Place des taxanes en adjuvant dans le traitement des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire

Place des taxanes en adjuvant dans le traitement des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire

Synthèse General review Volume 100 • N◦ 5 • mai 2013 John Libbey Eurotext © Place des taxanes en adjuvant dans le traitement des cancers du sein sa...

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Synthèse General review

Volume 100 • N◦ 5 • mai 2013 John Libbey Eurotext

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Place des taxanes en adjuvant dans le traitement des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire Impact of taxanes in the adjuvant setting of node-negative breast cancers Aymen Lagha1 , Nesrine Chraiet2 , Soumaya Labidi1 , Sarra Krimi1 , Mouna Ayadi2 , Joseph Gligorov3 , Hamouda Boussen1 , on behalf of AROME (Association of Radiotherapy and Oncology of the Mediterranean arEa; www.aromecancer.org) Article rec¸u le 27 septembre 2012, accepté le 14 janvier 2013 Tirés à part : A. Lagha

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Hôpital Abderrahmane Mami, service d’oncologie médicale, rue de l’Hôpital, 2080 Ariana, Tunisie 2 Institut Salah Azaiez, service d’oncologie médicale, Tunis, Tunisie 3 Hôpital Tenon, service d’oncologie médicale, 75020 Paris, France Pour citer cet article : Lagha A, Chraiet N, Labidi S, Krimi S, Ayadi M, Gligorov J, Boussen H. Place des taxanes en adjuvant dans le traitement des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire. Bull Cancer 2013 ; 100 : 465-71. doi : 10.1684/bdc.2013.1743.

Résumé. L’efficacité des taxanes a été bien établie dans les cancers du sein avec envahissement ganglionnaire, cependant, leur utilisation dans les formes sans envahissement ganglionnaire de haut risque reste à définir. L’objectif de ce travail est d’évaluer la place des taxanes dans ce dernier groupe. Deux catégories d’études ont été identifiées : les études de phase III incluant les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire et les cancers du sein avec envahissement ganglionnaire, et les études incluant uniquement les tumeurs de haut risque sans envahissement ganglionnaire. Trois études de phase III évaluant en même temps les tumeurs avec et sans envahissement ganglionnaire n’ont pas démontré de bénéfice réel des taxanes pour les formes sans envahissement ganglionnaire contre deux études (European Cooperative Trial ˜ in Operable Breast Cancer [ECTO] et Grupo Espanol de Investigación del Cáncer de Mama [GEICAM]) qui ont objectivé une différence significative de la survie sans récidive en leur faveur. Le bénéfice apporté par les taxanes dans les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire reste controversé et le résultat des études en cours pourrait mieux répondre à cette question. 

doi : 10.1684/bdc.2013.1743

Mots clés : cancer du sein, sans envahissement ganglionnaire, chimiothérapie adjuvante, taxanes, docétaxel, paclitaxel

Introduction Les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire représentent environ 65 à 70 % de tous les cancers du sein, dont 70 % seront traités efficacement par chirurgie, radiothérapie et traitement antihormonal Bull Cancer vol. 100 • N◦ 5 • mai 2013

Abstract. The use of regimens with adjuvant taxanes reduces the risk of recurrence and improves survival in patients with node-positive breast cancer, but the use of taxanes in node-negative breast cancer is still to be defined. The aim of this study is to evaluate the role of taxanes in high-risk nodenegative breast cancer. Two categories of studies were reviewed: studies that evaluated both nodepositive and node-negative breast cancers, and studies that included only high-risk node-negative breast cancers. Three phase-III studies that evaluated both negative and positive nodes did not show any benefit of the use of taxanes according to the node-negative subgroup analyses, versus two studies (European Cooperative Trial in Operable Breast ˜ de Investigación Cancer [ECTO] et Grupo Espanol del Cáncer de Mama [GEICAM]) that showed a significant difference in disease-free survival. In view of these studies, the role of taxanes in nodenegative breast cancer is still controversial and the results of the ongoing trials may respond to this subject. 

