La Revue de médecine interne 32 (2011) e99–e101
Cas clinique
Ostéomalacie oncogénique : le FGF 23 ne fait pas tout Oncogenic osteomalacia: Increased production of fibroblast growth factor 23 is not the unique actor A. Tournier a,b, T. Hanslik a,b, R. de la Faille c, S. Trad a,b, A. Baglin a,b, J. Prinseau a,b, L. Moulonguet-Doleris a,b,∗ a
Service de médecine interne et néphrologie, hôpital Ambroise-Paré, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 78000 Versailles, France c Service d’exploration fonctionnelle, hôpital européen Georges-Pompidou, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 75015 Paris, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 12 octobre 2010 Mots clés : Fibroblast growth factor 23 Ostéomalacie oncogénique Hypophosphatémie Hémangiopéricytome
r é s u m é L’importance du fibroblast growth factor 23 (FGF 23) a été soulignée dans le mécanisme de la fuite urinaire de phosphore observée au cours de l’ostéomalacie oncogénique (OO). Il constitue maintenant un élément de diagnostic de cette maladie. Nous rapportons l’observation d’un patient atteint d’ostéopathie déminéralisante avec hypophosphatémie secondaire à une fuite urinaire de phosphore. Le diagnostic d’OO était retenu après élimination des autres causes d’hypophosphatémie acquise prolongée (hyperparathyroïdie et syndrome de Fanconi en particulier) malgré un taux sérique de FGF 23 normal. La recherche d’une tumeur profonde permettait la mise en évidence d’un hémangiopéricytome de 12 mm dans la partie haute de la cuisse. Son exérèse permettait la guérison rapide de la symptomatologie clinique et des anomalies biologiques. L’importance des séquelles fonctionnelles dans l’OO dépend de la rapidité du diagnostic et de l’exérèse de la tumeur qui reste le traitement optimal. La recherche d’une tumeur sécrétante est donc essentielle même en l’absence de taux sérique élevé de FGF 23. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Fibroblast growth factor 23 Oncogenic osteomalacia Hypophosphatemia Haemangiopericytoma
The importance of fibroblast growth factor 23 (FGF 23) has been highlighted in the mechanism of urinary leakage of phosphate in the oncogenic osteomalacia (OO). It is now a component of diagnosis of this disease. We report a 58-year-old man who presented with osteomalacia and hypophosphatemia secondary to urinary leakage of phosphorus. Although serum FGF 23 was normal, the diagnosis of OO was obtained after another cause of acquired prolonged hypophosphatemia has been excluded (hyperparathyroidism and Fanconi syndrome in particular). The search for a deep tumor was performed, allowing the detection of a 12 mm hemangiopericytoma in the upper thigh. Its removal allowed the rapid resolution of clinical symptoms and laboratory abnormalities. The importance of functional sequelae in OO depends on prompt diagnosis. Tumorectomy remains the optimal treatment. Thus, the search for a secreting tumor is essential even in the absence of elevated serum FGF 23. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Observation
∗ Auteur correspondant. Service de médecine interne et néphrologie, hôpital Ambroise-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92104 Boulogne-Billancourt cedex, France.. Adresse e-mail :
[email protected] (L. Moulonguet-Doleris).
