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L’évolution psychiatrique 72 (2007) 207–226 http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ Notes de lecture Disponible sur internet le 09 mars 2007 PSYCH...

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L’évolution psychiatrique 72 (2007) 207–226 http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/

Notes de lecture Disponible sur internet le 09 mars 2007

PSYCHIATRIE Daligand L. L’enfant et le diable : Accueillir et soigner les victimes de violences. Montréal : L’Archipel ; 2004. 381 p. L’axe central qui traverse cet ouvrage est constitué par la question de l’enfance et de la violence. Cette dernière vient usurper ce sacré qu’est l’enfant, d’où probablement le choix de ce titre : « l’enfant et le diable ». Si le regard porte essentiellement sur la victime, l’ouvrage fait rarement référence à la criminologie et la victimologie, mais choisit l’approche de la psychopathologie et de la psychothérapie ou encore de l’expertise. Si l’enfance est perçue comme la période où frappe la violence, elle peut être aussi bien subie qu’agie. À ce titre, dans les vignettes cliniques choisies, les positions d’agresseur et de victime se confondent parfois involontairement, car comment penser l’agresseur sans un vécu traumatique dans la vie, lequel explique ultérieurement le recours à l’agir ? Et comment en élaborant le traumatisme, ne pas penser aux positions qu’occupe la victime ? C’est là que la clinique du traumatisme confond les registres de la culpabilité « réelle » et des culpabilités inconscientes. Si la première renvoie à la responsabilité effective, énoncée publiquement au cours de la procédure pénale, les secondes relèvent de la réalité psychique et témoignent d’une reconstruction qui s’origine dans une fantasmatique inconsciente. Différencier les deux permet, notamment de mettre la première au service des autres et aide le sujet à cheminer dans la réparation. C’est bien sûr ce deuxième versant conflictuel que l’auteur de cet ouvrage attire notre attention. Si la nature des faits et le discours médiatique ou compassionnel nous amènent spontanément à cliver entre le « mauvais » auteur et la « bonne »victime, le travail analytique va à l’encontre de cette démarche puisqu’il consiste, entre autres, à cheminer avec le coupable intérieur et à élaborer haine et culpabilité intrapsychiques. La question des causes et des formes de violence se pose au début de cet ouvrage. L’auteur y consacre trois chapitres qui partent de l’inceste pour aborder ce que l’on peut plus largement qualifier de maltraitance ou d’enfance en danger. La maltraitance, concept habituellement fourre-tout est ici abordée sous l’angle de la violence physique, mais aussi celle plus insidieuse qui affecte la sphère relationnelle précoce et affective : la violence psychologique. C’est la violence transgénérationnelle qui fait le lien entre l’inceste posant les premiers jalons de ce qui constitue le vécu doi:10.1016/j.evopsy.2007.01.008

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victimal, allant de la révélation jusqu’aux ressentis de haine ou de mépris, et de culpabilité ou de honte. C’est ainsi que l’expert rencontre le sujet et cela parfois longtemps après les faits, marqué par « l’aliénation traumatique » (cf. L. Crocq, 1999), à savoir les efforts vains de réélaboration et de reconstruction intérieure autour de l’événement à valeur traumatophile initial. Les efforts d’aménager ou d’oublier la souffrance psychologique restent souvent vains et s’écrasent sous le poids du silence qui se transmet parce que la génération suivante essaie d’y donner du sens. Ce sont l’incapacité de faire vivre le lien avec l’enfant et la vulnérabilité créée par le vide béant du signifiant et des assises identificatoires qui incitent à la sérialité et la confusion entre les positions d’agresseur et de victime. Il serait alors plus juste de parler du couple psychologique victimant–victimé(e) plutôt que du couple pénal : agresseur–victime. L’auteur attire l’attention sur le fait qu’il s’agit bien d’une question de place psychique pour l’enfant ; c’est ce qui s’exprime dans les violences même physiques. La parentalité est mise à mal et l’enfant peut être pris dans des dynamiques violentes actives ou passives. Si les violences physiques sont plus faciles à détecter — l’auteur brosse un tableau varié des lésions repérables par l’expert — il en est autrement pour les violences sexuelles. Une illustration tout à fait d’actualité nous a été donnée avec le procès d’Outreau et évoque la difficulté de déterminer de manière fiable la crédibilité des allégations. L’auteur cerne ce problème par le biais de la souffrance exprimée par les victimes. Les exemples cliniques montrent que le point d’achoppement est moins la vérité objective que la réalité subjective de la souffrance qui connaît parfois des destins pathologiques faute de trouver un exutoire par la parole. Liliane Daligand évoque à juste titre les mécanismes d’emprise et de répétition et la difficulté de se défaire des expériences aliénantes. Compte tenu des effets souvent dévastateurs des expériences violentes précoces, l’auteur consacre un chapitre important à la « prise en charge des enfants victimes » et démontre l’intérêt d’une articulation entre les moments d’expertise et le suivi thérapeutique. Le moment du signalement est un temps crucial dans le processus de réparation de la victime, encore faut-il être capable d’en faire une analyse juste. Nombre d’abus sexuels ne sont signalés par les victimes qu’à l’âge de la puberté, période où le rapport au corps change, ainsi que la question de l’identité sexuelle se pose. L’auteur évoque les différents signaux émis en direction de l’entourage : la dépressivité, l’agressivité, les changements du comportement et des relations etc. qui sont des véritables acting out. Comment en revanche effectuer un diagnostic précoce, lorsque le langage fait encore défaut ou est trop rudimentaire ? Différents exemples cliniques encore illustrent à quel point le dessin peut être un médiateur précieux, à condition qu’il s’accompagne d’une observation et écoute minutieuses de l’enfant. Il devient support d’expression du mal qui habite l’enfant et des mécanismes psychiques et fantasmes réparateurs ou destructeurs mis en place. C’est à ce titre-là que ce même support se prête à un travail thérapeutique et fait partie intégrante du processus de soin non sans interroger la position du thérapeute. L’ouvrage se termine sur une réflexion quant aux différentes issues. D’un point de vue intrapsychique, l’auteur décrit le passage obligé par le sentiment de culpabilité et la difficulté d’accéder à nouveau au désir. La confrontation à l’autre est pour cela indispensable. C’est en ce sens-là que le travail en réseau s’avère fructueux, puisqu’il est source de reconnaissance et permet une variation de l’expression de la souffrance. Le relais paraît tout aussi important, chaque professionnel ayant une fonction précise dans le déroulement du processus de réparation psychique. L’auteur souligne l’inégalité des êtres devant la violence et la capacité de dire « non ». Regrettant le fait d’intervenir tardivement, lorsque le mal a déjà été fait, l’ouvrage encourage néanmoins tout professionnel et être humain confronté à cette problématique à témoigner et échanger autour de ses

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expériences afin de « participer à l’œuvre de justice » et parvenir à recréer l’équilibre dans la vie psychique des petits et grands enfants. A. Ambrosi

Delourme A, Marc E. Pratiquer la psychothérapie. Paris : Dunod ; 2004. 289 p. L’ouvrage « Pratiquer la psychothérapie » constitue un document clair, construit au plus près de la pratique, informatif et pluriréférencé sur la relation patient–thérapeute. Évitant des positions d’école tranchées et exclusives, les auteurs choisissent une présentation chronologique des étapes de la psychothérapie flanquées d’exemples cliniques qui incitent le praticien à l’inventivité, la flexibilité et à la créativité. Les auteurs soulignent la nécessité d’adaptation du thérapeute qui n’est pourtant ni aléatoire ni purement subjective, mais qui puise nécessairement dans des connaissances multiples allant de la psychanalyse aux théories gestaltistes ou cognitivocomportementales. Ces dernières permettent de varier les méthodes et de les adapter au besoin du patient. Les résistances aux élaborations font que les méthodes s’excluent moins qu’elles ne convergent vers des facteurs communs ou des constantes qui opèrent dans la praxis du psychisme et qui ne se révèlent que parce qu’ils sont lus à la lumière d’une pluriaxialité dans les approches et méthodes. Partant de demandes qui expriment un mal de vivre général, associé à la relation de couple, de la famille, au travail ou encore à soi-même, cet ouvrage se centre plus sur la pathologie du quotidien que sur les structures pathologiques classiques connues et opte de ce fait pour une analyse psychodynamique des échanges interhumains qui déconstruit pour mieux reconstruire. On est loin du souci de poser un diagnostic structural au profit d’une analyse de traits et aspects de personnalité qui se tissent dans une dynamique et histoire particulières de la relation. C’est en ce sens que les auteurs comparent la psychothérapie à une « invitation au voyage » qui se révèle être un parcours entre « art et science » et qui propose plus qu’il n’impose, notamment dans l’enjeu des positions occupées par le patient et le thérapeute, en visant pour autant toujours le changement. L’hypothèse implicite qui traverse cet ouvrage est que le changement visé, celui d’un mal-être vers un mieux ou bien-être durable, ne peut être atteint que par la révélation à l’état de conscience d’un fonctionnement psychique qui s’exprime dans la relation à l’autre et peut être opérationnalisé dans le déplacement ou le transfert sur la personne du praticien. Les surfaces ou facettes opérantes de ces mécanismes sont multiples et invitent les auteurs à décliner leur ouvrage en trois parties : z les finalités de la thérapie ; z les dispositifs mis en œuvre avec le cadre, la relation et la temporalité ; z les processus rencontrés : de régression, de construction identitaire et de changement avec les résistances qui leur sont inhérentes. Si cet ouvrage invite au voyage, on se rend compte que la thérapie est moins une croisière qu’une véritable aventure et ce autant pour le praticien que pour le patient. S’ils ont tous les deux une idée vague de la destination, ils ne peuvent anticiper les obstacles qu’ils rencontrent. L’originalité de ce document ne relève pas de ce constat déjà connu, mais réside dans la volonté d’exposer au lecteur un véritable carnet de bord, riche en exemples cliniques et qui séduit par la performance et la rigueur de l’équipement du clinicien. Chaque situation est étayée, analysée et propose une issue qui s’intègre dans un tout cohérent et finalisé, respectueux du contrat fixé avec le patient et qui sert de cadre.

