verre et les fibres de céramiques réfractaires. Les fibres présentes dans l’air inhalé passent dans les voies aériennes supérieures. Leur dépôt dans l’arbre respiratoire se fait par différents mécanismes : interception avec la muqueuse respiratoire, impaction, sédimentation, diffusion et précipitation électrostatique. Le lieu de déposition dépend de leur diamètre aérodynamique moyen [11]. L’ensemble des études réalisées avec l’amiante et les FMA a conduit à considérer que le pouvoir pathogène des fibres serait lié à certaines caractéristiques physicochimiques [12]. Le diamètre a un rôle central qui détermine le diamètre aérodynamique dont dépend le dépôt des fibres dans l’arbre respiratoire, les fibres < 1 m de diamètre, quelle que soit leur longueur, sont susceptibles de se déposer au-delà du tapis mucociliaire et les fibres longues et fines peuvent donc atteindre l’espace alvéolaire. La biopersistance des fibres est également un paramètre important qui dépend de la longueur des fibres et de leur stabilité chimique. La Fig. 1 résume les mécanismes d’épuration ou la biopersistance. Les petites fibres sont phagocytées par les macrophages alvéolaires, puis éliminées ; les fibres longues sont incomplètement phagocytées (phagocytose frustrée) et
Figure 1. Représentation schématique du rôle de la longueur des fibres dans leur biopersistance et épuration. D’après Donaldson [13].
J. Fleury Feith, M.-C. Jaurand plus difficilement épurées. Certaines fibres longues peuvent être fragilisées dans le milieu biologique et se fragmenter, améliorant leur épuration. La longueur limite entre fibres « longues » et fibres « courtes » est généralement de 5 m. Cela résulte de contraintes techniques pour la métrologie des fibres en microscopie optique. Les travaux expérimentaux ont alors repris cette limite pour la comparaison des effets biologiques entre fibres « longues » et fibres « courtes ». Que ce soit en pathologie humaine ou expérimentale, chez l’animal, ou encore dans les études de toxicité in vitro sur des lignées cellulaires, les fibres longues et fines ont montré une plus grande toxicité, comparativement à des fibres courtes [14,15]. Cela n’implique pas que les fibres courtes n’ont pas de potentiel toxique, comme cela a été montré dans des études expérimentales et tout type de fibre d’amiante est considéré potentiellement toxique [16,17].
Fibres et plèvre La recherche de fibres dans la cavité pleurale et les analyses biométriques se heurtent à plusieurs difficultés. La plèvre est un territoire étendu en surface, inhomogène et dont la digestion chimique est difficile, ne permettant pas d’établir des valeurs de référence de rétention des fibres. Dans les expériences d’instillation intratrachéale de chrysotile chez le rat, ou d’inhalation de fibres de crocidolite chez le hamster, les fibres sont retrouvées dans l’espace pleural une semaine plus tard [18]. Les quelques résultats rapportés ont montré que les fibres ne sont retrouvées que dans la plèvre pariétale, qu’il s’agit majoritairement de fibres courtes et que la répartition des fibres entre le poumon et la plèvre est différente. Une des hypothèses est une répartition hétérogène dans la plèvre et que les fibres s’accumulent dans des zones particulières alors que l’échantillonnage des prélèvements se fait au hasard. Les « blackspots » sont des zones de la plèvre pariétale, bien circonscrites, pigmentées, décrites initialement lors d’autopsies de mineurs de charbon allemands et considérées comme des zones d’anthraco-silicose pleurales. Dans une première étude, Boutin et al. [19] avaient comparé la concentration en fibres et le type de fibres entre le poumon, un prélèvement pleural au hasard et un prélèvement au niveau des « blackspots » chez 14 patients exposés ou non à l’amiante. Il a montré que, au niveau pleural, chez les patients exposés, les fibres d’amiante sont concentrées dans les « blackspots » et qu’on y trouve les fibres longues d’amiante. Il en conclut l’existence de zones spécifiques de la plèvre pariétale où se ferait la rétention des fibres. Une étude d’autopsies de 150 sujets vivant en zone urbaine a montré que la répartition des « blackspots » se fait dans les parties basales de la plèvre costale, paravertébrale et au niveau de la plèvre diaphragmatique [20]. L’examen histologique de ces « blackspots » met en évidence des zones d’accumulation de particules avec réaction macrophagique et lymphocytaire [21]. Le tout organisé autour de vaisseaux lymphatiques et recouvert d’un mésothélium normal ou hyperplasique par endroits.