Key words: breast cancer, node-negative, adjuvant chemotherapy, taxanes, docetaxel, paclitaxel

mais une chimiothérapie adjuvante est souvent indiquée pour les 30 % restants en raison de facteurs de mauvais pronostics existants [1-3]. Selon Adjuvant !Online, le risque de mortalité pour une tumeur du sein grade 3 sans envahissement ganglionnaire pour-

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rait être plus important que pour une tumeur avec envahissement ganglionnaire mais de grade inférieur [4]. Ce groupe de cancer du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire est caractérisé selon la plupart des recommandations internationales par la présence d’au moins un des facteurs suivants : pT de plus de 2 cm, grade 2-3, négativité des récepteurs hormonaux (RH), HER2 amplifié, âge inférieur à 35 ans [1, 5, 6]. La chimiothérapie adjuvante a fait ses preuves aussi bien dans les cancers du sein localement avancés que dans les formes localisées, notamment avec les anthracyclines [7-9]. L’efficacité des taxanes a été bien établie initialement dans les formes métastatiques puis dans les formes avec envahissement ganglionnaire [10-14]. Les études initiales ayant démontré le bénéfice d’une chimiothérapie adjuvante dans le cancer du sein n’avaient inclus qu’un nombre restreint de cancers du sein sans envahissement ganglionnaire [12, 15]. Par conséquent, peu de données sont disponibles concernant les indications des taxanes dans les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire. Le but de cet article est de revoir les études ayant évalué l’impact des taxanes en situation adjuvante dans la population pN0 et de proposer au sein de cette population des critères permettant d’identifier les patientes ayant un bénéfice indiscutable de cette stratégie.

Méthodes Les bases de données PubMed, Medline, Cancerlit, Embase, Ovid Online, Wiley Online et Cochrane ont été utilisées afin de rechercher tout article ou publication se rapportant à ce sujet. La recherche a été effectuée en utilisant les mots-clés suivants : « breast cancer », « taxane », « docetaxel », « paclitaxel », « chemotherapy » et « lymph node ». Les recherches ont été effectuées jusqu’au 1er septembre 2012.

Résultats Études de phase III incluant les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire et les cancers du sein avec envahissement ganglionnaire Étude randomisée de phase III réalisée par the Hellenic Cooperative Oncology Group [16] Cinq cent quatre-vingt-quinze patientes porteuses d’un cancer du sein T1-3 N1M0 ou T3N0M0 ont été incluses dans cette étude et réparties en deux bras : le premier bras (A) comprenait un traitement par trois cycles d’épirubicine puis trois cycles de paclitaxel (PAC) puis trois cycles de cyclophosphamideméthotrexate-fluoro-uracile (CMF) intensifié. Le second

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bras (B) comprenait un traitement par quatre cycles d’épirubicine puis quatre cycles de CMF intensifié. Seulement 2 % des tumeurs étaient sans envahissement ganglionnaire. À cinq ans de suivi, la survie sans récidive (SSR) était de 70 % (IC 95 % : 65-75 %) pour le bras A contre 68 % (IC 95 % : 63-73 %) pour le bras B (p = 0,55), alors que la survie globale (SG) était de 84 % pour le bras A contre 81 % pour le bras B (p = 0,38). Il n’y a pas eu d’analyse de sous-groupes concernant les tumeurs sans envahissement ganglionnaire.

MD Anderson Cancer Center (MDACC 2002) [17] Cette étude, publiée par Buzdar et al. en 2002 [17], était la première à évaluer le rôle des taxanes dans les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire de haut risque et les pN+. Elle incluait des patientes avec un carcinome invasif du sein T1-3, N0-1 et M0, opéré ou non auparavant. Les patientes étaient par la suite réparties en deux bras : un bras où les patientes recevaient quatre cycles de chimiothérapie fluorouracile-doxorubicine-cyclophosphamide (FAC) et un second bras où les patientes recevaient quatre cycles de PAC. Ensuite, les deux bras se rejoignaient et toutes les patientes recevaient quatre autres cycles de FAC. Au final, 524 patientes ont été incluses dont 33 % non opérées et seulement 28 % étaient sans envahissement ganglionnaire. Durant les cinq ans du suivi, il n’y avait pas de différence significative en termes de SSR (p = 0,09). Cependant, le hazard ratio (HR) pour les deux bras était en faveur d’une réduction de 30 % du risque en faveur du bras PAC/FAC (HR = 0,7 ; IC 95 % : 0,471,07), mais l’intervalle de confiance était assez large reflétant ainsi l’estimation imprécise des effets du traitement dans cette population de patientes. De plus, il n’y a pas eu d’analyse de sous-groupes concernant les tumeurs sans envahissement ganglionnaire.

