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Table ronde : la gémellité
Mortalité et morbidité chez les jumeaux Mortality and morbidity among twins T. Debillon Service de médecine néonatale, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France Disponible sur internet le 08 mai 2004
Le risque accru de prématurité, l’existence de pathologies spécifiques telle le syndrome transfuseur–transfusé, les complications liées à l’accouchement font de la grossesse gémellaire une situation à haut risque périnatal. Ce constat amène plusieurs interrogations concernant le pronostic des jumeaux : comment celui-ci a t-il évolué ces dernières années alors que la prise en charge de la prématurité s’est considérablement modifiée ? Quels sont les facteurs les plus déterminants pour interpréter les chiffres de mortalité et de morbidité ? Quelles sont les pathologies spécifiques conditionnant le pronostic ? Par une revue de la littérature récente sur ce sujet, nous souhaitons apporter des éléments de réponse à ces questions.
1. Le pronostic global des jumeaux La question du pronostic global des jumeaux est d’autant plus cruciale que le taux de grossesses gémellaires et, plus globalement celui des grossesses multiples, tend à augmenter durant les dernières décennies [1]. Les facteurs incriminés sont l’augmentation de l’âge maternel lors de la procréation et l’utilisation plus fréquente de techniques de procréation médicalement assistée. Parallèlement, le pronostic des jumeaux semble s’améliorer : en 2001, Joseph et al. publient des données épidémiologiques issues d’un registre canadien, en comparant deux périodes 1985–1987 et 1994–1997 [2] : le taux de mort fœtale in utero a significativement diminué de 22,4/1000 naissances totales à 18,8 entre ces deux périodes et la mortalité néonatale globale (sans distinction entre les nouveau-nés à terme et pré-terme), a également diminué d’un taux de 39/1000 naissances vivantes à 29,6. Ces résultats sont observés alors que le taux de prématurité chez les jumeaux a significativement augmenté. Ce même type de Adresse e-mail :
[email protected] (T. Debillon). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2004.03.086
résultat a été retrouvé par Kogan et al. : ces auteurs ont comparé les chiffres enregistrés aux États-Unis entre deux périodes, 1981 et 1997, et retrouvent une réduction de la mortalité néonatale chez les jumeaux de 44 % (54/1000 vs 30/1000 naissances), alors que les naissances prématurées avaient augmentées de 34,5 % [3]. L’augmentation de la prématurité chez les jumeaux incite à comparer le pronostic de ces jumeaux avec les enfants de même terme mais singletons. Plusieurs études se sont consacrées à ce sujet et à partir d’un travail rétrospectif, Rozé et al. ont analysé la mortalité néonatale pour plusieurs souspopulations définies selon l’âge gestationnel [4]. Aucune différence n’a été mise en évidence entre les jumeaux et la population contrôle singleton, y compris dans le groupe de faible âge gestationnel (24 à 28 SA). Pour ces grands prématurés, l’étude EPIPAGE montre en revanche, des résultats différents : en cas de naissance entre 24 et 30 SA, une surmortalité hospitalière (décès en salle de naissance ou au cours de l’hospitalisation) pour les naissances multiples est observée (35,6 vs 29,6 % en cas de naissance unique) [5]. Même si les prématurés issus d’une grossesse gémellaire n’ont pas un pronostic radicalement différent de ceux issus d’une grossesse unique, le problème de la prématurité reste un facteur déterminant pour le pronostic des jumeaux. En effet, le risque de naissance avant terme reste élevé en cas de gémellité, dix fois plus que lors d’une grossesse unique [4]. Ainsi la fréquence des naissances de grande prématurité (avant 32 SA) peut atteindre 8 % et la prématurité tout âge gestationnel confondu peut atteindre des valeurs de 50 % [3]. Les pathologies liées à la prématurité sont ainsi fortement représentées et ce facteur explique en partie l’élévation de la morbidité et mortalité des jumeaux. Enfin, si l’étude de la mortalité n’est plus limitée à la mortalité postnatale mais est étudiée plus largement en terme de mortalité périnatale, celle-ci est augmentée en cas de grossesse multiple, et ceci est en partie lié au risque accru de mort fœtale in utero [6].
