Nutrition et « parcours de soins »

Nutrition et « parcours de soins »

Cahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 16—21 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com SANTÉ PUBLIQUE Nutrition et « p...

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Cahiers de nutrition et de diététique (2014) 49, 16—21

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

SANTÉ PUBLIQUE

Nutrition et « parcours de soins » Nutrition and care management Arnaud Basdevant ∗, Marina Vignot , Cécile Ciangura , Judith Aron-Wisnewsky Pôle cœur et métabolisme, institute of cardio-metabolism and nutrition (ICAN), hôpital de la Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix, AP—HP, université Pierre-et-Marie-Curie, 83, boulevard de l’hôpital, 75013 Paris, France Rec ¸u le 17 octobre 2013 ; accepté le 18 novembre 2013 Disponible sur Internet le 21 janvier 2014

MOTS CLÉS Maladies chroniques ; Parcours de soins ; Parcours de santé ; Organisation des soins ; Nutrition

KEYWORDS Chronic diseases; Care management; Care organization; Nutrition

Résumé La prise en charge des maladies chroniques liées aux évolutions des modes de vie, notamment des habitudes alimentaires, est un modèle pour développer des parcours personnalisés de soins prenant en compte les caractéristiques individuelles, la « niche écologique » du patient et le contexte social. Le développement de parcours de santé est un domaine émergent, qui a déjà été exploré en cancérologie, et pour lequel les spécialistes de nutrition doivent faire des propositions. Cet article vise à lancer la réflexion et le débat sur la place des professionnels impliqués dans les actions de nutrition. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition.

Summary The management of chronic diseases related to the evolution of lifestyles and environment, is a model to develop a personalized care management taking into account the characteristic of the person, her/his ecological niche and social context. This emerging domain has been explored in cancerology. Nutritionists should now be involved in the process of development of health trajectories. This paper is a contribution to the debate on the role of nutritionist in disease management of chronic diseases © 2014 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of Société française de nutrition.

Introduction La nutrition occupe une place centrale dans la genèse, l’entretien, l’aggravation et les conséquences des maladies chroniques, notamment des maladies cardiométaboliques (i.e. diabète, obésité, dyslipidémie, maladies coronaires et cardiaques) et des cancers, causes majeures d’affections de longue durée. Alors qu’une approche intégrée et durable est la condition de la qualité et de la sécurité des soins, la



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Basdevant).

0007-9960/$ — see front matter © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition. http://dx.doi.org/10.1016/j.cnd.2013.11.003

Nutrition et « parcours de soins »

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prise en charge de ces situations cliniques reste marquée par le cloisonnement des interventions médicales et comportementales (nutritionnelles ou autres). Les autorités de santé, au travers du programme national nutrition-santé, misent sur une contribution plus précoce et durable des interventions nutritionnelles et sur leur intégration aux différents stades de la prise en charge. La coordination des actions médicales avec celles portant sur les « comportements santé », devient un impératif prioritaire. L’objectif est de faciliter le parcours du patient au fil de l’évolution de la maladie chronique en prenant en compte le contexte de vie au sens large [1]. C’est un challenge pour les médecins, les diététiciens et pour tous ceux qui s’occupent de nutrition-santé de réfléchir à ces enjeux et de proposer des solutions pragmatiques. Il faut à partir d’une analyse de l’itinéraire des personnes dans le système de soins, identifier les obstacles et les leviers sur lesquels intervenir pour faciliter le parcours de soins sur la durée.

Parcours de soins, parcours de santé L’itinéraire de la personne atteinte de maladie chronique c’est d’abord un « parcours de soins », c’est-à-dire tout ce qu’impose la prise en charge purement médicale aux différents stades évolutifs d’un processus étalé dans le temps. À la phase préclinique (prédisposition familiale) succèdent la phase de facteurs de risque (i.e. adiposité abdominale) puis de maladie constituée (i.e. obésité et diabète) et enfin de complications chroniques et d’événements aigus (i.e. insuffisance rénale ou cardiaque) (Fig. 1). Pour la Haute Autorité de santé (HAS), l’objectif est « l’amélioration du parcours de soins sur le long terme qui nécessite le juste enchaînement et au bon moment des différentes compétences professionnelles : consultations, actes techniques ou biologiques, traitements, épisodes aigus (décompensation, exacerbation), autres prises en charge. . . C’est la condition pour développer les actions d’anticipation, de coordination

