Cas clinique
Obstruction tumorale de l’artère pulmonaire par un carcinome indifférencié A. Millet1, H. Morel1, O. Sanchez2, G. Meyer2, F. Le Roy Ladurie3, P. Dartevelle3, E. Dulmet4, E. Goarant1, Y. Curran1
Résumé Introduction Le diagnostic étiologique d’une obstruction chronique de l’artère pulmonaire est difficile. Nous présentons le cas d’une patiente avec un carcinome indifférencié envahissant l’artère pulmonaire. Observation Une femme de 61 ans se plaignait de l’apparition d’une dyspnée croissante. L’angioscanner thoracique révélait un défect endoluminal du tronc de l’artère pulmonaire. Devant l’absence à deux mois d’amélioration clinique et radiologique sous traitement anticoagulant, les diagnostics d’hypertension artérielle pulmonaire postembolique et d’angiosarcome ont été évoqués. Une biopsie chirurgicale a été réalisée, et des nodules de carcinose péricardique et aortique ont été mis en évidence durant l’opération. L’examen anatomopathologique concluait à un carcinome indifférencié. Le bilan à la recherche d’un site primitif est resté négatif. Conclusion L’obstruction tumorale par un angiosarcome ou une autre tumeur de l’artère pulmonaire est un diagnostic différentiel de la maladie thromboembolique chronique. La démarche diagnostique repose sur l’obtention d’une histologie par voie endovasculaire ou chirurgicale. Le bénéfice d’une exérèse complète est acquis dans l’angiosarcome, mais n’a pu être réalisée chez cette patiente. La patiente est décédée malgré deux lignes de chimiothérapie et une biothérapie ciblée. 1
Service de pneumologie, Hôpital Broussais, Saint-Malo, France. Service de pneumologie, soins intensifs, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, France. 3 Département de Chirurgie thoracique, vasculaire et transplantation cardio-pulmonaire, Centre Chirurgical Marie Lannelongue, Le Plessis Robinson, France. 4 Service d’Anatomie et de cytologie pathologiques, Centre Chirurgical Marie Lannelongue, Le Plessis Robinson, France. 2
Mots-clés : Embolie pulmonaire • Artère pulmonaire • Carcinome • Sarcome.
Correspondance : H. Morel Service de pneumologie, Centre Hospitalier Broussais, 1 rue de la Marne, 35400 Saint-Malo.
[email protected] Réception version princeps à la Revue : 09.10.2006. 1re demande de réponse aux auteurs : 04.01.2007. Réception de la réponse des auteurs : 25.04.2007. 2e demande de réponse aux auteurs : 02.05.2007. Réception de la réponse des auteurs : 14.06.2007. Acceptation définitive : 15.06.2007. Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 63-7 Doi : 10.1019/200720207
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Introduction Invasion of the pulmonary artery by an undifferentiated carcinoma
A. Millet, H. Morel, O. Sanchez, G. Meyer, F. Le Roy Ladurie, P. Dartevelle, E. Dulmet, E. Goarant, Y. Curran
Summary Introduction The diagnosis of chronic obstruction of the pulmonary artery is difficult. We present the case of a woman with an invasive, undifferentiated carcinoma of the pulmonary artery. Case report A 61 year old woman complained of increasing dyspnoea. This was evaluated by computed tomography which showed a defect in the main pulmonary artery. There was no clinical or radiological improvement following anticoagulant treatment for two months. A repeat CT scan showed a persisting intravascular defect and the diagnoses considered included post-embolic pulmonary arterial hypertension and angiosarcoma. A surgical biopsy was performed and pericardial and aortic tumour nodules were found during the operation. The pathological examination revealed undifferentiated carcinoma. Further investigations failed to reveal the primary site. Conclusion Invasion of the pulmonary artery by angiosarcoma or other tumour is part of the differential diagnosis of chronic thromboembolic disease. The diagnosis rests on histology obtained by an intravascular or surgical procedure. Complete surgical excision may be possible in angiosarcoma but it was impossible in our patient. The patient died despite two courses of chemotherapy and targeted therapy with erlotinib.
Si le diagnostic de maladie thromboembolique veineuse est de mieux en mieux codifié [1], le suivi ne fait pas l’objet de recommandation et le diagnostic de maladie thromboembolique chronique est sous-estimé. La découverte d’une maladie thromboembolique chronique doit conduire à éliminer d’autres diagnostics comme les obstructions tumorales des artères pulmonaires dont les sarcomes de l’artère pulmonaire [2]. Les liens entre cancer et maladie veineuse thromboembolique revêtent des facettes hétérogènes : hypercoagulabilité induite par le cancer, embolie tumorale, envahissement par contiguïté. Nous présentons le cas d’une patiente dont le tableau clinique de maladie thromboembolique chronique pouvait de prime abord faire évoquer un sarcome de l’artère pulmonaire. Le diagnostic final retenu est un carcinome indifférencié de site primitif inconnu envahissant l’artère pulmonaire.
