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Communication brève
Métastase oculaire inaugurale de cancer bronchique non à petites cellules : deux cas Ocular metastases heralding non-small cell lung cancer: two cases C. Bachmeyera,*, A. Fraziera, A. Meftahb, J. Cadranelc, G. Grateaua a
Service de médecine interne, CHU de Tenon (APHP), 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France b Service d’ophtalmologie, CHU de Tenon (APHP), 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France c Service de pneumologie, CHU de Tenon (APHP), 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Reçu le 17 mars 2006 ; accepté le 6 juillet 2006 Disponible sur internet le 08 août 2006
Résumé Introduction. – Les métastases oculaires sont rares au cours des cancers bronchiques, et exceptionnellement inaugurales. Exégèse. – Nous rapportons deux observations de métastase oculaire symptomatique, inaugurale d’adénocarcinome bronchique, choroïdienne dans le premier cas, papillaire dans le second, associée à d’autres métastases. La radiothérapie et la chimiothérapie ne permettaient aucune amélioration de l’acuité visuelle dans les deux cas. Discussion. – Les métastases oculaires peuvent être inaugurales d’un cancer bronchique, et sont souvent associées à d’autres localisations secondaires. Le pronostic global est mauvais, mais la mise en route d’un traitement précoce pourrait améliorer le pronostic visuel des patients. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Ocular metastases are rare in patients with lung cancer, and exceptionally indicate the condition. Exegesis. – We report 2 patients with symptomatic ocular metastases indicating lung adenocarcinoma, involving the choroid in the first case and the optic disc in the other, associated with other metastases. No improvement of visual acuity was observed after chemotherapy and radiotherapy. Discussion. – Ocular metastases may indicate lung cancer, and are usually associated with other metastatic sites. The global prognosis is poor but an early treatment should result in improvement of visual prognosis. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Métastases oculaires ; Métastases choroïdiennes ; Métastases papillaires ; Cancer bronchique non à petites cellules Keywords: Ocular metastases; Choroidal metastases; Papillary metastases; Non-small cell lung cancer
1. Introduction Les manifestations oculaires observées au cours des cancers sont liées soit à l’envahissement ou à la compression des structures de l’œil ou de l’orbite, soit à un syndrome paranéoplasique secondaire à des autoanticorps dirigés contre des structu-
* Auteur
correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Bachmeyer).
res de l’œil, soit à des complications systémiques des cancers ou de leurs traitements [1]. Les métastases oculaires sont rares, observées dans 4 à 8 % des patients ayant un cancer dans des séries autopsiques, le poumon étant la seconde localisation de la tumeur primitive, après le sein [2–4]. La choroïde, qui siège entre la rétine et la sclérotique, est le site électif de ces métastases, du fait de sa riche vascularisation [2,5–8]. L’atteinte des autres structures de l’œil comme l’iris, le vitré, la rétine ou la tête du nerf optique est plus rare, parfois associée à une atteinte choroïdienne [1,2,5]. Les métastases oculaires surviennent sou-
0248-8663/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2006.07.006
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vent à un stade avancé de la maladie, s’accompagnant le plus souvent d’autres localisations secondaires. Nous rapportons les observations de deux patients ayant présenté une métastase oculaire symptomatique, inaugurale d’un adénocarcinome bronchique, choroïdienne chez l’un, papillaire chez l’autre, et rappelons les principales caractéristiques de ces métastases. 2. Description des cas 2.1. Premier cas Une femme, âgée de 49 ans, sans antécédent notable si ce n’est un tabagisme estimé à 30 paquets–année, était hospitalisée pour une douleur inguinale droite d’apparition progressive, responsable d’une boiterie, devenue insomniante. Elle rapportait également une sensation de voile de l’œil gauche apparue peu avant la survenue des douleurs osseuses, s’accompagnant d’une baisse récente de l’acuité visuelle. Des lésions ostéolytiques du petit trochanter et de la jonction cervicocéphalique étaient objectivées. Le dosage de l’ACE était normal. Le scanner thoracoabdominopelvien mettait en évidence une masse volumineuse du lobe supérieur du poumon gauche, des polyadénopathies médiastinales et une grosse surrénale gauche. Le scanner cérébral objectivait une lésion secondaire occipitale droite. La fibroscopie bronchique retrouvait un aspect de sténose tumorale et d’épaississement des éperons du culmen et les biopsies permettaient de porter le diagnostic d’adénocarcinome bronchique. L’acuité visuelle de l’œil gauche était à 1/10. Une amputation du champ visuel temporal supérieur gauche était mise en évidence. Le fond d’œil révélait un décollement de rétine de toute la moitié inférieure de l’œil gauche, en rapport avec une probable métastase choroïdienne. L’écho B confortait le diagnostic de métastase choroïdienne masquée par le décollement de rétine (Fig. 1). L’angiographie en fluorescence objectivait la lésion sous les vaisseaux temporaux inférieurs, hypofluorescente aux temps précoces et devenant hyperfluorescente aux temps tardifs, évocatrice de métastase choroïdienne. Une chimiothérapie de type MIP associant mitomycine C, ifos-
Fig. 1. Échographie de l’œil gauche montrant le décollement séreux de la rétine en regard de la métastase choroïdienne (patient 1).