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2. La syndrome transfuseur–transfusé Cette pathologie, spécifique des grossesses monochoriales, survient dans 5 à 10 % des grossesses monochoriales diamniotiques. La mortalité spontanée de ce syndrome est sévère puisqu’elle concerne jusqu’à 90 % des enfants [7]. L’ablation des anastomoses par laser est une modalité de prise en charge développée ces dernières années, dont l’efficacité est maintenant démontrée. Selon les séries, la survie, grâce à cette technique, est de 60 à 80 % [8,9]. Cette pathologie est également responsable d’une morbidité neurologique accrue puisque la fréquence des lésions cérébrales de type ischémique serait plus fréquente en cas de gémellité compliquée d’un syndrome transfuseur–transfusé comparé à des grossesses gémellaires simples [10]. À plus long terme, le risque d’infirmité motrice cérébrale serait également accru en cas de grossesse monochoriale, atteignant un taux de 10 % dans l’étude de Minakami et al. [11]. Les modalités récentes de prise en charge par laser et/ou amniodrainage constituent là aussi un espoir de réduction de la morbidité neurologique avec des résultats préliminaires encourageants [12]. Une augmentation de la morbidité neurologique est aussi décrite pour le jumeau survivant, après mort fœtale in utero. Cette complication peut concerner jusqu’à 25 % des grossesses gémellaires, notamment en cas de syndrome transfuseur– transfusé mais la mort fœtale peu aussi se rencontrer en dehors de toute pathologie préalable et/ou en cas de grossesse dichoriale. Pour le jumeau survivant, le taux de séquelles neurologiques toutes confondues est élevé, atteignant 20 % dans l’étude de Pharoah et Adi [13]. 3. Les malformations du système nerveux central lors d’une grossesse gémellaire C’est aussi un élément qui peut influencer le devenir des jumeaux. D’après l’enquête de Mastroiacovo et al., il semble exister un risque accru de malformations chez ces enfants avec un taux global de malformations de l’ordre de 2,14 % chez les jumeaux contre 1,71 chez les singletons [14]. Les holoprosencéphalies, les agénésies du corps calleux, les anomalies de la migration neuronale sont rapportées comme plus fréquentes en cas de gémellité. Une augmentation des anomalies de fermeture du tube neural est également rapportée dans cette situation. Là encore, il semble que le caractère monochorial puisse être associé à une plus forte proportion de malformations.
syndrome transfuseur–transfusé, la sur-représentation de certaines malformations cérébrales sont déterminants pour expliquer l’augmentation de mortalité et de morbidité chez les jumeaux. C’est donc par une prévention de la grande prématurité et par les nouvelles modalités de prise en charge du syndrome transfuseur–transfusé que ce pronostic pourrait être amélioré dans les années futures.
Références [1]
Joseph KS, Kramer MS, Marcoux S, Ohlsson A, Wen SW, Allen A, Platt R. Determinants of preterm birth rates in Canada from 1981 through 1983 and from 1992 trhough 1994. N Engl J Med 1998;339: 1434–9.
[2]
Joseph KS, Marcoux S, Ohlsson A, Liu S, Allen AC, Kramer MS. Changes in stillbirth and infant mortality associated with incresases in preterm birth among twins. Pediatrics 2001;108:1055–61.
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Kogan MD, Alexander GR, Kotelchuck M, Mac Dorman MF, Buekens P, Martin J, et al. Trends in twin birth outcomes and prenatal care utilization in the Unites States, 1981-1997. JAMA 2000;284:335–41.
[4]
Rozé JC. Problèmes néonatals des grossesses gémellaires. Société de Médecine Périnatale, Éd 24e journées nationales de médecine périnatale. Paris: Arnette; 1994. p. 63–72.
[5]
Ancel PY, du Mazaubrun C, Bréart G. Grossesses multiples, lieu de naissance et mortalité des grands prématurés : premiers résultats d’EPIPAGE Ile de France. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2001;30(Suppl 1):48–50.
[6]
Boog G. La mort in uteri d’un jumeau. Société de Médecine Périnatale, Ed 24e journées nationales de médecine périnatale. Paris: Arnette; 1994. p. 51–62.
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Cincotta RB, Fisk NM. Current thoughts on twin-twin transfusion syndrome. Clin Obstet Gynaecol 1997;40:290–302.
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De Lia JE, Kuhlman RS, Lopez KP. Treating preaviable twin-twin transfusion syndrome with foetoscopic laser surgery: outcomes following the learning curve. J Perinat Med 1999;27:61–7.
[10] Cincotta RB, Gray PH, Phythian G, Rogers YM, Chan FY. Long term outcome of twin-twin transfusion syndrome. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2000;83:F171–6. [11] Minakami H, Honma Y, Matsubara S, Uchida A, Shiraishi H, Sato I. Effects of placental chorionicity on outcome in twin pregnancies. A cohort study. J Reprod Med 1999;44:595–600. [12] Sutcliffe AG, Sebire NJ, Pigott AJ, Taylor B, Edwards PR, Nicolaides KH. Outcome for children born after in utero laser ablation therapy for severe twin-to-twin transfusion syndrome. Br J Obstet Gynaecol 2001;108:1246–50.
4. Conclusion
[13] Pharoah PO, Adi Y. Consequences of in utero death in a twin pregnancy. Lancet 2000;355:1597–602.
Le fort taux de prématurité en cas de gémellité, le risque accru de mort fœtale in utero, la pathologie spécifique du
[14] Mastroiacovo P, Castilla EE, Arpino C, Botting B, Cocchi G, Goujard J, et al. Congenital malformations in twins: an international study. Am J Med Genet 1999;83:117–24.