Étude UK Taxotere as Adjuvant Chemotherapy Trial (TACT) [18] Cette étude avait inclus 4 162 patientes avec cancers du sein classés pT1-3 N1 M0 ou pT1-3 N0 M0 de haut risque (RH < 0, grade 3, présence d’emboles vasculaires). Le premier groupe recevait en adjuvant quatre cycles FEC puis quatre cycles docétaxel. Dans le second groupe, dit de témoin, les patientes étaient traitées par quatre cycles FEC ou par épirubicine seul, suivis de quatre cycles CMF. Durant les cinq ans de suivi, il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes concernant la SSR : 74,3 % (IC 95 % : 72,3-76,2) pour FEC-D contre 75,6 % (IC 95 % : 73,7-77,5) pour le groupe témoin (p = 0,44) ni concernant la SG (HR = 0,99 ; IC 95 % : Bull Cancer vol. 100 • N◦ 5 • mai 2013

Place des taxanes

086-1,14 ; p = 0,91). Dans cette étude, environ 40 % des cancers étaient sans envahissement ganglionnaire (soit 835 patientes) réparties équitablement entre les deux bras. Lors de l’analyse de sous-groupes, il n’y avait pas de différence significative pour la SSR pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire (HR = 0,88 ; IC 95 % : 0,61-1,25).

North American Breast Cancer Intergroup Trial E 2197 [19] Deux mille huit cent quatre-vingt-deux patientes avec cancer du sein opéré T1-3 N1M0 ou N0 avec pT de plus de 1 cm ont été incluses dans cette étude qui comportait deux bras. Dans le premier, les patientes recevaient une chimiothérapie adjuvante type AC pendant quatre cycles, alors que dans le second bras, elles étaient traitées par quatre cycles doxorubicine-docétaxel (AT), suivie d’une hormonothérapie type tamoxifène pour les RH+. Après une médiane de suivi de 79,5 mois, il n’y avait pas de différence significative entre les deux bras ni pour la SSR (85 % dans les deux bras, HR AC versus AT = 1,02 ; IC 95 % : 0,86-1,22 ; p = 0,78), ni pour la SG (91 % pour AC et 92 % pour AT, HR AC versus AT = 1,06 ; IC 95 % : 0,85-1,31 ; p = 0,62). Dans cette étude, environ 66 % des patientes incluses étaient sans envahissement ganglionnaire, soit 1 893 patientes. L’analyse en sous-groupe des tumeurs sans envahissement ganglionnaire n’a pas objectivé de différence significative concernant la SSR (HR = 1,06 ; IC 95 % : 0,84-1,32, p : non reporté).

Étude US Oncology (USON) 9735 [15, 20] Mille seize patientes ont été réparties en deux bras : 506 patientes incluses dans le bras AC (quatre cycles doxorubicine et cyclophosphamide) et 510 patientes incluses dans le bras TC (quatre cycles de docétaxel et cyclophosphamide). Environ 48 % des tumeurs étaient sans envahissement ganglionnaire de haut risque (248 patientes dans le bras AC et 239 patientes dans le bras TC). Cette étude a fait l’objectif de deux publications : une en 2006 rapportant les résultats après un suivi de cinq ans et une seconde en 2009 rapportant les résultats après sept ans de suivi. En 2006, la différence de SSR pour tous les groupes était significative (86 % dans le bras TC contre 80 % dans le bras AC ; HR = 0,67 ; IC 95 % : 0,50-0,94 ; p = 0,015) alors que la différence de la SG était non significative (90 % pour TC contre 87 % pour AC ; HR = 0,76 ; IC 95 % : 0,521,1 ; p = 0,13) [15]. En 2009 et après un suivi de sept ans, les résultats étaient en faveur du bras TC lors de l’analyse de la SSR et de la SG pour tous les groupes (SSR : 81 % pour TC versus 75 % pour AC ; HR = 0,74 ; IC 95 % : 0,56-0,98 ; p = 0,033, SG : 87 % pour TC versus 82 % pour AC ; HR = 0,69 ; IC 95 % : 0,500,97 ; p = 0,032) [20]. Ce bénéfice sur la SSR et la SG Bull Cancer vol. 100 • N◦ 5 • mai 2013

