La Revue de médecine interne 33 (2012) e34–e37
Cas clinique
Ostéomyélite sclérosante diffuse de la mandibule et SAPHO Diffuse sclerosing osteomyelitis of the mandible and SAPHO B. Aubry-Rozier a,∗ , A. Basch a , J. Dudler b a b
Service de rhumatologie, médecine physique et rééducation, centre des maladies osseuses, département de l’appareil locomoteur, CHUV, 1011 Lausanne, Suisse Service de rhumatologie, hôpital cantonal, HFR, 1708 Fribourg, Suisse
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Historique de l’article : Disponible sur Internet le 8 mai 2012 Mots clés : SAPHO Ostéomyélite sclérosante diffuse de la mandibule Bisphosphonate
r é s u m é Le syndrome « synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite » (SAPHO) peut se révéler par une atteinte de la mâchoire appelée ostéomyélite sclérosante diffuse de la mandibule (OSDM). Nous rapportons une nouvelle observation de cette manifestation mal connue. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: SAPHO Diffuse sclerosing osteomyelitis of the mandible Bisphosphonate
Diffuse sclerosing osteomyelitis of the mandible may be the presenting manifestation of synovitis, acne, pustulosis, hyperostosis and osteitis (SAPHO) syndrome. We report an additional case of such a presentation. © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction
2. Observation
Le syndrome « synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite » (SAPHO) a été décrit en 1987 par l’équipe de M.-F. Kahn [1] sur une série de 85 malades. Ce syndrome associe des atteintes ostéoarticulaires et des signes cutanés qui ne sont pas toujours synchrones. Sa prévalence est faible, de l’ordre de 1/10 000, il prédomine chez la femme (sept fois sur dix), et débute habituellement chez l’enfant ou l’adulte jeune. Les localisations osseuses réalisent l’ostéite récurrente multifocale aseptique, qui atteint préférentiellement chez l’enfant les os longs (métaphyses fémorales inférieures, tibiales supérieures, etc.), et chez l’adulte la paroi thoracique antérieure (sternum, clavicules, côtes), le rachis, le bassin. L’atteinte mandibulaire sous la forme d’une ostéomyélite sclérosante diffuse peut révéler le SAPHO et nous en rapportons une nouvelle observation.
Une patiente âgée de 45 ans, sans antécédent particulier, était adressée pour des symptômes de l’hémiface gauche d’installation progressive, évoluant depuis 15 mois, associant des douleurs, une hypersensibilité et une tuméfaction locale de l’hémimandibule gauche, avec trismus et diminution de l’ouverture buccale. Une fièvre à 39 ◦ C s’y associait. Les examens biologiques montraient un syndrome inflammatoire modéré (VS : 39 mm à la première heure, CRP : 23 mg/L). Un traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens et amoxicilline n’avait apporté qu’une amélioration temporaire et partielle du tableau clinique ; des corticostéroïdes à forte dose (prednisone 50 mg par jour) avaient permis une résolution complète mais transitoire de la symptomatologie, avec rechutes à trois tentatives de sevrage. Une consultation spécialisée de chirurgie maxillo-faciale retenait rapidement le diagnostic d’ostéomyélite sclérosante diffuse de la mandibule (OSDM) devant la présentation clinique et l’imagerie (scanner et IRM), non spécifique mais évocatrice, montrant un début d’épaississement de la corticale mandibulaire gauche avec réaction périlésionnelle des tissus mous et épaississement du masséter gauche (Fig. 1).
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Aubry-Rozier).
0248-8663/$ – see front matter © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2011.07.011
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Fig. 1. Scanner et IRM du massif facial. Début d’épaississement de la corticale mandibulaire gauche avec réaction périlésionnelle des tissus mous et épaississement du masséter gauche (flèche).
L’examen clinique ne montrait pas d’autres douleurs osseuses ou articulaires mais objectivait en plus une légère tuméfaction de l’articulation sternoclaviculaire gauche et un psoriasis du cuir chevelu. La scintigraphie osseuse au Tc99m confirmait une hyperfixation de l’articulation sternocostale gauche, du tiers proximal de la clavicule et du calcanéum du même côté (Fig. 2). La recherche de l’antigène HLA B27 était négative. Le diagnostic de SAPHO était retenu devant l’association d’une OSDM, d’un psoriasis, d’une arthrite sternocostale et d’une ostéite claviculaire. Un traitement par salazopyrine à la dose de 2 g par jour était inefficace. Sous méthotrexate à la posologie de 20 mg par semaine par voie orale, l’évolution était favorable cliniquement (amélioration significative des douleurs en trois mois, des lésions cutanées en six mois) et biologiquement avec disparition du syndrome inflammatoire en neuf mois. Avec un recul de deux ans de traitement, la patiente ne présentait pas de rechute.
