Revue du Rhumatisme 74 (2007) 751–758 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Physiopathologie du syndrome des antiphospholipides et aspects thérapeutiques Physiopathogeny of the antiphospholipid syndrome and therapeutic aspects Olivier Meyer Service de rhumatologie, CHU Bichat, APHP, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France Reçu le 12 mars 2007 ; accepté le 2 mai 2007 Disponible sur internet le 21 juin 2007
Mots clés : Anticardiolipine ; Anti-β2 glycoprotéine 1 ; Antiprothrombine ; Annexines ; Complément ; Héparine Keywords: Anticardiolipin antibody; Anti-β2 glycoprotein 1 antibody; Anti-prothrombin antibody; Annexins, Complement; Heparin
1. Introduction
2. Critères de classification du SAPL
Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) a été décrit dans sa forme primaire thrombosante et obstétricale par Soulié et Boffa en 1980 [1]. Il est souvent appelé, dans la littérature anglo-saxonne, syndrome de Hughes en hommage à Graham Hughes et son équipe de l’hôpital Saint-Thomas à Londres pour leur contribution à partir de 1983 à la description exhaustive des principales présentations cliniques de cette affection et à la mise au point d’un test Elisa simple et pratique permettant la mise en évidence d’un type d’anticorps antiphospholipides connu sous le nom d’anticardiolipine (en Français cardiolipide). Le versant obstétrical du SAPL a fait l’objet de travaux cliniques fondateurs par M. Lockshin et W. Branch aux ÉtatsUnis d’Amérique. Les progrès biologiques les plus notables concernent la mise en évidence du rôle prépondérant de la β2GPI comme cofacteur des phospholipides [2] et comme cible principale des autoanticorps dits antiphospholipides (Koike au Japon, Krilis en Australie) et le démembrement des anticoagulants circulants dits « lupus anticoagulant » (LA) avec M. Galli (Fig. 1), laquelle établit la forte corrélation clinicobiologique entre le risque de thrombose et la présence de LA β2GPI-dépendant (un tiers des LA) et non prothrombinedépendant (deux tiers des LA) [3].
Ce rapide résumé de 20 ans de SAPL aboutit à la proposition d’un système de critères consensuels internationaux de classification du SAPL publiés en 1999 et actualisés en 2006 (Tableau 1) [4]. Ce système de critères est le résultat de concessions réciproques entre les divers auteurs et reflète mal le caractère extrêmement protéiforme de l’affection. Selon les critères révisés en 2006, un patient sera classé comme ayant un SAPL s’il associe au moins un signe clinique de thrombose vasculaire ou de morbidité obstétricale et au moins un critère de laboratoire. Le critère biologique doit être retrouvé au moins deux fois à 12 semaines d’intervalle afin d’éliminer la production transitoire d’antiphospholipides sous l’effet d’une infection bactérienne ou virale (transitoire). Cette réunion de consensus a été l’occasion de proposer une définition aux atteintes valvulaires cardiaques, au livedo reticularis, à la néphropathie et à la thrombopénie associés au SAPL [4]. La physiopathologie du SAPL est complexe et de multiples anomalies ont été décrites tant au niveau des cellules endothéliales vasculaires que des plaquettes et des cellules du trophoblaste. Nous ne reviendrons pas sur les descriptions anciennes résumées dans le Tableau 2 et nous centrerons la discussion sur les progrès récents effectués à l’aide de modèles in vitro et in vivo grâce aux modèles murins. Ces nouveaux développements mettent en lumière le rôle important du système du complément d’une part, du facteur tissulaire et de l’annexine V d’autre part, justifiant les propositions thérapeutiques d’utilisation de
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Fig. 1. Classification des anticorps antiphospholipides et interclassement avec les anticoagulants circulants de type lupique (LA). Tableau 1 Critères de classification révisés du syndrome des antiphospholipides Critères cliniques - Thrombose vasculaire : un ou plusieurs épisodes cliniques de thrombose artérielle, veineuse (phlébite superficielle exclue) ou des petits vaisseaux touchant tout tissu ou organe confirmé objectivement (imagerie ou histologie) - Grossesse morbide Une ou plusieurs morts fœtales inexpliquées d'un fœtus normal après la dixième semaine de gestation Une ou plusieurs naissances prématurées avant la 34e semaine de gestation liée Soit à une éclampsie ou prééclampsie sévère Soit à des signes reconnus d'insuffisance placentaire Soit au moins trois fausses couches spontanées consécutives précoces avant la dixième semaine de gestation sans anomalie maternelle anatomique, hormonale ou chromosomique Critères biologiques - Présence d'un anticoagulant circulant (LA) dans le plasma à deux occasions séparées d'au moins 12 semaines détecté selon les recommandations de la Société internationale d'hémostase et de thrombose - Présence d'anticardiolipine d'isotype IgG ou IgM dans le sérum ou le plasma à taux moyen ou élevé (en général > 40 UGPL ou MPL ou > 99e percentile) à deux occasions séparées par au moins 12 semaines, mesurés par un test Elisa standardisé - Présence d'anti-β2GPI d'isotype IgG ou IgM dans le sérum ou le plasma (à un titre > 99e percentile) à deux occasions séparées par au moins 12 semaines, mesurés par un test Elisa standardisé Le syndrome des antiphospholipides (SAPL) est présent si le patient répond au moins à un critère clinique et un critère biologique (le délai entre critère clinique et critère biologique ne doit pas être inférieur à 12 semaines ou supérieur à cinq ans).