en faveur des taxanes a été retrouvé aussi bien pour les patientes jeunes que les patientes âgées de plus de 65 ans. Dans ce dernier groupe, il y avait deux fois plus de neutropénie fébrile (8 et 4 %, respectivement, pour le bras TC et AC) en comparaison avec les patientes âgées de moins de 65 ans (4 et 2 %, respectivement, pour le bras TC et AC). Concernant les autres complications hématologiques, il n’y avait pas de différence entre les groupes d’âges pour le bras TC, mais dans le bras AC, il y avait plus d’anémie de grade 3 ou 4 chez les patientes âgées. Trois décès par insuffisance cardiaque et/ou myélodysplasie ainsi qu’un décès secondaire à une leucémie aiguë ont été rapportés dans le groupe des patientes traitées par AC. L’analyse de sous-groupes pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire de haut risque n’a pas objectivé de différence significative pour la SSR entre les deux bras AC et TC après cinq ans de suivi (HR : 0,73 ; IC 95 % : 0,42-1,27 ; p : non rapporté) [15]. Il n’y a pas eu d’analyse de ce sous-groupe après le suivi de sept ans.

European Cooperative Trial in Operable Breast Cancer (ECTO) [21] Cette étude incluait 1 355 patientes avec cancer du sein opérable (T2-3 N0-1 M0), et comportait trois bras : dans le bras A, dit de témoin, les patientes recevaient en adjuvant quatre cycles de doxorubicine puis quatre cycles de CMF. Dans le bras B, les patientes recevaient en adjuvant quatre cycles AT (doxorubicine et PAC) puis quatre cycles CMF. Alors que dans le bras C, les patientes recevaient en néoadjuvant quatre cycles AT puis quatre cycles CMF ensuite chirurgie. Les deux objectifs primaires de cette étude étaient d’évaluer le bénéfice sur la SSR qu’apporterait l’ajout des taxanes à une chimiothérapie adjuvante (bras B versus bras A), et puis chimiothérapie néoadjuvante contre chimiothérapie adjuvante (bras B versus bras C). Le bras A comportait 444 patientes (dont 40 % sans envahissement ganglionnaire) contre 432 patientes dans le bras B (dont 38 % sans envahissement ganglionnaire) et 448 patientes dans le bras C (dont 60 % sans envahissement ganglionnaire). Après sept ans de suivi, les analyses statistiques avaient objectivé une différence significative de la SSR en faveur de l’ajout des taxanes en adjuvant : bras B versus bras A (SSR : 76 % pour bras B versus 69 % pour bras A ; HR = 0,73 ; IC 95 % : 0,57-0,97 ; p = 0,033), alors que la différence de la SG n’était pas significative (85 % pour bras B versus 82 % pour bras A ; HR = 0,80 ; IC 95 % : 0,56-1,14 ; p = 0,21). Lors de l’analyse statistique en sous-groupes des tumeurs sans envahissement ganglionnaire de haut risque dans les bras A et B, le bénéfice des taxanes pour la SSR était similaire à ceux des tumeurs avec envahissement ganglionnaire (HR = 0,71).