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En ce qui concerne la structuration de l’écrit, on s’aperçoit que les parties sont distribuées de façon relativement inégale. Les deux premières : « finalités » et « dispositif » occupent la moitié de la place des deux suivantes : « processus » et « modalités ». D’ailleurs, il se dégage l’impression que tout l’ouvrage est traversé par une analyse dynamique et processuelle, même lorsqu’il est question de la construction de la pensée et du cadre. Inversement, des éléments du cadre technique, tels que l’empathie ou la demande trouvent leur place dans la partie sur le processus thérapeutique. Pourtant on ne se perd pas, parce que les aspects sont abordés dans l’organisation chronologique de la thérapie. Et au final, le lecteur a une vision construite et finalisée des embûches et réussite d’une psychothérapie, toujours étayées par des exemples cliniques et des références théoriques. L’ouvrage ne tombe pas dans les travers de présenter une image idéalisée et abstraite des finalités de la psychothérapie, mais part de constats simples et objectifs réalistes, tels que « restaurer les capacités à communiquer et à aimer » grâce à la « sécurisation » et la « (re-)mobilisation émotionnelle », « développer la conscience », grâce à une amélioration de la contention du monde interne ou encore « construire la pensée et accorder la conduite » en déconstruisant et en reconstruisant le problème, afin de pouvoir envisager un avenir, notamment en faisant « un bon usage du passé ». La présentation des dispositifs est une préparation à la compréhension de la partie suivante sur les processus et incite le praticien à l’innovation et la souplesse autant dans le cadre qu’il impose que dans la relation qui s’engage. Rien n’est donné a priori, si ce n’est un bagage de connaissances qui permet au praticien de s’adapter aux résistances affectives comme cognitives du patient. La dimension de la temporalité mérite une attention particulière dans la mesure où elle ne se pose pas seulement par rapport à l’aboutissement de la psychothérapie, mais aussi par rapport à l’insistance et la répétition ou encore l’aménagement du symptôme, ce qui lui confère une place centrale dans la psychothérapie. La troisième partie sur les processus est traversée par la question des limites qui s’expriment au niveau des élaborations et des somatisations. Elles indiquent l’intolérable inconscient qui nécessite l’émergence du symptôme et la résistance à sa levée travaillée en psychothérapie. Le corps est autant une enveloppe psychique que peut l’être la fonction contenante dans la thérapie. Les limites qu’il convient parfois de forcer, mais toujours de respecter dessinent en quelque sorte le fil du rasoir sur lequel se négocient les régressions et progressions, ainsi que les projections et manifestations émotionnelles ou transférentielles. Derrière les limites se cachent les conflits pulsionnels et la problématique de la construction identitaire qui demandent parfois des « mutations thérapeutiques » afin de parvenir aux changements souhaités qui cherchent à amener le sujet à « devenir ce qu’il est et à être ce qu’il devient ». La quatrième partie est à considérer comme un éventail des possibles thérapeutiques et présente de façon succincte, mais détaillée les psychothérapies : de l’enfant et de l’adolescent, en couple, de la famille et de groupe. Cette diversité thérapeutique incite à chaque fois à une pratique singulière autour du conflit identitaire. L’équivalent de l’angoisse identitaire chez l’enfant ou l’adolescent est souvent source de collusion chez le couple amoureux ou encore facteur d’incompréhension ou de vulnérabilité dans le système familial, alors qu’il est support d’identification dans la thérapie de groupe. L’importance est de restaurer la communication et l’expression de soi et ce serait la fin de l’aventure thérapeutique avec le sentiment d’instaurer et de garder des bénéfices durables. A. Ambrosi

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PSYCHANALYSE Chemama R. Dépression, la grande névrose contemporaine. Ramonville Saint-Agne : Erès ; 2006. 208 p. Ce livre est la suite logique du livre précédent de l’auteur, Clivage et Modernité (2003), construit sur le même schéma — opposition entre ce qui est extérieur (le social), et l’intérieur (le sujet de la psychanalyse) — et selon le même mode de présentation, un échange supposé de lettres entre deux personnes dont on ne lit et ne connaît que l’une des deux. Il faut noter tout de suite que ce procédé classique a été très perfectionné par l’auteur, qui insiste chaque fois sur les éléments inconnus du lecteur du livre, mais « lus » dans la réponse censée être faite au correspondant. Le rythme du livre est lui aussi plus souple. Nous avons plaisir de retrouver la vivacité de présentation et le don pédagogique de Roland Chemama. Il y a deux objectifs dans sa démarche : z donner sa propre approche de la dépression ; z présenter au travers de son expérience de praticien de la psychanalyse une analyse de certains thèmes lacaniens. Cette méthode est annoncée dès le début du livre. Et les deux démarches s’effectuent en alternance, avec de nombreuses incursions de l’auteur dans ses lectures, qui sont généralement très contemporaines, qu’elles soient « psy » (M. Lipovetsky, M. Gauchet, P. Guingand, également auteur chez Erès, M. Czermak, Bergeret et Ehrenberg sur le narcissisme, M. Safouan, C. Lacôte, M. Darmon, C. Melman, etc.), ou qu’elles soient romanesques (E. Jelinek, J. Clair, sans parler de F. Kafka auquel l’auteur consacre plusieurs pages très fines). En survolant rapidement le livre, on trouve les étapes suivantes, du moins telles que nous les avons notées : les antidépresseurs, la valeur économique et la denrée, la religion et la religiosité ; puis, dès la p. 75 jusqu’à la fin du livre, les thèmes freudolacaniens : symbolique, nom-du-père, phallus, forclusion, l’Autre, le groupe « psychose–névrose–hystérie », enfin « clivage, inconscient–symptôme–symbolique du langage », notamment. Ce qui a retenu notre attention, ce sont les développements que suggère l’auteur sur le « social », sur ce qu’on peut considérer, pour faire vite, comme extérieur au sujet, son environnement. Mais en fait cet environnement social c’est le vécu du sujet. Il y a parmi ceux-ci d’abord la dissociation entre la valeur et la denrée, notre monde auquel nous introduisons nos descendants par l’Œdipe (« Le symbolique implique la dimension du temps »). Il y a la pathologie dépressive, qui introduit la religiosité (la dépression, religion sans dieu), pathologie étant à résonance chrétienne. Ensuite le thème de l’utopie (sociale ou personnelle), qui est lié au sentiment d’impuissance du déprimé — ce qui constitue l’aspect « moderne » de la dépression. Apparaissent aussi différents thèmes qui se retrouvent chez d’autres penseurs contemporains, comme J.-F. Lyotard ou J. Baudrillard, mais ici mis en liaison avec la dépression. Parmi ces thèmes, l’un d’eux nous paraît remarquable. Il s’agit de la science. Celle-ci produit à la fois la recherche, son côté respectable, « intouchable », et en même temps sa capacité de constituer un discours, c’est-à-dire un ensemble d’énoncés fonctionnels utilisables par la science appliquée, l’industrie, qui est le fait « des producteurs et des entrepreneurs ». La production par le capitalisme d’objets normalisés destinés à la consommation entraîne la publicité, qui devient le domaine de l’« ennui » de certaines patientes de l’auteur, de leurs rêveries déprimantes. À la suite de Lacan, l’auteur estime que le discours de la science n’a pas d’énonciateur. Sur ce point, il faut dire que Chemama et Lacan ne semblent pas avoir fréquenté souvent de revues scientifiques : ils auraient remarqué à quel point chaque

