Cas cliniques
Cas cliniques
Nécrose gastrique compliquant une gastroparésie Gastric necrosis complicating a gastroparesis La nécrose gastrique est une maladie rare et grave. On trouve dans la littérature des causes vasculaires [1], infectieuses [2], postchirurgicales (vagotomie [3], chirurgie gastrique [4], splénique [5,6]) et traumatiques [7]). Différents facteurs ont été identifiés comme pouvant favoriser la survenue d’une ischémie gastrique. Parmi eux, la maladie athéromateuse [5], notamment lorsqu’elle intéresse le tronc coeliaque, peut être impliquée dans les mécanismes ischémiques mais ne saurait en être la seule cause. La distension gastrique à l’origine d’un défaut de vascularisation artérielle semble également être une étiologie avérée d’ischémie [8–10]. Aucun cas dans la littérature ne concerne une nécrose gastrique compliquant une gastroparésie associée à un iléus postopératoire. Nous rapportons un cas de nécrose gastrique aiguë, portant essentiellement sur la grosse tubérosité, chez un patient ayant d’une sténose serrée du tronc coeliaque, dans un contexte d’iléus digestif postopératoire. Observation
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Un patient âgé de 70 ans, aux antécédents de bronchopneumopathie chronique obstructive et de cure de hernie inguinale bilatérale a été adressé dans notre service de réanimation pour syndrome occlusif avec défaillance hémodynamique. Ce patient était au 7e jour d’une chirurgie rachidienne effectuée en semi urgence pour hernie discale exclue L5-S1 révélée par un syndrome de la queue de cheval. Les suites immédiates avaient été simples. À J5, la reprise du transit était difficile avec diarrhées et météorisme abdominal, puis à J7 l’état du patient s’était dégradé avec l’installation d’un syndrome occlusif. À sa prise en charge dans le service, le patient avait un score de Glasgow à 15, l’hémodynamique était stabilisée par du remplissage et de faibles doses de noradrénaline Il existait une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle oligoanurique (créatinémie : 330 mM/L), l’abdomen était météorisé et douloureux, le patient était apyrétique. Une tomodensitométrie abdominopelvienne avec injection de produit de contraste fut réalisée en urgence. Elle permit de trouver une distension oesophagienne, gastrique et duodénale majeure, un important iléus fonctionnel du grêle, une pancolite modérée, ainsi qu’une sténose serrée à l’origine du tronc coeliaque. Les artères mésentériques supérieures et inférieures étaient perméables. Il existait de plus un foyer de pneumopathie du lobe moyen et postérobasal droit. Le chirurgien contacté ne retint pas d’indication chirurgicale immédiate. L’orientation de la prise en charge se fit alors vers l’optimisation hémodynamique et la poursuite du bilan. Une antibiothérapie
probabiliste par métronidazole, ciprofloxacine et ceftriaxone était débutée dans l’éventualité d’une part infectieuse (hyperleucocytose, CRP élevée). Une épuration extrarénale de principe était réalisée afin de limiter la toxicité rénale du produit de contraste. L’évolution au cours de la journée se fit vers une aggravation de l’état initial du patient avec apparition d’une défaillance multiviscérale avec acidose lactique modérée. La fonction respiratoire se dégrada avec détresse respiratoire hypoxémique qui nécessita une intubation orotrachéale pour ventilation mécanique, l’instabilité hémodynamique se majora avec nécessité d’augmenter les doses d’amines. À la demande des chirurgiens, une nouvelle tomodensitométrie fut réalisée, elle a monté une relative stabilité des images avec majoration d’un épanchement intrapéritonéal. L’indication de laparotomie exploratrice fut retenue devant la gravité du tableau clinique et le patient fut pris au bloc opératoire dans la soirée. Devant la découverte peropératoire d’une nécrose de la grande tubérosité gastrique et d’un aspect infarci de la rate, le geste réalisé fut une gastrectomie associée à une splénectomie. Le rétablissement de la continuité fut réalisé par anastomose oesojéjunale sur anse en Y. Le patient a eu une hémodiafiltration en postopératoire jusqu’à la reprise d’une diurèse à la 24e heure. À J2 il a eu une