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www.sciencedirect.com Transfusion Clinique et Biologique 19 (2012) 49–51
Revue générale
Nature pro sociale du don de sang The pro-social nature of blood donation V. Charles-Sire ∗ , N. Guéguen , A. Martin , S. Meineri Laboratoire CRPCC Lestic, faculté des lettres langues sciences humaines et sociales, université de Bretagne-Sud, 4, rue Jean-Zay, BP 92116, 56321 Lorient cedex, France
Résumé L’établissement franc¸ais du sang se trouve confronté de fac¸on chronique à une pénurie de sang pour faire face aux besoins croissants du système de santé. Cet article a pour objectif d’éclairer la nature pro sociale du don de sang. Une analyse de la littérature sur le comportement pro social, l’altruisme et le don de sang nous permet de caractériser cet acte comme étant altruiste dans ses objectifs et dans ses motivations. Cette mise en évidence permet d’envisager d’expérimenter le paradigme de l’étiquetage, qui a pour principe de renvoyer au sujet qui vient tout juste de réaliser le comportement préparatoire, une information lui permettant de se percevoir comme étant quelqu’un de généreux ou que pingre, serviable ou non serviable selon Kraut (1973). Être fidèle à la nature tant des raisons que des motivations de l’acte de don de sang semble être indispensable pour la bonne approche fondamentale et expérimentale. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Don du sang ; Altruisme ; Comportement d’aide ; Étiquetage ; Comportement
Abstract “L’établissement franc¸ais du sang” faces chronic shortages of blood to meet the growing needs of the health system. This article aims at clarifying the pro social nature of blood donation. An analysis of the literature allows us to characterize the act as being altruist. The prospective of this focus is to test the labeling paradigm, which is to return to the experiment that makes a preparatory behaviour, information enabling someone to perceive themselves as generous versus stingy or helpful versus not helpful. Being true to nature as reasons and motivations that conduct to the act of giving blood, seems to be essential for fundamental and experimental approach. © 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Blood donation; Altruism; Helping; Labeling; Behavior
1. Introduction Le manque chronique de don de sang auquel se confronte l’Établissement franc¸ais du sang, est un mal récurrent, dont la presse nationale se fait l’écho de plus en plus fréquemment. Le quotidien « Le Monde » du 14 juin 2011, titre : « Faute de donneurs, la France pourrait être confrontée à une pénurie de sang ». En effet une baisse de 15 % du nombre de donneurs est observée entre 2009 et 2010. L’actualité récente sur les travaux du Pr Luc Douay, chef du laboratoire d’hématologie à l’hôpital Armand-Trousseau à Paris,
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (V. Charles-Sire).
1246-7820/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.tracli.2011.11.002
redonne l’espoir de voir d’ici quelques années, la possibilité de produire à partir de cellules souches, des globules rouges. Aujourd’hui et probablement encore au minimum pour la prochaine décennie, l’Établissement franc¸ais du sang doit répondre aux besoins croissants du système de santé. Danic appelle les sciences humaines à aider « à mieux comprendre le don » et « mieux communiquer » sur les problématiques associées à l’activité transfusionnelle [1]. La psychologie sociale a un rôle à jouer dans la recherche de techniques de changement de comportement permettant de faciliter le passage à l’acte au don du sang. Toutefois, l’ensemble de la littérature nous confronte à une évidence qui est la difficulté d’amener les gens au don, de les fidéliser. En effet, Guéguen nous ramène à une réalité : « Le don du sang est un acte problématique, difficile à produire. . .. » [2]. C’est pourquoi cet auteur, acte, par
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ce constat, la réelle difficulté d’aborder les comportements en matière de don de sang. Cela est confirmé par Dovidio et al., qui définissent le don du sang comme la forme de bénévolat la plus spécifique et unique qui existe [3]. « Rien n’est comparable », disent-il. Lee et al. vont plus loin : « la méthode de don de sang et de la nature personnelle de ce qui est donné, la rendent différentes des autres actes altruistes ou pro sociaux tels que les dons d’argent » [4]. L’objet de cette recherche est de tenter, à la lumière de la littérature, de qualifier la nature de ce comportement si spécifique. 