famide et cisplatine était débutée, associée à une radiothérapie externe délivrant 30 Gy en dix fractions sur la lésion choroïdienne gauche, sans aucune amélioration de l’acuité visuelle. Une arthroplastie totale de hanche droite était réalisée. Une majoration des métastases de hanche droite était observée sous ce protocole de chimiothérapie, qui était de plus mal toléré sur le plan digestif et responsable d’une aplasie profonde. Ce protocole était relayé par la gemcitabine. La patiente décédait six mois après le diagnostic d’une défaillance multiviscérale secondaire à une microangiopathie thrombotique. 2.2. Second cas Un homme, âgé de 47 ans, sans antécédent médical, mais ayant une intoxication tabagique à 40 paquets–année, était hospitalisé pour des troubles de la marche et des douleurs lombaires apparus depuis 15 jours. Il rapportait également une cécité de l’œil droit, apparue brutalement deux mois plus tôt qu’il avait négligée. L’état général était satisfaisant, une ataxie cérébelleuse statique et cinétique était objectivée, ainsi qu’un ralentissement idéomoteur. Les examens biologiques montraient une cytolyse et une cholestase hépatiques modérées, une élévation des LDH à trois fois la limite supérieure de la normale, l’ACE était à 714 ng/ml (N < 4). Le scanner cérébral et l’IRM mettaient en évidence des multiples lésions intraparenchymateuses cérébrales, parfois hémorragiques avec un œdème périlésionnel modéré, un effet de masse sur le quatrième ventricule, et une lésion de l’œil droit (Fig. 2). Le scanner thoracoabdominopelvien objectivait de multiples adénopathies médiastinales latérotrachéales infiltrant la bronche souche droite avec sténose lobaire supérieure droite, de multiples lésions parenchymateuses pulmonaires, des lésions hépatiques, un syndrome de masse des deux surrénales et des lésions lytiques osseuses. La fibro-
Fig. 2. Scanner cérébral objectivant la métastase de l’œil droit et d’autres métastases cérébrales (patient 2).
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scopie bronchique montrait une sténose de la lobaire supérieure droite, les biopsies permettant de porter le diagnostic d’adénocarcinome bronchique. L’examen ophtalmologique confirmait que l’acuité visuelle était nulle, le fond d’œil et l’échographie B objectivaient un décollement bulleux réactionnel rétrocristallinien, avec envahissement choroïdien des deux tiers supérieurs, qui fusait à partir de la tête du nerf optique dans le vitré. Le diagnostic d’adénocarcinome bronchique métastatique avec métastase papillaire inaugurale était retenu. Une radiothérapie encéphalique et oculaire droite était débutée, ainsi qu’une chimiothérapie associant paclitaxel et cisplatine. Après quatre cycles, devant l’évolutivité des lésions tumorales, un traitement par erlotinib était débuté. 3. Discussion Les métastases oculaires sont rares au cours des cancers bronchiques, et constituent la principale atteinte oculaire au cours des cancers bronchiques non à petites cellules. L’atteinte la plus fréquente des métastases oculaires est choroïdienne, constituant 88 % des métastases oculaires dans une étude portant sur 520 yeux siège d’une métastase uvéale [5]. Dans cette étude, le cancer primitif était mammaire dans 47 % des cas, pulmonaire dans 21 %. Au moment du diagnostic, la tumeur primitive était connue dans 66 % des cas, 34 % n’ayant pas de tumeur déjà diagnostiquée. Le bilan d’extension ne révélait une tumeur primitive que dans la moitié des cas [5]. Dans une autre étude portant sur 84 patients ayant un cancer bronchique métastatique, une métastase choroïdienne était observée chez 7 % des patients, associée à au moins deux autres sites métastatiques [6]. Les métastases choroïdiennes surviennent le plus souvent à un stade avancé de la maladie, et sont associées à d’autres métastases dans 70 à 100 % des cas [2,5–8]. Elles se traduisent par un flou visuel ou une perte d’acuité visuelle, mais sont souvent asymptomatiques [1,2]. L’atteinte est le plus souvent unique, mais elle peut être multiple et bilatérale [1,2,5,6]. Le diagnostic est souvent aisé, le fond d’œil objectivant des lésions saillantes, jaunâtres, homogènes, parfois responsables d’un décollement séreux rétinien. Elles siègent le plus souvent à la partie postérieure à