Le Praticien en anesthésie réanimation (2017) 21, 95—97
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RUBRIQUE MÉDICO-JURIDIQUE
N’abandonnez pas vos patients qui font une complication postopératoire Do not let down the patient with postoperative complication Francis Bonnet Service d’anesthésie-réanimation, hôpital Tenon, université Pierre-et-Marie-Curie—Paris VI, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Disponible sur Internet le 22 mars 2017
MOTS CLÉS Complication de l’anesthésie ; Analgésie péridurale ; Judiciarisation
KEYWORDS Anaesthetic complication; Epidural analgesia; Judiciary case
Résumé Ce cas médico-judiciaire présente les conséquences d’une brèche de la dure mère lors d’une analgésie péridurale pour accouchement et discute la notion d’aléa et les conséquences à long terme d’une complication anesthésique non suivie. eserv´ es. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´
Summary A judiciary case is reported, concerning a parturient who had a dural puncture after an epidural analgesia leading to chronic symptoms for several months. The responsibility of the anesthesiologist is opposed to the opportunity of an hazardous complication. This case highlights the value of dealing with patients who have had a complication related to anaesthesia who deserve to be followed up. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Adresse e-mail :
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2017.02.007 1279-7960/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
96 Une femme de 42 ans, quatrième geste, quatrième part, ayant menée une grossesse normale, se présente pour un accouchement à terme. En salle de travail où elle est immédiatement conduite en raison de l’avancement du travail, la proposition lui est faite d’une analgésie obstétricale. Après un temps d’hésitation lié à son désir de mener cet accouchement sans péridurale, elle se résout à accepter la proposition pressante de l’anesthésiste, sollicité par ailleurs sur d’autres tâches. Après deux ou trois tentatives infructueuses, l’espace péridural est identifié et une injection de ropivacaïne à la concentration de 1 mg/mL est effectuée. L’analgésie péridurale est efficace mais la délivrance survient très rapidement donnant naissance à un enfant bien portant. La patiente est conduite dans sa chambre et dès son premier levé, elle se plaint de céphalées violentes bilatérales qui vont en s’accentuant au cours de la journée. Les céphalées s’associent d’emblée à une sensation de raideur de nuque et à une vision trouble. La patiente signale bien entendu les symptômes aux infirmières mais ce n’est que 24 heures plus tard que se présente un anesthésiste qui fait le diagnostic de brèche de la dure mère. À ce stade, il existe également une photophobie, une hypoacousie et une phonophobie. La patiente est incapable de s’occuper de son nouveau-né car les céphalées redoublent d’intensité en position debout. L’anesthésiste propose la réalisation d’un blood patch qui est effectué avec 20 mL de sang homologue. Le blood patch est suivi d’une amélioration instantanée des symptômes mais dans la nuit, quelques heures après sa réalisation, la patiente se lève pour aller aux toilettes et présente immédiatement les mêmes symptômes que précédemment. Se plaignant aux infirmières elle n’est pas entendue avant le lendemain où sur prescription médicale une IRM cervicale est effectuée qui se révèle normale. La réalisation d’un second blood patch est proposée à la patiente qui le refuse au prétexte d’une perte de confiance dans l’équipe soignante. Un traitement par paracétamol est prescrit qui atténue quelque peu les céphalées et la patiente regagne son domicile. Elle y est en prise avec de multiples symptômes associant céphalées, douleurs occipitales et raideur de nuque, phonophobie et photophobie, vertiges et asthénie. Très rapidement, il apparaît qu’elle ne peut plus faire face aux tâches quotidiennes, devant rester alitée durant la plus grande partie de la journée. La patiente a recours à son médecin traitant qui prescrit différents antalgiques sans efficacité et elle bénéficie d’une aide familiale pour sa vie quotidienne et celle de ses enfants. Après plusieurs semaines, la situation perdure sans amélioration, au décours du congé de maternité, la reprise de l’activité professionnelle s’avère inenvisageable. La patiente est adressée à un neurologue qui entreprend un traitement par laroxyl sans succès. En raison d’un état dépressif qui s’institue, elle est amenée à consulter un psychiatre qui la suit deux fois par mois. Parallèlement et après avoir essayé des médecines alternatives (homéopathie, ostéopathie) sans succès, elle est également prise en charge en kinésithérapie. La persistance des symptômes et de leur caractère positionnel, sur plusieurs mois, affecte profondément sa vie quotidienne et sa vie affective, la patiente se décrivant comme petit à petit désocialisée et incapable d’assumer l’éducation de ses enfants. Elle doit chaque jour s’aliter en fin d’après midi épuisée par les