souffrance myocardique inférolatérale avec régression des signes ECG et normalisation de la troponine sous traitement médical à J4. L’extubation fut possible dès J3 et le sevrage en noradrénaline à J4. À J5 le patient fut transféré en service de chirurgie. Notons que durant son séjour le patient est toujours resté apyrétique, aucun germe n’a été isolé dans les différents prélèvements effectués. La recherche de toxine de Clostridium difficile effectuée dans les selles dès l’entrée était négative. À J12 le patient fut repris au bloc opératoire pour fistule. Le geste réalisé fut une résection segmentaire du grêle avec réfection de l’anastomose oesojéjunale devant l’existence d’une souffrance jéjunale. L’état du patient ne permettait pas de réaliser une double exclusion. Le patient a eu un état de choc peropératoire pour lequel on introduisit de la noradrénaline. On mit en place une antibiothérapie probabiliste par pipéracilline-tazobactam et gentamicine. La noradrénaline fut arrêtée à J1, l’extubation fut retardée à J7 du fait d’une pneumopathie d’inhalation. Sur le plan digestif, il n’y eut pas de nouvelle complication, le transit reprit à J2 et l’alimentation sur sonde jéjunale fut reprise à J4. Durant son 2nd séjour, le patient resta encore apyrétique, et aucun prélèvement bactériologique n’a pu permettre d’isoler un germe. Le patient fut de nouveau transféré en service de chirurgie à J13. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire gastrique montra des lésions de nécrose gastrique fundique et antrale (figure 1). Il n’existait pas de lésion vasculaire permettant d’expliquer les lésions observées. tome 38 > n84 > avril 2009
Aspect macroscopique de la pièce opératoire : nécrose de la grosse tubérosité gastrique
Discussion La nécrose gastrique est une pathologie rare, essentiellement du fait de la richesse de la vascularisation de l’estomac, de type anastomotique, avec de nombreux vaisseaux collatéraux. Cette vascularisation provient essentiellement des trois branches du tronc coeliaque : l’arte ` re he´patique commune donne l’arte`re pylorique et l’arte`re gastroduode´nale ; l’arte ` re coronaire stomachique ; l’arte ` re sple´nique qui donne l’arte`re gastro-e´piploı¨que gauche. Il existe encore des vaisseaux courts en provenance de l’artère splénique irriguant la grosse tubérosité, des vaisseaux provenant des artères diaphragmatiques inférieures destinées au cardia et à la grosse tubérosité. Enfin, les arcades duodénopancréatiques peuvent fournir des vaisseaux au pylore et à l’antre. Ces vaisseaux sont richement anastomosés entre eux et sujets à de multiples variations anatomiques. Il existe par ailleurs une microcirculation sous muqueuse capillaire, véritable éponge vasculaire. Babkin et al. [11] ont expérimentalement ligaturé les quatre artères principales (pylorique, gastroduodénale, coronaire stomachique et splénique) ainsi que la vascularisation accessoire, sans pour autant induire de nécrose gastrique. L’existence d’une sténose serrée du tronc coeliaque à son origine, mise en évidence dans le cas que nous présentons sur la tomodensitométrie réalisée à l’admission, contribue à la diminution du flux de la vascularisation de l’estomac mais ne peut être seule en cause dans la survenue d’une ischémie gastrique. La présence de variantes anatomiques dans la vascularisation de l’estomac, notamment sur le réseau anastomotique, pourrait par la diminution des suppléances favoriser la survenue
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Conclusion Dans le cas que nous rapportons, un iléus postchirurgie rachidienne responsable d’une dilatation gastrique majeure semble donc être à l’origine d’une ischémie gastrique chez un patient porteur d’une sténose serrée du tronc coeliaque. L’ischémie gastrique est alors responsable de la défaillance observée (par réaction inflammatoire et stress oxydatif) avec hypoperfusion d’organe aggravant ici la précarité de la vascularisation gastrique, et aboutissant à une nécrose gastrique constituée. Une sténose du tronc coeliaque et une distension gastrique doivent donc être recherchées comme facteurs de risque de nécrose gastrique dans le contexte d’un iléus paralytique.
