© Masson, Paris, 2005
REV. PNEUMOL. CLIN., 2005, 61, 6-347-351
ACTUALITÉS
Mise au point sur la forme humaine de la grippe aviaire* C. MAYAUD Service de Pneumologie et Réanimation Respiratoire, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris.
INTRODUCTION
Réplication du virus
Le numéro du 28 septembre 2005 du New England Journal of Medecine contenait une mise au point de l’OMS sur la forme humaine de la grippe aviaire, proposant des recommandations de prise en charge des cas suspects ou prouvés. Dans la mesure où, du fait de la symptomatologie essentiellement respiratoire, les pneumologues devraient en cas de pandémie se retrouver en première ligne, tant pour le diagnostic que pour le traitement symptomatique, la Revue de Pneumologie Clinique a estimé prioritaire de mettre à la disposition de ses lecteurs une version résumée de cette mise au point.
— Prolongée chez l’homme sur une médiane de 6,5 jours. — Prolongée chez l’homme jusqu’à 16 jours ? — Constatée au niveau pharyngé. — Présente au niveau des voies aériennes inférieures. — Présente au niveau des selles ? (diarrhée et PCR (+) dans les fèces).
VIRUS DE LA GRIPPE AVIAIRE = PATHOGÉNIE Virus = Influenza A (H5N1) Facteurs de virulence — Multiples. — Capables d’augmenter la réplication du virus. — Capables de prolonger sa durée de réplication. — Capables d’augmenter la production induite de cytokines. Evolution depuis 1997 — Changements d’antigénicité. — Pathogénicité étendue à de nouvelles espèces (félins). — Pathogénicité augmentée dans les modèles animaux. — Stabilité renforcée dans l’environnement.
* Document disponible sur le site SPLF depuis le 3.10.2005. Tirés à part : C. Mayaud, à l’adresse ci-dessus. E-mail :
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Réponse immune de l’hôte — Barrière d’espèces encore substantielle (petit nombre de cas humains rapporté à l’importance de l’épidémie chez les volatiles). — Réponse inflammatoire qui pourrait être responsable des manifestations les plus graves (SDRA, sepsis, défaillances multiviscérales). — Réponse immune spécifique détectable à 10-14 jours. — Rôle des stéroïdes sur ces réponses ? Lésions engendrées chez l’hôte : données autopsiques — Infection des pneumocytes II par le virus. — Dommage alvéolaire diffus (tel qu’observé dans la grippe grave) avec exsudat fibrineux, alvéolite hémorragique, membranes hyalines, infiltration interstitielle lymphocytaire, prolifération fibroblastique). — Hémophagocytose. — Déplétion lymphoïde dans la rate et les organes lymphoïdes. Sensibilité aux antiviraux (in vitro et dans les modèles animaux) — Sensibilité à oseltamivir et zanamivir. — Résistance à amantadine et rimantadine. — Evolution entre 1997 et 2004 : • dans les modèles animaux, nécessité de doses plus élevées, sur une durée plus longue d’oseltamivir pour une même efficacité antivirale et sur la survie ;
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• émergence de variants résistants in vitro à l’oseltamivir chez les patients traités (sensibilité conservée au zanamivir et sensibilité partielle au peramivir). FORME HUMAINE DE L’INFECTION PAR INFLUENZA A (H5N1) : DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET CLINIQUES Incidence ? — Encore peu de cas, confirmés virologiquement, reportés à l’OMS (112 cas entre le 26 décembre 2003 et le 5 août 2005) mais… — Augmentation récente du nombre de cas rapportés (68 cas entre le 16 décembre 2004 et le 5 août 2005). — Incidence réelle mal connue (formes peu symptomatiques ? cas méconnus ?). — Inquiétude liée à la récente extension de la principale source de contamination (extension de l’épizootie aviaire au Kazakstan, à la Mongolie, à la Russie). Transmission ? — Certaine de l’oiseau à l’humain. — Possible de l’environnement à l’humain. — Non prouvée et, en tout cas, limitée de l’humain à l’humain (faible risque de transmission nosocomiale aux travailleurs de santé). Mode de transmission ? — Par inhalation de gouttelettes infectées. — Par contact direct. — Par contact indirect ? (auto-inoculation des muqueuses nasopharyngées ou conjonctivales). Population à risque ? — Ages médians des cas rapportés : 9 à 22 ans. — Ages extrêmes des cas rapportés : 1 à 60 ans. — Enfants et adultes jeunes sains peuvent être atteints (+++). Incubation ? — Incubations médianes des cas rapportés : 2 à 5 jours. — Limites supérieures d’incubation des cas rapportés : 8 à 17 jours. Symptômes initiaux ? — Fièvre quasi constante (+++), souvent élevée (94-100 % des cas). — Avec ou sans céphalées, avec ou sans myalgies (30-50 % des cas).
