La Revue de médecine interne 32 (2011) 255–260
Cas clinique des Printemps de la Médecine interne / Journée Bernard Devulder
Plaquettes-blues du post-partum Abdominal pain in a pregnant 34-year-old woman S. Josse a,∗ , Y. Benhamou a , C. Girault b , V. Lecam-Duchez c , D. Provost d , E. Verspyck e , J.-M. Piquenot f , H. Lévesque a , V. Queyrel g a
Département de médecine interne, CHU de Rouen, 147, avenue du Maréchal-Juin, 76230 Bois-Guillaume cedex, France Service de réanimation médicale, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France c Laboratoire d’hématologie, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France d Département d’anesthésie réanimation, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France e Département de gynécologie-obstétrique, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France f Département d’anatomopathologie, centre Henri-Becquerel, rue d’Amiens, 76000 Rouen, France g Service de médecine interne, CHU de Nice, 151, route Saint-Antoine-de-Ginestière, 06002 Nice cedex 1, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Mots clés : Nécrose médullaire Syndrome des antiphospholipides Thrombopénie
Keywords: Bone marrow necrosis Antiphospholipid syndrome Thrombocytopenia
1. L’observation Une femme caucasienne, âgée de 34 ans, enceinte, avait consulté en août 2009 dans le service de gynécologie obstétrique, au terme de 33 semaines d’aménorrhée, pour douleurs épigastriques en barre. Il s’agissait d’une première grossesse qui avait la particularité d’être étroitement suivie en raison d’un antécédent de syndrome des antiphospholipides primaire diagnostiqué en 1998 sur la survenue d’un accident vasculaire cérébral sylvien droit (sans séquelle neurologique clinique), d’une ischémie digitale et de la présence d’un anticoagulant circulant de type lupique (temps de thromboplastine dilué) avec des anticorps anticardiolipine de type IgG (54 UGPL) retrouvés à plusieurs reprises. La patiente traitée efficacement par anti-vitamine K (AVK) (International Normalized Ratio [INR] cible 2,5–3,5) avait eu un relais dès le début de la grossesse par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) à dose curative (énoxaparine) et antiagrégants plaquettaires (aspirine : 160 mg/j). Il n’était pas noté d’autres prises de médicament. La grossesse s’était dérou-
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Josse).
lée normalement jusqu’à ce terme, avec surveillance obstétricale régulière, contrôle plaquettaire et mesure de l’activité anti-Xa à la 30e semaine d’aménorrhée sans modification posologique. Elle consultait aux urgences gynécologiques et obstétricales, pour des douleurs épigastriques violentes en barre associées à des myalgies des quatre membres. En l’absence d’autres anomalies (hypertension artérielle [HTA], œdèmes, protéinurie, cytolyse, souffrance fœtale, plaquettes : 320 G/l), elle rentrait à domicile avec un traitement antalgique simple. Rapidement, une hospitalisation s’avérait nécessaire devant l’intensité croissante des douleurs devenant résistantes aux morphiniques avec le lendemain de son hospitalisation, la décision d’un accouchement par césarienne. Les suites immédiates étaient marquées par une hémorragie de la délivrance et la naissance d’un garc¸on de 2,8 kg transféré en néonatalogie pour intoxication aux morphiniques. En postopératoire, étaient notés une recrudescence des douleurs lombaires et des quatre membres avec impotence fonctionnelle sans abolition des réflexes et une fébricule à 38,2 ◦ C. L’IRM dorsolombaire et l’électromyogramme (EMG) étaient normaux, de même que le scanner thoraco-abdominopelvien avec injection de produit de contraste. L’apparition d’une thrombopénie ne permettait pas la réalisation d’une ponction
0248-8663/$ – see front matter © 2011 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2010.12.009
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Fig. 1. Hématomes des psoas sur le scanner abdominopelvien.
