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Lettres à la rédaction Mononeuropathie multiple révélant un lymphome T
Peripheral neuropathy revealing a T lymphoma Mots clés : Neuropathie périphérique ; Lymphome T Keywords: Peripheral neuropathy; T lymphoma
Parmi les lymphomes non hodgkinien (LNH), le lymphome T est une entité clinicobiologique mieux connue depuis l’introduction des anticorps monoclonaux anticellules T [1]. Cette technique a permis de préciser le profil antigénique de ces lymphomes et de différencier les lymphomes des précurseurs T (lymphocytes thymiques) des lymphomes T périphériques. Ces derniers représentent 15 à 20 % des lymphomes malins [1–3]. Les manifestations neurologiques périphériques sont observées dans 0,1 à 8 % des cas de lymphomes [4–7]. Elles sont rares en cas de lymphome T. Nous rapportons une observation de lymphome T révélé par une mononeuropathie multiple.
1. Observation Un homme, âgé de 32 ans, est hospitalisé en novembre 2000 dans un tableau clinique évoluant depuis six mois, d’installation progressive, associant des paresthésies puis un steppage de la jambe gauche. Il a dans ses antécédents une tuberculose pulmonaire en 1985 et une dilatation des bronches opérée en 1992. En plus des symptômes neurologiques, il rapporte un amaigrissement chiffré à 6 kg en six mois. L’examen clinique objective des troubles sensitivomoteurs dans le territoire du nerf sciatique poplité externe gauche avec une hypoesthésie et une amyotrophie de la face latérale de la jambe gauche. Le patient rapporte également une diminution de la sensibilité au niveau de l’hémimenton gauche. Il existe une splénomégalie à deux travers de doigts et des adénopathies inguinales. L’électromyogramme confirme l’atteinte sensitivomotrice du nerf sciatique poplité externe gauche et montre également une atteinte du territoire du nerf médian gauche en faveur d’une mononeuropathie multiple. Les examens biologiques objectivent une bicytopénie avec une anémie à 8 g/dl d’hémoglobine, arégénérative et une thrombopénie à 70 000 éléments/mm3. La vitesse de sédimentation est à 70 mm à la première heure et il existe une hypergammaglobulinémie polyclonale à 24 g/l. Il n’y a pas de gammapathie monoclonale à l’immunofixation. Le test de Coombs direct est néga-
tif. Le médullogramme retrouve une lymphocytose importante évoquant un syndrome lymphoprolifératif. La biopsie ostéomédullaire avec un immunomarquage confirme la présence d’un lymphome malin T pléiomorphe à petites et grandes cellules. L’anticorps anti-CD30 est négatif et les anticorps anti-PNA et anti-CD20 sont positifs. Le bilan d’extension objective des adénopathies médiastinales au scanner thoracique ainsi qu’une hépatosplénomégalie homogène à l’échographie abdominale. Les IRM médullaire et cérébrale sont normales. Le dosage des LDH est normal. Les sérologies HIV et HTLV sont négatives. Une biopsie neuromusculaire réalisée sur le territoire du nerf sciatique poplité externe gauche était normale en microscopie optique ; un immunomarquage n’est pas réalisé. Le diagnostic de LMH pléomorphe de type T à localisation médullaire, révélé par une mononeuropathie multiple est retenu. Le patient reçoit deux lignes de polychimiothérapie type CHOP puis DHAP sans réponse hématologique ni amélioration neurologique. Il est perdu de vu en février 2003.
