Paralysie sciatique transitoire après embolisation de l’artère utérine

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 37 (2009) 70–73 CAS CLINIQUE Paralysie sciatique transitoire après embolisation de l’artère utérine Sciatic para...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 37 (2009) 70–73

CAS CLINIQUE

Paralysie sciatique transitoire après embolisation de l’artère utérine Sciatic paralysis following uterine artery embolization C. Schmitt a, F. Cotton b, M.-P. Gonnaud c, M. Berland a, F. Golfier a, D. Raudrant a, O. Dupuis a,* a

Service de gynécologie–obstétrique, centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite cedex, France b Service de radiologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite cedex, France c Service de neurologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du Grand-Revoyet, 69495 Pierre-Bénite cedex, France Reçu le 10 février 2008 ; accepté le 17 octobre 2008 Disponible sur Internet le 17 décembre 2008

Résumé L’hémorragie de la délivrance constitue en France, en 2006, la première cause de mortalité maternelle en période périnatale. En association avec les mesures initiales de prise en charge de l’hémorragie, l’embolisation constitue une alternative efficace non chirurgicale dont on ne doit cependant pas oublier les potentiels effets adverses. Nous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté un tableau de paralysie sciatique poplité dans les suites immédiates du geste. Nous proposons à travers ce cas de rappeler également les différentes complications de la procédure d’embolisation décrites dans la littérature. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Early postpartum bleeding remains in France the leading cause of maternal mortality in perinatal period. In association with obstetrical and medical measures to control bleeding, uterine arteries embolization constitutes an efficient non-surgical measure whose potential side effects must be kept in mind. We report the case of a patient that presented a popliteal sciatic paralysis in the hours following the procedure. Through this case, we will review the different types of embolization complications. ß 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Hémorragie de la délivrance ; Embolisation artérielle utérine ; Complications ; Paralysie sciatique Keywords: Postpartum hemorrhage; Uterine artery embolization; Complications; Sciatic paralysis

1. INTRODUCTION L’hémorragie de la délivrance constitue de nos jours la première cause de mortalité maternelle : le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de décembre 2006 a recensé

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Dupuis).

30 cas mortels survenus entre 1999 à 2001. Dans 73 % des cas, la mort maternelle a été considérée comme « évitable ». La prise en charge de tels accidents se doit d’être rapide, efficace et codifiée : révision utérine, examen cervical sous valves, sondage vésical, ocytociques puis prostaglandines injectables. L’embolisation des artères utérines est une alternative de seconde ligne. En cas d’échec, un traitement chirurgical par ligature (technique de Tsirulnikov, ligature des artères hypogastriques) et/ou capitonnage (technique de B-Lynch

1297-9589/$ see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.gyobfe.2008.10.007

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ou de Cho) doit être entrepris. L’hystérectomie d’hémostase reste l’alternative ultime. L’embolisation est une technique peu invasive non chirurgicale permettant de conserver la fonction de reproduction. Hormis les complications communes à toute embolisation (hématome au point de ponction, dissection vasculaire, migration d’embole cruorique, risque septique, allergie au produit de contraste iodé), des complications propres à ce geste sont mentionnées dans la littérature. Nous rapportons ici le cas d’une patiente ayant présenté un tableau d’ischémie sciatique poplité externe et interne aiguë dans les suites immédiates de la procédure d’embolisation. 2. CAS CLINIQUE Mme N., primigeste, âgée de 29 ans, sans antécédent particulier, présente une grossesse gémellaire bichoriale biamniotique spontanée. La grossesse se déroule normalement. À 35 semaines d’aménorrhée (SA) et cinq jours, la patiente entre en travail spontané ; les jumeaux, J1 et J2, sont en présentation céphalique et l’accouchement par voie basse est accepté. Le travail se déroule sans problème notable sous analgésie péridurale. Dix heures après l’entrée en salle de travail la patiente est à dilatation complète ; après vingt minutes d’efforts expulsifs inefficaces, une extraction instrumentale par ventouse Kiwi1 est pratiquée (J1, né à 21h42, 2650 g, Apgar 9/10/10). À la rupture des