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Étude incluant uniquement les tumeurs du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire ˜ de Investigación del Cáncer Grupo Espanol de Mama (GEICAM) [22] GEICAM 9805 est à ce jour la seule étude dans laquelle l’efficacité des taxanes a été évaluée uniquement pour les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire de haut risque (1 047 patientes). Cette étude comportait deux bras : dans le premier, les patientes recevaient six cycles docétaxel-doxorubicine-cyclophosphamide (TAC) en adjuvant, et dans le second bras, les patientes recevaient six cycles FAC en adjuvant. Après un suivi de 77 mois, il y avait une diminution du risque de récidive de 32 % en faveur du bras TAC (SSR : 87,8 % pour TAC versus 81,8 % pour FAC ; HR = 0,68 ; IC 95 % : 0,49-0,93 ; p = 0,01). Cependant, il n’y avait pas de différence significative concernant la SG : une diminution du risque de décès de 24 % en faveur du bras TAC était cependant suggérée (SG : 95,2 % TAC versus 93,5 % FAC ; HR = 0,76 ; IC 95 % : 0,45-1,26 ; p = 0,29), mais il faut rappeler que le nombre des évènements était assez restreint (26 décès dans le bras TAC contre 34 dans le bras FAC). La différence significative de la SSR en faveur des taxanes a été retrouvée lors de l’analyse de sous-groupes pour le statut des RH, le statut ménopausique, l’âge, la taille tumorale, HER2 négatif et le grade SBR 2 ou 3. Les patientes qui avaient un HER2 négatif représentaient le sous-groupe qui a le plus bénéficié de l’apport des taxanes et cela indépendamment du statut des RH. Cependant, il n’y avait pas de différence significative pour le sous-groupe SBR 1 et le sous-groupe HER2 positif, mais il faut rappeler que dans ce dernier sous-groupe le nombre des patientes était réduit (39 patientes dans le bras TAC et 44 dans le bras FAC). Ces différentes études sont résumées dans le tableau 1.

Discussion Pour comprendre l’impact des chimiothérapies adjuvantes par taxanes dans les tumeurs du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire, il est indispensable de comprendre la définition du haut risque dans ces tumeurs. Selon une revue de la littérature qui a recensé toutes les études publiées entre 1996 et 2000 [23], les principaux facteurs pronostiques dans les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire sont la taille tumorale, le grade histologique, la cathepsine-D, le Ki-67, la phase-S, l’index mitotique et l’invasion vasculaire alors que les RH et le HER2 n’ont pas été retenus [23]. Dans la majorité des études citées et revues dans notre travail, les formes de cancers du sein sans envahissement ganglionnaire de haut risque ont été définies comme la présence d’un des facteurs suivants : pT de plus de 2 cm, grade 2 à 3, HER2 amplifié, négativité des

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RH ou âge inférieur à 35 ans. La présence d’emboles vasculaires et le Ki-67 n’ont pas été pris en considération, alors que les taxanes ont une action sur le fuseau mitotique qui pourrait être renforcée en cas de maladie proliférative [24]. Une analyse de sous-groupes pour les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire a été réalisée dans quatre études randomisées de phase III dont trois n’ont pas objectivé de différence significative en faveur des taxanes [15, 18, 19]. Dans les deux études réalisées par le Hellenic Cooperative Oncology Group [16] et le MDACC [17], il n’y avait pas de différence significative entre les différents traitements et une analyse de sous-groupe pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire n’a pas été réalisée. À noter, que seulement 2 % des tumeurs sans envahissement ganglionnaire ont été incluses dans l’étude du Hellenic Cooperative Oncology Group [16] et que l’étude MDACC 2002 a inclus des patientes non opérées [17]. Les résultats de sept ans de suivi de l’étude USON 9735 n’ont pas inclus une analyse de sous-groupes pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire [20]. En revanche, l’étude ECTO [21] est la seule à avoir rapporté une différence significative de la SSR aussi bien pour tous les groupes de patientes, que le sous-groupe des tumeurs de haut risque sans envahissement ganglionnaire. Cependant, uniquement le HR a été rapporté dans cette étude (HR = 0,71) sans spécifier l’intervalle de confiance ou la valeur du p. Donc, aucune conclusion ne peut être émise à partir de ces études pour leur analyse statistique du moins incomplète. Les méta-analyses se rapportant aux taxanes ont évalué leur rôle essentiellement pour les tumeurs avec envahissement ganglionnaire. Deux méta-analyses ont rapporté que l’utilisation des taxanes améliorait de fac¸on significative la SSR et la SG dans toutes les formes, mais sans apporter une analyse de sous-groupe pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaires [25, 26]. La seule méta-analyse concernant ce sous-groupe était celle publiée par Jacquin et al. en 2012 [27] et qui a inclus 14 études randomisées de phase III pour un total de 25 067 patientes afin d’évaluer l’apport des taxanes dans les stades localisés du cancer du sein. Les auteurs rapportent une amélioration significative de 16 % de la SSR en faveur des taxanes (HR = 0,84 [IC 95 % : 0,78-0,89] ; p < 0,001). Lors de l’analyse de sous-groupe, le bénéfice de l’incorporation des taxanes était à peu près similaire pour les cancers du sein avec envahissement ganglionnaire (HR = 0,83 [0,770,90] ; p < 0,001, 20 166 patientes) que pour ceux sans envahissement ganglionnaire (HR = 0,86 [0,73-1,00] ; p = 0,05, 4 274 patientes). Cette amélioration était indépendante du statut hormonal, du statut HER2 et du statut triple négatif. Cependant, cette méta-analyse n’a pas démontré de bénéfice en faveur des taxanes concernant la SG pour le sous-groupe des cancers du sein sans envahissement ganglionnaire (HR = 1,00 [0,75 ; Bull Cancer vol. 100 • N◦ 5 • mai 2013