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chercheur se situe, au travers de ce qu’il énonce, dans un domaine qui est effectivement personnel, dans une institution où sa place, ses crédits, son Moi sont des objets de défense acharnés de sa part. De plus, chaque chercheur se place dans une constellation de rivalités potentielles (souvent même proclamées) pour tout ce qui touche à sa recherche. Bien sûr il ne peut en être autrement ! Le discours de la science participe de cette aliénation, et c’est cette condition même qui permet le progrès scientifique lui-même dans nos sociétés. Ce mythe du discours de la science relève du discours du Père, selon Lacan et Chemama. Il ne se confond pas avec le prestige dont jouissait la Science dans l’Éducation de la bourgeoisie au cours des siècles passés, même s’il en relève ; ce prestige, cette attraction pour les jeunes dans l’enseignement semblent aujourd’hui en baisse, peut-être précisément pour sa liaison avec le discours du Père — discours du Père devenu objet de dérision et qui n’est plus (paraît-il) à la mode. Un autre des points forts de ce livre est l’observation de l’auteur suivant laquelle la réflexion philosophique (avec ses erreurs, comme M. Foucault soutenant Khomeiny), ou encore la création artistique (avec ses côtés provocateurs, comme la photo d’horreurs trouvée dans un livre de Derrida) constituent « le climat dépressif à l’œuvre dans notre social ». Tout cela c’est « l’envahissement par l’objet », ce qui pourrait se traduire au niveau du sujet par la « tentation de la dépression ». Voilà donc encore un livre passionnant qui replace Roland Chemama dans la ligne des penseurs moralistes de la grande tradition française. Sa rigueur intellectuelle s’ajoute au charme du style, celui d’une correspondance épistolaire très fraîche, presque toujours légère et agréable, au ton enjoué et persuasif. Sans compter la valeur psychanalytique pédagogique des explications de Lacan. À lire de toute urgence. D. Casalis

Miller JA (sous la dir de). L’anti livre noir de la psychanalyse. Paris : Ed. Seuil ; 2006. 277 p. Riposter, tel est le projet qui motive l’ouvrage. Le lecteur en est averti dès les premières pages : il s’agit de répondre à l’attaque portée contre la psychanalyse par les auteurs du Livre noir de la psychanalyse paru quelques mois auparavant (septembre 2005). Toutefois, ce n’est pas une position défensive qui est adoptée dans le présent ouvrage. Le lecteur ne trouvera ni justification de la démarche freudienne, ni de citation textuelle de Lacan. La réplique vise plutôt à démasquer l’agresseur : les TCC (techniques cognitivocomportementales). Cette contre-attaque menée par des psychanalystes, psychologues, psychiatres mais aussi des universitaires, un juriste et criminologue, une philosophe, dévoile ce qui apparaît au terme de la lecture comme une véritable entreprise d’éradication de la psychanalyse afin d’imposer les TCC dans le champ de la santé mentale, mais également dans d’autres secteurs de la vie sociale. C’est pourquoi, l’enjeu d’un tel ouvrage ne saurait se limiter à une guerre entre psys déjà apparue dans d’autres temps de l’histoire du mouvement de la pensée et de la science. Bien au-delà, l’ouvrage met en évidence les contours d’un véritable enjeu de société. C’est pourquoi la contre-attaque est vigoureuse et menée sur différents fronts. Au plan épistémologique, la critique porte, notamment sur le constat de l’absence d’une théorie de la causalité psychique chez les partisans des TCC moyennant quoi le trouble ou problème est envisagé comme une faille dans l’adaptation de l’individu à son environnement, le résultat d’un mauvais apprentissage, et perçu comme une menace pour l’ordre social. Le lecteur pourra lire les errements des méthodes TCC et l’atteinte faite au sujet lorsque le souci éthique ne guide plus la pratique (cf. la création de névroses expérimentales chez les enfants). Yves cartuyels, l’un des

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auteurs, démontre, ce qui de l’humain ne peut être objectivé, ni se réduire à partir de méthodes adaptatives et rééducatives. Pas de management possible de la souffrance humaine. À distance de la pratique analytique ce juriste procède à une critique rigoureuse des méthodes, objectifs et impasse de cette psychologie prétendue scientifique. Concernant les champs d’application, là encore le projet des TCC est édifiant qui vise à imposer ses méthodes dans les différents lieux de l’activité humaine, santé mentale mais aussi éducation, justice, entreprise, etc. et à s’édifier en politique nationale de santé mentale. La logique qui préside à ces pratiques est claire : obéissant aux termes d’utilité, de rentabilité, de conformité à la norme sociale, les TCC promeuvent des actions de prévention et de dépistage précoce des troubles mentaux assortis des programmes d’éducation thérapeutique préétablis correspondant au trouble diagnostiqué. À cet égard, certaines populations sont plus particulièrement visées au premier rang desquelles les enfants et les adolescents. Au fur et à mesure de la lecture des différents articles qui composent ce recueil, le lecteur est non seulement informé, mais aussi concerné par la bataille qui se déroule sur la place publique. Les auteurs ne revendiquent pas ici des égards pour la psychanalyse, ils mettent au jour la vision du monde promue par les TCC. Il s’agit alors de dénoncer une stratégie et un risque : une stratégie qui consiste à imposer un modèle unique pour appréhender la condition humaine et son traitement, un risque, celui de dévaluer l’humain réduit à ses déterminations et au trouble qu’il présente. Dès lors, puisque manifestement le débat ne fait que commencer, que l’enjeu est de taille et qu’il implique chacun de la place qui est la sienne, la lecture de l’Anti-livre noir est vivement recommandée. C. Doucet

Norgeu AM. La Borde. Le château des chercheurs de sens ? La vie quotidienne à la clinique de La Borde. Ramonville Saint-Agne : Érès ; 2006. 123 p. La psychothérapie institutionnelle n'a pas encore dit son dernier mot. Résistance admirable dans une conjoncture politique où le fou, celui qui trouble l'ordre du monde, est réduit à se taire, à collaborer à un dispositif de soins qui tend à l'uniformisation des pratiques et à un anéantissement de la pensée. La Borde fait figure d'exception dans le champ de ce que l'on nomme la santé mentale. Ce livre, traversé de part en part du désir d'Anne-Marie Norgeu, porte un coup de projecteur sur le quotidien des Labordiens. À y regarder de plus près, la psychothérapie institutionnelle ne serait-elle pas en fait une psychothérapie du quotidien, au quotidien ? Les vignettes cliniques s'enchaînent; simples rencontres, banales, essentielles, où la question « qui soigne qui ? » est en permanence en filigrane. Norgeu décrit avec beaucoup de poésie, quasi naïvement, ces petits riens qui participent du lien social, à la mise en relation difficile entre sujets. À la Borde, le fou est un sujet pouvant exprimer sa folie et ayant des oreilles accueillant ce message. Et c'est bien là l'essentiel… G. Ferré

Ribas D. Controverses sur l’autisme et témoignages. Paris : PUF, Coll. « Le fil rouge » ; 2004. 206 p. L’autisme est aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses, suscitant de nombreuses discussions, de positionnements théoriques et cliniques contrastés. J. Hochmann, dans son ouvrage

