Analyses de livres / Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 101–103
métaphysiciens (Schopenhauer) comme pour les pionniers des sciences cognitives (Edelman) et, oserais-je dire, pour tout médecin, praticien de la pâte humaine aux prises avec les souffrances de la chair et de l’esprit. Je vous le disais bien. Il faut le répéter en refermant cet ouvrage. C’est une pépite d’intelligence et d’érudition. Sans nul doute il aura une suite et des développements qu’il nous faudra prendre en compte. C.-J. Blanc © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2003.12.020
Parler d’alcool Michel Craplet Paris, La Martinière « Il n’est jamais trop tard pour... », 2003, 300 p. « Il existe une opposition claire entre alcoologues et psychiatres sur l’abord de la question alcool. » En effet, la consommation d’alcool provoque une « augmentation de la dépression, de l’angoisse, de la culpabilité » : elle ne saurait être considérée, de ce fait, « comme un simple symptôme parmi d’autres ». À l’abord du chapitre de son ouvrage consacré au soin, l’auteur souligne cette évidence, prise en compte de nos jours par un nombre sans cesse plus important de psychiatres. En effet, écrit-il, le temps n’est plus à la relégation des alcooliques hors de la cité, dans les hôpitaux psychiatriques. Certaines institutions mettent désormais en place de véritables unités d’alcoologie, suivant l’exemple de promoteurs, créateurs d’intersecteurs psychiatriques d’alcoologie. Enfin amorcée, c’est la réponse attendue aux obligations imposées par la sectorisation. Néanmoins, l’alcoolisation et ses avatars restent pour le plus grand nombre de nos confrères un sujet d’intérêt secondaire. Tantôt, le peu de considération dont pâtirent longtemps les alcooliques fait encore, insidieusement, long feu (il est tant de sujets plus nobles !) ; tantôt, la méconnaissance des acquis scientifiques fait oublier le rôle spécifique de l’alcool sur l’organisme et la vanité de la seule écoute bienveillante et de l’interprétation, lorsqu’un sujet est sous l’influence de l’alcool, intellectuellement affaibli ou alexithymique. L’importance de ce problème de santé publique n’est pourtant plus à souligner : il concerne cinq millions de nos concitoyens. C’est dire l’intérêt d’une information susceptible de sensibiliser les indifférents et sceptiques. Pour ce faire, Michel Craplet innove en la matière. Il ne propose pas un nouvel « abrégé » d’alcoologie, écrit à l’intention ciblée de telle ou telle catégorie professionnelle, psychiatre, alcoologue, généraliste, paramédical. Son ouvrage s’adresse à tous, malades, membres des groupes d’entraide, de l’entourage familial et social y compris. Il laisse une place privilégiée au discours des alcooliques, Marcel, Raoul, Maud, et les autres..., placés sur le pavois dès leur entrée sur la scène médicale. Ce sont les propos de salle d’attente de la star, du clochard, de la femme au foyer (personne n’est à l’abri des effets de ce breuvage, source d’apaisement parfois, de plaisir souvent, mais qui a le potentiel
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d’une drogue dure). Ce sont des tranches de dialogues recueillies à chaque instant d’un douloureux parcours. Le passage de l’abus à la dépendance, favorisé par les vulnérabilités individuelles et sociales, est abordé dans la même perspective, qui met en exergue le sentiment de culpabilité et la pudeur des alcooliques, plus conscients de « toucher le fond » que dans le « déni » que ressassent nos références classiques. Le retour à la liberté de s’abstenir d’alcool sous-tend une condition : accepter d’être aidé, selon les cas, en ambulatoire ou en institution. Les acteurs du soin accompagneront dans cette longue marche le patient et son entourage jusqu’à ce que changent habitudes et rituels, jusqu’à ce que change la vie. Si les alcooliques ont la primauté et la parole (le patient ne devrait-il pas être toujours au centre du système de soins, comme devrait être l’élève à l’école...), l’ouvrage de Michel Craplet se démarque évidemment du contenu des autobiographies de « malades rétablis », même s’il leur est fait référence. De la même façon, il cite les textes de certains « soignants » (il ne dit pas « auteurs »), lorsqu’ils font témoignage « des souffrances et des plaisirs retrouvés » des alcooliques. Les données scientifiques actuelles sur l’alcoolisme ne sont pas pour autant négligées, mais s’inscrivent en écho des propos des malades. Elles sont exposées de façon claire, accessible au plus grand nombre, avec la maîtrise d’un spécialiste de la communication. La logique de sa démarche épargne au lecteur les interminables débats terminologiques actuels, consacrés aux conduites d’alcoolisation, et « justifiés » par les besoins de la recherche. Buveur, alcoolique, des termes qui, pour être désormais écartés par les classifications internationales, expriment bien, entre soignants, soignés, entourage social, ce qu’ils veulent dire. En pratique alcoologique, il n’y a pas de recettes, mais des exemples, des modèles, ou des anti-modèles... (à chacun d’en tirer profit en fonction de sa personnalité, de sa formation, de ses projets et de ses conditions d’exercice). On les rencontre dans l’exercice professionnel, très exceptionnellement dans les témoignages écrits. Ici, l’auteur ose « se mettre en scène », citer son discours, ses prises de position lorsqu’il s’adresse à son interlocuteur : ainsi, le long dialogue avec Maud présente les diverses formes de psychothérapies et les étapes, accompagnées, d’une démarche personnelle vers la psychanalyse. L’auteur de Parler d’alcool a plusieurs passions, l’alcoologie clinique, l’information préventive, la littérature et l’écriture. Contenues dans cet ouvrage – compte tenu du dessein poursuivi – les citations sont certes, moins nombreuses, mais toujours choisies avec soins, pour souligner un propos, accentuer un éclairage. Mais il laisse la bride sur le cou à sa verve culturelle dans ses conclusions. « À la recherche du plaisir, de la sobriété et de la sagesse », il convoque philosophes, artistes et poètes... Michel Craplet aime écrire. Vous aimerez le lire. M. Bazot © 2003 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.amp.2003.12.019