l’équateur, richement vascularisée, la dissémination étant hématogène, en particulier par les artères ciliaires postérieures. En cas de difficulté diagnostique, l’échographie oculaire permet de conforter le diagnostic en montrant une lésion tumorale de dôme, avec une surface parfois ondulée ou ombiliquée, de même que l’angiographie qui objective un effet de masque avec une hypofluorescence diffuse aux temps précoces et une hyperfluorescence progressive aux temps tardifs [2]. Les métastases de la tête du nerf optique ou papillaire sont plus rares. Ainsi dans une série portant sur 660 patients ayant une métastase intraoculaire, 4,5 % d’entre eux avaient une telle localisation de leur métastase [9]. Le primitif est mammaire dans 43 % des cas, pulmonaire dans 27 % des cas. Elles étaient inaugurales dans 53 % des cas. L’atteinte se fait par extension à partir d’une lésion choroïdienne, par voie hématogène ou par dissémination intraoculaire de métastases orbitaires. Les manifestations cliniques sont identiques à celles des métastases cho-
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roïdiennes. L’aspect au fond d’œil est celui d’une lésion papillaire, jaunâtre ou blanchâtre, unique, diffuse ou d’un œdème papillaire isolé. Des hémorragies en flammèche peuvent être présentes en périphérie de la lésion dans 42 % des cas. Une localisation adjacente choroïdienne est fréquente dans 74 % des cas, expliquant l’extension à la papille à partir de la lésion choroïdienne. L’échographie oculaire montre une surélévation non spécifique de la papille. L’angiographie à la fluorescéine objective une lésion hypofluorescente aux temps précoces, persistant aux temps tardifs. Elle peut être également hyperfluorescente initialement ou secondairement, du fait de la riche vascularisation de la métastase ou en cas d’œdème papillaire, les capillaires précapillaires étant dilatés. Le traitement des métastases choroïdiennes et papillaires repose sur la radiothérapie et/ou la chimiothérapie [5–10]. La radiothérapie délivre 30 à 40 Gy en séances de 2 Gy. Les taux de réponses globales atteignent 80 % des cas [2,10]. Le taux de réponse globale avoisine dans la plupart des études 80 % des cas, avec conservation du globe oculaire dans presque 100 % des cas. La fonction visuelle est améliorée dans un tiers des cas, faiblement améliorée ou stabilisée dans un tiers des cas [2,10]. Les complications sont rares, observées dans 5 % des cas, les doses d’irradiation étant faibles, le fractionnement adéquat, et la durée de survie des patients brève. Il s’agit de cataracte, d’une neuropathie radio-induite, d’une rétinopathie radique et de glaucome néovasculaire [2]. Le pronostic fonctionnel est d’autant plus favorable que l’acuité visuelle est initialement excellente, l’âge inférieur à 55 ans, et que la tumeur choroïdienne mesure moins de 15 mm de diamètre. De plus, en cas d’atteinte unilatérale, la choroïde controlatérale reçoit une dose totale de 20–28 Gy, diminuant le risque de métastase controlatérale. La protonthérapie paraît intéressante. Dans une étude récente rétrospective portant sur 63 patients (76 yeux) avec une métastase choroïdienne, une régression complète des lésions était observée dans 94 % des cas à cinq mois sans rechute, un contrôle du décollement de rétine dans 82 % à 3,8 mois, et une amélioration ou une stabilisation de l’acuité visuelle dans 47 % des cas [11]. L’amélioration de l’acuité visuelle sous chimiothérapie seule a été rapportée ponctuellement [8]. L’évolution locale et le pronostic fonctionnel peuvent être favorables si le diagnostic est précoce. En revanche, le diagnostic précoce des métastases oculaires chez les patients suivis pour un cancer bronchique pourrait être utile, en particulier si des progrès thérapeutiques étaient observés dans cette pathologie, son intérêt ayant été démontré au cours du cancer du sein en termes de pronostic visuel [12]. 4. Conclusion Les métastases oculaires peuvent être inaugurales d’un cancer bronchique non à petites cellules, mais le pronostic global est le plus souvent péjoratif, puisqu’il existe le plus souvent d’autres métastases viscérales. Cependant, un diagnostic précoce pourrait s’accompagner d’une amélioration du pronostic visuel.
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