Annales de chirurgie 128 (2003) 57–61 www.elsevier.com/locate/annchi
Note technique
Pancréatectomie gauche avec dissection « centrifuge » des vaisseaux spléniques Distal pancreatectomy with “centrifugal” dissection of splenic vessels N. Goasguen, J.M. Regimbeau, A. Sauvanet * Service de chirurgie digestive, hôpital Beaujon, AP-HP, université Paris VII, 100, boulevard du Gal-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France
Résumé Nous décrivons ici une technique de pancréatectomie gauche débutée par une section de l’isthme précédant le contrôle de l’artère et de la veine splénique. La section préalable de l’isthme rend ce contrôle vasculaire plus facile et plus sûr. Pour une splénopancréatectomie gauche, ce contrôle vasculaire splénique, associé à la ligature-section des vaisseaux gastro-épiploïques gauches et des vaisseaux courts, précède la mobilisation de la pièce, diminue le saignement peropératoire et apparaît plus logique d’un point de vue carcinologique. De plus, cette technique peut constituer la première étape des pancréatectomies gauches avec conservation splénique. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We describe a technique of distal pancreatectomy begining with division of pancreatic neck before control of splenic vessels. Early neck division allows safer vascular control. For distal pancreatectomy, primary section of the neck and splenic vessels ligation, combined with division of left gastro-epiploic and short gastric vessels, precedes mobilization of a devascularized specimen, decreases operative bleeding and seems more logical from a carcinologic point of view. Furthermore, this technique could be the first step of left pancreatectomy with splenic preservation. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Pancréatectomie gauche ; Splénectomie ; Conservation splénique Keywords: Distal pancreatectomy; Splenectomy; Splenic preservation
1. Introduction La pancréatectomie gauche est une intervention de réalisation fréquente, aux indications multiples (tumeurs malignes, tumeurs bénignes, pancréatite chronique), associée à une mortalité inférieure à 1 % et à une morbidité comprise entre 30 et 45 %, principalement représentée par la fistule pancréatique (5 à 25 %) [1–4]. Cette technique comprend le plus souvent une splénectomie, qui est indiquée pour des raisons carcinologiques en cas de tumeur maligne ou pour des raisons techniques (impossibilité de disséquer ou de
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Sauvanet) © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 3 9 4 4 ( 0 2 ) 0 0 0 1 2 - 3
préserver les vaisseaux spléniques en raison des phénomènes inflammatoires) en cas de pancréatite chronique. Plusieurs modalités techniques de pancréatectomie gauche ont été décrites [5]. Une première variante consiste à mobiliser d’abord le mésogastre postérieur, puis à sectionner les vaisseaux spléniques et en dernier le pancréas. Cette technique expose à la survenue d’une hémorragie lors de la mobilisation du pancréas gauche, en particulier en cas de phénomènes inflammatoires marqués et/ou d’hypertension portale segmentaire. Une autre variante consiste à sectionner d’abord l’artère splénique, puis à effectuer la mobilisation et enfin à sectionner le pancréas et la veine splénique [5]. Toutefois, le contrôle de l’artère splénique peut être difficile en cas de volumineuse tumeur ou d’inflammation impor-
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tante. Enfin, il est possible de conserver la rate avec ou sans conservation des vaisseaux spléniques [6] mais cette technique est discutée en cas de cancer [7]. Nous exposons ici une variante de pancréatectomie gauche avec section première de l’isthme afin de faciliter le contrôle des vaisseaux spléniques. Cette technique, à notre connaissance décrite par Sitges-Serra et Badosa en 1985 [8], permet en cas de splénopancréatectomie gauche une dévascularisation première du pancréas gauche et de la rate et peut également constituer la première étape de la pancréatectomie gauche avec préservation splénique.