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« Pour soigner l’enfant autiste » (1983), souligne que l’autisme « reste aujourd’hui plus que jamais, une forme de discorde, un nœud de conflits où se jouent sur un mode dramatisé et paradigmatique, les grandes questions de la psychiatrie qui ouvrent, au-delà, sur les angoissants problèmes posés par l’existence de la folie et par son enracinement ontologique dans la réalité psychique de l’être humain ». Déjà dans son article de 1973, L. Kanner s’inquiétait de l’extension prise par le concept initial d’autisme infantile. « Il devint, écrit-il, habituel d’étendre le concept initial d’autisme infantile en le diagnostiquant dans de nombreuses affections disparates qui présentaient l’un ou l’autre symptôme isolé considéré comme une caractéristique du syndrome tout entier ». Or qu’entend-on par autisme, dès qu’on se dégage du syndrome de L. Kanner ? Bien souvent un fourre-tout qui ne retient plus que l’acception bleulérienne du terme, celle du repliement du sujet sur un monde intérieur. La confusion est devenue telle, que certains supposent même que parmi les cas présentés par L. Kanner dans son article princeps de 1943 tous ne seraient peut-être plus aujourd’hui considérés comme des autistes. Faire aujourd’hui usage de la notion d’autisme pose de réels problèmes, que ce soit pour l’établissement d’un diagnostic ou pour les indications de prise en charge de ces enfants. La difficulté de l’étude syndromique des formes que prend l’autisme de l’enfant tient à leur extrême diversité, mais plus encore à l’absence de points communs d’envergure entre les repérages nosographiques propres à chaque auteur. Si un accord se fait jour lorsqu’une conduite est décrite (stéréotypie, automutilation, troubles alimentaires…), la construction d’un syndrome fait intervenir des données de niveau clinique et épistémologique inégal : de sorte que certains sont des collections organisées de symptômes observés puis corrélés les uns aux autres, tandis que d’autres traduisent les hypothèses théoriques que leurs inventeurs utilisent pour enjoliver une efficacité thérapeutique. D. Ribas est pédopsychiatre et psychanalyste, membre de la SPP. L’auteur présente différentes théories et recherches à propos de l’autisme et leurs incidences quant à la prise en charge actuelle de l’autisme ; l’enjeu étant de confronter les théories cognitive et psychanalytique, pensant que de ce débat naîtront des « convergences remarquables ». Pour ce faire, D. Ribas se propose, bien qu’il mette en garde le lecteur quant à ses « convictions personnelles », de retracer le cheminement dans l’abord de ce syndrome qu’est l’autisme, de présenter l’état actuel des recherches tout en donnant « la parole, par des citations précises, aux patients ». La description de l’autisme selon Hans Asperger, auquel D. Ribas rend hommage pour avoir décrit « d’une manière vivante » l’autisme, inaugure cet ouvrage. La description de L. Kanner n’est pas reprise ici ayant fait l’objet du précédent ouvrage de D. Ribas intitulé : « L’énigme des enfants autistes » (1992). La prise en considération du syndrome d’H. Asperger permet de rompre avec le mythe déficitaire qui obscurcit bien souvent l’appréhension de l’autisme. Dans son ouvrage « Les psychopathes autistiques pendant l’enfance », H. Asperger reprend le terme d’autisme pour définir la « perturbation fondamentale intensément développée chez les malades schizophrènes » (p. 51). H. Asperger reprend la formulation de E. Bleuler à propos de l’« autisme schizophrénique » : « Les schizophrènes perdent contact avec la réalité d’une certaine façon : ils ne s’occupent plus du monde extérieur ». On retrouve, selon H. Asperger, tous les traits mentionnés dans l’autisme dans la personnalité psychopathique. À partir de la description de quatre cas d’enfants autistes — D. Ribas reprend deux d’entre eux : Frith V. (six ans) et Helmut (11 ans) — H. Asperger tente de trouver ce qu’il y a de commun et typique à ces enfants malgré d’importantes différences individuelles. La psychopathie autistique est, selon H. Asperger, un trouble qui se manifeste dans l’apparence physique, les fonctions expressives et tout le comportement, le résultat direct étant des difficultés graves et caractéristiques de l’intégration sociale. Cela, notait H. Asperger, peut être plus ou moins compensé, et relève d’une pédagogie spéciale plutôt que de

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psychothérapies. Le paradoxe se situe entre un « refus de communication » présenté comme absolu et la capacité de certains de ces sujets de créer des suppléances totalement artificielles par rapport à cette absence de communication. Rappelons que les théories de H. Asperger ont été une source d’inspiration pour les « theory of mind » (U. Frith ; Happé ; Baron-Cohen,…) qui, sous une présentation « cognitive », ne font que redévelopper les thèses intersubjectives de Husserl. Après avoir décrit l’autisme selon H. Asperger, évoqué succinctement les positions prises à l’égard de l’autisme par des élèves de Mélanie Klein tels que Margaret Mahler, Frances Tustin et Donald Meltzer, D. Ribas présente une clinique de l’autisme : tout d’abord le cas de Daniel âgé de quatre ans lorsque D. Ribas le rencontre pour la première fois ; puis des témoignages que D. Ribas qualifie, à juste titre, de « précieux » : ceux de Temple Grandin (« Ma vie d’autiste », 1994 et « Penser en images et autres témoignages », 1997), Donna Williams (« Si on me touche, je n’existe plus », 1992 et « Quelqu’un, quelque part », 1996) et Sean Barron (« Moi, l’enfant autiste », 1992). Font suite à ces deux premiers chapitres, cinq autres : le cognitivisme et l’autisme — notamment la théorie d’Uta Frith —, convergences entre psychanalyse et cognitivisme, réévaluation des thérapeutiques institutionnelles : la communication facilitée, les découvertes scientifiques et implications du corps et de l’esprit. D. Ribas conclut son ouvrage par les enjeux thérapeutiques et politiques suscités par l’autisme. La position prise par D. Ribas est de tenter de mettre du sens là où il s’agirait plutôt de se laisser enseigner par la clinique au cas par cas et par la mise au travail du sujet autiste. Cela n’est pas sans conséquence quant à la prise en charge des enfants autistes. Se laisser enseigner par la clinique et « guider » par la logique du sujet autiste est résolument un choix éthique ! G. Druel-Salmane

Vegh I. Le prochain, nouage et dénouage de la jouissance. Ramonville Saint-Agne : Érès, coll. « Point Hors Ligne » ; 2006. 152 p. Dans cet ouvrage, Isidoro Vegh met en tension l’énoncé quelque peu énigmatique de Lacan : « Le prochain est l’imminence intolérable de la jouissance » en regard de la célèbre et (pour Freud) déroutante maxime chrétienne « aimer son prochain comme soi-même ». À partir de la distinction judicieuse entre l’amour de l’Éros et l’Agape chrétienne, dans son caractère théocentrique, condition d’une rencontre du prochain qui excède la rencontre de l’objet, l’auteur interroge d’où peut venir la possibilité d’un amour qui, par-delà le divin, ne se fonderait pas non plus sur le manque de l’Autre. Dans cet effort, sont convoquées des références philosophiques et littéraires, au premier rang desquelles la figure de la femme tragique et de la mère infanticide : Médée. La mise en évidence de cet amour immotivé, non fondé sur le désir (sauf à inclure l’ordre phallique), mais sur le Réel permet à I. Vegh d’expliciter ce qu’il peut en être de l’amour à l’origine de la rencontre avec le prochain, dans sa dimension de jouissance potentielle. Du nouage et dénouage de l’amour par la jouissance et le désir... au nouage de la jouissance par un autre, en position sinthomale, invoqué à la place de prochain : telle serait la thèse conclusive. Où l’on peut ainsi saisir le fondement structural de l’impact historique et discursif de la maxime chrétienne ! Ouvrage fort intéressant qui, en certains passages, nous paraît souffrir de quelques faiblesses de la traduction. J.-L. Gaspard

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PSYCHOLOGIE Billiard M, Dauvilliers Y. et al. Les troubles du sommeil. Paris : Masson ; 2005. 395 p. Il semble que ce soit le premier ouvrage d'ensemble récent publié en France sur ce thème. Ouvrage réalisé par une grande équipe interuniversitaire, préfacé par le Pr Louis Jouvet, fondateur de l'école lyonnaise, dont on sait le renom. Opportunité que cette publication lorsque l’on sait que les troubles du sommeil et de l'éveil constituent une plainte extrêmement répandue dans la population. Ils relèvent d'un véritable problème de santé publique. La première partie est consacrée au sommeil normal. Celui-ci, dont on a progressivement décrit la complexité et « l'architecture » a pu donner lieu à une classification internationale fondée sur trois paramètres : les activités électroencéphalographiques (EEG),oculaires (EOG) et musculaires (EMG). Sa régulation est modélisée sous la forme de trois processus : homéostatique, circadien et ultradien (selon une vision neurobiologique alternée de populations de neurones interconnectés). Les progrès des enregistrements ont fait émerger des concepts graphiques : fuseaux, spindles etc. Au terme d'une étude approfondie, on nous apprend que la plupart des insomnies ne sont pas des pathologies du sommeil, mais des troubles de l'éveil. On commence à mieux connaître le comportement des grandes fonctions physiologiques au cours du sommeil. On nous montre l'individualisation de réseaux de neurones impliqués dans les processus de régulation, le repérage de leurs messages chimiques L'intégration de l'activité hallucinatoire, les aspects génétiques du sommeil, les fonctions des différentes phases de sommeil... Autant de sujets qui sont développés. La deuxième partie est consacrée aux méthodes d'exploration du sommeil, de la vigilance et de la somnolence... Les enregistrements simultanés (EEG, EOG, EMG) semblent devenir courants et se soumettre utilement aux analyses quantitatives des logiciels. Nous n'avons fait que survoler ces pages pourtant essentielles, mais très techniques. La troisième partie, forcément très développée, concerne l'ensemble clinique des troubles du sommeil et de la veille : Insomnies, hypersommnies, narcolepsies... Plus innovants sont les troubles du rythme circadien qui ont en commun une perte de l'alignement des horaires de veille et de sommeil par rapport aux heures conventionnelles ; pris pour des insomnies, ces troubles donnent lieu à des prescriptions inefficaces. Groupe apparemment hétérogène, c'est le groupe des parasomnies, c'est-à-dire des phénomènes moteurs ou verbaux nocturnes indésirables, à forte connotation psychologique. Les critères des impatiences musculaires des membres inférieurs et des mouvements périodiques des membres dans le sommeil ont gagné en précision. Dans la pratique quotidienne, ils sont souvent diagnostiqués avec retard. Bruxisme, rythmies du sommeil, myoclonies, crampes nocturnes viennent encore augmenter la cohorte des troubles moteurs. La dimension thérapeutique est toujours présente au long de ces pages. Les troubles liés à l'environnement : ce chapitre tombe apparemment dans le banal. Il soulève des problèmes très pratiques. La quatrième partie fait le tour des différents domaines de la médecine et des troubles du sommeil pouvant les accompagner.

