Médicaments et cognition chez le sujet âgé

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PHARMACOLOGIE Thérapie 2015 Novembre-Décembre; 70 (6): 523–526 DOI: 10.2515/therapie/2015038 CLINIQUE © 2015 Société Française de Pharmacologie et ...

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PHARMACOLOGIE

Thérapie 2015 Novembre-Décembre; 70 (6): 523–526 DOI: 10.2515/therapie/2015038

CLINIQUE

© 2015 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Médicaments et cognition chez le sujet âgé Christine Brefel-Courbon Service de Pharmacologie Clinique, UMR 825 Inserm, Imagerie Cérébrale et Handicaps Neurologiques, Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse, Université Toulouse III, France Texte reçu le 26 janvier 2015 ; accepté le 21 mai 2015

Mots clés : médicaments ; cognition ; démence ; sujet âgé

Résumé – De nombreux médicaments peuvent modifier les fonctions cognitives chez le sujet âgé. Les médicaments atropiniques ainsi que les psychotropes peuvent provoquer ou exacerber des troubles cognitifs chez le sujet âgé et majorer le risque de survenue de démence. En prévention, chez le sujet non dément, les médicaments antihypertenseurs pourraient améliorer les fonctions cognitives à court terme et diminuer le risque de démence à long terme. Par contre, les essais cliniques évaluant les statines et les anti-inflammatoires non stéroïdiens n’ont pas démontré d’effet cognitif significatif.

Keywords: drugs; cognition; dementia; elderly

Abstract – Drugs Effect on Cognition in the Elderly. Many drugs can affect cognitive function in the elderly. Anticholinergic and psychotropic drugs can cause or exacerbate cognitive impairment and can increase the occurrence of dementia in the elderly. In healthy elderly adults, antihypertensive drugs could improve cognition and reduce the dementia risk. By contrast, randomized clinical trials evaluating the effect of statins and nonsteroidal anti-inflammatory drugs have not shown significant cognitive effect.

Abréviations : voir en fin d’article.

En gériatrie, près de 30 % des cas de troubles cognitifs sont liés à des médicaments.[1] Parmi les médicaments les plus souvent incriminés se trouvent les médicaments atropiniques qui sont des médicaments aux larges indications comme certains antiparkinsoniens, antispasmodiques, médicaments de l’incontinence urinaire, bronchodilatateurs, antitussifs, antidépresseurs imipraminiques… Ainsi, aux États-Unis, près de 50 % de la population générale âgée utilise des médicaments atropiniques.[2] Le cerveau des sujets âgés est sensible aux effets indésirables des atropiniques du fait de la diminution des neurones cholinergiques et des récepteurs muscariniques, l’augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique et de la diminution de l’excrétion rénale.[3] Les médicaments atropiniques peuvent exercer des effets cognitifs à court terme qui ont été bien évalués. Une revue de la littérature a ainsi, à partir de 27 études, rapporté une association positive entre les médicaments atropiniques et une altération cognitive évaluée dans la majorité des cas grâce au mini mental state examination (MMSE).[4] L’altération cognitive se caractérisait par une diminution du temps de réaction, de l’attention, du rappel différé, des fonctions visuospatiales et de la fluence verbale. A plus long terme, les médicaments atropiniques peuvent également favoriser la survenue d’un déclin cognitif. Une étude de cohorte longitudinale effectuée dans le sud de la France a évalué régulièrement pendant 2 ans grâce à une batterie de tests cognitifs,