2. Discussion Notre observation est exceptionnelle par le caractère révélateur d’une mononeuropathie multiple périphérique d’un lymphome T pléiomorphe. Ce type de lymphome fait partie des lymphomes T périphériques dits « non spécifiques » qui représentent un groupe hétérogène sur le plan clinique, histologique et morphologique selon la classification de Real [1,2]. Il peut s’agir de formes leucémiques, de formes à présentation ganglionnaire prédominante ou de formes extraganglionnaires à localisation préférentielle digestive ou ORL (fosses nasales). Les neuropathies paranéoplasiques sont rares et affectent 1 à 8 % des patients souffrant de lymphome [8]. Ce chiffre, fondé sur des données cliniques, atteint 35 à 45 % des cas si l’on considère les données infracliniques électromyographiques [8,9]. Cette neuropathie est fréquemment observée chez les patients connus porteurs d’un lymphome, le plus souvent de type B, alors qu’elle représente une manifestation initiale ou révélatrice exceptionnelle en cas de lymphome non connu. L’atteinte nerveuse périphérique est plus rare que l’atteinte nerveuse centrale au cours des lymphomes T. Au plan clinique, au cours des lymphomes, l’atteinte du système nerveux périphérique s’exprime principalement sous forme de neuropathies axonales, sensitivomotrices, souvent asymétriques et douloureuses. Les autres tableaux sont représentés par les neuropathies motrices subaiguës, les polyradi-
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culonévrites aiguës ou chroniques décrites essentiellement au cours de la maladie de Hodgkin [4,6,7]. Le mécanisme de l’atteinte neurologique au cours des lymphomes est le plus souvent spécifique en rapport avec une infiltration lymphomateuse, plus rarement paranéoplasique relevant soit d’une vascularite, soit plus rarement d’un mécanisme immunologique. Sur une série de 291 cas de lymphomes T, Kaufman et al. signalent 7,9 % de manifestations neurologiques dont seul 1,4 % d’origine paranéoplasique [5]. Le développement des études immunohistochimiques a permis la description des premiers cas d’infiltration neurologique périphérique par un lymphome T périphérique par Gherardi et al. [10,11]. Depuis, près d’une dizaine de cas sont décrits, dont trois cas de lymphomes T révélés par un syndrome du canal carpien [12,13] ainsi que deux cas de polyradiculonévrite [14,15] et quelques cas de polynévrite ou de paralysie des nerfs crâniens [16–18]. Quelques cas de neuropathies sont rapportés au cours d’une transformation de lymphome T cutané peu évolutif en lymphome agressif de haut grade [18–21]. Dans ces différents cas, la neuropathie est rarement révélatrice. La réalisation d’un immunomarquage sur la biopsie nerveuse est d’une grande utilité diagnostique, l’atteinte neurologique pouvant être isolée et permettant le diagnostic du lymphome. La biopsie nerveuse peut également mettre en évidence une vascularite. La fréquence des néoplasies au cours des vascularites varie de 3 à 8 % ; elle est estimée à 1 % en cas de désordre lymphoprolifératif. Il s’agit essentiellement de vascularites leucocytoclasiques ou de vascularites lymphocytaires associées ou non à une cryoglobulinémie. Cette vascularite est concomitante du diagnostic de lymphome dans 70 % des cas, elle peut rarement le révéler ou le précéder [22,23]. D’autres mécanismes de neuropathies périphériques sont rapportés au cours des lymphomes et sont repris dans le Tableau 1. Dans les cas précédemment rapportés, la majorité des neuropathies en rapport avec une infiltration lymphomateuse neurologique évoluent rapidement. Il s’agit souvent de cas résistant à la chimiothérapie aboutissant rapidement à un échec thérapeutique. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une vascularite paranéoplasique, il n’y a habituellement pas de parallélisme entre l’évolution du lymphome et celle de la vascularite ; celle-ci répondant le plus souvent aux corticoïdes et/ou à la chimiothérapie [7,22]. Dans notre observation, le mécanisme de l’atteinte neurologique n’est pas précisé, mais l’immunomarquage n’a pas été réalisé sur la biopsie nerveuse. L’absence de réponse à la chimiothérapie plaide pour une origine infiltrative lymphomateuse. Le pronostic des lymphomes T est très variable et la présence d’un pourcentage de cellules en cycle supérieur à 60 % serait associée à un mauvais pronostic ; les rechutes sont plus fréquentes que dans les lymphomes B de même grade histologique [1,2,24]. Cette observation permet d’insister sur l’intérêt de l’étude immunohistologique d’une biopsie neuromusculaire devant une neuropathie périphérique d’étiologie non précisée.
