Maladie d’Alzheimer et fragilité du système familial

Maladie d’Alzheimer et fragilité du système familial

LE SYSTÈME FAMILIAL Maladie d’Alzheimer et fragilité du système familial P. THOMAS(1), C. HAZIF-THOMAS(1) La maladie d’Alzheimer n’est pas une malad...

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LE SYSTÈME FAMILIAL

Maladie d’Alzheimer et fragilité du système familial P. THOMAS(1), C. HAZIF-THOMAS(1)

La maladie d’Alzheimer n’est pas une maladie d’un individu isolé, mais une maladie d’une personne prise dans un système familial. Les pathologies mentales complexes et a fortiori la démence ne sont donc pas la résultante d’un seul trouble relationnel. La relation éprouvée n’en est pas moins une source de souffrance qu’il convient de prendre en compte. Complexité oblige, les troubles démentiels nécessitent de prendre en compte différents niveaux systémiques d’organisation de cette souffrance, chacun dans leur mode d’expression : les lésions neuronales et les circuits cérébraux concernés varient selon les formes de démence, les tableaux cliniques sont divers dans un même type de maladie, se traduisant par des déficits praxiques, gnosiques, mnésiques, langagiers, émotionnels et sentimentaux extrêmement diversifiés. Le cerveau, qui assure la cohésion du système nerveux central, la régulation vitale de l’ensemble de l’organisme et du corps tout entier, est sollicité par cette souffrance, mettant en oeuvre des processus compensatoires à chaque fois singuliers (1). La famille lutte à côté du malade, sans parfois le comprendre et est donc aux prises avec de multiples malentendus, ce qui influe sur le comportement en écho du malade, sur l’ébranlement de ses stratégies antérieures devant ses échecs. La dépression du malade a un impact sur celle de ses aidants (2) et sur sa perception du fardeau. Elle accélère de près de 50% l’évolution de la maladie d’Alzheimer et diminue l’espérance de vie du malade (3). Les systèmes familiaux sont hétérogènes, et une modélisation de la famille du dément serait une caricature de la réalité. Pour autant, un certain nombre de problèmes communs se posent à toutes familles de déments. Surtout lorsqu’elles sont proches, elles sont contraintes à un effort permanent d’adaptation qui nécessite de la part de l’aidant principal un accueil, un encouragement et un soutien, ainsi qu’une pédagogie de prise en charge. LES PROBLÉMATIQUES DES FAMILLES DU DÉMENT Plus de 70% des déments sont pris en charge par les familles à domicile dans notre pays et c’est souvent la défaillance de l’aidant (épuisement, maladie ou décès), plus que la charge de travail ou les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) qui conduisent à l’institutionnalisation (4). Prendre en charge une personne démente est stressant, plus stressant à charge de travail égal que de s’occuper d’une personne simplement physiquement malade. A la charge financière, physique, à l’insécurité relationnelle s’ajoute chez l’aidant une charge émotionnelle devant le

naufrage existentiel du malade, des pertes d’identifications valorisantes du parent pour l’aidant, des modifications réciproques de rôles que représente la démence. L’histoire familiale et celle du dément sont marquées par un cours évolutif qui dépend bien entendu de l’histoire du malade au sein de sa famille, des modalités de représentation des rôles familiaux de chacun, des représentations de maladies en particulier mentales, des modalités des transactions relationnelles. Les familles pour lesquelles prime la préservation de l’autonomie des individus, préféreront déléguer les tâches de soutien aux personnes âgées. Elles vont devoir élaborer et revoir leurs modalités de prise en charge au cours du temps. Malgré leurs efforts, le malade perd ses capacités. Elles sont donc confrontées à un travail permanent de deuil, en particulier de l’efficacité de leurs stratégies, d’où certaines tirent une prime narcissique. Ce sont celles qui accèdent le plus facilement au système de soins. Les familles qui fonctionnent sur le registre du don, s’appuient sur des éléments non altérés dans le cours de la démence : les loyautés familiales et les mythes familiaux. « Il y a des choses que vous ne pouvez pas comprendre, Docteur. Elle ne dit plus rien, mais je la comprends, comme je la comprenais quand elle avait 20 ans ». Selon leur relation à la règle familiale, ces familles s’enferment dans des schémas de culpabilité face à la dette contractée envers le malade et s’épuisent dans le contre don, ou, au contraire, développent un espace de communion et d’amour avec le malade, développant un certain épanouissement et une qualité de vie malgré les difficultés rencontrées. D’autres familles font état d’un sens du devoir. Souvent, elles ne se font pas aider, s’acharnent dans le bien faire jusqu’au bout. La maladie de l’aidant ou un problème grave chez le dément justifie son hospitalisation, ce qui est bien souvent l’occasion de l’institutionnalisation non préparée du malade. Dans ces familles, l’aidant trouve rarement de bénéfices personnels, et est souvent dépressif. Il est parfois englué dans le modèle du « problem-system », où le symptôme, sa situation avec le malade, est une solution systémique contre le pis-aller d’un changement possible. Dans l’ensemble, l’approche familiale de la maladie est subjective. La famille se défend face à l’attaque du cadre symbolique de la famille qu’inflige la démence d’un parent. Elle résiste souvent au médecin, ce qu’illustre le déni prolongé des troubles de la mémoire, certains retards au diagnostic et même des refus de traitement. La famille vit fréquemment des peurs face aux professionnels : peur d’être confronté à son incapacité à aider un parent fragile mais aussi de perdre