Tableau 2 Principales modifications des cellules endothéliales vasculaires des plaquettes et des monocytes induites par les anticorps antiphospholipides Cellules endothéliales Induction d'un phénotype proadhésif et pro-inflammatoire Induction accrue de facteur tissulaire (TF) Interaction avec le système protéine C/protéine S Déplacement de l'annexine 5 de la surface des cellules endothéliales Interaction avec le métabolisme des eicosanoïdes : inhibition de synthèse de la PGI2 Induction de la synthèse de pré-proET-1 (endothéline-1) Induction d'apoptose Interaction avec les endosomes tardifs Plaquettes Augmentation de l'activation plaquettaire induite par dose suboptimale d'ADP, de thrombine ou de collagène ou de thrombin receptor agonist peptide (TRAP) Augmentation de l'expression du complexe activé glycoprotéine IIb/IIIa Augmentation production thromboxane A2 (TXA2) par les complexes antiPL-β2GPI Monocytes Expression augmentée du facteur tissulaire (TF) procoagulant Tableau 3 Principaux cofacteurs protéiques des APL β2-glycoprotéine I (β2GPI) Annexine 5 Facteur H du complément Kininogène de haut PM Kininogène de bas PM
Prothrombine Protéine C Protéine S Facteur XI C4b-BP
substances s’opposant à l’activation du complément et notamment les héparines et, en dehors des manifestations obstétricales, des statines.
protéines membranaires ou circulantes fixées sur les phospholipides. Le Tableau 3 résume les différents cofacteurs cibles d’autoanticorps au cours du SAPL. Les principaux sont constitués par la β2GPI et la prothrombine.
3. Cofacteurs protéiques des anticorps antiphospholipides
3.1. Rôle de la β2GPI et des anticorps anti-β2GPI [2]
Les autoanticorps antiphospholipides reconnaissent habituellement le complexe formé par les phospholipides avec des
La β2GPI est un cofacteur plasmatique capable d’interagir avec la phosphatidylsérine membranaire pour former un com-
O. Meyer / Revue du Rhumatisme 74 (2007) 751–758 Tableau 4 Principales fonctions de la β2GPI Inhibition de l'activation par contact de la voie intrinsèque de coagulation Inhibition de l'activité prothrombinase des plaquettes Inhibition de l'agrégation plaquettaire à l'ADP Inhibition de l'activation du facteur XII par kaolin ou acide élagique Inhibition de l'activation de la prékalliérine médiée par le FXIIa Inhibition de la génération du FXa par les plaquettes Inhibition de l'autoactivation du FXII plasmatique Inhibition du complexe prothrombinase FVa dépendant et potentialisation de la production de thrombine en présence de protéine C activée Inhibition de l'activation procoagulante en inhibant l'activité de la protéine C activée Inhibition de la protéine S libre (active) en favorisant sa liaison à la C4BP Favorise l'épuration des cellules en apoptose.