372 personnes âgées de plus de 60 ans sans trouble cognitif à l’inclusion.[5] Dans cette étude, la consommation de médicaments atropiniques s’est révélé un facteur prédictif de survenue de mild cognitive impairment (MCI) avec un odds ratio (OR) de 5,12 (IC 95 % : 1,9413,51). De même une autre étude longitudinale anglaise effectuée à partir d’une base de données a suivi pendant 2 ans, l’état cognitif (grâce au MMSE) de 13 004 personnes âgées de plus de 65 ans.[6] Parmi ces participants, 48 % prenaient des médicaments atropiniques. Cette étude rapporte que ces médicaments augmentent significativement le déclin cognitif de 0,33 point sur le MMSE et augmentent la mortalité sur 2 ans avec un OR égal à 1,68 (IC 95 % : 1,30-2,16). Les benzodiazépines peuvent aussi modifier la cognition chez le sujet âgé. Or en France, environ 30 % des personnes âgées de plus de 65 ans en consomment.[7] Si leur effet cognitif à court terme est bien connu tel que sédation, diminution de l’attention, déficit de mémoire antérograde, leur effet à long terme reste plus controversé. Ainsi dans la littérature, certaines études rapportent un effet positif sur la survenue de démence,[8-10] d’autres un effet négatif.[11,12] Une étude récente a relancé le débat en démontrant que le risque de démence était supérieur chez les consommateurs de benzodiazépines.[13] Cette étude effectuée à partir de la cohorte PAQUID a suivi prospectivement pendant 15 ans 1 063 sujets non déments âgés en

Article publié par EDP Sciences

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Brefel-Courbon

Tableau I. Effets cognitifs à court terme et à long terme des médicaments chez le sujet âgé.

Médicaments

Effet à court terme sur la cognition

Effet à long terme : survenue de démence

Atropiniques

Aggravation

Majoration du risque

Benzodiazépines hypnotiques

Aggravation

Majoration du risque

Antidépresseurs

Aggravation : imipraminiques > IRS

?

Antihypertenseurs

Amélioration

Réduction du risque

Statines

?

Pas d’effet

AINS

?

Pas d’effet

AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; IRS : antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.

moyenne de 78 ans. Durant ce suivi, 253 cas incidents de démence ont été diagnostiqués et le risque de démence était plus élevé (1,6 ; IC 95 % 1,08-2,43) avec la consommation de benzodiazépines. De même, il semble que le risque de démence soit également plus élevé chez des insomniaques prenant des hypnotiques. En effet, si l’on compare au sein d’une cohorte taïwanaise la survenue de démence chez des utilisateurs d’hypnotiques âgés de plus de 65 ans par rapport à des non utilisateurs, le risque est multiplié par 2,3.[14] Néanmoins, dans cette étude, un biais protopathique (les troubles du sommeil peuvent être présents dans la phase prodromale de démence) ne peut être éliminé. D’autres psychotropes peuvent aussi être impliqués dans les troubles cognitifs du sujet âgé à court terme. Parmi les antidépresseurs, les imipraminiques arrivent en tête, probablement du fait de leurs propriétés atropiniques, avec selon les essais cliniques une altération cognitive retrouvée dans 18 à 47 % des cas alors qu’elle est plus faible avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (de 1 à 15 %).[15] Les psychotropes ne sont pas les seuls médicaments à modifier la cognition chez le sujet âgé. Au travers de plusieurs essais cliniques, les médicaments antihypertenseurs comme les diurétiques thiazidiques, les anticalciques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) et les β-bloquants ne semblaient pas présenter d’effet cognitif à court terme[16] jusqu’à une méta-analyse récemment publiée rapportant un effet positif avec amélioration des fonctions exécutives, de mémoire immédiate et épisodique, de vitesse et d’attention sur un suivi médian de 6 mois.[17] Par contre, un effet cognitif à plus long terme est discuté et controversé. Selon les études, ces médicaments pourraient ou pas exercer un effet préventif sur le déclin cognitif.[18-21] A partir de 11 études (4 essais cliniques et 7 études observationnelles) effectuées chez plus de 800 000 patients traités, une méta-analyse visant à évaluer l’effet d’un traitement antihypertenseur sur l’incidence des démences chez des patients hypertendus sans antécédent cardiovasculaire a montré que les médicaments antihypertenseurs diminuaient de 9 % le taux d’incidence de la démence.[21] En comparant l’effet des différentes classes médicamenteuses sur les fonctions cognitives, les antago-