Société Economie/Marché Urbanisaon Gradient social Modèle alimentaire Culture, tradion Pression sociale Publicité Urbanisaon Climat Polluon …

Comportements

Biologie

Nutrion maternelle Habitudes alimentaires Acvité physique Sommeil Stress

Génétique Epigénétique Hormones Flore digestive Virus

Figure 1. Facteurs d’exposition aux maladies liées aux comportements et à l’environnement : exemple de l’obésité.

et d’échanges d’informations entre tous les acteurs impliqués. La démarche permet une meilleure intégration des différentes dimensions de la qualité des soins mais aussi accessibilité, continuité et « point de vue du patient » [1]. L’itinéraire du patient atteint de maladie chronique n’est pas que du soin médical, c’est aussi tout ce que la situation clinique génère dans la vie personnelle, relationnelle, professionnelle et sociale. Le « parcours de santé » va bien au-delà des aspects médicaux classiques : il faut inclure dans l’analyse les interactions entre dégradation de l’état de santé et le contexte de vie, la niche écologique (ressources, lieu de vie, soutien social etc.) et l’environnement plus large (transports, ville, situation économique, évolution du système de santé etc.). Les difficultés des parcours de soins sont éminemment variables d’une personne à l’autre, mais il existe des dénominateurs communs. D’abord, le hiatus entre les conseils sur les modifications des modes de vie et leur mise en œuvre dans la vie quotidienne : les recommandations médicales sur les changements des habitudes de vie (exemple régimes) et certains traitements (exemple insulinothérapie) sont en réalité des contraintes et des astreintes (maintien durable des contraintes) qui butent sur une série d’obstacles objectifs et subjectifs. Il faut évoquer également que le cloisonnement entre les secteurs médicaux, sociaux et communautaires est source de dispersion des objectifs, d’incompréhension des priorités, voire de messages contradictoires. Ces difficultés sont d’autant plus importantes qu’il faille gérer plusieurs pathologies intriquées, donc des prises en charge par différentes équipes médicales qui ne sont pas toujours en cohérence les unes avec les autres. Interviennent également les difficultés d’accès aux soins pour des raisons économiques, linguistiques ou autres, sources d’inégalités sociales qui tendent actuellement à s’aggraver. Enfin obstacle majeur, les facteurs d’exposition à la maladie ne sont pas pris en compte dans l’approche médicale classique : par exemple l’accès aux activités physiques adaptées aux pathologies, la qualité de certaines restaurations collectives, le temps de transport, etc. (Fig. 2) [2—4]. Fragmentation des soins, défaut de coordination, cloisonnement des acteurs, pression environnementale n’aident guère à la gestion d’une maladie chronique. Le parcours est émaillé pour le patient et son entourage de périodes de rupture, d’obstacles divers qui altèrent la qualité des soins avec des conséquences personnelles, médicales et médicoéconomiques considérables. Le résultat est une qualité de

Figure 2. Trajectoire du bien-être à la maladie. SSR : soins de suite et rééducation.

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A. Basdevant et al.

Analyse de la liérature Idenficaon des processus d’accès aux soins Evaluaon des besoins avec paents associaons, professionnels…

Mise au point du programme personnalisé de soins

Test du PPS amendements Diffuser le PPS et l’évaluer dans la vie réelle

Figure 3. La démarche d’analyse du parcours de soins, adapté de The Scottish practitionners guide 2006 www.scotland.gov.uk.

vie altérée, des traitements suboptimaux, une difficulté à adapter les modes de vie, des risques thérapeutiques élevés, un recours inadapté au système de soins, donc des qualités et une sécurité des soins mal assurées et des dépenses de santé injustifiées [1,5,6]. À titre d’exemple dans le domaine de la nutrition on peut citer la question des apports en sel chez la personne insuffisante cardiaque : une mauvaise compréhension ou gestion de ce problème peut aboutir à des séjours en réanimation ; le régime sans sel lui-même peut retentir sur la convivialité donc sur le lien social. Il faut changer de paradigme. La littérature internationale s’en fait écho autour des notions de « disease management » (gestion d’une pathologie avec multiintervenants), « case management » (aide au patients polypathologiques), « care management » (centré sur le patient), et les métiers qui en découlent (i.e. « nurse practitioner » (c’est-à-dire infirmière clinicienne) [1,5—8]. Il n’est pas possible ici de revenir en détail sur cette littérature de santé publique. La Haute Autorité de santé (HAS), l’Institut national du cancer (InCA) ont publié une série de documents pédagogiques sur cette question [1,8].