plexe protéine cofacteur/phospholipide. Composée de cinq domaines repliés en sushi, cette protéine de 326 acides aminés possède sur le cinquième domaine une séquence cationique capable de fixer les phospholipides. Les principaux épitopes reconnus par les anticorps correspondants sont plutôt disposés sur les domaines I et IV, mais la discussion n’est pas définitivement tranchée [5]. La β2GPI n’est pas indispensable à une coagulation sans thrombose. En effet, les rares déficits congénitaux ne sont pas associés à une thrombophilie. Cependant, on lui attribue de nombreuses propriétés résumées dans le Tableau 4. L’existence d’un ou plusieurs récepteurs de surface pour la β2GPI n’est pas totalement éclaircie et plusieurs protéines ou protéoglycanes semblent pouvoir remplir cette fonction de cofacteur d’adhésion : citons l’héparane sulfate, la mégaline (composant endocytique de la famille des récepteurs LDL) et l’APO ER2, enfin, l’annexine 2 (voir paragraphe 4), récepteur endothélial du tissue plasminogen activator (t-PA). Les anticorps antiphospholipides sont susceptibles d’activer les cellules endothéliales comme l’atteste l’augmentation de production de NF-k B et de la MAPK p38, mais le blocage de ces deux voies ne suffit pas à abolir l’effet des anti-PL (en particulier les anti-β2GPI) [6]. L’activation par les IgG antiβ2GPI implique la mise en jeu de la protéine adaptatrice MyD88 et TRAF6 et une phosphorylation de IL1-receptor activated kinase (IRAK) suggérant un mode d’activation analogue à celui induit par le lipopolyosaccharide bactérien (LPS) via le récepteur TLR4 ou l’IL1 via l’IL1-R [7]. En résumé, l’hypothèse prévalente actuelle serait que la β2GPI fixée à l’héparane sulfate à la surface des cellules endothéliales serait reconnue par TLR-4 du fait d’une structure commune entre β2GPI et certains motifs bactériens ou viraux [8,9]. Il en résulterait une activation de la cellule endothéliale. Une interaction avec l’annexine 2 pourrait également déclencher cette fixation sur TLR-4 (voire paragraphe 4). 3.2. Prothrombine et antiprothrombine (PT) Il existe plusieurs catégories d’anticorps antiprothrombine : certains reconnaissent le complexe phospholipide/PT, d’autres la PT seule [10]. La fréquence de tels anticorps est élevée en présence d’anticoagulant circulant de type lupique (LA)
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(Fig. 1), mais leur valeur prédictive d’un risque de thrombose est très inconstante, très inférieure à celle des anti-β2GPI [2]. 4. Rôle de l’annexine 5 et de l’annexine 2 et anticorps correspondants Plusieurs milliers de protéines différentes partageant un domaine répétitif (habituellement répété quatre fois), d’environ 70 acides aminés, constituent la famille des « annexines ». La partie aminoacide N-terminale porte les propriétés spécifiques à chacune de ces protéines. 4.1. Annexine 5 L’annexine 5 a une forme de disque concave avec un domaine de fixation pour les phospholipides membranaires et un autre pour la fixation du calcium. Cette protéine est capable de former un film continu cristallin à la surface des cellules, formant une barrière avec les fluides extracellulaires, empêchant, entre autre, l’interaction avec les protéines de la coagulation/fibrinolyse. L’annexine 5 est ainsi synthétisée en abondance par les cellules endothéliales vasculaires et les cellules du trophoblaste. En l’absence de ce film continu, l’annexine 5 et les facteurs de coagulation vont pouvoir s’activer en cascade, notamment après expression membranaire du facteur tissulaire (TF) sur les phospholipides de membrane (PL) (Fig. 2) [11]. Le complexe TF/PL fixe le facteur VII qui s’active (VIIa) sur le complexe qui se fixe sur le facteur X et le facteur IX pour générer les enzymes Xa et IXa. Chaque enzyme clive son substrat, respectivement le facteur II (prothrombine) et le facteur X en présence de phospholipides anioniques telle la phosphatidylsérine. Ainsi se forme la prothrombinase (complexe formé des facteurs IXa–VIIa–X appelé aussi ténase) qui augmente la production de Xa. La thrombine générée (IIa) transforme le fibrinogène en fibrine, mais ce n’est pas sa seule propriété. L’expression du TF endothélial persiste souvent longtemps après l’épisode thrombotique chez les patients avec un SAPL. Certaines statines (fluvastatine et simvastatine) ont la propriété, in vitro, d’inhiber l’expression du facteur tissulaire (TF) par les cellules endothéliales stimulées par les IgG antiphospholipides et pourraient constituer un traitement adjuvant utile du SAPL [12]. Rand et Wu [13] ont montré que la β2GPI et les autoanticorps (IgG) correspondant interféraient avec la fixation de l’annexine 5 à la surface des phospholipides membranaires des cellules trophoblastiques en culture, des cellules endothéliales en culture (cellules de veine de cordon ombilical HUVEC) et des plaquettes. Il en résulte une diminution de la quantité d’annexine 5 sur ces cellules [14]. Les temps de coagulation in vitro de plasma au contact de cellules trophoblastiques sont raccourcis en présence d’IgG antiphospholipides, cela résultant du déplacement de l’annexine 5 de la surface cellulaire. Les antiphospholipides agissent soit directement, soit via la formation d’un complexe avec le cofacteur β2GPI [15]. Plusieurs travaux ont étudié le rôle des anticorps antiannexine 5 dans les pertes fœtales du lupus et les accidents de thrombose : il semble exister une relation avec les pertes fœta-
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Fig. 2. Activation de la coagulation par le facteur tissulaire (TF) associé aux phospholipides de membrane en cas d’absence d’annexine 5.