F. Bonnet efforts de la journée et par les céphalées quotidiennes et persistantes. Dans ce contexte, elle dépose un recours auprès de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des actes médicaux. Au cours de la réunion contradictoire où son cas est exposé, il est fait un constat de l’état de la patiente et il lui est indiqué la nécessité d’effectuer un second blood patch susceptible d’améliorer sa symptomatologie même après plusieurs mois d’évolution. Les experts concluent à un aléa thérapeutique ne pouvant apporter la preuve d’une négligence liée à la précipitation ou tout autre cause. Si la CRCI suit cet avis, elle est donc amenée à requérir l’ONIAM pour indemniser le préjudice lié à l’acte anesthésique, préjudice, dont l’ampleur et le caractère définitif ne pourront être appréciés qu’après la réalisation d’un second blood patch qui constitue le traitement spécifique des symptômes observés. Ce cas médico-judiciaire met en évidence plusieurs aspects. Du point de vue de la responsabilité des soignants, il est difficile stricto sensu d’évoquer autre chose qu’un aléa thérapeutique : en effet, la possibilité d’une brèche de la dure mère fait partie des risques inhérents à la pratique d’une analgésie péridurale, risque dont la patiente était probablement informée ayant eu précédemment plusieurs accouchements sous analgésie péridurale. De plus, lorsque la complication est survenue, elle a été reconnue et correctement traitée par la pratique d’un premier blood patch même si celui ci n’a pas produit l’effet escompté. La patiente qui a subi un réel préjudice lié directement à l’acte médical a saisi de fac ¸on appropriée la CRCI qui devrait lorsqu’elle sera consolidée lui accorder une indemnisation en raison d’un retentissement important dans sa vie professionnelle et familiale. La procédure de saisie de la CRCI a en effet l’intérêt d’être relativement rapide, de ne pas nécessiter pour le patient d’engager des fonds, et de permettre lors de la réunion contradictoire entre patients et soignants, une explication qui a souvent un effet d’apaisement sur les patients. De ce point de vue, il est essentiel que les établissements fassent l’effort d’être représentés et préviennent les médecins concernés pour qu’ils soient présents aux réunions contradictoires organisées en présence des patients et apportent ainsi toutes les explications que les patients souhaitent entendre. D’où vient dans le cas présent, cette impression que les évènements n’ont pas suivi leur cours comme ils auraient du ? On ne peut que constater que l’évolution postopératoire a été marquée par une perte de confiance de la patiente vis-à-vis des soignants. Elle n’a semble-t-il pas bénéficié de toute l’écoute et de l’attention qu’elle méritait eu égard aux symptômes présentés, d’autant plus que ces symptômes font partie du cortège des manifestations attendues après une brèche de la dure mère et que les soignants exerc ¸ant dans une maternité sont supposés avoir une bonne connaissance des conséquences d’une brèche de la dure mère. Le résultat de cette perte de confiance aboutit au refus par la patiente d’un traitement approprié (la réalisation d’un second blood patch) et se traduit par le début d’une errance médicale explicable par l’absence d’effet de l’ensemble des traitements proposés avec comme conséquence un état dépressif réactionnel.
N’abandonnez pas vos patients qui font une complication postopératoire Cette histoire clinique permet également d’évoquer l’intérêt d’une consultation post-anesthésie qui pourrait concerner tous les patients ayant eu une complication de l’anesthésie. À titre d’exemple, cette consultation pourrait s’appliquer aussi bien aux patients ayant développé une réaction anaphylactique à un agent anesthésique de fac ¸on à en faire le bilan après exploration à distance, qu’aux patients qui, comme dans le cas présent, ont eu une complication neurologique secondaire à la pratique d’une anesthésie locorégionale. On peut ainsi penser, qu’à
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l’occasion d’une telle consultation, la confiance aurait pu se rétablir entre la patiente et les soignants, permettant d’aboutir à la proposition d’un second blood patch, traitement probablement plus adapté que tous ceux qui ont été proposés jusque là.
Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.