Revue de Pneumologie clinique (2013) 69, 260—264
Disponible en ligne sur
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SÉRIE : LES LYMPHATIQUES PLEUROPULMONAIRES EN SITUATION NORMALE ET PATHOLOGIQUE
Pathologies énigmatiques des lymphatiques comportant une atteinte pulmonaire Enigmatic lymphatic diseases involving the lung N. Khen-Dunlop a,∗, J. Amiel b, C. Delacourt c, Y. Révillon a a
Service de chirurgie viscérale pédiatrique, hôpital Necker—Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France b Service de génétique médicale, hôpital Necker—Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France c Service de pneumologie pédiatrique, hôpital Necker—Enfants-malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France Disponible sur Internet le 3 avril 2013
MOTS CLÉS Syndrome de Milroy ; Syndrome lymphœdèmedistichiasis ; Syndrome de Hennekam ; Syndrome de Noonan ; Syndrome de Gorham-Stout ; Syndrome des ongles jaunes
KEYWORDS Milroy syndrome; Hennekam syndrome; Noonan syndrome; ∗
Résumé Les lymphœdèmes survenant dans un contexte syndromique (syndrome de Milroy, syndrome lymphœdème-distichiasis, syndrome de Hennekam, syndrome de Noonan, syndrome de Gorham-Stout, syndrome des ongles jaunes) sont des pathologies rares. Ce sont toutefois ces formes qui ont permis d’identifier les différentes pistes génétiques validées par la reproduction des anomalies lymphatiques chez la souris mutée. Mais la complexité du réseau lymphatique et son lien étroit avec le développement veineux font que de nombreuses voies restent à explorer pour améliorer la compréhension de la fonction lymphatique et expliquer les atteintes pulmonaires. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
Summary Lymphedema associated with other developmental malformations (Milroy syndrome, Hennekam syndrome, Noonan syndrome, Gorham-Stout syndrome, yellow nail syndrome) are unfrequent disease, but explorations led to the identification of genetic mutations that have then been validated in mouse models. However, lymphatic vessels complexity
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (N. Khen-Dunlop).
0761-8417/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.pneumo.2013.02.001
Pathologies énigmatiques des lymphatiques comportant une atteinte pulmonaire
Gorham-Stout syndrome; Yellow nail syndrome
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and its proximity with the venous system suggest the need for further researches, especially in the comprehension of pulmonary symptoms. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.
Introduction
Le syndrome lymphœdème-distichiasis
La mise en place du réseau lymphatique au cours de l’embryogenèse reste à ce jour peu explorée, et les pathologies congénitales des lymphatiques sont encore mal comprises. La classification des atteintes lymphatiques proposée par Jacqueline Noonan en 1970 reste une référence. Elle différencie trois groupes de pathologies [1] : • les ectasies lymphatiques pulmonaires dans le cadre d’une malformation de l’ensemble du réseau lymphatique ou veino-lymphatique ; • les dilatations des lymphatiques pulmonaires en amont d’une obstruction du réseau veineux pulmonaire, associée ou non à une cardiopathie ; • les malformations primitives plus ou moins localisées du réseau lymphatique pulmonaire.
FOXC2 (Forkhead Box Protein C2) code pour une protéine régulant le métabolisme des adipocytes, tant au niveau de la graisse brune que de la graisse blanche. Ce gène est également impliqué dans le développement des valvules des systèmes veineux et lymphatiques. Des mutations ont été retrouvées chez des familles porteuses du syndrome lymphœdème-distichiasis associant un œdème des membres inférieurs, le plus souvent asymétrique et, une anomalie des cils des glandes sébacées des paupières (glandes de Meibomius). Comme pour le syndrome de Milroy, malgré une atteinte malformative du réseau lymphatique, les atteintes pulmonaires ne font pas partie du tableau classique mais des mutations de FOXC2 ont été décrites dans des formes d’anasarque congénitale [7].
Les anomalies isolées des lymphatiques pulmonaires sont très exceptionnelles et les atteintes surviennent le plus souvent dans le cadre d’une pathologie plus globale du réseau lymphatique. Une trentaine de syndromes génétiques avec lymphœdème sont rapportés, les plus fréquents étant le syndrome de Noonan et le syndrome de Turner 45,X0 [2] mais tous n’entraînent pas de symptomatologie pulmonaire.
