Permanences d’accès aux soins de santé : dix ans d’expérience méconnus

Permanences d’accès aux soins de santé : dix ans d’expérience méconnus

La Revue de médecine interne 30 (2009) S8–S9 Permanences d’accès aux soins de santé : dix ans d’expérience méconnus Continuously for care access: Exp...

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La Revue de médecine interne 30 (2009) S8–S9

Permanences d’accès aux soins de santé : dix ans d’expérience méconnus Continuously for care access: Experience for 10 years J. Lebas Policlinique Baudelaire, hôpital St.-Antoine AP-HP, 184, rue du Faubourg St-Antoine, 75571 Paris cedex 12, France Disponible sur Internet le 24 avril 2009

Mots clés : Accès aux soins Keyword: Care access

Montée du chômage, précarisation de l’emploi, nouvelles migrations, etc., la crise économique qui secoue l’Europe actuellement ne devrait pas rester sans conséquence pour l’hôpital public. L’arrivée de populations étrangères dépourvues de couverture sociale mais aussi l’émergence de « travailleurs pauvres » sans complémentaire, ne peut en effet que venir grossir les rangs des patients précaires en France au cours des années à venir. Avec à la clef, une sollicitation accrue de l’hôpital public qui reste pour les plus démunis, le premier recours en matière de santé. Cette évolution implique pour les établissements hospitaliers de s’y être préparés et d’avoir su anticiper la prise en charge de ce nouveau type de malades. Dans ce contexte, les permanences d’accès aux soins de santé (Pass) montrent la voie. Pourtant, dix ans après leur création dans le cadre de la loi relative à la lutte contre les exclusions de 1998, ces dispositifs hospitaliers dédiés à l’accueil et à la prise en charge des patients en situation de précarité restent confidentiels et méconnus des populations auxquelles ils s’adressent comme de la majorité des professionnels de santé. Cette présentation s’attachera donc à préciser les différents aspects de ces structures, leurs spécificités, leur savoir faire et leur place dans le système de soin. Au cours des années 1990, s’opère en France une prise de conscience de la montée de la précarité et de ses conséquences en termes de santé et d’accès aux soins. Alors que la sécurité sociale franc¸aise compte parmi les plus « généreuses », toute une tranche de la population échappe au dispositif et reste en marge du système de soin. Selon une étude réalisée par le Credes en 1996, 0,3 % des personnes vivant en France (soit près de 150 000 individus) ne bénéficient alors d’aucune couverture sociale, 16 % n’ont pas d’assurance santé complé-

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mentaire et 17 % ont dû renoncer à des soins au moins une fois dans l’année pour raisons financières [1]. Dans ce contexte, ONG et associations caritatives se mobilisent pour permettre aux populations fragilisées d’accéder à la prévention et aux soins, quelle que soit leur situation administrative. En 1986, la « Mission France » de Médecins du Monde ouvre ses portes à Paris. Dans la même dynamique, quelques consultations précarité « à bas seuil social » voient le jour dans les hôpitaux, sous la double impulsion de Médecin du Monde et d’ATD Quart Monde. À l’image de la consultation Baudelaire créée à l’hôpital Saint-Antoine (Paris) en 1993, ces structures pionnières, coordonnées par des internistes convaincus, tentent de rapprocher les fonctions médicales et sociales de l’hôpital pour permettre une prise en charge globale des patients. La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions sociales de 1998 [2] conforte ces initiatives et leur apporte un cadre institutionnel. Elle confirme les obligations de l’hôpital dans la lutte contre les exclusions sociales et prévoit la création, dans les établissements de santé participant au service public hospitalier, de dispositifs d’accueil pour les personnes en situation de précarité ou Pass. Ces structures ont pour objectif de faciliter l’accès des personnes démunies, non seulement au système hospitalier, mais aussi aux réseaux institutionnels ou associatifs de soins, d’accueil et d’accompagnement social et de les accompagner dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits, notamment en matière de couverture sociale [3]. Aujourd’hui, la France compte près de 400 Pass, aux modes de fonctionnement et aux pratiques très hétérogènes. Certaines ont été rattachées à un service existant (consultation de médecine sans rendez-vous, urgences, etc.), d’autres ont un statut d’unité fonctionnelle indépendante, d’autres enfin opèrent de fac¸on transversale dans l’ensemble des services de l’hôpital [4]. Dans ce paysage polymorphe, la réalité de terrain des Pass est

0248-8663/$ – see front matter © 2009 Publi´e par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI). doi:10.1016/j.revmed.2009.03.023