— Symptômes d’atteinte des voies aériennes inférieures très fréquents, notamment la toux (67-100 % des cas). — Symptômes d’atteinte des voies aériennes supérieures non constants (50-60 % des cas). — Absence habituelle de conjonctivite. — Symptômes digestifs (douleurs abdominales, vomissements, diarrhée aqueuse) assez fréquents (30-50 % des cas), pouvant être prédominants et précéder les symptômes respiratoires. Tableau constitué ? — Hospitalisation dans des délais médians de 3 à 8 jours. — Développement quasi constant d’un tableau clinique et radiologique de pneumonie dans les cas rapportés (+++). — Dyspnée/tachypnée. — Expectoration parfois hémoptoïque. — Râles crépitants diffus ou localisés. Radiologie ? — Apparition d’opacités observée dans un délai médian de 7 jours (extr. : 3-17 jours). — Opacité(s) alvéolaire(s) et/ou interstitielle(s). — Opacité(s) localisée(s) ou diffuse(s). — Opacité(s) unique ou multiples. — Absence habituelle d’atteinte pleurale. — Condensation avec bronchogramme aérien possible (+++). Biologie ? — Leucopénie et, surtout, lymphopénie (> 50 % des cas). — Thrombopénie modérée (> 50 % des cas). — Élévation modérée des transaminases (> 50 % des cas). Evolution ? — Progression fréquente, dans un délai moyen de 6 jours (extr. : 4-13 jours) vers une insuffisance respiratoire aiguë et un syndrome de détresse respiratoire aigu (les enquêtes microbiologiques sont en faveur d’une atteinte virale extensive, sans surinfection bactérienne). — Association possible avec une défaillance multiviscérale, rénale, voire hémodynamique. — Possibilité d’hémorragie intra-alvéolaire, de pneumothorax, de sepsis (sans documentation bactériologique), de pancytopénie, de syndrome de Reye, de pneumonie nosocomiale.
LA FORME HUMAINE DE LA GRIPPE AVIAIRE
Mortalité ? — Très élevée (51 % des cas) ; peut être surévaluée (calculée sur les seuls cas hospitalisés et diagnostiqués). — Survenant dans des délais médians de 9 à 10 jours (extr. : 6-30 jours). — Causée par l’insuffisance respiratoire aiguë. — Plus élevée chez l’enfant ? Diagnostic virologique ? — Sur prélèvement pharyngé plus que nasal (détection plus fréquente, charge virale plus élevée). — Isolement par culture. — Détection par RT-PCR rapportée dans un délai médian de 5,5 jours (extr. : 2-15 jours). — Détection par immunofluorescence plus aléatoire. Traitement — Volet symptomatique : oxygénothérapie, ventilation assistée (+++), autres suppléances vitales. — Volet étiologique : antiviraux d’efficacité liée à la précocité d’institution et non constante (négativation des cultures après 2 ou 3 jours d’oseltamivir). — Volet étiopathogénique ? : corticoïdes et antibiothérapie à large spectre, d’efficacité et d’innocuité discutées. FORME HUMAINE DE L’INFECTION PAR INFLUENZA A (H5N1) : DIAGNOSTIC ET PRISE EN CHARGE Quand évoquer la forme humaine de la grippe aviaire ? — Suspicion aisée chez les patients : • présentant une atteinte respiratoire sévère,
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• exposés à des volatiles, • dans un pays où sévit la grippe aviaire. – Suspicion moins évidente chez les patients : • vus à un stade précoce (symptômes initiaux non spécifiques), • chez lesquels la diarrhée et/ou des troubles de conscience sont les symptômes dominants, • dans un pays où la grippe aviaire est rare ou inconnue. — Recommandations OMS (tableau I). Comment prouver la forme humaine de la grippe aviaire ? — Par recherches spécifiques. — Au niveau pharyngé plus que nasal, par : • détection d’antigène (test d’immunofluorescence de faible VPN et manquant de spécificité), • détection d’ARN (PCR de sensibilité liée à la technique utilisée), • détection du virus (culture). — Au niveau sanguin, par : • détection d’anticorps (séroconversion avec taux x 4 à 2 prélèvements successifs). Comment prendre en charge le patient suspect de forme humaine de la grippe aviaire ? — Dans un pays où le nombre de cas est faible : • l’hospitalisation s’impose pour surveillance clinique, diagnostic virologique, traitement symptomatique et antiviral, • le patient doit être isolé, • les personnels de santé doivent adopter les précautions recommandées (tableau II), • le traitement symptomatique repose sur l’oxygénothérapie et, si nécessaire, l’assistance ventilatoire, en