Le syndrome de Milroy Le syndrome de Milroy est un lymphœdème congénital prédominant aux membres inférieurs. Il est transmis selon un mode autosomique dominant avec une sévérité intrafamiliale variable. Il est le plus souvent associé dans sa forme typique à une mutation du gène VEGFR3 (Vascular Endothelial Growth Factor Receptor type 3) [3]. VEGFR3 est un récepteur spécifique de la croissance des lymphatiques. Il a également un rôle primordial dans le développement embryonnaire du système cardiovasculaire avant l’apparition du système lymphatique. L’inhibition de VEGFR3 chez la souris induit une diminution de la croissance des vaisseaux et des ectasies de leur lumière ainsi que des anomalies de l’organisation architecturale du réseau vasculaire avec une diminution de la densité de la trame et des anastomoses. Les études histologiques chez l’homme retrouvent également un aspect hypoplasique de la trame lymphatique associé à des anomalies fonctionnelles des drainages lymphatiques et veineux, confirmant les observations des modèles expérimentaux et témoignant de la complexité de la pathologie lymphatique [4]. Malgré le caractère primitif de l’atteinte du réseau lymphatique, les lésions pulmonaires et les épanchements thoraciques ne font pas partie du tableau classique [4]. Des observations prénatales ont toutefois été rapportées associant un lymphœdème congénital et une anasarque fœtale [5,6].
Le syndrome de Hennekam Il associe classiquement un lymphœdème, des lymphangiectasies multiviscérales (intestinales, pleurales, péricardiques, thyroïdiennes et rénales), une dysmorphie faciale et un retard mental variable. Le lymphœdème est habituellement présent dès la naissance ou la petite enfance avec des formes de chylothorax congénital avec anasarque [8]. L’atteinte s’étend et s’aggrave avec le temps, dont une entéropathie exsudative qui peut être responsable d’un retard de croissance. Des malformations cardiaques et vasculaires peuvent y être associées, témoignant d’une atteinte de l’angiogenèse combinée à une malformation primitive du réseau veineux-lymphatique [9]. Les cas familiaux rapportés sont en faveur d’une ségrégation sur un mode autosomique récessif. Le gène responsable est CCBE1 qui code une protéine de guidance des précurseurs des cellules endothéliales lymphatiques [10]. Le traitement est symptomatique, nécessitant le plus souvent un recours à la nutrition parentérale et à une exclusion des triglycérides à chaînes longues. Le pronostic est variable, dépendant de la sévérité de l’atteinte et surtout de la gravité des lymphangiectasies pulmonaires.
Le syndrome de Noonan Le syndrome de Noonan (qui associe petite taille, dysmorphie faciale, malformation cardiaque) et les syndromes apparentés sont dus à des mutations activatrices de plusieurs protéines de la voie Ras [11]. Ces protéines sont essentielles dans l’échange d’information entre les cellules de l’organisme. Il est le syndrome avec atteinte des lymphatiques le mieux connu et le plus fréquent
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Figure 1. Syndrome de Noonan. Radiographie de thorax. Chylothorax congénital symptomatique à la naissance avant (a) et après (b) drainage thoracique.
avec une prévalence de 1/2500. PTPN11 (Tyrosine-Protein Phosphatase Non-Receptor type 11) est muté dans près de la moitié des cas de syndrome de Noonan mais le lien entre la mutation génétique et les anomalies du réseau lymphatique reste encore à ce jour mal compris [12]. Les signes cliniques de la maladie, en dehors de la cardiopathie, sont discrets à la naissance et s’affirment avec la croissance, si bien que l’âge moyen au diagnostic est entre cinq et dix ans : retard staturopondéral, anomalies de pigmentation cutanée, retard des acquisitions. . . Les atteintes lymphatiques sont multiples et de sévérité variable : lymphœdème, lymphangiectasies intestinales ou lymphangiectasies pulmonaires [13,14]. En prénatal, le chylothorax est un signe d’appel classique lorsqu’il est bilatéral, associé à un hygroma et que le caryotype est normal [15,16] (Fig. 1).