les, mais les résultats concernant l’association au risque de thrombose sont divergents et aucune conclusion n’est possible. 4.2. Annexine 2 L’annexine 2 est le récepteur membranaire du t-PA, protéine clé dans la fibrinolyse qui, une fois activée, va transformer le plasminogène en plasmine. Il a été montré que l’annexine 2 fixait aussi la β2GPI avec une forte affinité [16]. Des anticorps antiannexine 2 ont été mis en évidence avec une fréquence significativement plus élevée dans le SAPL avec thrombose veineuse (17,5 %) ou artérielle (34,3 %) ou mixte (40,4 %), comparativement aux témoins (2,1 %) dans une série de patients mexicains [17]. L’activation de la coagulation induite par les antiannexine 2 est de même ordre de grandeur que celle obtenue par les anti-β2GPI en conjonction avec la β2GPI [18]. On ignore cependant, par quel mécanisme le signal de l’interaction annexine 2 et complexe β2GPI est transduit dans la cellule endothéliale (rôle de MyD88 ? Voir paragraphe 3). De même ignore-t-on si le complexe empêche l’activation du plasminogène par le t-PA. Il existe dans ce mécanisme d’interaction annexine 2/β2GPI une cible thérapeutique potentielle pour traiter le SAPL.
5. Rôle du complément C’est au travers d’un modèle murin de SAPL obstétrical que G. Girardi et al. ont démontré le rôle prépondérant de la cascade du complément à l’origine des lésions placentaires, des pertes fœtales et retard de croissance induit par les anticorps antiphospholipides. Ainsi, les souris Balb/C, âgées de deux à trois mois gestantes de 8 à 12 jours, qui reçoivent des injections intrapéritonéales d’IgG humaines antiphospholipides (10 mg) vont développer un retard de développement et des résorptions fœtales nombreuses comparées aux souris injectées avec des IgG normales. L’implication du complément est attestée par l’absence de résorption fœtale si les souris sont K.O pour le gène du C3 ou si elles reçoivent simultanément du Crry-Ig (3 mg tous les deux jours de j8 à j12). Cette protéine de fusion s’oppose à l’action de la C3 convertase classique et alterne, bloquant ainsi l’activation du complément [19]. Parmi les facteurs du complément, la même équipe a montré le rôle primordial des deux voies du complément, la voie classique (les souris déficitaires en C4 sont protégées) et la voie alterne d’amplification (les souris déficitaires en facteur B sont aussi protégées). Il est possible d’inhiber le SAPL obstétrical dans ce modèle murin en utilisant des souris génétiquement déficitaires
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Fig. 3. Rôle de l’activation du complément dans les pertes fœtales induites par les anticorps antiphospholipides.