Mise au point du parcours personnalisé de soins L’objectif des démarches actuelles est d’analyser et comprendre les points critiques de la trajectoire individuelle, pour en faciliter le déroulement aux différents stades évolutifs de la maladie chronique. L’analyse détaillée du parcours de soins est le préalable à tout développement de solutions concrètes. Un travail d’enquête de terrain sur la situation choisie (i.e. diabète de type 2 ou obésité) doit permettre d’analyser les forces et faiblesses des pratiques actuelles, les obstacles à lever et les leviers à mobiliser pour progresser et élaborer un futur « programme personnalisé de soins » (Fig. 3) [5—7]. Pour comprendre ce que représente concrètement un parcours personnalisé de soin, le lecteur peut se reporter à deux exemples développés en France, celui des broncho-pneumopathies chroniques obstructives et celui de l’insuffisance cardiaque disponibles sur le site de la Haute Autorité de santé (HAS) : http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c 1247611/fr/ promouvoir-les-parcours-de-soins-personnalises-pour-lesmalades-chroniques. Pour mener à bien cette analyse, le porteur de projet « parcours de santé » travaille avec les patients, les associations de patients, les médecins traitants et spécialistes, les

professionnels de santé, les sociétés savantes, et le secteur médicosocial. La méthodologie de recueil des informations inclut des groupes de paroles, des focus groupes, des enquêtes, des entretiens qualitatifs etc. La grille d’analyse prend en compte le caractère évolutif du processus pathologique (ses différentes étapes), et les conséquences en termes de santé, de qualité de vie, le retentissement sur la vie personnelle et relationnelle, l’influence des facteurs environnementaux. Parmi les questions clés figurent le recours aux acteurs non médicaux, le partage d’information entre la personne et les professionnels de santé (médecins traitants, spécialistes, équipes paramédicales, soins de suite, travailleurs sociaux). Se dégage une première présentation des points clés du parcours et des obstacles et leviers potentiels. Le processus d’analyse de ce parcours (cf. Fig. 3) est par essence itératif permettant des améliorations successives. La représentation complète et raisonnée du schéma du parcours de soins issue de cette analyse, est un outil de travail destiné à évoluer vers un document final validé par l’ensemble des acteurs. Différents documents génériques peuvent être développés : « guide du parcours de soins », « les points critiques du parcours de soins » ; et « guide patient ». Ces outils s’appuient sur les nouvelles technologies de l’information, NTIC, permettant de faciliter la gestion et l’échange d’informations à distance. Une fois le parcours de santé finalisé, le processus doit aboutir à des solutions pragmatiques pour faciliter la circulation dans le système de soins, pour promouvoir une gestion prospective et coordonnée de la prise en charge et maîtriser les points critiques. C’est l’objet du « programme personnalisé de soins » ou PPS, proposé par la Haute Autorité de santé (HAS) [1]. Cet outil opérationnel explicite les points de vue du patient et du médecin traitant sur la situation et situe les objectifs partagés entre la personne malade et l’équipe médicale. C’est un plan d’action, un outil de coordination. Il décrit « noir sur blanc » les objectifs de prise en charge tenant compte des priorités de la personne, le calendrier, les ressources utiles à l’application des conseils sur les modes de vie (exemple adresse d’un diététicien, coordonnées d’une association d’activité physique adaptée), les conduites à tenir en cas d’évolution de la situation personnelle ou médicale, notamment en cas d’aggravation. Il favorise une meilleure communication entre professionnels du système sanitaire et social, patients et aidants. Le PPS est élaboré individuellement avec la personne, lui est remis et est inséré dans le dossier médical. Il évolue au fil du temps. Il comporte 2 dimensions : • personnalisation de la prise en charge : contexte et attentes ; situation sociale et médicale ; points critiques, freins et obstacles ; • planification du suivi pour permettre au patient de se repérer et d’autre part aux professionnels de partager une information commune notamment sur la conduite à tenir et les contacts en cas d’aggravation progressive et en cas d’urgence. Des exemples remarquables de programme personnalisé de soins ont été développés par les spécialistes du cancer, par les cardiologues pour l’insuffisance cardiaque, par les pneumologues dans la broncho-pneumopathie chronique obstructive [1,8], avec des applications concrètes sur le terrain, dans la vraie vie. En cancérologie, le PPS est « destiné à être remis à tous les malades dès le début de leur prise en charge, en relais immédiat du dispositif d’annonce. Il permet de formaliser la proposition de prise en charge thérapeutique, l’accompagnement social du malade ». Pour