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Figure 1
d’une telle nécrose [5,12]. De telles variations n’ont pas été mises en évidence pour notre patient, tant sur les données tomodensitométriques que macroscopiques postopératoires, ou encore anatomopathologiques. Plusieurs études expérimentales [8,13] ont retrouvé une prédominance des lésions ischémiques induites sur la grosse tubérosité, comme décrites macroscopiquement lors de l’intervention et sur l’examen anatomopathologique dans le cas que nous rapportons. L’hypothèse évoquée pour expliquer une telle localisation est celle d’une répartition différente de plexus sous muqueux et des suppléances anastomotiques entre les parties supérieure et inférieure de l’estomac, comme le retrouvent certaines descriptions anatomiques. Par ailleurs, il est admis que la distension gastrique diminue le flux artériel irrigant l’estomac [8,9,14]. Plusieurs cas de nécrose gastrique ont été ainsi décrit, où la distension gastrique constitue l’étiologie principale, notamment après vagotomie sélective [3], ou fundoplicature. L’existence d’iléus postopératoire après chirurgie rachidienne a déjà été rapportée [15]. Toutefois, nous n’avons pas retrouvé de cas rapportant une nécrose gastrique secondaire à une gastroparésie. Il est à noter qu’il n’existait pas de défaillance cardiaque en pré-, per-, et postopératoire immédiat, déjà identifiée comme facteur de risque de nécrose gastrique [5]. Aucune thrombose veineuse ou artérielle n’a été retrouvée au cours de l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire. Par ailleurs, celui-ci montrait une paroi fundique fine et nécrotique avec disparition des plis et dans la région antrale, une paroi d’allure pseudonécrotique. Aucune preuve bactériologique n’est en faveur d’une participation infectieuse au tableau évoqué.
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Service d’anesthésie-réanimation, Hôpital Edouard Herriot, F-69433 Lyon Cedex 03, France 2 Service de chirurgie d’urgence, Hôpital Edouard Herriot, F-69433 Lyon Cedex 03, France 3 Service de radiologie, Hôpital Edouard Herriot, F-69433 Lyon Cedex 03, France Correspondance : Bernard Allaouchiche, Service d’anesthésie-réanimation, Hôpital Edouard Herriot, 5 place d’Arsonval, F-69433 Lyon Cedex 03, France.
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Figure 1 Échographie cardiaque transthoracique initiale
de survenue sont principalement virales (hépatite virale B et C), l’alcool, puis plus rarement l’hémochromatose, l’exposition à l’aflatoxine (moisissure carcinogène) et certaines maladies congénitales comme la tyrosinémie (déficit en alpha1antitrypsine). Il peut donner des métastases principalement de siège pulmonaire, osseux rarement cardiaque. Nous rapportons un cas d’un hépatocarcinome qui a développé une métastase dans le ventricule droit dans un contexte polymétastatique. Observation Un patient de 57 ans aux antécédents d’angioplastie de l’artère interventriculaire antérieure (IVA), d’artérite des membres inférieurs, a eu une embolisation portale suivie d’une
Reçu le 17 décembre 2007 Accepté le 16 avril 2008 Disponible sur internet le 25 octobre 2008 ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.lpm.2008.04.011
Métastase intracardiaque d’un hépatocarcinome : à propos d’une observation Intracardiac metastasis of hepatocellular carcinoma: a case report
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Le carcinome hépatocellulaire est un des cancers les plus fréquents dans le monde principalement dans la région sous-saharienne de l’Afrique et en Extrême-Orient. Les causes
Figure 2 Échographie cardiaque transthoracique initiale tome 38 > n84 > avril 2009