en C5 ou en C5aR (récepteur du C5a présent sur les polynucléaires, les monocytes ou les plaquettes). Seules les IgG antiphospholipides complètes (avec partie Fab et Fc) sont efficaces dans cette activation du complément, la partie F(ab’)2 étant sans effet. C’est le site de fixation/activation du complément qui est important et non la capacité à se fixer sur les Fcγ récepteurs [20] (Fig. 3). Dans un modèle murin de thrombose induite par striction de la veine fémorale et injection d’IgG humaines APL, il a été possible de mettre en évidence le même rôle de l’activation du complément. Les souris déficitaires en C4 sont protégées, de même qu’un prétraitement par un anticorps monoclonal anti-C5 [21]. Parmi les anticorps antiphospholipides, les IgG anti-β2GPI se sont montrées capables d’induire l’activation du complément dans un modèle de thrombose mésentérique induite par l’injection conjointe d’antiphospholipides chez des rats préalablement sensibilisés par une injection de LPS [22]. Que se passe-t-il en aval de cette activation complémentaire par les antiphospholipides fixés sur les membranes trophoblastiques ou vasculaires ? Deux phénomènes semblent survenir : une production accrue de TNFα dans le tissu décidual qui se traduit par des taux sériques augmentés [23] et une libération importante de récepteur soluble de type 1 du VEGF (sVEGFR1) ou sFlt-1, molécule puissamment antiangiogénique [24], ce qui va freiner le développement normal du placenta, et conduire aux complications obstétricales. L’héparine est un puissant anticoagulant et son utilisation a été recommandée sur cette propriété pour traiter le SAPL thrombotique et obstétrical lorsque ce dernier résiste à l’acide acétylsalicylique à dose antiagrégante. L’héparine est égale-
ment un puissant agent inhibiteur du complément et l’équipe de G. Girardi et al. [25] a démontré que c’était cette propriété anticomplémentaire qui expliquait son efficacité clinique, qu’il s’agisse des héparines non fractionnées ou des HBPM. En effet, d’autres antithrombotiques puissants, tels le fondaparinux ou les hirudines sont incapables de prévenir les pertes fœtales du SAPL murin. Cette propriété conforte la pratique clinique actuelle et si le modèle est transposable à l’homme, c’est un encouragement à utiliser plus précocement les HBPM dans les SAPL obstétricaux. 6. Aspects thérapeutiques 6.1. Traitement curatif des thromboses Le traitement curatif à la phase aiguë d’une thrombose veineuse au cours du SAPL s’impose en toute circonstance et fait appel, sans originalité, aux héparines à dose curative (avec contrôle de l’activité anti-Xa) relayées après cinq à six jours par une antivitamine K (AVK) débuté le soir dès le premier jour. L’objectif du traitement par AVK est de maintenir l’INR autour de 3. 6.2. Traitement préventif des récidives 6.2.1. Durée du traitement d’entretien La durée du traitement d’entretien par AVK est en principe indéfinie. Ce caractère définitif est basé sur les observations nombreuses de récidive thrombotique dans les mois qui suivent une interruption d’AVK même en dehors de toute circonstance throm-
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bogène. Néanmoins, en cas de disparition durable et vérifiée des anticorps antiphospholipides, et en l’absence de manifestation clinique, il est possible de discuter l’interruption des AVK. 6.2.2. Intensité de l’anticoagulation et prévention des thromboses veineuses profondes Dans une série de 100 SAPL, dont deux tiers de formes primaires et un tiers lié à un LES, Munoz-Rodriguez et al. [26] ont bien souligné la nécessité d’un traitement AVK continu puisque parmi 53 cas ayant déjà thrombosé, la probabilité, au terme d’un suivi prolongé, d’être indemne de récidive est de 22 % en l’absence de traitement continu contre 58 % si les sujets reçoivent de l’aspirine et 81 % s’ils reçoivent des
AVK en continu. Initialement, la pratique défendue par Khamashta et al. de l’hôpital Saint-Thomas (Londres, UK), à partir de dossiers rétrospectifs [27], était de maintenir l’INR entre 3 et 4. Cette pratique a été critiquée par d’autres équipes qui rapportent des accidents hémorragiques sévères (2 à 3 % par an) [28] dans la propre série de l’hôpital Saint-Thomas et des résultats en termes de récidive thrombotique tout aussi satisfaisants en maintenant l’INR entre 2 et 3. Ainsi, deux études contrôlées n’ont pu démontrer l’avantage d’une anticoagulation forte en termes de prévention des récidives de thrombose [29,30]. En regroupant les deux études dans une méta-analyse (223 patients), il n’a pas été possible de démontrer la supériorité d’une anticoagulation forte.