2. Technique opératoire Le patient est installé en décubitus dorsal. Le choix de l’incision est fonction du morphotype du patient (incision médiane chez le patient longiligne avec angle sterno-costal fermé ou sinon incision bi-sous-costale gauche). Après exploration de la grande cavité péritonéale, la face antérieure du pancréas est exposée par un décollement colo-épiploïque complet avec abaissement de la racine du mésocolon transverse. Après suppression d’éventuelles adhérences cloisonnant l’arrière cavité des épiploons, l’estomac est mobilisé vers le haut et peut être rétracté par des écarteurs autostatiques (Fig. 1). Le deuxième temps consiste à prendre contact avec l’axe veineux mésentérico-porte. La veine mésentérique supérieure (VMS) est abordée au bord inférieur de l’isthme. À ce niveau il est souvent nécessaire de lier une veine pancréatique inférieure s’abouchant au bord gauche de la VMS. Il est en revanche inutile de disséquer le bord droit de la VMS, cette dissection risquant de blesser le tronc veineux gastrocolique. On se porte ensuite au bord supérieur de l’isthme pour le libérer de la faux de l’artère hépatique commune (le tour de l’artère hépatique n’est pas indispensable) : cette manœuvre permet de dégager le bord gauche et la face antérieure du tronc porte. En cas de pancréatectomie pour tumeur, l’isthme ainsi mobilisé est séparé progressivement et complètement de la face antérieure de l’axe mésentérico-porte puis chargé par un lacs (Fig. 2). En cas de pancréatite chronique, des phénomènes inflammatoires marqués peuvent faire renoncer au tour complet de l’isthme, en raison du risque de plaie veineuse. Le troisième temps correspond à la section de l’isthme pancréatique. Un clamp est mis en place sur la partie gauche de l’isthme (ce clamp permet de tracter la pièce vers la gauche en faisant l’hémostase de sa tranche). Si le pancréas est souple (intervention pour tumeur), notre habitude est d’utiliser une pince automatique pour fermer la tranche pancréatique du côté céphalique. Nous utilisons une pince de 60 mm permettant une fermeture progressive avant agrafage, moins traumatisante pour le parenchyme pancréatique. Le passage du clamp et de la pince dernière l’isthme nécessite de libérer préalablement la totalité de la face postérieure de ce dernier. La section pancréatique est faite au bistouri froid le
Fig. 1. Vues opératoires. a) et b) Exposition de l’arrière cavité des épiploons. L’estomac est récliné vers le haut et la racine du mésocolon transverse est réclinée vers le bas libérant la face antérieure du pancréas. (VMI = veine mésentérique inférieure ; VMS = veine mésentérique supérieure).
long de la pince. Le canal de Wirsung peut être repéré sur la ligne d’agrafes et sa fermeture est renforcée par un point en U de fil monobrin 4/0 ou 5/0 placé en aval des agrafes, puis l’hémostase de la tranche est parfaite par un surjet du même fil sur la ligne d’agrafes (Fig. 3). En cas de pancréatite chronique, l’isthme peut être sectionné de proche en proche au bistouri électrique ; certaines
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Fig. 3. a) et b) L’isthme du pancréas est sectionné au bistouri froid entre l’agrafeuse (placé du côté de la tête du pancréas) et le clamp (placé du côté de la pièce).
Fig. 2. a) et b) L’isthme du pancréas est mobilisé et mis sur lacs (lacs bleu). L’artère hépatique commune est chargée par le lacs rouge.
hémostases doivent être complétées au fil serti. Cette section progressive permet une exposition sûre de la face antérieure de l’axe veineux mésentérico-porte, puis de la terminaison de la veine splénique. La tranche est souvent trop épaisse pour être agrafée ; seul le clamp est alors appliqué sur le bord gauche de l’isthme et la tranche droite est suturée au fil monobrin serti.