2. Comportement pro social Un comportement pro social est un terme générique qui permet de classer différentes sortes d’actions, qui peuvent être « définies par la société comme généralement bénéfiques à d’autres personnes et au système politique en cours » selon Piliavin et al. [5]. Ainsi, derrière ce terme nous trouvons des comportements aussi variés que celui de donner de l’argent à une œuvre charitable, de donner bénévolement du temps à une organisation associative, d’aider une victime sur une scène d’accident de la route, de faire don d’un organe d’un défunt à un patient, de donner son sang. Le contexte scientifique dans lequel s’inscrivent les comportements pro sociaux, a été balisé par McDougall, qui défend l’idée que ce comportement est nécessairement associé à une « tendre émotion » qui serait la source du comportement pro social, et qui a focalisé son attention, plus sur le comment les gens font cet acte plutôt que sur le pourquoi [6]. Un fait de société a véritablement fait exploser l’intérêt scientifique de ce champ de connaissance, c’est l’affaire du meurtre de Madame Katherine Genovese qui s’est produit à New York en 1964. Kitty, c’est ainsi qu’elle a été surnommée, rentrait chez elle vers une heure du matin, lorsqu’elle a été agressée par un homme. Pas de moins de 38 personnes ont été témoins de la scène, et c’est au bout de 30 minutes après le démarrage de l’agression, qualifiée de sauvage, qu’un témoin a consenti à appeler la police. Malheureusement les secours sont arrivés trop tard, puisque Kitty a succombé à ses blessures. La psychologie sociale a tenté, consécutivement à ce fait de société marquant, d’identifier les facteurs situationnels favorisant ou non les comportements pro sociaux. Ce champ scientifique s’est considérablement enrichi, tant en masse de connaissances qu’en méthodologie de recherche en psychologie sociale. À partir de ce fait, plus de 1000 articles ont été publiés en 20 ans sur les comportements pro sociaux. Outre les facteurs situationnels favorisant l’acte pro social, le comportement d’une personne en interaction avec une autre suscite beaucoup l’attention, mais il faut cependant demeurer vigilant au contexte social et sociétal dans lequel se déroule le comportement. C’est pourquoi la recherche doit tenir compte des ces éléments contextuels pour comprendre comment sont produits ces actes pro sociaux, et comment nous pouvons agir pour qu’ils se répètent. En matière de don de sang, Dovidio et al. parlent d’un comportement intentionnel qui a été réalisé volontairement et
qui impacte sur le bien-être d’autrui [3]. Ainsi, le comportement pro social est obligatoirement un acte interpersonnel dans lequel il y a un bienfaiteur et un bénéficiaire. Ce comportement est défini par la norme sociale qui va le qualifier comme étant pro social en opposition à un acte antisocial. Deux catégories d’actes pro sociaux peuvent être distingués : le comportement d’aide et le comportement altruiste. Le comportement d’aide peut être défini comme étant une action d’un bienfaiteur, qui améliore le bien-être du bénéficiaire. Le but du bienfaiteur n’est pas de bénéficier de son action mais d’en faire bénéficier quelqu’un, selon Dovidio et al. [3]. Le comportement d’aide a fait l’objet d’études permettant de les catégoriser. Ainsi, Mc Guire a travaillé avec des étudiants afin d’identifier les différentes catégories de comportement d’aide [7]. Il a défini quatre différentes sortes de comportements d’aides, tels que l’aide occasionnelle, l’aide occasionnelle substantielle, l’aide affective, l’aide d’urgence. L’aide occasionnelle fait référence à des petits actes tels que prêter un stylo à quelqu’un que l’on connaît à peine. L’aide occasionnelle substantielle concerne un effort plus important tel que prêter main forte lors d’un déménagement d’un ami, qui représente une aide importante et tangible. L’aide affective est définie par la capacité de l’aidant à apporter son soutien émotionnel et personnel à un ami, par exemple lui apporter son écoute sur des problèmes de l’ordre de l’intime. Enfin, l’aide d’urgence qui représente le fait de venir en aide à quelqu’un par exemple. Dans le même esprit, Pearce et Amato ont proposé une nouvelle taxinomie des situations d’aide et définissent différentes dimensions [8] : • la situation d’aide planifiée et formelle : situation d’aide à un ami malade du sida ; • la situation d’aide spontanée et informelle, c’est-à-dire aider quelqu’un qui fait tomber un objet, par exemple ; • la situation d’aide indirecte qui est de faire un don à son organisme de bienfaisance préféré ; • et pour finir la situation d’aide directe c’est-à-dire aider quelqu’un qui en a besoin : un enfant sur la chaussée face à une voiture accélérant que l’on tire sur le trottoir pour le mettre en sécurité, par exemple.