Fig. 4. Algorithme du traitement antithrombotique des patients ayant des anticorps antiphospholipides (APL) [34].
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6.2.3. Intensité du traitement prophylactique et thrombose artérielle Les études sur le traitement préventif des récidives de thrombose artérielle ont essentiellement porté sur les AVC et les AIT : l’étude prospective APASS a montré une efficacité comparable des AVK avec un INR entre 1,4 et 2,8 et de l’aspirine (325 mg/j) chez les patients ayant soit des anticorps anticardiolipine, soit un anticoagulant circulant [31].
tique, mais l’étude rétrospective des observations publiées montre que les patients ayant survécu ont souvent reçu l’association d’une anticoagulation par les héparines, des corticoïdes à forte dose, y compris les bolus de méthylprednisolone et souvent du cyclophosphamide en IV et des échanges plasmatiques ou des Ig IV.
6.3. Traitement du SAPL obstétrical
La place du rituximab dans le traitement du SAPL reste à définir. Quelques observations de traitement anti-CD20 ont été rapportées avec un résultat favorable dans un cas de CAPS [38]. Certains auteurs ont émis l’hypothèse que les agents anti-TNFα [23] pourraient être utiles dans le traitement du CAPS, mais ces molécules sont connues pour pouvoir induire des autoanticorps en particulier des antiphospholipides. Les molécules anticomplément telle la molécule de fusion Crry-Ig (inhibiteur de l’activation du C3) pourraient également être testées pour le traitement du SAPL dans un avenir proche par analogie avec le modèle expérimental murin [21].
Les femmes ayant eu au moins deux pertes fœtales précoces (< 10 semaines d’aménorrhée) ou un mort fœtale tardive sans antécédent thrombotique devront recevoir un traitement préventif à l’occasion de la prochaine grossesse comprenant la combinaison aspirine (81 à 100 mg/j dès la tentative de conception) associée à l’héparine (non fractionnée 5000 à 10000 U deux fois par jour) ou des HBPM type enoxaparin 40 à 80 mg/j, deltaparin 5000 unités/j ou nadroparin 3800 unités/j dès que la grossesse est documentée jusqu’au terme (ou presque pour l’aspirine) [32]. La corticothérapie n’a pas sa place dans ce traitement et les fortes doses d’héparine ou de HBPM sont réservées aux femmes ayant un antécédent thrombotique ou un échec du traitement par des doses plus faibles. Toutes les autres situations pratiques seront traitées au cas par cas selon un consensus d’experts faute d’étude contrôlée. Ainsi, la simple constatation d’un Ac antiphospholipide persistant en l’absence de signe clinique conduit certains à proposer un traitement prophylactique par l’aspirine à faible dose en cours de grossesse (y compris s’il s’agit d’une première grossesse) [33]. La Fig. 4 basée sur la médecine fondée sur des preuves, résume les principales situations thérapeutiques [34]. Rappelons que les héparines non fractionnées et les HPBM agissent, non tant par leurs propriétés anticoagulantes que par leur activité anticomplémentaire pour antagoniser la réaction inflammatoire placentaire. De même, les autres molécules anticoagulantes (fondiparinux et hirudines) sont inefficaces dans la prévention des résorptions fœtales dans le modèle murin de SAPL obstétrical [25]. 6.4. Syndrome catastrophique des anticorps antiphospholipides (CAPS) Ce syndrome, appelé catastrophic anti-phospholipid syndrome (CAPS), est caractérisé par une atteinte thrombotique de trois organes et/ou tissus au moins, simultanée ou en moins d’une semaine avec confirmation histologique d’occlusion des petits vaisseaux dans un organe ou tissu (au moins) et confirmation de la présence d’anticorps anticardiolipine et/ou d’un anticoagulant circulant [35]. Le CAPS est souvent déclenché par une infection (35 %), un acte chirurgical (13 %), plus rarement un sevrage en anticoagulant (8 %), une complication obstétricale (6 %), une néoplasie (8 %) ou une poussée lupique (5 %) [36]. La mortalité immédiate reste très élevée (46 %) et parmi les survivants, seuls 66 % ne feront pas d’autre accident lié au SAPL [37]. Il n’existe pas d’étude contrôlée thérapeu-
6.5. Traitements futurs
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