J. Lebas / La Revue de médecine interne 30 (2009) S8–S9

souvent mal appréhendée, d’autant que l’activité de ces entités reste peu documentée. Cette présentation propose un nouveau regard sur ces structures et sur leur apport dans l’offre de soin. Elle abordera successivement les caractéristiques sociales et médicales des patients accueillis dans ces consultations, les spécificités des prises en charge qui y sont dispensées, le lien avec les autres professionnels de santé, et les savoir-faire qui y sont développés. 1. Une population plurielle, en pleine mutation Si toutes les études réalisées sur les Pass confirment le caractère précaire des patients rec¸us dans ces consultations, elles soulignent aussi la diversité des situations rencontrées et l’évolution des populations accueillies [5]. Aux patients plutôt jeunes et marginaux des débuts, se sont progressivement substitués, après la création de la CMU puis de l’AME, des étrangers en situation administrative précaire sans couverture sociale [6]. Plus récemment, les Pass ont vu affluer des patients d’un nouveau type, souvent mieux intégrés socialement, bénéficiant pour certains d’une couverture sociale partielle, mais restés en marge du système de soin classique, faute de complémentaire. Pour ces malades, le reste à charge constitue en lui même un obstacle vis à vis de la médecine libérale, notamment dans des grandes métropoles comme Paris où le secteur II concerne plus de 20 % des omnipraticiens et plus de 50 % des spécialistes [7]. Or, parallèlement, ces patients présentent un besoin médical accru, car s’il n’y a pas de maladies spécifiques de la pauvreté, on sait que les personnes en situation de précarité cumulent les facteurs de risque et les états morbides et présentent des pathologies à un stade plus avancé que les autres. Les consultations de médecine générale sans rendez-vous avec Pass de l’AP-HP sont donc amenées à prendre en charge des situations médicosociales variées, souvent complexes chez des malades dont le suivi en ville s’avère difficile ou inexistant. 2. Des fonctionnements adaptés Pour faire face à ces situations, tout en s’adaptant aux difficultés des patients, ces consultations ont mis en œuvre des fonctionnements spécifiques. Elles dispensent une prise en charge globale à la fois médicale et sociale ; la présence d’une assistante sociale sur le terrain garantissant un lien « en temps réel » avec les services sociaux. Sur le plan médical, la consultation est prolongée dans certains établissements par une consultation d’observance pour tous les malades atteints de pathologies chroniques. Ailleurs, des programmes de dépistage « systématique » (frottis, HIV, etc.) sont en cours ou à l’étude pour renforcer la prévention au sein des populations

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défavorisées. Enfin, ces consultations travaillent en partenariat avec les associations et le Samu social, mais aussi en lien étroit avec d’autres services hospitaliers (urgences, services de médecine interne, etc.), constituant ainsi un relais pour ces structures, tant que le suivi en ville du patient reste impossible. Plus en amont, elles permettent de préparer, sinon d’éviter, certaines hospitalisations, avec des bénéfices sur le plan humain comme en termes comptables. Il a en effet été démontré à l’AP–HP, qu’à pathologie identique, les durées de séjour (et donc les coûts d’hospitalisation) des patients précaires sont significativement plus élevés que ceux des autres malades [8]. 3. Une expertise médicosociale indispensable Cette approche globale, parfois au long cours, des patients les plus fragiles ne s’entend qu’avec la présence d’équipes soignantes formées, capables de repérer les difficultés sociales associées aux problèmes médicaux, de discerner les non-dits derrière une plainte somatique ou d’évaluer les possibilités thérapeutiques réelles d’un patient. Aujourd’hui, formation et recherche font donc partie intégrante des consultations de médecine sans rendez-vous de l’AP-HP qui accueillent externes, internes et médecins généralistes et contribuent à de nombreuses études dans le domaine de la précarité et de la santé. Ainsi, si la prise en charge des patients précaires au sein de l’hôpital est longtemps restée taboue, elle tend depuis quelques années à se structurer et à sortir de l’ombre grâce au travail des Pass notamment. Elle concerne désormais l’ensemble de la communauté hospitalière, des urgentistes aux internistes qui seront confontés de plus en plus souvent à des malades cumulant pathologies médicales et difficultés sociales. . . Références [1] Dumesnil S, Grandfils N, Le Fur P, Mizrahi A, Mizrahi A. Santé, soins et protection sociale en 1996. Paris: Credes; 1997. [2] Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions no 98-657. J O du 31 juillet; 1998. [3] Circulaire DH no 98-736 du 17 décembre 1998 relative à la mission de lutte contre l’exclusion sociale des établissements de santé participant au service hospitalier et à l’accès aux soins des personnes les plus démunies. [4] Fabre C, Baudot V, Toulemonde S. Évaluation des permanences d’accès aux soins de Santé. Commande de la Direction des hôpitaux et de l’Organisation des soins. Gres Médiation Santé; 2003. [5] DHOS. Études Pass. Fiche de synthèse sur les études sur les Pass menées par l’Igas, l’Anaes, Grès médiation Santé, 2004. [6] Lebas J, Chauvin P. Précarité et santé. Paris: Flammarion Médecine Sciences; 1998, 300p. [7] SNIR CNAMTS. [8] Agénie C. Étude de la relation durée de séjour–variables sociales du système d’information hospitalier à l’AP-HP, 2007.