(1) Service de Psychogériatrie, Centre Hospitalier Esquirol, 15, rue Dr-Raymond-Marcland, 87025 Limoges Cedex.

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LE SYSTÈME FAMILIAL sa place par rapport aux soins. Elle peut vivre aussi la honte face à une maladie du cerveau, handicapante au regard d’une bonne société, ce qui la prive souvent d’une vie sociale gratifiante. Elle peut aussi manquer de confiance dans les professionnels. Le diagnostic, par exemple, est souvent tardif pour des raisons complexes où elle peut avoir sa responsabilité et le médecin peut être ici un tiers désigné pour absorber l’angoisse familiale devant sa propre culpabilité. Les modalités de l’annonce diagnostique confrontent la famille à une catastrophe qu’elle a souvent cherché à esquiver. Il y a très souvent un malentendu entre familles et soignants. Au début de la maladie, la dissociation entre les préoccupations médicales et les problèmes au quotidien de la famille est fréquente. Aux stades évolués de la maladie, les soignants faisant mieux les soins que la famille, pointent l’échec familial d’une prise en charge de nombreuses années (2). La solidité des liens affectifs est éprouvée par la dérive chaotique de la relation au malade. La famille lutte contre la déliaison qui s’instaure au fur et à mesure de la progression de la maladie. Le réaménagement des liens entre aidant principal et malade, mais aussi entre les divers membres de la famille équivaut rarement à un ajustement à la réalité objective de la situation. L’aidant principal peut prendre une place prépondérante par rapport au reste de la famille, rejetant par exemple les autres dans des rôles subalternes, ce qui conduit immanquablement à de multiples conflits intrafamiliaux. Les familles sont souvent prises dans une double contrainte : aller jusqu’au bout des soins et garder le patient à domicile, ou admettre son incapacité à le faire, passer la main, voire l’institutionnaliser. Un enfant peut s’éloigner de sa mère malade, car ne supportant pas de la voir ainsi, mais aussi se culpabiliser de ne pouvoir l’aider. Au plan interpersonnel, ces conflits de loyauté se traduisent par des tensions familiales, où chacun est de bonne foi : le projet du conjoint, souvent sollicité à domicile, est généralement de garder le malade à domicile, le projet des enfants de placer le patient. Les enfants « aimants » veulent l’arrêt du maintien à domicile, parce qu’ils constatent l’épuisement physique et moral de l’aidant conjoint, c’est-à-dire de leur père ou de leur mère. Ils veulent « sauver » ce qui peut encore l’être, dans ce traumatisme familial, sauver l’autre, puisque pour le malade Alzheimer, « il n’y a plus rien à faire ». « Tu aimes mieux ton père ou ta mère? » Voilà la question que bien des enfants de malades Alzheimer sont contraints de se poser un jour ou l’autre… Les familles sont confrontées aux pertes du malade : mémoire, autonomie, rôles notamment de garant de la mémoire familiale, perte de la verbalisation de ses témoignages d’affection au fur et à mesure de la progression de la maladie, perte de sa reconnaissance des visages aimés. La famille souffre de la réduction progressive de la complexité relationnelle dont l’aboutissement est l’enfermement de l’aidant dans la routine d’un quotidien pénible et non gratifiant. Si elle s’inquiète des pertes avant même qu’elles existent, comme en témoigne la place qu’elle accorde aux symptômes négatifs de la maladie à son début, alors qu’ils sont encore modérément présents (2), la famille n’anticipe pas pour autant l’avenir du malade et vit dans l’immédiateté, ne se préparant ni à la séparation pour une maison de retraite, ni au décès.