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Le premier chapitre, le plus important, concerne la neurologie, que les affections soient à prédominance centrale ou périphérique. Dans les pages sur l'épilepsie, on marque en passant la pathogénie toujours officielle des mécanismes cholinergiques et monoaminergiques et du rôle activateur du sommeil. Le non-initié découvre de nouveaux regroupements, de nouvelles différenciations « nosographiques », liés à l'individualisation d'anomalies métaboliques distinctes. On parle de synucléinopathies (la maladie de Parkinson entre autres) et de taupathies (la maladie d'Alzheimer). En cardiologie, les risques nocturnes encourus ne sont pas rares pour les angors, les postinfarctus... les syndromes d'apnée du sommeil peuvent être des cofacteurs qui justifient des contrôles systématiques. En pneumologie, l'aggravation des troubles respiratoires au cours du sommeil des insuffisants respiratoires chroniques, souvent sous-estimée, doit être recherchée. Le chapitre de pédiatrie est inauguré (il lui est même dédié, selon les auteurs) par cet évènement dramatique qu'est la mort subite (nocturne) inexpliquée du nourrisson. Après une analyse fortement détaillée de cette « affaire », après l'actualisation des tentatives d'explication, il faut reconnaître que beaucoup de questions restent sans réponse. Viennent ensuite d'amples développements sur les insomnies, les hypersomnies, les catalepsies de l'enfant. À noter une pathologie très actuelle, liée sans doute aux nouvelles conditions de vie, le syndrome de retard de phase, cette incapacité qu'ont des adolescents à s'endormir le soir. Et nous sommes informés sur des affections plutôt rares, telles que le syndrome d'Ondine. Au chapitre psychiatrique, il nous est rappelé combien les perturbations sont étroitement associées. Des anomalies polysomnographiques sont observées dans presque toutes les catégories de troubles. Dans le tour d'horizon de cette pathologie manque curieusement le tableau de l'accès maniaque dont l'insomnie est pourtant si flagrante. Notre lecture se poursuivra par une simple énumération : maladies infectieuses, ORL, chirurgie maxillofaciale. Pour terminer, la douleur est examinée, cause fréquente d'insomnie, notamment chez 70 % des patients atteints de douleur chronique. Comme exemples courants d'interaction, les fibromyalgies pourraient être dues à des fragmentations du sommeil. Les céphalées, dans plus d'un tiers des cas, sont les conséquences diurnes à court terme des privations relatives de sommeil. Au bout du compte, nous n'avons pu que survoler un texte dense, presque encyclopédique. Dans sa préface, le Pr. Louis Jouvet annonce que ce livre doit être lu et étudié par les étudiants en médecine. Invigoration optimiste !... C'est avant tout un véritable traité qui devra entre autre influencer les programmes d'enseignement. P. Broussolle

HISTOIRE Arnaud R. La folie apprivoisée, l’approche unique du Professeur Collomb pour traiter la folie. Paris : De Vecchi ; 2006. 414 p. Henri Collomb est connu des cliniciens avertis de l’anthropologie en raison de son travail de pionnier d’une ethnopsychiatrie sérieuse et conséquente à Dakar dans le courant des années

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1960–1970. Il reste au nombre d’un des très rares soignants à avoir su habilement faire se rencontrer et non se rejoindre les savoirs de la psychiatrie et les connaissances des tradipraticiens, sans idéaliser, ni péjorer l’un et l’autre de ses deux apports, sans tenter d’en opérer une vaine fusion non plus. En effet, il fut un témoin averti et irremplaçable des mutations culturelles que connaissait déjà l’Afrique et qui faisaient des patients Wolof, Lébou et autres, des sujets en rupture et en transition par rapport aux patterns de conduites décrits par les ethnologues. Robert Arnaud est producteur à Radio France et écrivain. Fin connaisseur de l’Afrique, il a sillonné ce continent, fasciné souvent par sa tradition orale et ses procédures ancestrales de charme et de magie. En novembre 1971, sa rencontre avec Collomb, qu’a facilitée le sociologue René Bureau, semble avoir été déterminante pour lui, même s’il l’évoque peu et sobrement surtout. Sur le mode vivant et élégant d’une biographie qui brosse de l’homme un portrait épique et détaillé, sans trop verser dans une hagiographie toujours factice et fastidieuse, Arnaud s’attarde comme il se doit au long épisode de la fondation de l’« École de Dakar », de ses périodes fastes et de ses rares tensions (expression qui désigne la mise en place d’une psychiatrie communautaire qui fut aussi le point de départ de recherches anthropologiques et psychologiques d’importance). Il sait tout autant explorer l’amont et l’aval du parcours de Collomb. Récapitulons. En janvier 1939, Collomb, Médecin-Lieutenant de l’École de la Marine, part, affecté au deuxième Bataillon de Santé de la Marine, pour Djibouti. Ce timbre-poste sur la carte de l’Afrique de l’Est est un nœud stratégique d’importance : principal débouché de l’Éthiopie, grâce au chemin de fer, selon un traité de 1897. À ce moment-là, les éléments points trop amorphes de la colonie française de Djibouti vont se diviser sur la question de choisir entre l’ordre pétainiste et la France libre, et, en même temps, la guerre de résistance éthiopienne contre les troupes dépêchées par Mussolini, surprend par sa détermination. Churchill aidera grandement les troupes éthiopiennes, ordonnant l’afflux de renforts sud-africains. Collomb choisit les forces de la liberté. Une fois Djibouti libre, il va continuer jusqu’en Éthiopie son travail de médecin, allant, auprès des plus défavorisés, combattre paludisme, bilharziose et la redoutable maladie du sommeil, véritable explorateur sanitaire des régions les plus secrètes, les moins hospitalières et les moins salubres. C’est en même temps qu’il rationalise de la façon la plus moderne une politique de prévention et de soin, qu’il rencontre aussi les guérisseurs, assez impuissants à soulager les patients atteints de la sorte, et se fait un devoir d’atteindre aux compréhensions des représentations coutumières de la santé et de la maladie. C’est ainsi, sur le vif du réel du terrain qu’il se fait, de surcroît, anthropologue ; il se passionne alors pour ces restes de cosmogonies, appauvries et erratiques qui sont invoquées dans les procédures de guérissage traditionnelles. Mais encore ses longues avancées dans des territoires abandonnés et interlopes, où la maladie plus vite et plus rudement qu’ailleurs déchaîne ses cavales, font de lui un familier des nomades et des contrebandiers rebelles ou marlous. Charme, compétence, une force que rien de ce qui est mollement raisonnable ne vient freiner, tels sont les atouts qui ont peut-être joué en sa faveur en haut lieu, car le voici alors médecin du Souverain de l’Éthiopie, de ce Roi des rois, plus tard destitué. Autant dire que Collomb connaît déjà l’Afrique au terme de cette première immersion. Puis, toujours militaire, il est nommé chef de service de santé du corps expéditionnaire au Viet-Nam. Il suit cette longue chronique des charniers annoncés et inévités. Incessantes visites d’inspection. Des troubles ailleurs ignorés et qui touchent l’équilibre psychique des indigènes retiennent toute son attention. L’amok avec son agitation anxieuse, le koro, cette panique résultant de la conviction que se rétracte le pénis. De tels désordres « ethniques » auraient pu distraire Collomb des troubles que causent l’opium ou la syphillis et qui n’épargnent guère le petit monde autiste des expatriés jouisseurs. Mais c’est la guerre, la surdité, l’absence d’anticipation, l’hon-