Place des taxanes Tableau 1. Récapitulatif des études randomisées de phase III pour les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire. Étude

Hellenic Cooperative Oncology Group [16] 3E + 3P + 3CMF 4E + 4CMF MD Anderson Cancer Center (MDACC 2002) [17] 4FAC + 4FAC 4P + 4FAC Étude UK Taxotere as Adjuvant Chemotherapy Trial (TACT) [18] 8FEC ou 4E + 4CMF 4FEC + 4T North American Breast Cancer Intergroup Trial E 2197 [19] 4AC 4AT Étude US Oncology (USON) [15] 4AC 4TC Étude US Oncology (USON) [20] 4AC 4TC European Cooperative Trial in Operable Breast Cancer (ECTO) [21] 4A + 4CMF 4AT + 4CMF ˜ de Grupo Espanol Investigación del Cáncer de Mama (GEICAM) [22] 6FAC 6TAC

Nombre de patientes pN0/toutes les patientes

Médiane de suivi en mois

SSR de toutes les patientes (HR [IC 95 %])

SG de toutes les patientes (HR [IC 95 %])

SSR des pN0 (HR [IC 95 %])

70 % (65-75 %) 68 % (63-73 %) ; p = 0,55

84 % (80-88 %) 84 % (76-86 %) ; p = 0,38

-

1 0,70 (0,47-0,7) ; p = 0,09

-

-

1 0,95 (0,85-1,08) ; p = 0,44

1 0,99 (0,86-1,44) ; p = 0,91

-

1 1,02 (0,86-1,22) ; p = 0,78

1 1,06 (0,85-1,31) ; p = 0,62

1 1,06 (0,84-1,32)

1 0,67 (0,50-0,94) ; p = 0,01

1 0,76 (0,52-1,1) ; p = 0,13

1 0,73 (0,42-1,27)

1 0,74 (0,56-0,98) ; p = 0,03

1 0,69 (0,50-0,97) ; p = 0,32

-

1 0,73 (0,57-0,97) ; p = 0,03

1 0,80 (0,56-1,14) ; p = 0,21

1 0,71

1 0,68 (0,49-0,93) ; p = 0,01

1 0,76 (0,45-1,26) ; p = 0,29

1 0,68 (0,49-0,93) ; p = 0,01

62 6/298 5/297 60 41/259 56/265 62 416/2 089 419/2 073 80 938/1 441 955/1 441 60 248/510 239/506 84 248/510 239/506 76 181/453 171/451 77 521/521 539/539

F : 5-fluoro-uracile ; A : doxorubicine ; C : cyclophosphamide ; T : docétaxel ; P : paclitaxel ; E : épirubicine ; M : méthotrexate ; SSR : survie sans récidive ; SG : survie globale ; IC : intervalle de confiance ; HR : hazard ratio.