Le syndrome de Gorham-Stout Il est essentiellement connu dans la population pédiatrique et touche préférentiellement les ceintures scapulaires et pelviennes mais toutes les autres localisations sont possibles : côtes, membres, rachis, maxillaires. . . [17]. Son étiologie est inconnue et il n’y a pas de formes familiales rapportées. Il se caractérise par une ostéolyse massive secondaire à une prolifération lymphatique et/ou veineuse non néoplasique. Les structures osseuses sont alors remplacées par une trame vasculaire de type hémangiome ou lymphangiome qui donne ensuite du tissu conjonctif fibreux. Il est également dénommé lymphangiomatose multifocale ou ostéolyse massive idiopathique. Les lésions osseuses sont lentes mais extensives avec des destructions qui s’étendent aux structures adjacentes osseuses, médiastinales ou cutanées (Fig. 2). Le diagnostic
Figure 2. Syndrome de Gorham-Stout. a : radiographie de thorax montrant une ostéolyse claviculaire gauche (flèche) et un épanchement pleural bilatéral de faible abondance ; b : radiographie de crâne montrant une ostéolyse massive et diffuse.
Pathologies énigmatiques des lymphatiques comportant une atteinte pulmonaire est confirmé par des biopsies osseuses qui montrent une lymphangiomatose localisée sans malformation primitive du réseau lymphatique [18]. Les complications sont d’abord celles des conséquences de la lyse osseuse et peuvent alors menacer le pronostic vital, en particulier pour les lésions rachidiennes et thoraciques. La gravité est également liée à l’apparition d’un épanchement pleural, qui s’explique soit par la communication d’une zone dysplasique osseuse thoracique avec la cavité pleurale, soit par l’érosion du canal thoracique s’il est au contact d’une zone de lyse. Le taux de mortalité est alors de près de 50 % du fait de lymphopénies secondaires et d’un déficit immunitaire induit. Le traitement peut associer des biphosphonates, une résection osseuse avec reconstruction (greffon ou prothèse), une irradiation, de l’interféron alpha du fait de son action anti-angiogénique ou encore de l’Avastin® [19,20]. Toutefois, bien que d’une bonne efficacité sur l’évolution de la maladie, les conséquences de ces traitements peuvent être lourdes, en particulier chez le jeune enfant, avec un risque de tumeurs malignes secondaires ou d’effets sur la croissance qui s’ajoutent aux possibles séquelles radiques pulmonaires.
Le syndrome des ongles jaunes L’âge moyen d’apparition des symptômes est de 60 ans, mais des formes débutant chez l’adulte jeune ou l’enfant ont été décrites. Il associe des ongles jaunes, un lymphœdème et une atteinte respiratoire chronique avec des épanchements pleuraux récidivants (50 %), des dilatations des bronches (45 %), des sinusites chroniques (40 %) ou des pneumopathies (20 %) [21]. Il est un exemple d’atteinte diffuse du réseau lymphatique, probablement sur un phénomène obstructif puisqu’une microangiopathie atteignant différents organes (la plèvre mais également le foie, les membres inférieurs et l’intestin) y est associée [22]. L’aspect des ongles est luimême la conséquence d’une microangiopathie responsable d’une stase et d’un défaut de croissance. La symptomatologie pulmonaire s’explique quant à elle par un défaut de drainage lymphatique au niveau des bronches, qui peut se compliquer d’une stase lymphatique puis de surinfections. Du fait de cas familiaux rapportés, une possible origine génétique a été évoquée [23]. Du fait de l’âge de survenue et de la description de ce syndrome dans des maladies autoimmunes (thyroïdite, arthrite rhumatoïde, connectivites) ou des déficits immunitaires, des pathologies tumorales et des troubles endocriniens, le caractère acquis du défaut de drainage lymphatique est également avancé. L’absence de malformations des lymphatiques sur les biopsies pulmonaires et l’amélioration spontanée des ongles dans près de 50 % des cas plaident en faveur d’une atteinte fonctionnelle réversible [21,24]. Le traitement des atteintes pulmonaires dépend des symptômes (antibiothérapie, drainages thoraciques, pleurodèses,. . .). Des corticoïdes et de la vitamine E ont été proposés pour les autres symptômes.
Conclusion Les lymphœdèmes survenant dans un contexte syndromique sont des pathologies rares. Ces formes ont toutefois permis
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d’identifier les différentes pistes génétiques qui ont été validées par la reproduction des anomalies lymphatiques chez la souris mutée. Mais la complexité du réseau lymphatique et son lien étroit avec le développement veineux font que de nombreuses voies restent à explorer pour améliorer la compréhension de la fonction lymphatique et expliquer les atteintes pulmonaires.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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