Tableau 1 Mécanismes des neuropathies périphériques au cours des lymphomes Mécanisme dysimmunitaire Avec autoanticorps Neuromyotonie (Anticorps anticanaux potassiques) Neuropathie sensitivomotrice Avec cryoglobulinémie Mononeuropathie multiple Polyneuropathie axonale chronique sensitive Avec dysglobulinémie (gammapathie monoclonale IgM) Neuropathie sensitive démyélinisante Polyradiculonévrite chronique Neuropathie axonale sensitivomotrice Vasculite nerveuse Mononeuropathie Neuropathie symétrique Microvascularite avec Ac anti-Hu Neuropathie dysautonomique Neuropathie motrice pure Polyneuropathie démyélinisante inflammatoire Polyradiculonévrite aiguë ou chronique Infiltration neurologique lymphomateuse Mononeuropathie Polyneuropathie sensitive, motrice ou sensitivomotrice Neuronopathie motrice subaiguë
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R. El Ghali H. Harmouche M. Maamar Z. Tazi Mezalek * M. Adnaoui M. Aouni A. Maaouni Service de médecine interne, hôpital Ibn-Sina, Rabat, Maroc Adresse e-mail :
[email protected] (Z. Tazi Mezalek). Reçu le 27 octobre 2004 ; reçu en forme révisée le 15 janvier 2005 ; accepté le 23 mai 2005 Disponible sur internet le 27 juin 2005 * Auteur correspondant. 0248-8663/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2005.05.011
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Une cause d’hépatite cytolytique à ne pas méconnaître : la maladie cœliaque Mots clés : Maladie cœliaque ; Atteinte hépatique ; Hypertransaminasémie ; Hépatite cytolytique ; Évolution ; Régime sans gluten ; Cirrhose biliaire primitive ; Hépatite auto-immune Keywords: Celiac disease; Liver involvement; Hypertransaminasemia; Cytolytic hepatitis; Outcome; Gluten free diet; Primary biliary cirrhosis; Autoimmune hepatitis
La maladie cœliaque est une affection auto-immune qui n’est pas rare, sa prévalence étant estimée entre 0,33 et 1 % [1–3]. Elle est déterminée histologiquement par des lésions caractéristiques à type d’atrophie villositaire totale ou subtotale prédominant au niveau de l’intestin grêle proximal [1–3]. Les mécanismes physiopathologiques qui concourent à sa survenue sont plurifactoriels, associant essentiellement une susceptibilité génétique et des facteurs environnementaux exogènes (ingestion de gluten) [1–3] ; de fait, les travaux récents de Shan et al. [4] ont souligné le rôle toxique des gluténines et des prolamines engendré par leurs capacités à induire une réponse immune intestinale chez les sujets ayant des facteurs génétiques prédisposants (haplotypes HLA DQ2 et DQ8), la transglutaminase tissulaire étant la cible des autoanticorps. Si la forme classique, associant la triade typique : diarrhée, douleurs abdominales et syndrome de malabsorption, était, jusqu’alors, le mode de révélation le plus fréquent de la maladie cœliaque, celle-ci ne représente, désormais, que 10 à 20 % des cas diagnostiqués [1,3,5]. À l’heure actuelle, la majorité des patients sont, en effet, peu symptomatiques ou encore présentent des signes cliniques atypiques, expliquant, en partie, le retard au diagnostic [3,5,6] ; il peut s’agir, d’une part, de manifestations digestives, et tout particulièrement de signes cliniques mimant des troubles fonctionnels intestinaux [6–8], et d’autre part, d’atteintes extradigestives polymorphes : cutanéomuqueuses (dermatite herpétiforme, aphtes buccaux récidivants, alopécie, urticaire auto-immune), ostéoarticulaires (ostéopénie inexpliquée, polyarthralgies), neurologiques (migraine, ataxie, épilepsie avec calcifications intracérébrales) ou gynécologiques (épisodes itératifs d’avortements et de fausses couches, hypotrophie fœtale, stérilité, aménorrhée) [1,3]. Nous rapportons l’observation originale d’un patient atteint de maladie cœliaque, révélée par une hépatite cytolytique et dont l’évolution a été favorable après instauration d’un régime sans gluten. Un homme, âgé de 29 ans, sans antécédent médicochirurgical, est hospitalisé pour une asthénie évoluant depuis neuf mois, et s’aggravant progressivement. De fait, ce patient, véliplanchiste, a dû interrompre ses activités sportives depuis un mois ; il ne suit aucun traitement médical particulier. À l’admission, l’examen clinique est normal, et notamment le patient est apyrétique (36°8C) et en bon état général (poids à 68 kg, taille : 1,78 m). À la biologie, la vitesse de sédimentation (10 mm/heure), la C-réactive protéine (< 5 mg/L), la numération formule sanguine et l’ionogramme sanguin