1,34] ; p = 0,99, trois essais, 2 381 patientes). Cela pourrait être expliqué par le manque de puissance statistique et le suivi insuffisant de certains patients [27]. Cependant, une corrélation entre l’effet de l’addition des taxanes sur la SSR et la SG a été bien établie dans cette méta-analyse (R2 = 0,40 ; p = 0,011) ; ce qui pourBull Cancer vol. 100 • N◦ 5 • mai 2013

rait se traduire par un impact sur la SG après un suivi à long terme. À l’heure actuelle, l’étude GEICAM 9805 [22] est la seule à avoir inclus uniquement des cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire. Cette étude avait une puissance de 90 % pour détecter une

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amélioration de la SSR de 7,5 % à cinq ans de suivi. Les résultats ont démontré une réduction de 32 % du risque de récidive (p = 0,01) en faveur du bras TAC. D’un autre côté, un bénéfice de 1 % dans la prévention des métastases a été observé mais reste non significatif (6,3 % dans TAC versus 7,3 % dans FAC). Le bénéfice de la SSR observé dans le bras TAC pourrait être dû en partie à un effet hormonal chez les patientes en périménopause car le protocole TAC provoque plus souvent une aménorrhée que le protocole FAC, mais cela reste à démontrer. Aucun bénéfice n’a été démontré en termes de SG (95 % à cinq ans dans les deux bras) mais un suivi plus long serait nécessaire. Dans cette étude, plus de la moitié des patientes ont eu un traitement conservateur et c’est dans ce groupe que la différence entre les deux bras a été la plus marquée tout en restant modeste : quatre récidives locorégionales ont été rapportées dans le bras TAC contre 14 dans le bras FAC pour les patientes qui ont subi un traitement conservateur, et sept récidives locorégionales dans chaque bras pour les patientes qui ont subi une mastectomie. Une analyse en fonction des modalités du traitement local serait souhaitable. Les auteurs concluaient donc que les taxanes apportent un bénéfice considérable pour les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire, notamment en matière de SSR et après un traitement conservateur. La méta-analyse de Jacquin et al. [27] et l’étude GEICAM [22] ont démontré une amélioration de la SSR suite à l’utilisation des taxanes. Par conséquent et même en l’absence d’impact sur la SG, il devient intéressant de prescrire les taxanes pour les tumeurs sans envahissement ganglionnaire, particulièrement chez les personnes âgées et/ou présentant des comorbidités ; compte tenu de la cardiotoxicité aiguë, chronique mais surtout cumulative des anthracyclines [28]. Par ailleurs, il a été démontré que ces derniers pourraient être responsables d’un syndrome myélodysplasique et de leucémie aiguë à long terme [29]. Toutefois, moins de toxicité grave à long terme, et plus de toxicité aiguë essentiellement hématologiques sous formes de neutropénie fébriles mais dont le traitement est relativement codifié, seraient en faveur de la prescription des taxanes. Actuellement, deux études évaluant les taxanes en adjuvant dans les cancers du sein de haut risque sans envahissement ganglionnaire sont en cours : NCT01222052 [30] et NCT00129389 [31].

Conclusion Au terme de ces différentes études, on peut conclure que le bénéfice des taxanes dans les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire n’est pas encore formellement démontré, faute de puissance statistique et d’essai clinique destiné à cette population avec un suivi conséquent. L’étude GEICAM 9805, la seule étude rapportée dans la littérature dont l’objectif primaire est de

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préciser la place exacte des taxanes dans les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire a clairement démontré une amélioration significative de la SSR suite à l’utilisation des taxanes. Les résultats des autres études en cours, concernant exclusivement les cancers du sein sans envahissement ganglionnaire et de mauvais pronostic (définis selon les critères de Saint-Gallen 2011 [32] et intégrant notamment le Ki-67 comme facteur pronostique) permettront peut-être de mieux préciser la place exacte des taxanes dans ce sous-groupe de patientes. Par ailleurs, l’absence de toxicité cardiaque secondaire aux taxanes constituerait un argument de plus motivant leur prescription. Ainsi, en l’absence de bénéfice clairement établi en termes de SG, l’avis de la patiente concernant l’indication des taxanes devrait faire partie intégrante de la décision thérapeutique à prendre.  Conflits d’intérêts :

aucun.

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