Observation
Key-words: Pulmonary embolism • Pulmonary artery • carcinoma • Sarcoma.
Une femme de 61 ans, non tabagique, se plaignait de l’apparition d’une dyspnée progressivement croissante depuis mai 2005. Les antécédents de cette patiente étaient une hypercholestérolémie et un ulcère du bulbe duodénal en 1992, il n’existait aucun antécédent thromboembolique personnel ou familial. Devant la persistance de cette dyspnée d’effort de grade III de la New York Heart Association (NYHA) associée à une toux sèche et à une douleur thoracique gauche la patiente a été hospitalisée en octobre 2005. L’examen clinique était normal, aucune altération de l’état général n’était rapportée par la patiente. La radiographie de thorax ainsi que les épreuves fonctionnelles respiratoires étaient normales. Les gaz du sang sous air ambiant retrouvaient une PaO 2 à 68 mmHg, une PaCO2 à 38 mmHg et un pH à 7,43. Un angioscanner thoracique hélicoïdal multibarrettes mettait en évidence un défect endoluminal du tronc de l’artère pulmonaire s’étendant à l’artère pulmonaire gauche ainsi qu’un défect endoluminal lobaire supérieur droit (fig. 1). L’échographie
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Angioscanner thoracique montrant le défect de contraste intravasculaire au niveau du tronc de l’artère pulmonaire et de l’artère pulmonaire gauche.
Fig. 1.
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Fig. 2.
A B
Scintigraphie pulmonaire de ventilation (A) et perfusion (B) de face antérieure montrant une exclusion de la perfusion du poumon gauche et un défaut de perfusion du lobe supérieur droit.
doppler des membres inférieurs montrait une thrombose veineuse tibiale postérieure droite. Une scintigraphie pulmonaire de ventilation perfusion (fig. 2) mettait en évidence une absence de perfusion du poumon gauche. L’échocardiographie retrouvait un ventricule droit dilaté, la pression artérielle pulmonaire systolique était évaluée entre 50 et 60 mmHg. Le diagnostic d’embolie pulmonaire était retenu et un traitement anticoagulant débuté (enoxaparine puis fluindione) Le bilan de thrombophilie (antithrombine III, facteur V Leiden, facteur II) était normal, les protéines S et C n’étaient pas dosées car la patiente était sous antivitamine K. En janvier 2006, il n’y avait pas de modification de la scintigraphie pulmonaire de perfusion et de l’échocardiographie. L’échographie doppler des membres inférieurs s’était normalisé. Cet aspect de cœur pulmonaire chronique postembolique était confirmé par un cathétérisme droit : Pression Artérielle Pulmonaire systolique à 71 mmHg, diastolique à 15 mmHg, moyenne à 32 mmHg, Pression Artérielle Pulmonaire Occluse moyenne à 5 mmHg, Index Cardiaque à 3 l/min/m 2, Résistances Vasculaires Pulmonaires Indexées à 711 dynes.s.cm –5. Une IRM confirmait les lésions endovasculaires du tronc de l’artère pulmonaire ainsi que l’envahissement de l’artère pulmonaire gauche avec deux nodules accolés à la paroi de l’artère pulmonaire droite ( fig. 3) se rehaussant tardivement après injection de gadolinium. Cet aspect évoquant une tumeur de l’artère pulmonaire, une tomographie par émission de positons a été réalisée et mettait en évidence une hyperfixation médiastino-hilaire gauche sans anomalies extra-pulmonaires. La possibilité d’un sarcome de l’artère pulmonaire, a fait envisager la nécessité d’une biopsie ; une tentative de biopsie endovasculaire n’étant pas contributive, une décision de désobstruction chirurgicale était alors prise. Cette opération, réalisée en février 2006, révélait un envahissement transpariétal de la paroi du tronc de l’artère pulmonaire ainsi que des nodules de carcinose péricardique et aortique. Le geste prévu initialement d’endartériectomie pulmonaire n’a donc pas été réalisé. Les biopsies réalisées retrouvaient un tissu fibreux infiltré par une prolifération tumorale maligne faite de cellules de taille variable, assez volumineuses contenant des noyaux volumineux et hyperchromatiques ( fig. 4 A, B). L’étude immunohistochimique montrait que les cellules tumorales exprimaient l’AE1-AE3 qui est un marqueur de la kératine ( fig. 4 D), quelques-unes exprimaient la cytokératine 20 (marqueur de cancer digestif), mais elles
n’exprimaient ni le CD34, marqueur des tumeurs vasculaires de type angiosarcome (fig. 4 C), ni les marqueurs musculaires (actine et desmine évocateur de leiomyosarcome), ni l’antigène leucocyte commun (marqueur de lymphomes), ni la PS 100 (mélanome), ni le CK7 (cancer pulmonaire) ni l’ACE. Elles concluaient à un carcinome indifférencié à grandes cellules. Le bilan à la recherche d’un site primitif restait négatif : frottis cervico-vaginal, scanner thoraco-abdomino-pelvien, colonoscopie. Le diagnostic final était donc un carcinome indifférencié à grandes cellules envahissant l’artère pulmonaire sans site primitif identifié. Outre la poursuite des antivitamine K, deux lignes de chimiothérapie respectivement platine/docetaxel, epirubicine/cyclophosphamide et un traitement biologique ciblé : erlotinib se révélaient être un échec et la patiente décédait en janvier 2007 d’une progression locale de sa maladie.