L’ostéomalacie oncogénique (OO) résulte d’une hypophosphatémie et d’une diminution de la capacité de 1-hydroxylation de la 25 hydroxy-vitamine D, acquises et prolongées chez l’adulte. L’hypophosphatémie est secondaire à une fuite urinaire de phosphate dans laquelle le fibroblast growth factor 23 (FGF 23) joue un rôle essentiel. L’augmentation du taux sérique de FGF 23 est devenue un élément essentiel du diagnostic. Le
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2010.09.001
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A. Tournier et al. / La Revue de médecine interne 32 (2011) e99–e101
FGF 23 est en règle sécrété par une tumeur mésenchymateuse bénigne, le plus souvent de petite taille, de développement lent et de localisation très variée. Ces caractéristiques sont autant d’obstacles au diagnostic topographique, qui nécessite la mise en œuvre de plusieurs techniques d’imagerie. L’exérèse de la tumeur est le traitement de choix qui permet la régression totale et rapide de la symptomatologie clinique et biologique. 2. Observation Un homme de 58 ans consultait après la découverte d’une hypophosphatémie dans le cadre de l’exploration de douleurs rachidiennes d’intensité croissante depuis six mois. Il ne fumait pas, ne consommait pas de boissons alcoolisées et n’avait aucun signe de carence nutritionnelle. Ses antécédents ostéo-articulaires étaient une fracture du poignet dans l’enfance et une fracture tassement du rachis un an plus tôt. Il ne prenait aucun médicament autre que des antalgiques depuis la fracture du rachis. Il n’existait aucun antécédent familial de maladie ostéo-articulaire. L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) rachidienne faite cinq mois plus tôt montrait un hyposignal en T1 et T2 de l’ensemble du rachis et des images fissuraires de T10 et T11. Le bilan biologique confirmait l’hypophosphatémie, entre 0,42 et 0,55 mmol/L sur les trois derniers mois. L’uricémie, la kaliémie et l’électrophorèse des protides sériques étaient normaux. La fonction rénale était également normale. Le taux de PTH était normal à 44 pg/ml, de même que la calcémie à 2,23 mmol/L. Il n’y avait ni glycosurie ni aminoacidurie. Les explorations fonctionnelles tubulaires montraient une baisse très significative du seuil rénal de réabsorption des phosphates à 0,24 mmol/L de filtrat glomérulaire, calculé selon le diagramme de Bijvoët. Le taux de 25 hydroxy-vitamine D était discrètement abaissé à 41 nmol/L, avec un taux effondré de 1-25 di-hydroxy-vitamine D à 46 pmol/L. Devant ce tableau biologique évocateur d’OO, un dosage de FGF 23 était réalisé. Son taux mesuré par sa fraction C terminale était normal à 79 RU/ml (méthode Elisa, Immunotopics). Un traitement de supplémentation en phosphore était mal toléré. Le traitement par 1-25 di-hydroxy-vitamine D était peu efficace. L’échec de ce traitement conduisait à poursuivre les explorations à la recherche d’une tumeur, malgré le taux normal de FGF 23. Une scintigraphie à l’octréotide mettait en évidence une fixation ponctiforme a la partie profonde du pli fessier gauche. Une tomographie par émission de positons au 18 FDG (PET scan), couplée à un scanner, confirmait la présence d’une petite tumeur dans la loge postérieure de la cuisse au contact du grand adducteur gauche. L’exérèse de cette tumeur de 12 mm de diamètre était effectuée après repérage échographique peropératoire. L’analyse histologique concluait à un hémangiopéricytome. L’évolution clinique était très rapidement favorable. Le dosage de phosphore était normal une semaine après l’intervention. Deux mois après l’intervention, les explorations tubulaires confirmaient la normalisation du seuil rénal de phosphore à 1,04 mmol/L de filtrat glomérulaire. Le taux de 25 hydroxy-vitamine D était inchangé mais la capacité d’hydroxylation avait considérablement augmenté, confirmée par un taux de 1-25 di-hydroxy-vitamine D3 à 239 pmol/L. Le FGF 23 mesuré par sa fraction C terminale était à 13 RU/ml. Le patient déplorait une perte de taille séquellaire de 5 cm. 3. Discussion L’observation d’OO rapportée ici est singulière par l’absence d’augmentation du taux sérique de FGF 23 lors de son diagnostic.
Cette atypie n’a pas empêché la mise en évidence de la tumeur responsable grâce à des techniques d’imagerie adaptées, puis son exérèse. Les manifestations cliniques initiales, faites de fatigue, de douleurs et de fractures osseuses, comme dans toutes les hypophosphatémies prolongées, étaient peu spécifiques [1]. Une hypophosphatémie liée à un transfert intracellulaire de phosphate (renutrition, alcalose) ou à une carence d’apport étaient facilement éliminées par le contexte clinique. Une perte urinaire de phosphate était confirmée par les explorations fonctionnelles rénales, qui éliminaient une hyperparathyroïdie ou une tubulopathie proximale entrant dans le cadre d’un syndrome de Fanconi. Elles mettaient également en évidence une baisse du taux de réabsorption tubulaire des phosphates et la diminution de la capacité rénale d’hydroxylation en 1 de la 25-OH vitamine D. La responsabilité du FGF 23 dans l’apparition des ces anomalies biologiques a été montrée dans les OO