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neur avec l’arrogance confondus, qui marquent la passion coloniale. En face, des combattants, pour la plupart d’entre eux, galvanisés par Ho-Chi-Minh. Déterminés, efficaces. Du sang, des tripes, de la cervelle partout. Puis l’indépendance. Débute alors la grande aventure de Collomb. Dakar et l’hôpital psychiatrique de Fann. Là où il trouvera sa stature et composera sa statue. Cet homme qui se tient immobile, fixant et figeant l’assitance des colloques sous le feu d’un regard qu’aiguisent ses paupières coupantes, dérange et intrigue, fascine. Mais il est facile et donc faux de réduire Collomb à sa prestance, comme on le fait encore si piteusement d’un Lacan, par exemple ! Encore faut-il préciser sa pensée, sa politique comme psychiatre, médecin-chef. Ce que Arnaud réussit fort bien. De façon précise et sans pédantisme. Le point de départ de la « révolution Collomb » semble n’être rien d’autre qu’un constat de bon sens : compte-tenu de l’importance de la vie sociale et groupale des patients africains, ne pas les traiter dans le grand enfermement de l’asile, mais faire fonctionner l’asile comme un groupe thérapeutique. On connaît, dès qu’un peu habitué à la psychiatrie en Afrique de l’Ouest, le grand héritage que laissa le psychiatre : hospitalisation de personnes accompagnant le malade et qui servent d’interprètes au besoin, réunion de patients sous forme des palabres, écoute et respect des théories étiologiques propres à telle communauté culturelle, mais toujours entendue dans son expression singulière, tentatives de « fusion » entre les règles occidentales du psychodrame et les expressions de théâtre populaire, etc. Rien de tout cela ne se fit en un jour. C’est progressivement que Collomb a attiré vers lui, puis formé des cliniciens et des psychologues, ou qu’il a favorisé, autour de lui, le développement de recherches ethnographiques de premier plan. Les noms de Rabain, Zempleni, Martino, Le Guérinel, Valentin, surgissent presque immédiatement lorsqu’on évoque Fann. Mais aussi Collignon qui a contribué à la création de l’éminente revue Psychopathologie Africaine basée à l’hôpital de Fann, à Dakar donc, et toujours vivante. Il y eut aussi tous ces psychiatres africains, par lui formés et promoteurs d’une psychiatrie à visage humain, au Sénégal comme au Mali (Momar Gueye et Baba Koumaré, surtout). Ses initiatives ne manquent de faire écho aux entreprises des psychothérapies institutionnelles et on pense surtout aux expériences d’un Fanon à Blida (espaces culturels au sein de l’Hôpital), même si le regard sur les rapports entre colonisateurs et colonisés au sein d’une institution soignante n’avait pas chez Collomb l’acuité ni le tour militant qu’il avait pour Fanon. Aujourd’hui, un tel livre permet aussi de fixer quelques idées. La fibre d’anthropologie clinique qui vivait chez Collomb l’a mené à porter la plus vive des considérations à certains guérisseurs, à les fréquenter souvent. Il voulait d’eux apprendre. Et par eux il fut enseigné. Mais jamais il n’a imposé à ses équipes la tâche au demeurant impossible de se muer en guérisseurs traditionnels. Et les deux tradipraticiens dont il voulut, un temps, s’assurer les services au sein de l’hôpital ne purent y rester, pris qu’ils étaient dans des rapports conflictuels avec des soignants ou des soignés. De plus, le lieu de l’hôpital de soin ne pouvait être tenu comme une « terre » acceptable pour un commerce avec les ancêtres et les forces occultes. Tout à fait conscient du fait que, causant avec les guérisseurs casamançais, il se faisait témoin de la fin d’un monde traditionnel, il n’avait pas ambition de créer une nouvelle classification des troubles, en les nommant d’un verbiage trouble et semi-folklorique. La catégorie de l’enfantancêtre, nom vulgaire et très répandu en région parisienne, de l’enfant « qui part et qui revient », appartenait surtout à l’observation anthropologique. Elle ne constituait pas un diagnostic clinique. Psychiatre, Collomb a su le rester jusqu’au bout en tant que penseur de l’institution et réformateur d’exception. Les merveilleux enseignements qu’il retira de son histoire africaine, il voulut ensuite, une fois retrouvée la France, les appliquer à l’hôpital psychiatrique de Nice et ce fut un combat qui recom-

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mençait pour un homme déjà au bout de ses forces. Voilà que cette histoire nous est restituée et ce livre amène à des débats à propos de politique institutionnelle et d’épistémologie de la recherche, qui sont loin d’être obsolètes. O. Douville

Forest D. Histoire des Aphasies. Paris : PUF, collection « Pratiques théoriques » ; 2005. 352 p. Ancien élève de l’École normale supérieure, Denis Forest est maître de conférences à la Faculté de philosophie de l’Université Lyon-III–Jean Moulin et chercheur associé à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (HPST, Paris). Son livre, de très haut sérieux, parcourt l’histoire de la découverte de l’aphasie et des théorisations dont elle bénéficia ; il est traversé par une question « comment concevoir le rapport entre celui qui parle et ce qui lui permet de parler ? » Le fil rouge que constitue cette question permet de faire de l’aphasie un objet complexe. Et donc un objet « pour » différentes disciplines. Que les aphasies aient été un objet philosophique n’étonnera sans doute pas. Il est loisible d’affirmer avec l’auteur qu’une part substantielle de la pensée philosophique française non métaphysique s’est définie par rapport aux grandes modélisations neuropsychologiques en général. Il suffirait ici de retracer l’histoire de quelques jalons : Descartes, Diderot, Bordeu, Merleau-Ponty. Et il est ardu et stérile de retracer cette histoire des aphasies (le pluriel et important) sans traiter du développement d’une neurologie qui, avec de Broca et Jackson, a dépassé l’expérimentation animale et l’étude des activités segmentaires du corps pour rechercher une élucidation plus synthétique des fonctions psychologiques. L’ancien organe de l’âme s’effaçant, graduellement, au profit de l’appareil psychique des neurologues. Trois constats ordonnent la présentation de cette histoire. Le premier expose les arcanes de la neuropsychologie qui se donne pour objet l’aphasie. Il est constaté une interdépendance des motifs par lesquels on résume les divers angles de modélisations des aspects du fonctionnement psychique concerné par l’atteinte aphasique : soit le substrat biologique du langage, les niveaux d’élaboration de la phrase, la typologie des pathologies de l’expression, la perception du langage comme transition du son au sens. L’interdépendance de ces motifs donnant lieu à une série d’élaborations cliniques autour de la pathologie du langage. Le second relève de l’histoire des idées. Ces divers motifs pouvant d’autant mieux être isolés qu’ils sont apparus dans des contextes culturels et historiques distincts. L’évolution est nette qui va de l’organologie déficitaire à la critique que Head et Goldstein adressent à la tradition neurologique ouvrant à la clinique de ce qui manque au patient, mais aussi des nouvelles réorganisations dont il se rend capable. Le troisième reprend l’exposé de chacun de ces motifs en les soumettant aux plus récentes avancées de la connaissance actuelle, s’élaborant aujourd’hui sur plusieurs fronts. Le lecteur prendra connaissance de l’exposé minutieux et documenté de l’exposé des thèses de jadis, de naguère et d’aujourd’hui. Il situera mieux la place du livre de Freud : Contribution à l’étude des aphasies. Les premières argumentations de Freud sur le travail de la pensée passent par un découpage du concept de représentation. Dans sa Contribution …, il n' y a pas à considérer que les aires corticales contiennent de façon localisée les représentations avec lesquelles œuvre le langage. La transposition de clarté entre l'évidence de la représentation et l'isolement net de la cellule

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nerveuse est battue en brèche. On connaît, certes, à quel point les modèles électriques dont ceux de Kirchoff inspirèrent les constructions freudiennes de cette époque, précisément parce qu'ils recoupaient les conquêtes de la physiologie cérébrale. Nothnagel, un des maîtres de Freud resta célèbre pour sa critique de la théorie des localisations cérébrales. La psychologie qui se constitue à l'époque des premiers textes analytiques et métapsychologiques freudiens a été un relais pour l'analytique. Freud était tout à fait attentif à l'aspect rhétorique de la psychologie dans son projet scientifique. Pour expliquer la modification persistante de la fibre nerveuse, modification dont témoignent les phénomènes écholaliques de l'aphasie, il faut penser l'hypothèse d'un surcroît d'excitation qui a précédé la catastrophe, dans son pressentiment. Ce plus d'excitation est pensé grâce à la persistance des représentations. Le langage sera le seul espace possible de cette « effectuation ». Freud livre une lecture clinique serrée de ce point de sidération ou de tristesse dépressive que celui-ci avait repéré chez certains patients atteints d'aphasie. Le tableau clinique observé chez les patients, révèle cette ablation d'un supplément de temporalité signifiante entre mémoire et signes, cette impossibilité d'une mise en paroles du plus factuel des apprentissages et des repérages qui signalent l'aphasie. Ces traits descriptifs, par ailleurs, cristallisent un ensemble de signes qui permettent à Freud de proposer une théorie de l'appareil de langage dans l'appareil psychique. Passage du psychopathologique au métapsychologique. Un tel appareil n'est pas simplement conçu comme singulier, enclôt dans cette boîte crânienne, défectueuse, des aphasiques. Le schéma rassemble, dans l'appareil de langage, images de lecture, d'écriture et de kinesthésie, autour de la représentation de mot. L'hypothèse précise de l'existence d'une voie de frayage associatif reliant cet ensemble à l'image sonore dominante, elle-même reliée aux associations d'objet, préfigure ce qui deviendra la topique et le jeu des instances. La mise en parallèle de la lésion neurologique nécessitant la dérivation par d'autres voies associatives du contenu représenté et de, ce qui deviendra ultérieurement dans les textes censure psychique, la prévalence accordée à la trace acoustique comme engramme mnésique firent le pont entre conception neurologique, accès à l'inconscient et écriture. Cette dernière dessine le lieu d'accueil du monologue intérieur sans cesse dérivé. L'appareil psychique dont Freud nous parle là, illustre la construction du psychisme humain, conflictuelle et précaire, parce que structurellement soumise à la menace de l'effacement de la trace. L'analyse de la dépression aphasique qui affecte les possibilités de figuration de la parole, dépasse le portrait psychologique des malades, et atteint la description d'un appareil psychique de langage et de pensée en péril lorsque la pensée est inapte à se représenter en modèle avant même de se représenter en sens. Le tournant freudien proviendrait-il de ce que Freud a bien davantage porté son attention à l’étude de la performance du sujet de la parole qu’à la grammaire universelle et, ce, dès son travail sur l’aphasie ? On se réjouira sans doute d’apprendre en ce livre de Forest que deux lignes d’études existent toujours dans l’abord de l’aphasie, sans tout à fait dialoguer entre elles. L’une reconduit tout un faisceau d’intérêt pour l’objet canonique des sciences du langage en tentant de comprendre comment la langue permet d’engendrer des phrases, l’autre s’attache à une question supplémentaire, celle de savoir comment les locuteurs engendrent des phrases. De récentes recherches (Dominey et Lelekov, Gopnik et Meltzoff) font douter de la thèse encore répandue de l’indépendance réciproque de la capacité linguistique et de la cognition générale. L’examen du patient, au singulier, démontre, à rebours, qu’il y aurait un effet spécial au langage sans qu’il y ait un domaine propre qui lui corresponde pour autant.