Lymphatiques pleuraux et pathologies liées aux fibres
Les lymphatiques pleuraux Les lymphatiques de la plèvre pariétale se singularisent de ceux de la plèvre viscérale par la présence de zones de communication entre l’espace pleural et les vaisseaux lymphatiques sous-jacents. Von Recklinghausen en 1863 étudiant le mésothélium du diaphragme péritonéal a décrit des « trous » entre les cellules mésothéliales faisant communiquer l’espace péritonéal au système lymphatique qu’il appellera « lymphatic stomatas ». Wang en 1975 [22] a décrit les stomas pleuraux diaphragmatiques chez la souris. À ce niveau, les cellules mésothéliales perdent leurs jonctions, des solutions de continuités apparaissent dans le conjonctif sous-mésothélial, en contact direct avec l’endothélium du lymphatique sous-jacent. Les cellules endothéliales lymphatiques forment également des valves permettant la fermeture des stomatas. Des zones particulières comportant de nombreux stomatas sont appelées membrane cribriforme. Stomatas et membrane cribriforme permettent le drainage des grosses molécules et cellules de la cavité pleurale. L’injection de particules de carbone dans la cavité pleurale de singes a montré leur passage dans les lymphatiques pariétaux dans les 15 minutes suivant l’injection, et objectivé le trajet des lymphatiques [23]. Les « milky spots » sont des zones également de la plèvre pariétale, médiastinale, faisant des petites surélévations blanchâtres et comportant des stomatas dans un îlot lymphoïde. En expérimentation animale chez la souris, il a été montré qu’après injection sous-cutanée, les fibres étaient concentrées dans les « milky spots » [24]. Les stomatas sont distribués le long de la plèvre costale, le long des espaces intercostaux avec une densité croissante de l’apex vers la base et au niveau de la plèvre diaphragmatique. Ces localisations se superposent à celles des « blackspots ».
Hypothèses sur les relations fibres et pathologies pleurales Les travaux récents sur les nanotubes de carbone ont repris les hypothèses physiopathologiques de la toxicité des fibres, en raison de similitudes dans les anomalies provoquées dépendantes de la longueur des fibres, et le rôle de la translocation [5,25]. Les fibres atteignent la cavité pleurale selon un mécanisme encore non élucidé, mais des hypothèses ont été formulées [26]. La majorité des particules seraient transportées aux ganglions lymphatiques par les lymphatiques pleuraux. Les fibres pourraient également atteindre l’espace pleural par voie vasculaire ou trans-viscérale. Elles pourraient ainsi se déposer, ainsi que d’autres particules près des stomatas pour former les « blackspots ». Les fibres courtes seraient phagocytées par les macrophages, alors que les fibres longues seraient incomplètement phagocytées (phagocytose dite « frustrée »), source de production de cytokines et d’oxydants. D’autre part, par leurs caractéristiques physiques, les fibres longues pourraient bloquer et obstruer les stomatas conduisant à des lésions cellulaires mésothéliales et endothéliales conduisant à une réaction inflammatoire.
361 La translocation pleurale a été démontrée, non seulement par des observations chez l’Homme, mais aussi par des études cinétiques d’inhalation, chez l’animal, avec des fibres céramiques réfractaires [27,28]. Des études récentes réalisées avec des nanotubes de carbone confortent l’hypothèse de la translocation pleurale des fibres vers la plèvre et le passage par les voies lymphatiques. Les nanotubes ont été détectés au niveau et traversant la plèvre viscérale de souris, 24 heures après l’instillation intrapharyngée de nanotubes de carbone chez la souris [29]. Plus récemment encore, des travaux ont mis en évidence, chez la souris, la présence et une accumulation de nanotubes de carbone après une période d’inhalation de 12 jours, dans les ganglions trachéobronchiques, le diaphragme et la paroi thoracique, ainsi qu’une migration dans des organes extrapulmonaires [30].
Conclusion Le développement de pathologies pleurales résultant de l’inhalation de fibres d’amiante a posé la question du mécanisme d’action des fibres, direct ou indirect, et de leur éventuelle translocation vers l’espace pleural. Les études expérimentales et les observations effectuées en pathologie humaine ont démontré que la translocation des fibres vers l’espace pleural était un mécanisme avéré. La plèvre pariétale, du fait de sa structure particulière avec l’abouchement de vaisseaux lymphatiques dans la cavité pleurale, est la cible privilégiée de pathologies liées aux fibres. Les fibres peuvent atteindre l’espace pleural par voie vasculaire ou trans-viscérale et s’accumuler au niveau des stomatas des vaisseaux lymphatiques pariétaux. Depuis l’interdiction de l’amiante dans la majorité des pays industrialisés et la mise sur le marché de fibres de substitution et de nouveaux matériaux comme nanotubes de carbone, dont certaines caractéristiques sont proches de celles des fibres d’amiante, la question du tropisme des particules fibreuses pour la plèvre est source de préoccupations dans le domaine de la santé et donne lieu à de nouveaux travaux expérimentaux.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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