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LES PROBLÉMATIQUES DU DÉMENT « Je me rends bien compte que je ne suis plus bonne à rien… ». Le malade est conscient de ses troubles près d’une fois sur deux, il souffre de ne plus être capable d’agir seul sur son environnement et a tendance à surinvestir sa famille pour pallier ses déficits. Il peut être ainsi adhésif à l’excès à son entourage, ce qui n’est pas propre aux déments frontotemporaux. Il peut être exigeant à l’excès pour la satisfaction de ses besoins sans avoir, du fait de ses troubles cognitifs, le recul suffisant pour protéger celui ou celle qui l’aide, transformant l’aidant en troisième bras valide. Il est volontiers dépressif, communiquant son désespoir à son entourage. L’autorité d’un parent sur ses enfants ne s’atténue pas forcément avec la démence. Le passage du rôle de l’enfant à celui de parent de son parent n’est pas forcément facilement accepté. L’épuisement de l’aidant peut faciliter la maltraitance du malade. Dans la maladie d’Alzheimer, les SCPD résultent souvent d’une inadaptation du malade aux changements qui l’affectent ou de réactions inappropriées de l’entourage dues à l’épuisement de celui-ci pour une large part. Les SCPD varient avec la progression des troubles cognitifs. La place du malade dans le système familial, la manière dont les SCPD sont gérés au plan relationnel interfèrent bien évidemment avec leur fréquence, leur intensité et sur les conséquences qui en résultent. Une famille à transaction rigide sera plus exposée à une escalade symétrique devant l’agitation ou l’agressivité du dément. Epuisement de l’aidant et SCPD du malade se répondent pour aggraver la situation à domicile. Il faut rappeler que 75% des aidants naturels sont des femmes, souvent elles-mêmes âgées et isolées (2), et qu’elles mêmes ont parfois bien de la peine à se faire aider. Avec la progression de l’aphasie, de nombreuses difficultés apparaissent : malentendus, confusion de personnes, erreurs langagières. Les fabulations peuvent traduire l’effort du malade pour se raccrocher à une réalité qui lui échappe, plus que le fait qu’il perde la tête. Rappelons une notion fondamentale : la personne comprend toujours les signaux émis par le corps de l’aidant. Même si la personne ne comprend pas les mots qui lui sont dits, elle sent toujours la façon dont ils sont dits : les expressions du visage, les attitudes, les gestes sont décodés et font de l’aidant un ami à accepter ou un ennemi à fuir ou agresser (5). La congruence entre la communication verbale et non verbale de l’aidant est donc importante pour la relation au malade. Le malade présente parfois des inversions sémiotiques, le contenu de la transaction étant pris strictement au pied de la lettre, restreint abusivement et symboliquement dans un contenant fonctionnel, par exemple objets détournés de leur usage primitif complexe pour une utilisation primaire, ou tel malade qui demande d’être reculé d’une cheminée factice parce qu’il a trop chaud. LES PROBLÉMATIQUES DU SYSTÈME FAMILIAL Les liens familiaux éprouvés se distendent du fait de la maladie dans de multiples domaines, sociaux, en particulier. Les nouveautés et les imprévus de plus en plus difficiles à

