Manipulation des agents anesthésiques et des seringues. Recommandations et argumentations

Manipulation des agents anesthésiques et des seringues. Recommandations et argumentations

Ann Fr Anesth Rtknim 1998 ; 17 : 1253-6 0 Elsevier. Paris Article spCcia1 Manipulation des agents anesthbsiques et des seringues. Recommandations e...

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Ann Fr Anesth Rtknim 1998 ; 17 : 1253-6 0 Elsevier.

Paris

Article spCcia1

Manipulation des agents anesthbsiques et des seringues. Recommandations et argumentations * B Veber Dkpartement d’anesthke

rkanimation

chirurgicale,

CHU Charles-Nicolle,

Des cas d’infections bacteriennes ou fongiques graves ont CtC rapport& lors de l’utilisation incorrecte de propofol (Diprivan@, Zeneca Pharma) et de morphiniques par contamination extrindque de ces agents lors de leur manipulation [ 1, 21. De meme, l’utilisation d’une mCme seringue pour plusieurs patients, malgre le changement d’aiguille, a entraM des contaminations par les virus des hepatites B et C. De plus, les ampoules ou flacons contenant une dose d’agent anesthesique sont conGus pour un usage unique et ne contiennent pas gCnCralement d’agents conservateurs antimicrobiens. Enfin, certaines formes galeniques notamment lipidiques favorisent la croissance bacterienne. Ainsi, la preparation du plateau des agents anesthesiques et la manipulation des seringues, flacons et tubulures necessitent des regles d’antisepsie visant a Cviter : - la contamination des produits anesthesiques par les micro-organismes de I’environnement ; - la contamination de patient a patient, via le materiel contamine. L’ensemble de ces donnees permet de proposer des rbgles d’asepsie devant accompagner toute injection d’un agent anesthesique.

RECOMMANDATIONS BTABLIES PAR LE COMITti HYGIkNE DE LA SFAR Aspiration des produits anesthesiques de facon aseptique, en utilisant des aiguilles et seringues ste-

‘Ce travail a Bd r&dig? par des experts ayant participe SI la r&daction des recommandations sur l’hygi&ne. 11 n’a, de ce fait, pas CtB soumis B un comitk de lecture.

I, rue de Get-mom, 76031 Rouen cedex. France

riles, apres avoir d&infect6 de faGon appropriee le bouchon du flacon ou le co1 de l’ampoule. D&infection appropriee des robinets a trois voies lors de toute manipulation. Le materiel utilise (seringues, tubulures, robinets ;i trois voies, ampoules et flacons) est B usage unique et destine a un seul patient. Apres connexion a la ligne de perfusion IV d’un patient, il doit Ctre consider6 comme potentiellement contamine et done uniquement utilise pour ce patient, puis Climine apres usage ou au plus tard a la fin de l’anesthesie du patient concern& Le plateau des agents anesthesiques est uniquement utilisable pour les soins d’un seul patient. 11 contient l’ensemble des seringues et aiguilles preparees pour l’anesthesie en tours et doit etre conserve dans un endroit propre et protege de toute projection pour Cviter une possible contamination. L’utilisation de flacons multidose (non disponible en France actuellement, les flacons de 500 mg de Diprivan@ &ant rCservCs 21l’entretien de l’anesthesie d’un seul patient) n’est pas recommandee. En cas d’utilisation d’un agent anesthesique mis en solution dans un solvant lipidique, en plus du respect scrupuleux des regles &on&es ci-dessus, il est souhaitable: a) de diminuer autant que possible le nombre de manipulations ainsi que l’intervalle de temps entre la preparation et l’injection de la solution lipidique ; b) d’utiliser des seringues preremplies quand elles sont, ou seront, disponibles de facon a pouvoir utiliser un pousse-seringue Clectrique ou d’utiliser pour l’entretien de l’anesthesie, un perfuseur permettant I’administration d’un debit fiable, saris avoir a deconditionner un flacon. Ce dernier point est justifie, notamment par les