3. Comportement altruiste L’acte altruiste est très proche du comportement d’aide, mais le but du bienfaiteur ici, est purifié du désir que son action puisse être bénéfique à un autre ; l’acte altruiste a quelque fois un coût mais pas de bénéfice pour soi même, telle est la définition qu’ont proposé Aronson et al. [9]. Batson a donné une direction nouvelle en se concentrant plus sur la motivation de l’acte, et mis en contraste l’aide avec motivations altruistes et l’aide avec motivations égoïstes [10,11]. L’altruisme selon lui, ne se réfère pas à l’acte pro social en soi mais à la raison sous-jacente à l’acte. L’altruisme, toujours selon Batson, est un état de motivation dans le but ultime d’accroître le bien-être d’un autre [10,11]. Piliavin et al. ont défini la base de la motivation comme un
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comportement qui bénéficie aux autres « sans bénéfice apparent à l’aidant » [12]. 4. Le don de sang : de l’altruisme pur Dovidio et al. nous ont bien mis en garde sur le fait qu’un acte altruiste est un acte d’aide, mais que l’acte d’aide n’est pas un acte altruiste, et que de fait, le comportement d’aide et l’altruisme ne sont pas synonymes [3]. Pillavin et Callero ont défini l’altruisme comme « une motivation intrinsèque, donnée le plus souvent par les donateur comme étant la principale raison de faire un don » [13]. Boe et Ponder ont rapporté que les donneurs de sang ont une approche altruiste de la vie, qu’ils ont un « désir de sacrifice de soi » et un fort besoin de reconnaissance [14]. Bar-Tal a affirmé que « le comportement du donneur de sang est conforme aux caractéristiques de l’acte altruiste » [15], et cela est confirmé par Piliavin et Callero ou par Titmuss [13,16], ainsi que par Simon : « le don du sang est un acte altruiste » [17]. 5. Conclusion L’importance de la nature de l’acte est déterminante pour la recherche en psychologie sociale en ce qu’il est nécessaire d’être fidèle au donneur de sang potentiel, lors des futures expérimentations. En effet, la perspective de recherches sur la technique de l’étiquetage dans l’application au « don de sang », oblige le chercheur à respecter tant l’objectif du donneur que les motivations qui vont le conduire au don. L’étiquetage est une variante de la procédure du « pied dans la porte ». Étiqueter consiste à renvoyer au sujet qui vient tout juste de réaliser le comportement préparatoire, une information lui permettant de se percevoir comme généreux ou pingre, ou bien serviable ou non serviable [18–21]. L’étiquetage renvoie à la valeur de l’individu (que ce soit en termes positif ou négatif), et permet d’augmenter la soumission. L’altruisme et la motivation humanitaire restent la raison la plus souvent citée pour le don de sang ; en outre plusieurs études ont rapporté que les donneurs sont égoïstement fiers de l’acte de don. Le donneur gagne en satisfaction à la fois psychologique et émotionnelle tout en élevant son estime de soi selon Piliavin et Callero [13]. De plus, ces auteurs suggèrent qu’il est raisonnable de faire appel à l’altruisme et à l’intérêt personnel en matière de don de sang, car ce sont les deux mécanismes de recrutement efficaces. « La coopération sociale est nécessaire à l’espèce humaine pour survivre en raison des avantages que l’altruisme offre à l’auteur de l’acte. Pour un faible risque impliqué dans l’altruisme individuel, il y a un avantage pour la population dans son ensemble. Aider l’autre en matière de don de sang devient dans ce cadre, la condition nécessaire à la survie », selon FernandezMontoya [22].