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nistes de l’angiotensine II pourraient exercer les effets bénéfiques les plus importants par rapport aux autres classes médicamenteuses à réduction similaire de pression sanguine artérielle. Au total, si chez les patients hypertendus sans autres antécédents cardiovasculaires les médicaments antihypertenseurs améliorent les fonctions cognitives et réduisent le risque de démence, cela ne semble pas être le cas chez des patients hypertendus présentant des complications cardiovasculaires puisque deux méta-analyses n’ont, quant à elles, retrouvé aucun bénéfice chez ce type de patients.[22,23] L’effet cognitif des statines a été évoqué car ces médicaments diminuent la production de substance β-amyloïde dans un modèle animal de maladie d’Alzheimer.[24] Chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer, la simvastatine n’a pourtant pas eu d’effet cognitif significatif.[25] De plus en 2012, la Food and Drug Administration a rapporté à partir d’une série de cas une baisse modérée et réversible de mémoire chez des personnes âgées traités par statines. Chez plus de 5 000 patients âgés non déments et à risque cardiovasculaire, l’étude PROSPER a évalué l’effet de la pravastatine sur les fonctions cognitives et n’a mis en évidence aucun effet significatif.[26] Plusieurs études épidémiologiques chez des patients âgés non déments ont également évalué le risque de déclin cognitif sous statines. Les résultats sont hétérogènes, pas d’effet significatif[27,28] ou des effets bénéfiques.[29,30] Néanmoins, il faut signaler que lorsque l’effet est bénéfique (moindre déclin cognitif annuel), cet effet est quantitativement très faible et s’avère donc peu convaincant. Enfin, l’effet cognitif des médicaments antalgiques a fait l’objet de quelques études chez le sujet âgé. À l’inverse des médicaments morphiniques responsables de confusion, altération de la mémoire et de l’attention, les anti-inflammatoires non stéroïdiens de par leurs propriétés anti-inflammatoires pourraient prévenir le déclin cognitif.[31] Chez les patients déments atteints de maladie d’Alzheimer, plusieurs essais cliniques avec le rofecoxib, l’ibuprofène… n’ont pourtant pas mis en évidence d’effet significatif.[32-34] En prévention chez le sujet non dément, l’essai ADAPT effectué chez plus de 2 500 sujets âgés de plus de 70 ans évaluant l’effet du naproxène, du célecoxib versus placebo sur une durée de 3 ans, n’a pas démontré d’effet bénéfique

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sur la cognition voire même un effet aggravant dans le bras naproxene.[35] De même, un autre essai clinique évaluant de faible dose d’aspirine n’a retrouvé à 5 ans aucun effet préventif chez des sujets non déments.[36] Au total, chez le patient âgé présentant des troubles cognitifs, il est prudent d’éviter de prescrire des médicaments possédant des propriétés atropiniques ainsi que des médicaments psychotropes qui seront responsables d’une aggravation certaine (tableau I). Chez le sujet âgé non altéré sur le plan cognitif, s’il existe une hypertension artérielle il est doublement justifié d’utiliser des médicaments antihypertenseurs qui permettent non seulement de réduire les complications cardiovasculaires mais aussi qui, en prévention primaire, diminueraient le risque de démence. De façon générale chez le sujet âgé même en bonne santé, ne pas oublier que les médicaments atropiniques, les benzodiazépines et hypnotiques au long court peuvent s’avérer néfastes. Conflits d’intérêts. Aucun. Abréviations. IEC : enzyme de conversion ; MCI : mild cognition impairment ; MMSE : mini mental state examination ; OR : odds ratio.

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Brefel-Courbon

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Correspondance et offprints : Christine Brefel-Courbon, Service de Pharmacologie, Faculté de Médecine, 37 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse, France. E-mail : [email protected]

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