Tableau I. — Expositions à risque pour la grippe aviaire. 1/ Dans les pays ou territoires où le virus de la grippe aviaire a été identifié comme cause de maladie chez l’homme ou l’animal depuis le 1er octobre 2003 Existence dans les 7 à 14 jours avant le début des symptômes : — d’un contact (< 1 mètre) avec des volatiles (volaille morte ou vivante, oiseaux sauvages, canards domestiques), — et/ou d’une exposition dans un lieu dans lequel des volailles étaient confinées ou avaient été confinées dans les 6 semaines précédentes, — et/ou d’un contact familier (< 1 mètre) et non protégé avec une personne souffrant d’atteinte respiratoire aiguë non identifiée ayant évolué vers une pneumonie sévère ou la mort, — et/ou d’une exposition professionnelle (volailles vivantes ou récemment tuées ; marché ou trafic d’oiseaux ; travailleur de santé ou de laboratoire). 2/ Dans les pays ou territoires où le virus de la grippe aviaire n’a pas encore été identifié comme cause de maladie chez l’homme ou l’animal Existence dans les 7 à 14 jours avant le début des symptômes : — d’un contact étroit avec un voyageur malade en provenance d’un pays ou territoire où la grippe aviaire sévit, — d’un voyage dans un pays ou territoire où la grippe aviaire sévit, — d’une des expositions à risque mentionnées au 1/, ajoutée à des rumeurs de décès de volailles domestiques.
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Tableau II. — Stratégies de prévention en dehors d’un contexte de pandémie. 1/ Précautions d’isolement à adopter pour limiter les expositions à risque au cours des soins — Précautions d’isolement (respiratoire et de contact) du patient suspect ou atteint. — Isolement du patient dans une chambre, idéalement en pression négative, à défaut en veillant à la fermeture de la porte. — Port de masque à haute protection (NIOSH — certifié N-95 ou équivalent), de blouse ou casaque, de protection oculaire et de gants, recommandé pour les soignants s’occupant du patient. — Limitation du nombre de soignants ayant un contact direct avec le ou les patients ; si possible, éviter qu’un soignant s’occupant de patients atteints ou suspects s’occupe d’autres patients. — Limitation maximale des visites, en veillant à ce que les visiteurs bénéficient des mêmes mesures de protection que les soignants. — En cas d’afflux de suspects et d’impossibilité d’attribuer à chacun une chambre seule, hospitalisation dans un ou plusieurs locaux dédiés, en veillant à espacer les lits de plus d’un mètre et à les séparer par une barrière physique. 2/ Précautions à adopter après une exposition à risque au cours des soins — Les personnels de santé en charge des patients infectés doivent surveiller leur température deux fois par jour et signaler tout décalage thermique. En cas de température > 38°C, un test de diagnostic virologique doit être entrepris. S’il n’y a pas d’autre cause évidente à la fièvre, un traitement par oseltamivir à doses curatives (75 mg x 2/j) doit être immédiatement débuté. — Pour éviter les situations confuses, les soignants non dans leur état physique normal quelle qu’en soit la raison, ne doivent pas être placés au contact des patients infectés. — Les personnels de santé possiblement exposés à des aérosols, des sécrétions, des excrétats, d’autres fluides corporels infectés du fait d’un manque dans les mesures d’asepsie doivent être pris en considération pour une chimioprophylaxie post-exposition par oseltamivir (75 mg/j pendant 7 à 10 jours). — Les personnels de santé impliqués dans des procédures de soins à haut risque (telle la génération d’aérosols) doivent être pris en considération pour une chimioprophylaxie pré-exposition. 3/ Précautions à adopter dans l’entourage proche d’un patient suspect ou atteint — Prophylaxie post-exposition par oseltamivir (75 mg/j sur 7 à 10 jours ) recommandée. — Surveillance de la température deux fois par jour et signalement de toute fièvre > 38°C, et/ou de tout symptôme survenant dans les 7 jours après le dernier contact. — En cas de fièvre > 38°C, de toux, de dyspnée, de diarrhée ou d’autre signe général, test de diagnostic virologique et mise en route empirique du traitement antiviral à dose curative. 4/ Précautions à conseiller aux voyageurs se rendant dans un pays ou un territoire ou la grippe aviaire a été identifiée — Immunisation par le vaccin anti-grippal humain trivalent disponible, au moins 2 semaines avant le voyage. — Évitement de toute conduite à risque (contact direct avec volailles ou oiseaux ; contact indirect en touchant des surfaces contaminées par les déjections de volailles ; ingestion de volailles ou d’œufs insuffisamment cuits). — Lavage fréquent des mains et/ou usage d’antiseptiques. — Consultation systématique en cas d’apparition de fièvre ou de symptômes respiratoires dans les 10 jours du retour.