Nutrition et « parcours de soins » l’INCA, le contenu minimal inclut : les informations relatives au malade et à l’établissement de santé de référence, le calendrier prévisionnel de soins et de suivi (durées prévisibles d’hospitalisation, date et lieux des différentes phases de traitement), les différents bilans prévus et leur fréquence. Le document est transmis au médecin traitant ainsi que les conclusions de propositions de réunion de concertation pluridisciplinaire RCP, les lettres de sortie etc. S’ajoute le volet social et les contacts utiles (médecin traitant et spécialistes, infirmiers, associations, pharmacien, réseaux, laboratoire d’analyse, etc.) [7]. Le PPS en plus d’améliorer la qualité de vie des personnes et la sécurité des soins devrait permettre à la recherche clinique d’identifier de nouveaux prédicteurs d’événements cliniques et de mettre au point de nouveaux protocoles de soins plus proactifs que réactifs.

Nutrition et parcours de soins dans les maladies chroniques La nutrition et l’activité physique sont des déterminants majeurs de survenue et d’aggravation des maladies chroniques dominantes tels que les cancers, les maladies cardiovasculaires, les maladies métaboliques (obésités, diabètes), digestives, inflammatoires. Qu’est-ce qu’une maladie chronique liée aux habitudes de vie ? Pourquoi est-elle chronique alors que ses déterminants paraissent si facilement contrôlables. . .et les conseils si pertinents « manger mieux, bouger plus » ? Pourquoi les conseils nutritionnels deviennent-ils de moins en moins efficients au fil du temps ? Ces questions sont celles sur lesquelles butent la prise en charge et la prévention nutritionnelle. Les explications sont diverses, avec une place primordiale aux dimensions psychologiques et relationnelles de l’acte alimentaire, au contexte de vie et aux déterminants biologiques innés ou acquis [2]. D’autres éléments interviennent pour compliquer la prise en charge de la maladie chronique [9]. Premier élément, un défaut de gradation des soins. La maladie chronique est par définition un processus évolutif qui conduit de l’état de bien-être à celui de maladie, voire de handicap. Ce processus passe par différentes phases avec des conséquences séquentielles (Fig. 1). Une des causes majeures d’échec des recommandations sur les modes de vie est leur caractère univoque, stéréotypé inadapté à des situations marquées par de différences intraet interindividuelles considérables. Prenons un exemple clinique courant pour illustrer ce point : une personne de 30 ans présente une prise de poids abdominale principalement liée à une sédentarité et des antécédents familiaux de diabète la situent à haut risque de maladie métabolique et cardiovasculaire. La reprise de l’activité physique, quelques modifications nutritionnelles sont susceptibles de corriger ce risque durablement. À ce stade initial, l’intervention nutritionnelle revient essentiellement aux recommandations de prévention pour la population générale, il n’y a pas lieu de médicaliser. Si l’adiposité se majore et l’inactivité persiste, des anomalies biologiques muettes cliniquement s’installent (hyperglycémie à jeun) qui peuvent être remarquablement sensibles aux modifications des modes de vie en l’absence de traitement médicamenteux. Les conseils nutritionnels s’inscrivent dans une prise en charge médicale débutante incluant le suivi de paramètres biocliniques. Si aucune mesure sur les modes de vie n’est suivie, un