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appréhender par le malade, sont sources pour lui de SCPD comme de conduite d’évitement et de repli pour la famille. Le réseau relationnel s’appauvrit et la solitude de l’aidant s’accroît au fur et à mesure que la maladie progresse et qu’il aurait besoin davantage d’aide. Le concept de « présent-absent » se rattache au problème de « l’ambiguïté des limites ». La culpabilité éventuelle des aidants s’ancre trop dans la relation affective quand il s’agit de la fin de la prise en charge devenue trop lourde. Devant une difficulté incontournable, la contrainte de choisir une des limites éveille de la souffrance. Il s’agit pour eux de chercher à sauver ce qui est délaissé dans le choix éventuel. Se positionner face à des limites leur est intolérable. La perte de rôle ne concerne pas seulement le malade. Les aidants familiaux ont des difficultés à poser des repères relationnels avec le dément, d’une part en raison des altérations langagières et des pertes cognitives qui progressent régulièrement et empêchent la compréhension, et d’autre part en raison des enjeux affectifs de la relation. Dans la plupart de leurs situations, les aidants n’ont pas de repères relationnels stables pour se positionner face au dément, et donc n’ont pas de maîtrise. Or la maîtrise est nécessaire pour pallier la perte d’autonomie du malade. Dans quelle mesure ? Trop faire, il désapprend, l’inciter à faire, c’est prendre le risque de sa mise en échec et de déclencher des troubles du comportement. En quelque sorte, la situation familiale à gérer est celle d’un présentabsent, le malade étant présent physiquement mais parfois vécu comme absent au plan psychologique. P. Boss (6) avait travaillé après la deuxième guerre mondiale sur le concept d’ambiguïté des limites à partir de son expérience d’accompagnement de veuves de guerre de pilotes disparus en mission (missing in action). Elles étaient confrontées à des deuils impossibles, à des attentes de retour impossible durant des années et étaient exposées à davantage de dépression que les veuves de pilotes tués en mission (killed in action). Pour P. Boss, la situation de l’aidant familial s’occupant des malades d’Alzheimer peut être considérée comme comparable à celle des veuves de pilotes disparus en mission : le souvenir du malade est présent dans la vie relationnelle, mais son attention est absente de la relation constructive. Parmi les facteurs générant dans ces situations une dépression chez l’aidant, on retiendra l’autorité psychologique antérieure du malade sur sa famille, la bonne qualité des liens affectifs, la fragilité existentielle de l’aidant déstabilisé dans la perception de son rôle par l’absence de limite perceptible dans ce qu’il fait ou l’absence de retour dans ce qu’il propose, la sensation de perte de maîtrise et de perte de rôles. Une situation d’« ambiguïté des limites » marquée est une source de malaise et de majoration des plaintes des aidants (2). Elle s’accompagne de dépression chez les aidants. Au début de la maladie, les familles sont en butte aux difficultés de discernements du malade et à la quête affective de la personne démente. C’est la période du déni familial, mais aussi des abus de faiblesse : capture d’héritage, escroquerie par des aigrefins, c’est donc à cette période que se pose le problème de la capacité juridique de l’adulte majeur. Au stade de la démence avérée, les troubles du comportement (positifs : agressivité, agitation, fugues, syndrome du coucher de soleil, ou négatifs : refus de soins, repli sur soi, démotivation) sont la source d’un épuisement familial. Au stade de la démence évoluée, s’ouvre le vaste champ du palliatif, que ce soit dans

les actes de la vie quotidienne pour le malade, ou pour l’aidant familial qui doit renoncer à faire seul et accepter de se faire aider, de laisser s’introduire dans l’intimité du domicile un tiers soignant. Face à la conduite à tenir, la famille est volontiers ambiguë, ambivalente par rapport aux aides, satisfaite de leur existence, mais les regardant comme un facteur supplémentaire de disqualification de leurs propres soins, voire comme le résultat de leur échec. C’est à cette période que se rencontrent le plus les tensions familiales animées par les désaccords sur la façon de mener la prise en charge et d’envisager le devenir du malade. PROPOSITIONS DE PRISE EN CHARGE La problématique familiale dans la démence ne peut être regardée simplement comme une aide physique et financière à lui apporter. Les médicaments ne peuvent pas remplacer la relation humaine. Les membres de la famille réagissent de diverses façons aux pertes cognitives et aux SCPD d’un parent. Pour certains, cela donne lieu à un grand désarroi, pour d’autres, à une dénégation. La famille a besoin d’être renseignée sur la maladie ainsi que sur les techniques de prise en charge de toute une série de problèmes pratiques. L’éducation des aidants, le soutien psychologique personnel ou en groupes de parole libèrent des tensions et amenuisent le fardeau ressenti. Un patient silencieux peut trouver à s’exprimer de façon pertinente dans un groupe familial où la parole retrouve son sens. Les choix familiaux dans ces situations sont coûteux au plan affectif expliquant l’ambiguïté des comportements des aidants. Des situations d’échange existent toujours, centrées sur la mémoire affection du passé, en cohérence avec la loi de Ribot, ce qui donne à la communication des aspects de communication de secours que des procédures de « past-present switchs » peuvent faciliter. Il s’agit de donner au couple aidant-aidé l’occasion de décliner leur relation présente sous le couvert du passé (7). L’aide au discernement familial est souvent une nécessité qui implique la réunion du groupe familial concerné autour du malade. Il est parfois nécessaire d’offrir à la famille la liberté de ne pas choisir, de se mettre à distance sans se culpabiliser. Une requalification des rôles de l’aidant se questionnant sur ce qu’il fait, et une redéfinition de sa maîtrise de la situation limitent les conséquences de l’ambiguïté des limites. Au début de la maladie, le déni familial, à respecter, doit être progressivement élaboré et le système relationnel doit être réenrichi. L’anticipation et la planification du futur doivent être travaillées avec la famille. La maltraitance doit être prévenue en particulier en aménageant des espaces de répit, en qualifiant l’aidant aux yeux du reste de la famille et en facilitant la circulation de la parole. Au stade de la démence avérée, se pose avec acuité le problème du soutien familial psychologique ou éducationnel. Il ne dispense pas de la nécessité de traiter le malade et de prévenir ses troubles du comportement par des mesures pharmacologiques ou non. La dépression de l’aidant doit être dépistée et éventuellement traitée. A ce stade, la famille doit être aidée dans son travail de deuil et de discernement, par exemple pour passer la main à domicile ou préparer un placement. Elle doit aussi être préparée au décès.