et auparavant dans les différentes formes héréditaires de rachitisme hypophosphatémique [2,3]. Il entraîne une diminution de la réabsorption des phosphates dans le tube contourné proximal par inhibition du co-transport sodium-phosphate, et indépendamment inhibe l’expression rénale de la 25-hydroxyvitamine D-1␣-hydroxylase. Ainsi, une augmentation du taux sérique de FGF 23 est retrouvée dans le plus grand nombre d’OO. Dans la série de Jonsson et al. [2], le taux de FGF 23 est élevé chez cinq patients sur six ayant une OO avérée, guérie par l’ablation d’une tumeur mésenchymateuse et chez huit patients sur 11 ayant une forte suspicion d’OO. Dans notre observation, le taux de FGF 23 était normal avant l’intervention. Cette situation a rarement été rapportée. L’explication peut résider soit dans la coexistence dans la circulation de forme intacte et mutée de la protéine (entraînant une diminution de l’affinité de FGF 23 pour l’anticorps du test Elisa mis en œuvre) [2] soit par l’intervention d’un autre facteur tel que la matrix extracellular phosphoglycoprotein ou frizzled related protein 4 [3]. La diminution du taux sérique de FGF 23 après exérèse de la tumeur dans notre cas confirme l’origine tumorale de la sécrétion, bien que le taux n’ait pas atteint le seuil pathologique par cette technique. L’origine tumorale de la sécrétion anormale de FGF 23 est caractéristique des OO. Cela a été confirmé par extraction à partir de tumeurs enlevées dans des OO de mRNA du FGF 23 et par marquage in situ par immunofluorescence indirecte [2–4]. Les tumeurs sont souvent de localisation difficile ce qui explique un délai qui peut atteindre plusieurs années entre le diagnostic de l’OO et son traitement chirurgical [5,6]. Il n’existe pas de siège préférentiel pour le développement de ces tumeurs qui peuvent être aussi bien cutanées que profondes, tissulaires ou osseuses, voire de siège glandulaire. Leur repérage fait appel à toutes les techniques d’imagerie. La localisation aidée par un dosage étagé de FGF 23 a été proposée [7], mais seules les techniques d’imagerie permettent une localisation qui guide l’exérèse. La localisation par scanner ou IRM a souvent été utilisée mais n’est adaptée que pour les tumeurs de gros volume, ce qui est rare ou à développement osseux. L’examen de référence reste la scintigraphie à l’octréotide dont le taux de réussite est de 70 % selon Jan de Beur et al. [8,9]. L’intérêt du PET scan est limité par la faible activité métabolique des tumeurs mais est une technique malgré tout utile [10,11]. L’association des deux techniques, telle que réalisée dans notre observation, a permis le repérage particulièrement rapide de la tumeur malgré sa petite taille et mérite d’être recommandée. L’aspect histologique des tumeurs est variable, elles sont en règle richement vascularisées et contiennent des cellules stromales, des cellules de type ostéoclastiques et parfois des îlots de cartilage. Bien que le plus souvent bénignes, de rares observations de tumeurs malignes ont pu être rapportées [6,8,12].
A. Tournier et al. / La Revue de médecine interne 32 (2011) e99–e101
L’ablation chirurgicale de la tumeur est le traitement de choix. Le geste chirurgical est le plus souvent unique comme dans le cas décrit mais des exérèses multiples sont parfois nécessaires qu’il s’agisse de la conséquence d’exérèse initiale incomplète de la tumeur ou de la présence de tumeurs à localisations multiples [13,14]. Ces possibilités justifient la poursuite d’une surveillance postopératoire. Pendant la période de localisation de la tumeur, qui peut être longue, un traitement symptomatique est nécessaire. Une supplémentation en phosphore et en 1-25 dihydroxy-cholécalciférol (et non son précurseur) entraîne souvent une rémission partielle de la symptomatologie clinique. La mauvaise tolérance du traitement qui favorise la survenue d’hypercalciurie, de lithiase rénale ou d’hyperparathyroïdie secondaire ou tertiaire [6,8,15] justifie d’autres tentatives thérapeutiques. Le blocage du récepteur de la somatostatine présent sur les tumeurs responsables d’OO a montré son efficacité [7]. Le traitement chirurgical reste cependant le traitement optimal, il est seul capable de limiter les séquelles de la maladie, marquée dans l’observation que nous rapportons par une perte de taille de 5 cm. 4. Conclusion Le diagnostic d’OO repose sur la mise en évidence des anomalies métaboliques caractéristiques que sont la baisse du taux de réabsorption tubulaire de phosphate et la diminution de la capacité rénale d’hydroxylation de la vitamine D. L’augmentation du taux sérique de FGF 23 vient confirmer le diagnostic mais un taux normal ne l’élimine pas. La recherche d’une tumeur mésenchymateuse se justifie donc même en cas d’un taux de FGF 23 non pathologique. Le repérage de la tumeur, guidée par l’association d’une scintigraphie à l’octréotide et d’un PET scan, permet son exérèse rapide qui reste le traitement optimal même si un traitement substitutif peut s’avérer transitoirement nécessaire. Conflit d’intérêt Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article.
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