Le troisième temps est le contrôle des vaisseaux spléniques, débuté par la dissection de l’origine de l’artère. En suivant l’artère hépatique commune — déjà préalablement exposée au bord supérieur du pancréas — jusqu’à son origine sur le tronc cœliaque, il est en règle facile de retrouver l’origine de l’artère splénique et de la contrôler (Fig. 4). En cas de splénopancréatectomie gauche, il est prudent d’effectuer avant la section un clampage transitoire en vérifiant que les artères hépatique et coronaire restent battantes. Seules l’artère pancréatique dorsale, naissant en règle de la portion proximale de l’artère splénique, et la veine coronaire stomachique (gastrique gauche) peuvent gêner ce temps ; toutefois cette veine peut être sacrifiée si sa dissection est difficile, surtout en cas de cancer ou d’abouchement au bord supérieur
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seaux gastro-épiploïques gauches et les vaisseaux courts ; et iii) la ligature-section des vaisseaux gastriques postérieurs. Le temps vasculaire est terminé par la ligature-section de la veine splénique au contact du confluent splénomésaraïque (Fig. 4) et de la veine mésentérique inférieure, sauf si cette dernière s’abouche directement au bord gauche de la VMS. La pièce, qui est alors complètement dévascularisée, peut être facilement mobilisée de façon « centrifuge » pour son exérèse. Cette manœuvre est facilité par l’utilisation du clamp enserrant l’isthme comme tracteur. La dissection est menée à la face postérieure du pancréas, depuis la région cœlio-mésentérique (où quelques lymphostases doivent être faites par ligatures ou clips) jusqu’en arrière du hile splénique, en abaissant progressivement la portion gauche du mésocolon transverse. En cas d’hypertension portale segmentaire, il existe souvent des néoveines développées entre le pancréas gauche et la rate, d’une part et les loges rénale et surrénalienne, d’autre part. L’absence de perfusion artérielle de la pièce facilite leur hémostase par coagulation ou ligature appuyée. Si l’on a choisi une pancréatectomie gauche avec préservation splénique, la section première de l’isthme permet un contrôle aisé de l’origine de l’artère splénique, que celle-ci soit ensuite disséquée avec la veine en cas de préservation vasculaire ou qu’elle soit réséquée avec la veine et la pièce en cas de sacrifice vasculaire. Si une hémorragie survient lors de la mobilisation de la pièce ou par désinsertion d’une collatérale des vaisseaux spléniques lors de leur dissection, un clampage temporaire de l’artère splénique facilite l’hémostase. L’abord « centrifuge » des vaisseaux spléniques permet de mobiliser le mésogastre postérieur et de tenter une conservation des vaisseaux spléniques dans tous les cas, tout en minimisant le risque hémorragique de ces deux temps. 3. Commentaires
Fig. 4. a) et b) Exposition du pédicule splénique. La veine et l’artère spléniques sont mises sur lacs avant leur ligature ou leur dissection extensive, selon l’attitude adoptée vis-à-vis de la rate et des vaisseaux spléniques (AMS = artère mésentérique supérieure).
de la veine splénique. En cas de splénopancréatectomie gauche, la dévascularisation artérielle pancréatique et splénique est poursuivie par : i) la ligature-section de l’artère pancréatique inférieure née de l’artère mésentérique supérieure ; ii) la section du ligament gastrosplénique, contenant les vais-
La technique exposée ici est une variante de la pancréatectomie gauche avec une dissection débutée au niveau de l’isthme du pancréas et un contrôle des vaisseaux spléniques après section de l’isthme. Cette approche « centrifuge » parait préférable pour plusieurs raisons. Quelle que soit l’indication de l’intervention, elle permet un contrôle vasculaire premier avant mobilisation du spécimen, ce qui limite le risque hémorragique de la mobilisation en particulier au niveau splénique [5,8]. S’il existe une hypertension portale segmentaire (fréquente en cas de tumeur volumineuse ou surtout de pancréatite chronique), la technique décrite ici limite le risque hémorragique de la mobilisation, celle-ci interrompant les anastomoses veineuses dans le territoire splénorénal. Dans les pancréatectomies gauches pour tumeur maligne, elle apparaît plus logique en isolant la tumeur au plan vasculaire avant sa mobilisation. Le principe de cette approche « centrifuge » peut également être retenu pour les pancréatectomies gauches avec préservation splénique, avec ou sans sacrifice des vaisseaux spléniques entre la région cœliaque et le hile de la rate. La
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section première de l’isthme permet un contrôle aisé de la portion proximale des vaisseaux spléniques, que ceux-ci soient disséqués jusqu’au hile de la rate en cas de préservation vasculaire ou réséqués jusqu’en amont du hile de la rate qui sera alors vascularisée par les vaisseaux courts et le pédicule gastro-épiploïque gauche [6]. Enfin, cette technique paraît applicable en laparoscopie, en utilisant une pince mécanique pour la section de l’isthme. Références [1]
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