19 diabète franc apparaît et s’aggrave définitivement au fil du temps définitif. Les adaptations des modes de vie (alimentation et/ou activité physique) restent nécessaires mais deviennent insuffisantes, entraînant alors l’escalade thérapeutique médicamenteuse classique. Surviennent une insuffisance cardiaque et une atteinte rénale : les conseils sur les modes de vie doivent évoluer en tenant compte des conséquences somatiques ; la question des apports protéiques et sodés devient primordiale. Le caractère évolutif des processus fait qu’il n’y a pas de conseils univoques sur les modes de vie pour une pathologie chronique et que s’impose la nécessité de gradation en fonction du stade évolutif de la trajectoire d’autant que s’installent dans bien des cas des polypathologies. D’où la nécessité de personnalisation dans le temps de la prescription. Deuxième élément clé, il faut penser les actions sur les modes de vie, notamment en nutrition, au-delà des conseils classiques pour les enrichir d’une approche contextuelle. Déployer l’action médicale sans tenir compte de la variabilité de contextes, de facteurs d’exposition expose à l’échec (Fig. 2). Il est habituel de considérer que les actions pour promouvoir des modes de vie favorables à la santé relèvent de la « prévention » au niveau de la population en générale. La société y contribue de fait par des engagements « macrosociétaux » ou économiques (exemple taxe sur le tabac, sur les sodas). Cette prévention qui vise l’ensemble de la population au travers des plans de santé publique est certainement pertinente mais elle est insuffisante : elle doit être complétée par une approche plus pragmatique, « patient-centrée », tenant compte des besoins concrets. Prenons un exemple caricatural : la campagne « manger mieux, bouger plus » est justifiée et est entendue mais elle ne dit rien sur la proximité et l’accessibilité de solutions dans la vie quotidienne. Est-ce le rôle des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge « médicale » d’agir sur l’environnement : non. C’est la mission d’une dimension insuffisamment développée des politiques de santé, l’action de « santé communautaire » à laquelle les nutritionnistes et les diététiciens doivent contribuer mais qui ne peuvent pas s’inscrire dans le travail quotidien des praticiens de la nutrition clinique. Mais ce dont les cliniciens de la nutrition ont besoin pour rendre leurs conseils plus opérationnels c’est d’un ensemble de ressources non strictement médicales, dans l’environnement au service des personnes atteintes de maladies chroniques. La prise en charge des maladies chroniques liées à la nutrition ne pourra pas s’améliorer, si au niveau de chaque territoire de santé, les acteurs institutionnels, économiques, associatifs ne s’engagent pas dans une action concertée visant à introduire la santé dans l’ensemble de leurs actions : il en est ainsi de la restauration collective, de la politique d’urbanisation, de l’accès aux équipements pour une activité physique adaptée, de la distribution etc. C’est ainsi que le système de soins pourra informer la personne malade des moyens permettant de faciliter la mise en œuvre de mesures indispensables mais non strictement médicales. Il y a un besoin critique de « maillage » des secteurs médicaux et extra-médicaux de la santé. C’est la raison pour laquelle ce travail devrait être conduit de manière concertée avec les agences régionales de santé (ARS), tant la dimension territoriale est cruciale, avec les acteurs institutionnels (mairie, département etc.) et avec les « payeurs » (Caisse nationale d’assurance maladie, mutuelles). Troisième notion clé, l’impératif de coordination des soins. Nous avons dit le cloisonnement des acteurs et des actions dans la prise en charge de personnes souffrant

20 souvent de plusieurs pathologie et connaissant des périodes d’aggravation voire d’acutisation. Cet enjeu s’inscrit à l’évidence dans l’esprit et dans la pratique de l’éducation thérapeutique du patient autrement dit « vu du patient ». Il faut bien constater et admettre le cloisonnement des interventions médicales, leur déconnexion d’avec les interventions paramédicales et communautaire. La coordination doit porter sur le parcours de soins et plus globalement sur le parcours de santé. Ce maillage entre deux secteurs celui de la clinique classique et celui de la santé communautaire est particulièrement difficile et sauf exception totalement inexistant. Il nécessite un nouveau métier. Gradation, coordination, santé communautaire sont les piliers sur lesquels doit se construire le parcours de soins pour les maladies chroniques liées à la nutrition.