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Dans le contexte actuel d’éclatement des savoirs sur le langage, on conclura, avec l’auteur que l’étude des aphasies, « l’analyse ou anatomie de l’expression qui en dérive, appelle une nouvelle cartographie de l’esprit ». O. Douville

Lombardi G. L’aventure mathématique, liberté et rigueur psychotiques. Cantor, Gödel, Turing. Paris : Champ lacanien, coll. « In Progress » ; 2005. 227 p. L’ouvrage de Gabriel Lombardi est difficile à commenter tant ses qualités sont nombreuses. L'écriture (ou plutôt la traduction) est claire et rigoureuse. Les références sont classiques pour certaines, très récentes pour d’autres. L’auteur cerne et définit son objet de recherche, soit le traitement des effets de sujet dans les langages formels, à travers les travaux des grands hommes du XIXe et du XXe siècle tels que Cantor, Gödel ou encore Turing. Le choix de ces savants, du fait de leurs trouvailles respectives, mais aussi de leur position subjective, n’est évidemment pas anodin. Et l’auteur s’en explique. C’est d’ailleurs un des points forts de ce livre que de considérer réellement la psychose autrement que comme un déficit et même au-delà de la psychopathologie. Sans idéalisme, le sujet psychotique y est très justement décrit comme à la fois capable du plus extrême assujetissement à la logique d’un discours (celui des mathématiques, par exemple) tout en étant néanmoins porteur d’une liberté qui lui permet de s’affranchir, plus aisément que le névrosé, des figures du savoir déjà là, de la tradition, etc. Il est, de ce fait, plus apte à se confronter, sans médiation, aux impossibilités du symbolique et à participer au renouvellement du savoir, de la science, et du lien social même si c’est parfois au prix de s’exclure radicalement de ce dernier : que l’on se réfère, sur ce point, au suicide de Turing, à la réserve de Cantor à participer aux associations qu’il avait pourtant contribué à mettre sur pied, ou encore à la réticence de Gödel à répondre aux invitations chaleureuses de la communauté scientifique qui lui témoignait par-là de sa reconnaissance. Cet abord non déficitaire de la psychose vaut donc la peine d’être souligné puisque, il faut bien le dire, il est, encore aujourd’hui, malheureusement beaucoup plus rare que d’aucuns le proclament et l’affichent. Or, le franchissement du seuil de la psychopathologie se situe précisément dans le mot d’ordre de ce travail qui rappelle que le psychanalyste n’a pas à faire le psychologue avec l’artiste ou le mathématicien en tant qu’il s’agit bien plutôt qu’il se laisse enseigner par eux. C’est en quoi Gabriel Lombardi prend acte que le dire du savant n’est pas à interpréter mais, qu’au contraire, il nous interprète. « Nous », c’est-à-dire les sujets du lien social du XXIe siècle qui doit beaucoup à la révolution informatique permise par les travaux de Turing, et qui fait désormais de notre monde un « village planétaire » ; lesquels travaux de Turing n’eurent, à leur tour, pas été permis sans les bouleversements successifs introduits dans les fondements des mathématiques par les démonstrations de Gödel et, avant lui, de Cantor. L’auteur dénote d’ailleurs pertinemment le dire de chacun de ces savants par un trait qui le singularise : la liberté pour Cantor, la certitude pour Gödel et la machine pour Turing. Cantor est la liberté dans la mesure où l’incroyance qui fonde sa démarche antiphilosophique lui permet de dégager le discours des mathématiques de sa gangue métaphysique et de son lien aux objets physiques de la réalité sensible et à toutes finalités techniques. Gödel, quant à lui, est la certitude qui soutient le caractère indépassable de son argumentation et l’atteinte des impasses définitives et absolues inhérentes au traitement logique des mathématiques. Turing enfin, est dénoté par son

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invention, soit la machine qui porte son nom et dont le langage de la programmation se fonde sur l’élimination méthodique des effets de sujet. En somme, en contribuant notamment à rappeler que le sujet n’est pas la subjectivité, que les mathématiques ont un rapport étroit avec le réel (sauf à le confondre avec la réalité) et donc que, pour Lacan, la recherche logique sur les fondements de la mathématique est une exploration logique de la structure de l’Autre, ce livre souligne la pertinence d’un « dialogue » entre la psychanalyse et des disciplines apparemment arides, car centrées sur le monde asémantique du symbole, et démontre comment le sujet de la psychanalyse est bien le sujet de la science. Souhaitons que cet ouvrage suscite l’intérêt qu’il mérite, d’autant qu’il rencontre la subjectivité de son époque. Il n’est, en effet, pas exclu que d’autres recherches en ce sens fournissent les éléments indispensables à un débat nécessaire entre la psychanalyse et les sciences cognitives. N. Guérin

Von Bültzingslöwen I. (sous la dir de). « Morts d'inanition » Famine et exclusion en France sous l'Occupation. Rennes : P.U.R ; 2005. 305 p. Cette vaste enquête a été partiellement déclanchée par une controverse concernant les malades mentaux dont on savait que beaucoup avaient payé de leur vie la disette sous l'Occupation. À la suite d'un (trop bref) mémoire de médecine légale, en 1952, un bilan épidémiologique du Centre psychothérapique de Nancy, des années 1841 à 1952, j'avais proposé, 30 ans plus tard, à un de mes internes, Max Lafont, pour sa thèse, en 1985, une recherche sur la mortalité des malades à l'hôpital psychiatrique du Rhône, le Vinatier, dans les années 1940–1945. Le travail, très approfondi, prit finalement la tournure d'un ouvrage avec pour titre « l'extermination douce ». Cette thèse, devenue accusatrice, exploitée par les médias, mettait le Vinatier au pilori, suspecté d'avoir suivi la politique soupçonnée de ségrégationnisme du régime de Vichy. Une histoire romancée, sur la même veine, aggrava la tourmente qui régnait au sein de l'hôpital, avec un conflit entre approbationnistes et négationnistes ou plutôt atténuationnistes. L'ampleur de la polémique, avec le désir d'y voir plus clair, amena une équipe d'historiens universitaires à se mettre à la tâche. Les chercheurs élargirent leurs investigations aux différentes catégories de populations qui avaient en quelque sorte été mises en péril par la sous-alimentation pendant les cinq années. Première sur le chantier, et finalement maître d’œuvre de ce travail collectif, Isabelle von Bültzingslöwen campe en préambule le problème de cette faim à laquelle la population française n'était pas habituée de longue date. Le sujet qui allait être traité dans ces pages n'avait attiré que tardivement l'attention des historiens, peu séduits, semble-t-il, par la monotonie répétitive du quotidien, au profit des évènements politiques ou sociaux, seuls capables d'être historisés ? Quarante mille morts, 40 000 malades mentaux morts de faim dans les hôpitaux psychiatriques français entre 1940 et 1944 ! On nous montre comment ce scandale a émergé progressivement, après un étrange et long silence. Histoire d'abord de la pénurie alimentaire et de la politique progressive de rationnement avec ses variations, ses conséquences dans les moindres détails. L'étude se centre désormais sur ces « hôpitaux », avec les variations, fonction de leur taille, de leur implantation, de leur structure publique ou privée.