veillant particulièrement aux précautions en cas d’aérosols, • le traitement antiviral a d’autant plus de chance d’être efficace pour le patient qu’il est institué précocement ; il a également l’intérêt de limiter dans le temps le risque de transmission à l’entourage : il s’agit d’un inhibiteur de neuraminidase avec, actuellement, des incertitudes sur la dose et la durée optimales. — L’oseltamivir oral et le zanamivir inhalé se sont révélés actifs in vitro et dans les modèles animaux. Seul l’oseltamivir a été utilisé chez l’homme. — Les études les plus récentes sur modèles animaux suggèrent qu’en 2005 la dose et la durée doivent être augmentées par rapport aux doses antérieurement utilisées. — Dans les formes mineures, vues précocement, l’oseltamivir est toujours préconisé à la dose de 75 mg x 2/jour sur 5 jours chez l’adulte (pour l’enfant, voir l’article original du N Engl J Med).
— Dans les formes sévères, la dose d’oseltamivir devrait être augmentée à 150 mg x 2/jour sur une durée de 7 à 10 jours. — Si la résistance à l’oseltamivir se développait, il faudrait se tourner vers le zanamivir, le peramivir, voire la ribavirine ou l’interféron. — Le traitement étiopathogénique par corticoïdes, reposant sur des données anecdotiques et contradictoires, n’est pas recommandé. Comment prévenir la transmission de la forme humaine de la grippe aviaire à l’entourage ? — À ce jour, il n’y a pas de vaccin disponible. — Les recommandations actuelles sont basées sur l’expérience du SRAS et concernent une situation non pandémique (+++). — La prévention de la transmission intrahospitalière aux personnels de santé (tableau II) comprend :
LA FORME HUMAINE DE LA GRIPPE AVIAIRE
• le port de masques de haute protection, • une chimioprophylaxie par oseltamivir (75 mg/jour pendant 7 à 10 jours), soit avant une exposition à haut risque (soins générant des aérosols, souche hautement contagieuse), soit après une exposition à risque sans respect des précautions recommandées. — La prévention de la transmission dans la communauté (tableau II) comprend : • une chimioprophylaxie pour les personnes ayant vécu avec un patient atteint de grippe aviaire confirmée, • la surveillance de la température et d’éventuels symptômes chez les personnes ayant eu des contacts avec un patient suspect ou atteint de grippe aviaire, • une « auto-quarantaine » d’une semaine après tout dernier contact possiblement infectant.
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4 — Le diagnostic est difficile du fait de la non-spécificité des symptômes initiaux. Le contexte de survenue (contact ou voyage à risque) est un élément d’orientation essentiel. Les tests diagnostiques d’immunofluorescence sont peu sensibles. La confirmation virologique nécessite un laboratoire « sophistiqué ». 5 — Il est possible que les prélèvements de gorge soient plus rentables que les prélèvements nasaux. 6 — De récents isolats humains se sont révélés résistants aux inhibiteurs de neuraminidase. Il est possible que, dans l’avenir, l’on doive utiliser des doses plus élevées d’oseltamivir en cas de forme sévère. 7 — Nos connaissances concernant la forme humaine de la grippe aviaire sont encore très incomplètes. Ici plus qu’ailleurs une actualisation très rapide des connaissances est nécessaire.
CONCLUSION
QUELQUES RÉFÉRENCES SUR LE SUJET
1 — Les volatiles infectés sont la première source d’infections humaines au virus Influenza A (H5N1). 2 — A ce jour, la transmission d’humain à humain n’est pas démontrée et, en tous cas, très limitée, mais doit être suivie très attentivement car susceptible d’évoluer. 3 — La grippe aviaire / Influenza A (H5N1) s’individualise par rapport à la grippe usuelle (influenza humains) par ses modes de transmission, sa pathogénie, sa gravité clinique et, peut-être, sa réponse au traitement.
— WHO. Avian Influenza A (H5N1) infection in humans. N Engl J Med 2005;353:1374-85. — Le QM, Kiso M, Someya K, Sakai YT, Nguyen TH, Nguyen KH, et al. Avian flu: isolation of drug-resistant H5N1 virus. Nature 2005;437(7062):1108. —Pediatric Advisory Committeee. Tamiflu pediatric safety update. November 18, 2005. — INPES. Conduites à tenir en cas de risque de pandémie grippale à H5N1. Octobre 2005. — LRP. Les antiviraux dans la grippe. Revue Prescrire 2005;25: 678-91.