Nouvelles missions, nouvelles tâches, nouveaux métiers Personnaliser l’action nutritionnelle, renforcer le rôle du médecin traitant par un maillage des différents niveaux d’intervention (du médical à l’environnemental) suppose une évolution radicale des pratiques de prise en charge des maladies chroniques liées à la nutrition. Les médecins nutritionnistes et les diététiciens se doivent de définir les modalités de leurs interventions, leurs spécificités aux différents stades de la prise en charge à la lumière de ces enjeux. Un travail reste à accomplir, en complément des actions déjà menées par les sociétés savantes, pour définir et faire connaître les nouvelles missions médicales et paramédicales, les nouveaux métiers, la contribution du secteur non médical, associatif entre autre mais également institutionnel, régional, entreprise etc. Il y a nécessité d’actualiser la place des professionnels de santé en nutrition dans l’organisation des soins et de la santé communautaire. Ceci aura pour conséquence une réflexion et des propositions sur leurs formations respectives. Les médecins nutritionnistes et les diététiciens ont une nouvelle tâche. Ils doivent s’engager résolument dans la démarche de programmes personnalisés de soins c’est-àdire dans ce travail pluridisciplinaire et pluriprofessionnel visant à construire un outil pragmatique pour la personne atteinte de maladie chronique. C’est un travail collectif auquel les nutritionnistes et diététicien doivent contribuer. Construire un parcours de soins n’aurait pas de sens sans leur participation tant la nutrition est centrale dans la gestion au quotidien de l’état de santé non seulement dans les maladies de la nutrition mais également dans bien d’autres situations (patients sous corticothérapie, dénutrition des maladies inflammatoires et des cancers, insuffisance cardiaque entre autres). Ceci est un plaidoyer pour l’engagement des nutritionnistes et des diététiciens dans la conception des parcours de soins. Dans cette démarche plusieurs dimensions doivent être prise en compte : celle de la nutrition médicale classique, celle de hiérarchisation des conseils alimentaires chez des personnes polypathologiques, celle des partenariats avec les acteurs communautaires. Médecins et diététiciens en lien avec psychologue, infirmières, éducateur médico-sportif, kinésithérapeute, assistante sociale doivent collaborer avec associations de patients, réseaux d’aide à la personne, collectivités locales, fédérations et associations. Emerge la nécessité d’une nouvelle fonction, en réalité d’un nouveau métier pour le travail de coordination et

A. Basdevant et al. d’organisation [1,6,10]. La fonction essentielle de coordination et d’intégration des différentes étapes et acteurs doit être assurée par un professionnel spécifique, médical, paramédical ou non, ayant une connaissance précise du système dans lequel évolue le patient. Ce principe ne pose pas question en termes de pertinence mais sa concrétisation est à vrai dire des plus difficiles. Ce nouveau métier n’a pas de définition précise ni réglementaire. Des formations (Master) des futurs professionnels se mettent en place depuis peu. Enfin, il y a nécessité de développer et évaluer des expérimentations avec l’aide de chercheurs en santé publique et d’autres domaines des sciences humaines et sociales (économie, anthropologie, sociologie). Les questions de base auxquelles doivent répondre ces programmes portent sur la pertinence du contenu, l’acceptabilité par les personnes et par les acteurs, les bénéfices pour la personne et pour le système de soins, l’impact sur la qualité et la sécurité de la prise en charge, l’acceptabilité, l’intérêt des nouvelles technologies de l’information, les effets secondaires potentiels, les dimensions médico-économiques [11,12]. Il faut constater un cruel défaut de ressources de recherche disponibles dans ce domaine de l’évaluation. Les équipes soignantes ont un rôle central dans la conception et le développement des modèles, mais l’évaluation est une expertise dont ne disposent pas les cliniciens et paramédicaux, ni en termes de compétence, ni en termes de disponibilité. Nous pensons qu’il s’agit là de l’obstacle majeur au développement de cette approche. S’il existe des équipes de recherche de haut niveau dans ce domaine des politiques de santé, des équipes médicales très engagées et motivées, les faire travailler ensemble n’est pas acquis, sauf exception.