3. Discussion L’OSDM est une atteinte de la mâchoire bien connue des chirurgiens maxillo-faciaux, identifiée il y a plus de 40 ans [2]. Il s’agit
d’une affection peu fréquente, d’origine inconnue, qui peut se manifester à n’importe quel âge. Sa physiopathologie en est imprécise, et elle est considérée comme une ostéite inflammatoire chronique. Une origine infectieuse a été évoquée par certains auteurs tels que Frid et al. [3] qui ont mis en évidence du Propionibacterium acnes et du Staphylococcus capitis dans des cultures d’os malade, mais ces deux germes sont des saprophytes normaux de la peau ce qui limite la valeur de ces observations. Cliniquement, l’OSDM se manifeste par de violentes douleurs récidivantes de l’hémi-mâchoire affectée, souvent associées à un trismus, une limitation de l’ouverture buccale, de la fièvre et des paresthésies [2]. Une déformation progressive de la mâchoire peut apparaître avec délai. Le diagnostic et la prise en charge de ces OSDM restent un défi pour les spécialistes de la sphère ORL. Les examens biologiques sont peu contributifs, en dehors de la mise en évidence fréquente d’un syndrome inflammatoire [2]. La scintigraphie osseuse montre des foyers de fixation intense sur la mâchoire touchée. Les hémocultures et la biopsie osseuse sont typiquement stériles, et l’examen histologique montre une ostéomyélite non suppurative chronique. Le diagnostic d’OSDM repose sur la présentation clinique et l’imagerie révélant initialement des zones d’ostéolyse et secondairement une sclérose osseuse [4]. Il n’y a pas de pus, de fistule, de séquestre. Les
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Fig. 2. Scintigraphie osseuse. Zones d’hyperfixation typiques du syndrome SAPHO (clavicule, articulation sternocostale) avec ostéomyélite sclérosante diffuse de la mandibule (flèches) avant et après traitement.
diagnostics différentiels incluent principalement les tumeurs osseuses et les ostéites infectieuses de la mandibule. Le traitement de l’OSDM non codifié reposait classiquement sur la corticothérapie ou une antibiothérapie prolongée. Certains auteurs rapportent l’efficacité des bisphosphonates [5–8]. Une chirurgie lourde dans les cas résistant aux traitements médicamenteux est parfois proposée [9]. C’est en 1994 que l’équipe de Kahn a signalé que l’OSDM était une manifestation du syndrome SAPHO, présente chez 10 % des 94 malades de leur série [10]. Cette fréquence était confirmée par plusieurs séries ultérieures, soulignant l’importance de la recherche systématique d’un syndrome SAPHO devant toute découverte d’OSDM [11], et d’une collaboration entre chirurgiens maxillofaciaux et rhumatologues/internistes. Le diagnostic du syndrome SAPHO repose alors sur la recherche des autres manifestations, notamment cutanées (pustulose palmo-plantaire, psoriasis pustuleux, acné sévère conglobata ou fulminans, ou encore hydradénite
suppurée ou maladie de Verneuil) mais qui peuvent manquer ou apparaître avec retard, et d’autres localisations osseuses ou articulaires. Parmi les examens complémentaires, la scintigraphie osseuse est un bon moyen d’orienter le diagnostic quand elle révèle des atteintes ostéoarticulaires multiples de siège évocateur. Des critères diagnostiques du syndrome SAPHO ont été proposés, les plus récents étant ceux de 2003 (Tableau 1). Classé parmi les spondylarthropathies, avec une association au groupe HLA B27 de seulement 10 à 30 % selon les séries [12], le syndrome SAPHO a une pathogénie qui reste mystérieuse. L’hypothèse du déclenchement par un agent microbien « opportuniste » (Propionibacterium acnes) sur un terrain génétique particulier d’une réaction inflammatoire disproportionnée avec production cytokinique (IL1, IL8 et TNF␣) excessive est souvent proposée [9]. Les différents traitements proposés découlent en partie des hypothèses pathogéniques : antibiotiques au long cours (cyclines, clindamycine, azithromycine), oxygène hyperbare, souvent peu
B. Aubry-Rozier et al. / La Revue de médecine interne 33 (2012) e34–e37 Tableau 1 Critères de classification proposés pour le syndrome synovite, acné, pustulose, hyperostose, ostéite. Inclusion Atteinte osseuse ± articulaire associée à une pustulose palmo-plantaire ou un psoriasis Atteinte osseuse ± articulaire associée à une acné sévère Hyperostose/ostéite stérile (sauf isolement de Propionibacterium acnes) isolée (adulte) Ostéomyélite chronique récurrente multifocale (enfants) Atteinte osseuse ± articulaire associée à une maladie chronique inflammatoire intestinale Exclusion Ostéites infectieuses Tumeurs osseuses Lésions osseuses condensantes non inflammatoires
efficaces ; antalgiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens utiles sur le plan symptomatique ; corticoïdes, sulfasalazine, colchicine, immunosuppresseurs (méthotrexate, ciclosporine) ; biphosphonates par voie intraveineuse ou orale ; voire anti-TNF␣. Dans notre observation, la collaboration avec les chirurgiens maxillo-faciaux a permis de poser rapidement le diagnostic de syndrome SAPHO, d’introduire un traitement de fond efficace, d’interrompre la corticothérapie, et d’éviter une chirurgie invasive mandibulaire parfois recommandée par les chirurgiens maxillofaciaux en cas d’OSDM résistante aux traitements médicaux. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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