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membranes sur J2, le col se rétracte rapidement à 6 cm ; une césarienne est pratiquée en urgence pour l’extraction de J2 (né à 22h01, 2640 g, Apgar 10/10/10). En fin d’intervention, un traitement par ocytociques et prostaglandines intraveineux est immédiatement débuté pour maintenir un bon tonus utérin ; un examen systématique de la filière génitale met en évidence une plaie cervicale ainsi qu’une brèche vaginale latérale gauche qui seront suturées. Deux heures après l’accouchement, malgré une perfusion continue de prostaglandines à dose maximale associée à un massage utérin continu, l’atonie utérine persiste. L’hémodynamique restant stable sans anomalie du bilan de coagulation, on décide de pratiquer une embolisation des artères utérines. À droite comme à gauche, le cathétérisme hypersélectif des artères utérines est impossible du fait du spasme artériel ; l’embolisation est donc pratiquée au niveau du tronc antérieur des artères iliaques internes droite et gauche avec des fragments résorbables de Curaspon1 (Fig. 1). Le geste est difficile mais se révèle efficace après trois heures de procédure sous couvert d’une surveillance obstétricale et anesthésique étroite. Le volume total des pertes est estimé à 1000 cm3 ; la patiente sera transfusée de deux culots de globules rouges. Quatre heures après la fin de l’embolisation, la patiente signale une difficulté à mobiliser la jambe gauche avec steppage à la marche associée à des douleurs et à une baisse de la sensibilité à la face externe de cette jambe. L’examen neurologique montre une atteinte

Fig. 1. Clichés d’embolisation : à gauche (a) et (b) : après embolisation on note bien la disparition du flux dans les artères utérines et glutéale inférieure ; à droite (c) : ce cliché illustre le trajet de l’artère utérine ascendant en direction controlatérale assurant une partie de la vascularisation de l’organe par le côté opposé.

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tronculaire basse du nerf grand sciatique gauche avec déficit moteur complet du territoire sciatique poplité externe et incomplet dans le territoire sciatique poplité interne associée à une hypoesthésie à tous les modes ; les réflexes ostéotendineux sont conservés. Aucune atteinte sensitive périnéale n’est constatée. L’électromyogramme (EMG) précoce (J4) ne révèle logiquement qu’un tracé pauvre dans les muscles dépendant des nerfs sciatiques poplités interne et externe. Une IRM dorsolombaire permet d’éliminer un hématome médullaire et l’échographie doppler artérielle des axes des membres inférieurs est normale. D’un point de vue fonctionnel, le tableau est dominé par des douleurs neuropathiques invalidantes au niveau de la jambe gauche

associées à un steppage à la marche. Les suites postopératoires d’un point de vue obstétrical sont, elles, simples. Le retour à domicile est envisagé à j8 avec un traitement antalgique (neuroleptique associé à un agoniste GABAergique) et port d’une attelle. Un second EMG pratiqué un mois plus tard montrera des signes d’atteinte neurogène aiguë avec potentiels de dénervation dans les muscles dépendant des nerfs sciatiques poplités interne et externe gauches (Fig. 2). À la consultation postnatale, l’évolution clinique est nettement favorable : sur les plans moteur et sensitif, la récupération est franche ; la patiente peut se mobiliser sans attelle. Les douleurs sont efficacement contrôlées par le traitement antalgique.

Fig. 2. Électromyogramme tardif pratiqué à un mois : pour les muscles explorés à gauche, le tracé est pauvre avec fibrillation au repos témoignant d’une dénervation.