Adaptation aux évolutions en santé publique Que les choses soient claires pour les lecteurs de cette revue spécialisée en nutrition. Dans un grand nombre de centres en médecine-chirurgie notamment en endocrinologie-maladies métaboliques, en cardiologie, en nutrition, en cancérologie, en soins de suite et de rééducation SSR, en soins de longue durée, SLD, et aussi dans la pratique ambulatoire des nutritionnistes et diététiciens cette démarche prenant en compte la trajectoire et le contexte est en place. La personnalisation des soins est effective, les médecins nutritionnistes, les diététiciens travaillent dans cette perspective. Nous ne redécouvrons pas un monde existant. Mais chacun peut faire le constat que la progression actuelle des maladies chroniques et les ressources de plus en plus limitées en médecins aggravées par un accès difficile aux diététiciens dans le contexte actuel des tarifications des actes posent au système de soins des questions stratégiques : nous ne sommes pas en mesure actuellement de répondre aux enjeux des nécessaires adaptations des modes de vie dans le contexte des maladies chroniques. Un faible nombre de nutritionnistes, des activités de diététique non valorisées, des effectifs contraints, un engagement encore limité des « payeurs » pour inscrire la facilitation des modes de vie favorables à la santé dans leurs priorités, une société qui se réveille sur sa responsabilité en matière d’alimentation et d’activité physique, ces faits incitent à changer de paradigme et solliciter les différents niveaux d’actions, les différents partenaires, dans une action d’envergure sur

Nutrition et « parcours de soins »

Acons au niveau communautaire : ville , région, associaons, réseaux sociaux Système de soins : parcours de soins, aide à la décision, acons de facilitaon, accès à l’informaon… Programme de soins : Centré sur le paent Personnalisé Évoluf Coordonné Partagé

Figure 4.

Modèle de soin intégratif.

l’alimentation et l’activité physique en santé publique et au-delà (Fig. 4). Les solutions ne sont pas encore en place, elles sont en phase de conception et de d’expérimentation dans différents domaines. Nous proposons : • le développement de l’approche systémique centrée sur la personne (ce que fait le PPS), complétée d’une intervention au niveau de la niche écologique de l’individu (i.e. équipements sportifs) et plus globalement au niveau sociétal (partenariat d’action avec les industries, engagement effectif et durable des grandes entreprises et employeurs) ; ce que certains d’entre nous appelle le passage de l’injonction à la facilitation dans la vie réelle. C’est une incitation au développement d’une approche communautaire de la santé et à l’inscription de la santé dans les politiques publiques notamment de l’environnement, de l’alimentation, de l’activité physique et de l’éducation et de la jeunesse, de la ville ; • l’engagement des sociétés savantes, des associations dans le développement de parcours personnalisés de soins dans des domaines thérapeutiques dans lesquels la place de la nutrition est centrale : pathologies nutritionnelles (dénutrition, obésité et diabète) pathologies à fort retentissement nutritionnel (dont maladies digestives et inflammatoires et cancers), traitements à impact nutritionnel (i.e. corticothérapie, chirurgie, radiothérapie) ; • une adaptation de l’enseignement de nutrition et des formations professionnelles à ces nouveaux enjeux ; • l’actualisation de nos missions ; • un investissement significatif de la recherche sur ces nouvelles approches, notamment en termes médicoéconomiques.

En conclusion Le « parcours de soins » est le moyen de renforcer une vue intégrative de la prise en charge des maladies chroniques liées à la nutrition. Cette approche, familière aux nutritionnistes et aux diététiciens, force à la réflexion, au décloisonnement et au pragmatisme, en mobilisant les trois niveaux étroitement liés que sont la personne, son écologie et la société.

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Le parcours de santé décrit les chemins et étapes du patient du début sa maladie aux événements aigus et au développement des complications : c’est une analyse systémique et systématique des obstacles à dépasser et des leviers à mobiliser. Le programme personnalisé de soins, permet de situer les conditions d’une approche intégrative et durable dans une perspective dynamique et contextuelle de la maladie. La nutrition est au cœur des réflexions sur la personnalisation des soins pour les maladies chroniques. Cette réflexion, en cours, doit permettre de définir de nouvelles approches, de nouvelles fonctions pour les nutritionnistes, les diététiciens et d’autres professionnels.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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