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Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Danic. Comprendre le don : l’apport des sciences humaines à l’activité de prélèvement. Transfus Clin Biol 2003;10:146–50. [2] Guéguen N. Psychologie de la manipulation et de la soumission. Paris: Dunod; 2002. [3] Dovidio JF, Piliavin JA, Schroeder DA, Penner LA. The social psychology of pro-social behavior. Londres: Psychology Press; 2010. [4] Lee L, Piliavin JA, Call VRA. Giving time, money, and blood: similarities and differences. Soc Psychol Q 1999;62:276–90. [5] Piliavin JA, Dovidio JF, Gaertner SL, Clark III RD. Emergency intervention. New York: Academic Press; 1981 [p. 4]. [6] McDougall W. Social psychology (23rd ed.) London: Metheum. 1936. [Originial work published 1908]. [7] Mc Guire AM. Helping behaviors in the natural environment: dimensions and correlates of helping. Pers Soc Psychol Bull 1994;20: 45–56. [8] Pearce PL, Amato PR. A taxonomy of helping: a multidimensional scaling analysis. Soc Psychol Q 1980;43:363–71. [9] Aronson E, Wilson TD, Akert RM. Social psychology. Upper Saddle River, NJ: Pearson Prentice Hall; 2004. [10] Batson CD. The altruism question: toward a social psychology answer. Hillsdale, NJ: Erlbaum; 1991. [11] Batson C.D. Altruism and pro-social behavior. In Fiske ST, Gilbert DT, Lindzey G. (editor), Handbook of social psychology. 4th Ed., vol. 3, New York: Mac Graw-Hill; 1998. p. 282–315). [12] Piliavin JA, Callero PL, Evans DE. Addiction to altruism? Opponent–process theory and habitual blood donation. J Pers Social Psychol 1982;43:1200–13. [13] Piliavin JA, Callero PL. Giving Blood. The developpement of an altruistic identity. Baltimore, MD: John Hopkins University Press; 1991. [14] Boe GP, Ponder LD. Blood donors and non-donors: a review of research. Am J Med Technol 1981;47:248–53. [15] Bar-Tal D. Altruistic motivation to help: definition, utility and operationalization. Humboldt J Soc Relat 1986;13:3–14. [16] Titmuss RM. The gift relationship: from human blood to social policy. New York: Pantheon; 1971. [17] Simon TL. Where have all the donors gone? A personal reflection on the crisis in America’s volunteer blood program. Transfusion 2003;42: 273–9. [18] Kraut R. Effects of social labeling on giving to charity. J Exp Social Psychology 1973;9:551–62. [19] Goldman M, Seever M. Social labeling and Foot-in-The-Door effect. J Soc Psychol 1982;117:19–23. [20] Goldman M, McVeigh J, Richterkessing J. Door-in-the-Face procedure: reciprocal concession, perceptual contrast, or worthy person. J Soc Psychol 1984;123:245–51. [21] Joule RV, Martinie MA. Fausse attribution de l’éveil de la dissonance : revue de question et nouvelles pistes. Revue Internationale de Psychologie Sociale 2000;13:33–60. [22] Fernandez-Montoya A. Altruism and payment in blood donation. Transfus Sci 1997;18:379–86.