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LE SYSTÈME FAMILIAL La mort du dément n’est pas forcément un soulagement pour l’aidant, qui va affronter l’isolement, les aides extérieures cessant. La prise en charge d’un dément, aussi lourde soit-elle, est colorée d’émoi affectif et est porteuse de

sens pour la famille. En conclusion, si la notion de « frail elderly » est admise chez le patient âgé, le syndrome de fragilité de l’aidant reste encore dans l’ombre (Tableau I), quand bien même il s’agit d’un aidant âgé I

Tableau I : Syndrome de fragilité de l’aidant. - Femme âgée de plus de 75 ans, vivant seule avec un malade dément à son domicile. - Aidant dans l’incapacité d’accéder au système de soin et devant repousser des soins nécessaires. - Prise en charge plus de 30 mois d’un malade devenu dépendant ou/et présentant des troubles du comportement gênant pour l’aidant. - Absence de répit possible pour l’aidant et durée de soins spécifiques supérieure à 2 heures par jour, 7 jours sur 7. - Dépression de l’aidant. - Difficultés de l’aidant à parler de son ressenti avec sa famille ou ses amis. - Aidant vivant une sensation de perte de capacité à donner le meilleur de soi. - Aidant se sentant saturé, n’arrivant pas à se défendre contre une angoisse de détérioration de sa vie sociale. - Aidant n’osant pas demander de l’aide à domicile pour le malade, en raison d’une peur de déclencher des troubles du comportement.

RÉSUMÉ - SUMMARY La maladie d’Alzheimer n’est pas une maladie d’un individu isolé, mais une maladie d’une personne prise dans un système familial. Sa prise en charge nécessite l’enrichissement de la complexité du système et le rétablissement de l’écologie familiale. Le thérapeute peut s’appuyer sur les loyautés en vigueur dans la famille et construire avec la famille des alternatives relationnelles. La fragilité ne concerne pas seulement le malade mais aussi son aidant naturel. Alzheimer’s disease is not only a patient’s disease but also a suffering in the family system who interacts with the course of the pathology. Complexity is to reinforce in order to settle the family ecology. The therapist can count on family invisible loyalties and help family to build a new way of relationships. Frailty is not only the patient’s problem but is also the fact of his/her natural caregiver.

MOTS

CLÉS

- KEY-WORDS

Famille, thérapie systémique, maladie d’Alzheimer. Family, systemic therapy, Alzheimer’s disease.

Références 1. Miermont J. Introduction au dictionnaire du patient dément et de sa famille. Paris : Novartis, 2003. 2. Thomas P, Clement JP, Hazif-Thomas C, Leger JM. Family, Alzheimer’s disease and negative symptoms. Int J Geriatr Psychiatry 2001 ; 16 (2) : 192-202. 3.Cummings JL. Changes in neuropsychiatric syndroms as outcome measures in trials with cholinergic therapies for Alzheimer’s disease. Alzh Dis Assoc Disord 2000 ; 11 (Suppl 4) : S1-S9. 4. Thomas P, Billon R, Lalloue F, et al. Situation des aidants informels des déments vivant à domicile ou en institution. L’étude PIXEL. Rev Fr Geriatr Gerontol 2003 ; X (96) : 273-80. 5. Mias L. Suggestions pour aider à vivre au quotidien la maladie d’Alzheimer (MA) et la démence sénile de type Alzheimer (DSTA).2003. http://membres.lycos.fr/papidoc/04alzheimsugg.html 6. Boss P, Caron W, Horbal J, et al. Predictor of depression in caregivers of dementia patients: boundary ambiguity and mastery. Family Process 1990 ; 29 (3) : 245-54. 7. Watzlawick P. An anthology of human communication. Palo Alto : Science and Behavior, 1963.

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