Fig. 3.
Tumeur intravasculaire du tronc de l’artère pulmonaire visualisée par IRM avec rehaussement hétérogène tardif au gadolinium (séquence T1).
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A B C D A, B) Prolifération de grandes cellules carcinomateuses indifférenciées (coloration HE). C) Absence de marquage du CD 34 en immunohistochimie, le marquage rouge correspond aux cellules vasculaires. D) Confirmation de la nature épithéliale des cellules tumorales par l’expression en immunohistochimie de l’AE1-AE3 (marquage cytoplasmique rouge : flèche) ; A : grossissement X 200, C : grossissement X 600, B et D : grossissement X 400. Fig. 4.
Discussion Dans le cas présenté, le tableau clinique de maladie thromboembolique ne s’accompagne d’aucun facteur de risque majeur traditionnel. La persistance d’une hypertension artérielle pulmonaire postembolique doit amener à discuter d’autres diagnostics [3, 4] et l’opportunité d’un traitement chirurgical [5]. Les diagnostics différentiels de l’hypertension artérielle pulmonaire obstructive postembolique qui peuvent être discutés ici sont le sarcome de l’artère pulmonaire et un envahissement proximal tumoral de l’artère pulmonaire par un cancer de site primitif inconnu ou bronchopulmonaire. Plusieurs cas de sarcome pulmonaire ont été publiés dans la littérature confirmant la nécessité d’une preuve histologique, 66
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le tableau clinique étant celui d’une maladie thromboembolique chronique sans caractères spécifiques [6, 7]. Les embolies tumorales de l’artère pulmonaire sont dues à une migration métastatique embolique ou à un envahissement endoluminal du cancer par contiguïté. L’absence de néoplasie connue chez cette patiente n’orientait pas vers une embolie tumorale. Ce diagnostic réputé difficile est souvent porté de façon post-mortem, et il touche préférentiellement les artères distales [2, 8]. Les embolies tumorales proximales sont rares et proviennent le plus souvent d’un envahissement de la veine cave inférieure par un hépatome, un carcinome rénal ou un choriocarcinome [4]. Tous les cancers peuvent provoquer une embolie tumorale, la fréquence sur les séries d’autopsies variant entre 3 et 26 % chez les patients atteints de tumeurs solides. Pour les cancers de
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site primitif inconnu, les différents cas colligés sont des carcinomes indifférenciés qui représentent un total de 4 sur 109 dans une revue récente des différents cas publiés d’embolies tumorales [2]. L’embolie tumorale proximale par un angiosarcome ou une tumeur d’un autre type est un diagnostic différentiel de la maladie thromboembolique chronique. Un contexte tumoral connu ou retrouvé après un bilan exhaustif n’est pas toujours présent comme l’illustre notre cas. L’imagerie ne permet pas toujours de faire la distinction entre une embolie tumorale proximale et une maladie thromboembolique. Un aspect en « arbre en bourgeon » (tree-in-bud pour les Anglo-Saxons) sur le scanner [10] peut orienter vers une embolie tumorale microvasculaire, le mécanisme étant un comblement des artères centrolobulaires ou une micro angiopathie thrombotique. Les anomalies à l’IRM comme une hétérogénéité de l’opacité, une extension extra-vasculaire, une distension vasculaire et une prise de contraste au gadolinium peuvent orienter vers un angiosarcome [6]. Aucune donnée n’est disponible pour les embolies tumorales proximales, mais ces critères semblent raisonnables pour une orientation diagnostique ; nous avons d’ailleurs constaté un rehaussement de prise de contraste après injection de gadolinium (fig. 3) au niveau du défect endoluminal. Devant un carcinome indifférencié de l’artère pulmonaire et de l’aorte métastatique, nous avons effectué un bilan à la recherche du primitif. Dans le cas présent, aucun site primitif n’est retrouvé, situation qui survient dans 20 à 50 % des cas après un bilan faisant suite à la découverte d’une métastase issue d’un carcinome.
Conclusion L’apparition d’une hypertension artérielle pulmonaire après le diagnostic d’embolie pulmonaire doit faire évoquer d’autres diagnostics que la maladie thromboembolique chro-
nique. L’envahissement de l’artère pulmonaire par un cancer bronchopulmonaire primitif ou non et l’angiosarcome de l’artère pulmonaire sont les deux principaux diagnostics différentiels. La démarche diagnostique repose sur l’obtention d’une histologie par voie endovasculaire ou chirurgicale. Le traitement est non codifié, la chirurgie possible dans certains cas, la place de la chimiothérapie et de la radiothérapie reste imprécise.
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