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risques infectieux rapport& a la manipulation du Diprivan@. Ainsi, des cas d’infections postoperatoires epidemiques ont Cte decrits a partir de 1990 et directement rattaches a une contamination extrinseque du Diprivan@ [ 1,3]. Cette situation, engageant la responsabilite du mtdecin anesthesiste, necessite une evaluation precise des cas publies et une bonne connaissance de la technique de manipulation de ce produit bien particulier, compte tenu de sa forme galenique: une emulsion lipidique ne contenant pas d’agent conservateur antimicrobien. Qu’en est-il reellement des cas d’infections postoperatoires likes a l’utilisation du Diprivan@’ ? Quatre Cpidemies ponctuelles d’infections ou de reactions febriles postoperatoires sont rapportees par le CDC d’ Atlanta en juin 1990 [3]. Celles-ci sont survenues chez 24 patients ayant subi une chirurgie propre ou propre-contaminCe. La premiere observation a concern6 cinq patients hospitalists dans un m&me hiipital. Ceux-ci ont developpe, sur une periode de 8 jours, une infection du site operatoire g Staphylococcus aureus, dans un delai de 12 a 72 heures apres l’intervention. Une souche identique a CtC trouvee chez les cinq patients. L’enqu&te Cpidemiologique a identifie l’utilisation du Diprivan@ dClivrC en perfusion continue, comme facteur de risque d’acquisition de cette infection. L’anesthesie a CtC effectuee par un seul praticien. La culture du prelevement nasal de celui-ci a mis en evidence le mCme staphylocoque que celui des plaies operatoires, confirme par le mtme lysotype bacterien. Dans la deuxieme observation, quatre patients ont presente sur une periode postoperatoire de 5 jours, dans le mCme hopital, des episodes septicemiques etfou d’endophtalmies a Candida albicans [3, 41. L’enquCte Cpidemiologique a, la aussi, identifie comme facteur de risque, l’administration de Diprivan@ en perfusion par le mCme anesthesiste. Dans la troisieme observation, deux patients ont presente en periode postoperatoire immediate, sur une periode de 2 jours, une reaction hyperthermique associee a une hypertension arterielle severe. L’enqdte Cpidemiologique a identitie comme facteur de risque l’administration de Diprivan@ en perfusion, par une infirmiere anesthesiste. Les memes solutions de Diprivan @, tubulures de perfusion et seringues ont CtC utilisees pour les deux patients. L’examen microbiologique du produit restant apres

l’anesthesie du deuxieme patient a revel6 en culture la presence de Moraxella osloensis et le test au limulus a montre la presence d’endotoxine bacterienne en quantite importante. La derniere observation concerne 13 patients sur 56, soit 23 %, opCrCs dans un mCme hopital en 2 semaines. Ceux-ci ont dkeloppe des bacteriemies et/au des infections de la plaie operatoire 21Staphylococcus aureus de lysotype identique. L’enquete Cpidemiologique a de nouveau determine, comme facteur de risque d’acquisition de cette infection, l’injection de Diprivan@ en bolus ou en perfusion. Celle-ci Ctait pratiquee par une infirmiere anesthesiste dont le prelevement bacteriologique des mains s’est rev&! positif au mCme S aureus, confirnk en lysotypie. Le reste de Diprivan@ contenu dans le systeme de perfusion Ctait utilise d’un patient a l’autre. La culture des ampoules de Diprivan* provenant du mCme lot que celui utilise pour la realisation de l’anesthesie, est restee sterile lors de I’ensemble des cas rapport& par le CDC. En reprenant l’epidemiologie des cas rapport&, une Cquipe a rCalisC une etude cas-controle tres demonstrative [5]. Seule, l’anesthesie realisee par l’injection en bolus ou en perfusion de Diprivanm etait significativement associee a la survenue d’une infection postoperatoire chez les patients concern&. Par ailleurs, une autre observation est rapportee par le service de nknimation des maladies infectieuses de l’hopital Bichat-Claude Bernard a Paris [6, 71. Ainsi, deux patients y ont Cte admis pour &at de choc septique dfi a une septicemie 3 Klebsiella pneumonkz compliquant une cure chirurgicale de hemie discale lombaire. Leur evolution a CtC favorable malgre une defaillance multiviscCrale extremement severe. Deux autres patients ont eu en p&iode postoperatoire, d’une chirurgie propre effectuee le meme jour, dans le meme bloc operatoire, des bact&iCmies rep&es par un germe identique, mais avec une meilleure to& rance clinique. L’investigation Cpidemiologique a montre que ces septicemies postoperatoires etaient dues a une injection de Diprivan@ contamine. En effet, la meme souche de K pneumonice a Cte identitiee dans les hemocultures des quatre patients et dans le reste du Diprivan@ recueilli dans les flacons incrimines. La encore, la culture du Diprivan@, provenant du meme lot que celui utilise pour l’anesthesie, est restee sterile. La sequence suivante a ete reconstruite. La veille au soir, un Bacon de 500 mg de Diprivan@ a