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3. DISCUSSION L’embolisation artérielle pelvienne a été décrite pour la première fois par l’équipe du Dr Ring à San Francisco [1] en 1973 pour la prise en charge des saignements traumatiques du petit bassin. Six ans plus tard, l’embolisation utérine à but hémostatique a été pratiquée pour la première fois avec succès [2]. Sous couvert d’une surveillance étroite obstétricale et anesthésique et en l’absence de saignement cataclysmique, cette technique permet de préserver la fertilité sans geste chirurgical. Après avoir cathétérisé l’artère fémorale, une exploration angiographique globale du pelvis est réalisée afin de repérer les différents axes vasculaires. La vascularisation de l’utérus est essentiellement assurée par les artères utérines naissant du tronc de division antérieur des artères iliaques internes. En cas d’hémorragie par atonie utérine, l’embolisation est pratiquée de manière sélective au niveau des artères utérines. Les particules utilisées sont le plus souvent des fragments résorbables de gélatine de gros diamètre afin d’éviter les complications de type ischémique par atteinte de la microvascularisation. Selon les différentes études de cas publiées de 1999 à 2004, le taux de succès primaire de l’embolisation d’hémostase est compris entre 73 et 100 % ; dans 8 à 15 % des cas une seconde embolisation est nécessaire. Le taux de succès secondaire atteint alors 96 % [3]. Le taux de complications de l’embolisation est faible, de l’ordre de 1 % [3]. Hormis les complications aspécifiques déjà mentionnées liées à la procédure artériographique, des cas de complications ischémiques sont rapportés dans la littérature. La difficulté du cathétérisme hypersélectif des artères utérines sur spasme artériel, les variations anatomiques vasculaires ainsi que le reflux de particules d’embolisation sont différentes hypothèses complémentaires permettant d’expliquer ces effets adverses. À noter que ces complications ont été décrites dans le cadre de la prise en charge d’hémorragie de la délivrance ou dans le cadre du traitement radiologique des fibromes utérins. Ainsi, Dietz et al. [4] ont décrit un cas de nécrose cutanée fessière par reflux de particules dans la branche postérieure de division de l’artère iliaque interne. Yeagley et al. [5] rapportent un cas de nécrose vulvaire de la grande lèvre suite à l’embolisation accidentelle de l’artère pudendale interne, branche antérieure de l’artère iliaque interne comme l’artère utérine. Des cas de nécrose utérine postembolisation [6,7] ont été attribués à l’utilisation de particules d’embolisation de faible calibre ayant occlus les plus petites artérioles. Dans le cas rapporté ici, les conditions anatomiques ont rendu le geste difficile, comme en témoigne la durée de l’intervention.

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Le déficit neurologique aigu et complet (sensitif et moteur) dans les territoires dépendant des nerfs sciatiques poplités externe et interne peut être expliqué par l’occlusion accidentelle de branches de l’artère ischiatique (ou glutéale inférieure) gauche. Cette artère, qui constitue l’artère nourricière du tronc du nerf sciatique, est une des branches de division du tronc antérieur de l’artère iliaque interne habituellement cathétérisée au cours de l’embolisation. L’occlusion de l’artère glutéale inférieure gauche peut être expliquée par différentes hypothèses : soit par une atteinte accidentelle directe après échec du cathétérisme hypersélectif de l’artère utérine gauche ; soit par le reflux de particules dans l’artère glutéale inférieure à partir de l’artère utérine ; ou encore par l’existence d’anastomoses entre les deux territoires vasculaires (artère utérine et glutéale inférieure). Ces trois hypothèses ne sont pas exclusives et concourent conjointement à expliquer la complication neurologique présentée dans le cas.

4. CONCLUSION L’embolisation des artères utérines permet de traiter efficacement certains cas d’hémorragies de la délivrance. Une collaboration étroite entre obstétricien, anesthésiste et radiologue est nécessaire pour assurer la sécurité optimale de ce geste. Cette technique expose cependant la patiente à des complications spécifiques liées aux difficultés techniques du geste. Compte tenu de sa rareté et de son caractère réversible, le type de complication décrit ici ne nous semble pas de nature à remettre en cause ce geste. RÉFÉRENCES [1] Ring EJ, Athanasoulis C, Waltman AC, Margolies MN, Baum S. Arteriographic management of hemorrhage following pelvic fracture. Radiology 1973;109:65–70. [2] Pelage JP, Le Dref O, Jacob D, Soyer P, Rossignol M, Truc J, et al. Embolisation utérine : anatomie, technique, indications, résultats et complications. J Radiol 2000;81:1863–72. [3] Pelage JP, Laissy JP. Prise en charge des hémorragies graves du post-partum : indications et techniques de l’embolisation artérielle. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004;33:93–102. [4] Dietz DM, Stahlfeld KR, Bansal SK, Christopherson WA. Buttock necrosis after uterine artery embolization. Obstet Gynecol 2004;104:1159–61. [5] Yeagley TJ, Goldberg J, Klein TA, Bonn J. Labial necrosis after artery embolization for leiomyomata. Obstet Gynecol 2002;100:881–2. [6] Godfrey CD, Zbella EA. Uterine necrosis after uterine artery embolization for leiomyoma. Obstet Gynecol 2001;98:950–2. [7] Eboué C, Barjot P, Jeanne-Pasquier C, Herlicoviez M. Nécrose utérine après embolisation des artères utérines pour hémorragie de la délivrance. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2007;36:298–301.