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En premier, le Vinatier. Clameur qui couvrira toute la suite des textes, c'est une lettre écrite sur un papier d'écolier, destinée au directeur de l'hôpital, non expédiée. Émouvante par la clarté avec laquelle Joseph S. expose calmement sa détresse, les remèdes qu'il faudrait y apporter. Son auteur succombera quelque temps après. Cet « hôpital », premier accusé, est analysé dans sa courbe mortifère et dans les difficultés qui peuvent expliquer en partie le déroulement de la catastrophe. Établissement de grande taille, le deuxième de France, avec 2895 malades en janvier 1940. Installé à l'entrée d'une grande ville ellemême en difficulté, dépourvu de plusieurs de ses responsables du fait des départs en Allemagne. Établissement public soumis à une rigidité des règles de comptabilité. En mauvaise posture dans la bataille des adjudications et des passations de marché. Paradoxalement pénalisé par la munificence de son appareil agricole dont la production, contrôlée et réglementairement requise, profitait peu aux malades. Population issue de milieux plutôt défavorisés. Inefficacité totale des plaintes réitérées de ses médecins et du directeur. Établissement affligé de plus par l'arrivée brusque et massive de malades issus d'autres hôpitaux psychiatriques menacés par la guerre. Dans son circuit alimentaire (comme dans d'autres établissements... !), les malades ont souffert aussi d'un certain coulage de la part du personnel. Intervention tardive, salutaire, le Secrétaire d'État aux ravitaillements, Max Bonnafous, dont l’épouse était médecin des hôpitaux psychiatriques, lance une circulaire qui ordonne des suppléments d'alimentation. Cette mesure, qui abaissera la mortalité, fut critiquée par des voix autorisées, médicales même, qui contestaient cet « avantage » donné à ces improductifs ! ... Dans la même agglomération, une comparaison nous est possible, qui dépeint à son tour, l'hôpital privé Saint-Jean-de-Dieu où la mortalité fut nettement moindre pour plusieurs raisons. Pour partie, ses malades, appartenant à des familles plus aisées qui pouvaient améliorer l'ordinaire. Par ailleurs, il ne fut pas mis à contribution pour ces transferts soudains liés à la guerre. Son exploitation agricole a pu vraiment dépanner ses malades. Mais, surtout, son statut privé l'autorisait, par son financement et sa comptabilité plus souples, à se livrer à des achats moins contrôlés. Enfin, la tradition caritative des frères de Saint-Jean-de-Dieu apportait de meilleures conditions de prise en charge. Continuant cet itinéraire, nous sommes amenés dans un hôpital psychiatrique qui, lui aussi, a beaucoup souffert, celui de l'Isère. Nous ne retenons que quelques particularités. Du fait de son implantation, il fut, dès 1940, considéré comme établissement rural, alors qu'il ne profitait pas de la campagne environnante. Le service du Rationnement Général s'y employa avec une rigueur sans complaisance. Par exemple, un stockage prévoyant de riz en 1940 subit un prélèvement de plus de la moitié en 1942, sans discussion. La ferme, qui renforce cette allure rurale trompeuse, était considérée comme une simple unité de production dont rien n'était dérivé au profit de l’établissement... ! Enfin, valable pour tous les hôpitaux psychiatriques, ce courrier administratif consécutif à la circulaire Bonnafous, dans lequel il est indiqué que l'on doit réserver ce supplément « aux seuls malades récupérables pour la société » ! Nous voilà ensuite transportés dans un des sept hôpitaux psychiatriques du département de la Seine. On y retrouve les mêmes problèmes, avec des efforts pour lutter contre le coulage. Création d'un poste de surveillance vite impopulaire qu'il fallut supprimer. Amélioration des conditions de travail du personnel; création d'une cantine. Cette mortalité accrue chez les hospitalisés amène le Préfet à proposer une subvention pour que la commune puisse agrandir son cimetière

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devenu insuffisant ! L'auteur de ce chapitre nous livre les déclarations de diverses hautes autorités qui montrent de grandes divergences d'opinion vis-à-vis de ces « improductifs », mais on n'y trouve pas d'intention politique d'élimination. Un peu plus loin, on nous fait découvrir, après Saint-Jean-de-Dieu de Lyon, comment agirent les cinq asiles privés de la Congrégation Sainte-Marie de l'Assomption. Là encore, une meilleure lutte contre la précarité alimentaire, d'incessantes initiatives non dénuées de risque eurent un résultat remarquable... ! Une deuxième partie de l'ouvrage, sortant désormais de l'univers psychiatrique, nous amène auprès des grandes collectivités hospitalières. Les riches archives des hospices civils de Lyon permettent de suivre pas à pas la pénurie croissante, face à leur devoir d'assistance et de soins. On voit s'imbriquer les pouvoirs administratifs et politiques, la bataille des marchés, les réactions du monde médical. Dans le cadre de ce grand univers hospitalier, le sort des vieillards trouve sa pire déréliction à l'hospice d'Albigny où le facteur isolement joue son rôle aggravant. On s'interroge ensuite sur ce qu'a pu devenir la population des sanatoriums, établissements dont pouvait s'enorgueillir avant guerre ; notre système de lutte contre la tuberculose. Il s'agit là d'une catégorie privilégiée de notre démographie, capable de s'unir pour réagir contre les carences alimentaires. Avec les mêmes débats, les mêmes tentatives d'amélioration, le grand sana des Petites Roches, se tira mieux de cette pénalisation. Un univers plus sombre est abordé, celui des univers officiellement privés de liberté. Les prisons d'abord. Les deux années terribles furent 1941–1942. Au départ, le parc pénitentiaire, en mauvais état, dont plusieurs unités avaient été abandonnées, se remplit rapidement avec l'entrée en fonction du régime de Vichy. L'alerte et le constat des Inspecteurs généraux, remarquablement indépendants du pouvoir politique, furent de véritables réquisitoires, néanmoins dépourvus d'effet. Le Préfet de la Gironde, face aux horreurs du fort du Hâ, vint demander si les juges d'instruction ne pourraient pas laisser en liberté un grand nombre de prévenus... ! Autres lieux, souvent tombés dans l'oubli, ceux des camps d'internement qui naquirent avec les réfugiés de la guerre d'Espagne et servirent ensuite aux Allemands pour leur politique de déportation massive. Avec une morbidité endémique liée aux conditions d'hygiène, mais avec une mortalité limitée. La gestion de ces camps aurait été impossible sans l'action des œuvres d'assistance. Le dynamisme peut-être insuffisant de la Croix-Rouge, par exemple, a sans doute incité par la suite les « French doctors » à ne plus se cantonner dans l'humanitaire strict et dans la neutralité... ! Nos historiens ont franchi les frontières pour s'interroger sur les camps de prisonniers de guerre dispersés en Allemagne. Et nous voyons comment l'État français essaie de maintenir un contrôle et une aide auprès de nos compatriotes. Là encore, l'état sanitaire et la morbidité sont étudiés avec soin, ainsi que les différences selon les lieux et les structures. Contrairement à ce qui s'était passé pour toutes les institutions étudiées en France, la surmortalité par dénutrition y fut moindre... et la malnutrition se développa plus tardivement, au gré des vicissitudes de l'armée allemande, en 1943–1944–1945. La dernière partie est consacrée aux catégories fragiles de la population urbaine.

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Et voici un panorama minutieux de l'agglomération lyonnaise, avec ses 700 000 habitants, avec ses différents acteurs, le monde des usines, celui des écoles, des personnes âgées isolées ; les réactions de la presse. Les ripostes collectives aussi: comités sociaux d'entreprise, associations, actions de la municipalité. Institution vichyssoise, le Secours National méritait une description approfondie, avec ses mécanismes d'action, son aura politique constamment entretenue, la permanente effigie du Maréchal, ses résultats, ses faiblesses. La vulnérabilité des enfants, avec ses crises de mortalité de 1940 et 1945, avec curieusement une baisse de mortalité à tous les âges au-dessus de 15 ans, une surmortalité pour les plus, jeunes... En fin d'étude, un regard est donné sur l'aide suisse. Difficultés pour ce qui était du choix des enfants à emmener pour des séjours allant d’un à six mois. Réalité d'exclusion des enfants de migrants, des enfants juifs. Ambiguïté de l'administration helvète partagée entre son désir de secourir, le souci de se donner bonne figure, et les risques d’une neutralité constamment sous la surveillance soupçonneuse des nazis. Au terme de cette lecture dont nous n'avons pu donner que quelques aperçus tant la matière était dense et diversifiée, il nous faut remercier Isabelle v. Bültzingslöwen et ses collègues historiens pour cette grande synthèse. Un apport innovant particulier y est intégré, concernant la scandaleuse surmortalité des malades mentaux, conséquence tout de même d'une certaine indifférence coupable des responsables du moment et de la population elle-même. Des ouvrages sur tel ou tel des différents chapitres existaient. Mais nous possédons désormais une vue générale sur cette souffrance dont les Français ont pâti durant cinq années. Un seul regret, concernant la mise en coupe réglée de l’Occupant, c'est, après nous avoir donné beaucoup d'exemples partiels, de ne nous avoir pas livré le chiffre global annuel, même approximatif, de la « soustraction », comparée au budget général d'alors avec lequel le gouvernement tentait de répondre à tous les besoins. P. Broussolle