Manipulation

d’agents

Cte ouvert pour une anesthesie courte. Le lendemain, le contenu de ce flacon, conserve a temperature ambiante, a ete utilise pour l’anesthesie des deux premiers patients. Chez le troisikme patient, l’induction a Cte realide a l’aide du DiprivarP restant dans le premier flacon, la dose necessaire &ant completee par le prelevement d’anesthesique dans un deuxieme flacon de 500 mg. Le quatrikme patient a recu du Diprivan* provenant de ce dernier flacon, dont la contamination s’etait effect&e par la seringue ayant servi a l’induction du troisieme patient. Au total, entre juillet 1989 et mai 1994, la Food and Drug Administration a Cte avertie de 38 epidemies d’infections postoperatoires parfois tres severes directement rattachees B une contamination extrinseque du DiprivarP lors de sa manipulation pour la realisation de l’anesthesie [5]. Ces CpidCmies comprenaient au moins quatre patients en France et 155 aux Etats-Unis, repartis dans 20 Ctats. Quatre patients sont d&Cd&. L’importance du risque est stiement sous-estimee. En effet, seuls les cas s&&es, document& et Cpidemiques ont Cte rapportes dans la litterature. Entin, recemment une epidemic d’infections back% riemiques postoperatoires ?I Stuphylococus aureus a en? rapportee chez cinq patients ayant beneficie dune sismotherapie sous anesthesie g&r&ale par Diprivan@ en juin 1996 [8]. La souche bacterienne, en Clectrophorese en champ pulse, etait identique pour l’ensemble des patients infect&. De plus, le delai, entre la preparation du produit et son utilisation, est significativement plus long chez les patients avec une bacteriemie par rapport a ceux non infect&, ayant bkneficiCs d’une sismothtrapie avec le meme protocole anesthesique (2,l versus 1,l heures; P = 0,Ol). Ce risque infectieux tres inhabituel en anesthesie est a l’evidence a rapprocher des caracteristiques galeniques du DiprivatP. Alors que les anesthesiques IV couramment utilises pour l’induction ou l’entretien de l’anesthesie contiennent des conservateurs antimicrobiens ou ont des conditions physicochimiques peu favorables a la croissance bacterienne (pH en particulier), le Diprivan@ est une exception notable. En effet, le caractere hydrophobe du propofol a impose la realisation d’une emulsion lipidique d’huile de soja purifiee, de glycerol et de phosphatide d’aeuf purifie, pour disposer d’une forme injectable par voie IV. Ce type d’emulsion lipidique s’est rCvClC etre un support nutritionnel

anestht%iques

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et seringues

favorable a la croissance bacttrienne [9]. Ces donnees ont ete confirmees in vitro. Ainsi, de nombreux micro-organismes, principalement les staphylocoques et les bacilles a Gram negatif, ont prouve experimentalement une capacite de croissance importante quand ils sont inocules dans du Diprivana [lo- 141. De meme, la production d’endotoxine bacterienne est ClevCe dans le Diprivan@ contamine [lo]. La particuliere gravite des cas decrits a l’hopital Claude-Bernard est a rapporter a une contamination par une Klebsiella pneumonke bacille a Gram negatif t&s virulent et au delai prolong6 entre la contamination du flacon et l’injection de l’anesthesique, permettant ainsi la constitution d’un inoculum bacterien important. L’ensemble des cas rapport& confirme la contamination extrindque du DiprivarP. En effet, la culture du produit provenant d’ampoules ou de flacons du lot identique a celui in&nine est toujours restee sterile, Climinant ainsi une contamination intrinseque lors de sa fabrication. Une Cquipe a montre experimentalement le risque ClevC de contamination du Diprivana lors de l’ouverture des ampoules, soulignant la necessite de regles d’asepsie strictes lors de l’utilisation de ce produit [ 151. CONCLUSION Un certain nombre de pratiques et de comportements sont done a risque de favoriser la survenue d’une infection nosocomiale directement like ?I la pratique de l’anesthesie. La manipulation des agents anesthesiques, des seringues, tubulures, raccords et robinets a trois voies, saris respecter les regles d’asepsie et a fortiori, l’utilisation d’un materiel contamine sont imperativement a eviter. Ainsi, la realisation d’une anesthesie dans ccles regles de l’art >>, et avec un risque minimum de complications infectieuses, necessite l’application de nombreuses procedures maintenant bien repertorices, qui engagent la responsabilite medicale, dont le medecin anesthesiste doit se porter garant. RfiFkRENCES 1 Nichols RL,, Smith JW. Bacterial contamination of an anesthetic agent. N Engl J Med 1995 ; 333 : 184-5 2 Maki DG, Klein BS, McCormick RD, Alvarado CJ, Zilz MA, Stolz SM et al. Nosocomial Psrmhmmas picketrii bacteremias traced to narcotic tampering. JAMA 1991 ; 265 : 981-6

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