lombaire chez cette patiente sous énoxaparine à posologie curative. Cette thrombopénie d’aggravation rapide (7 G/l à j3 du postpartum) associée à une anémie à 9 g/dl (rapportée au post-partum) incitaient à retenir le diagnostic de purpura thrombopénique auto-immun par stimulation antigénique bactérienne ou virale. La patiente était alors transférée dans le service de réanimation et traitée par immunoglobulines polyvalentes (1 g/kg, deux jours de suite) et corticothérapie (1 mg/kg). Des concentrés plaquettaires, puis des culots globulaires étaient régulièrement administrés. Du fait du risque hémorragique, les antiagrégants plaquettaires étaient arrêtés et la posologie d’énoxaparine réduite à 40 mg/j. Biologiquement, les plaquettes demeuraient entre 10 et 20 G/l avec les transfusions, l’anémie arégénérative s’aggravait, sans éléments pour une hémolyse (haptoglobine [HPT] normale) ou de coagulation intravasculaire desséminée (CIVD) (fibrinogène normal), avec cependant des lactates déshydrogénases (LDH) à 4 × N, une fonction rénale (urée, créatininémie, absence de protéinurie) et des tests hépatiques toujours normaux ainsi qu’un syndrome inflammatoire (C-réactive protéine [CRP] : 79 mg/l). Les créatines phosphokinases (CPK) et les aldolases étaient normales. Le bilan immunologique était marqué par la négativation transitoire des anticorps anticardiolipines, l’absence de facteurs antinucléaires et d’anti-ADN natifs. Les explorations bactériologiques et virologiques restaient négatives (hémocultures, examen cyto-bactériologique des urines [ECBU], sérologies de Lyme, coxsackie, Parvovirus B19, cytomégalovirus [CMV], Epstein Barr Virus [EBV]). Un premier myélogramme réalisé précocement retrouvait des cellules lysées interprétées comme un défaut technique du prélèvement avec, au second myélogramme, un aspect dilué avec de très rares mégacaryocytes. Cliniquement, les douleurs diffuses s’amendaient difficilement sous traitement antalgique majeur (pompe à morphine). L’apparition d’une psoïtis gauche et de douleurs abdominopelviennes amenaient à découvrir un volumineux hématome du psoas gauche qui allait grossir, puis devenir bilatéral secondairement (Fig. 1). Après une période critique, l’ensemble des anomalies régressera sous traitement. À deux mois de l’accouchement, la patiente était asymptomatique avec un hémogramme normal et un INR à 2,9. Un examen permettra d’aboutir au diagnostic. 2. L’avis de l’expert-consultant Viviane Queyrel, service de médecine interne, CHU de Nice, Nice.
Il s’agit d’une femme caucasienne de 34 ans enceinte pour la première fois à 34 semaines d’aménorrhée. On nous signale un antécédent de syndrome primaire des antiphospholipides diagnostiqué sur un accident vasculaire cérébral sylvien droit (sans séquelle), une ischémie digitale associés à la présence un anticoagulant circulant de type lupique diagnostiqué par le temps de thromboplastine dilué et d’anticorps anticardiolipines de type IgG (54 UGPL) tous deux retrouvés à plusieurs reprises. Cette patiente est donc sous AVK au long cours avec un relais par énoxaparine à dose curative tout au long de la grossesse associé à de l’aspirine 160 mg/j. Elle est admise pour des douleurs abdominales épigastriques en barre d’intensité croissantes et résistantes aux antalgiques usuels, associées à des myalgies. Le premier bilan biologique est normal, sans souffrance fœtale. Finalement, devant l’intensité des douleurs, une césarienne est réalisée avec hémorragie de la délivrance et un enfant eutrophique. En post-partum, les douleurs s’aggravent avec l’apparition de douleurs lombaires et d’impotence fonctionnelle. L’examen neurologique, l’IRM rachidienne et l’EMG sont normaux. Le scanner abdominopelvien est considéré comme normal. Une thrombopénie sévère apparaît à 7 G/l et une anémie (rapportée au post-partum) qui nécessiteront des transfusions répétées. Le diagnostic de thrombopénie autoimmune est initialement porté avec un traitement inefficace par corticoïdes et immunoglobulines polyvalentes. Concernant les douleurs abdominales, nous ne savons pas s’il existe des troubles digestifs, nous n’avons aucune donnée de l’examen clinique, des enzymes pancréatiques ni les clichés du scanner avec opacification des artères mésentériques et des vaisseaux portes. Nous n’avons pas l’électrocardiogramme ni les enzymes cardiaques. Concernant l’anémie, les auteurs nous affirment qu’elle n’est pas régénérative et ne comporte pas de signe d’hémolyse avec comme critère un dosage d’HPT normal, cependant, les LDH sont à 4 × N et nous n’avons pas la bilirubine, le volume globulaire moyen (VGM), ni la recherche de schizocytes. Le bilan rénal, hépatique est normal mais nous n’avons aucun résultat. On nous dit qu’il n’y a pas de CIVD sur un dosage de fibrinogène normal mais nous n’avons pas les PDF ni les d-dimères. Enfin, il existe un syndrome inflammatoire à 79 mg/l. Ce syndrome inflammatoire peut être à l’origine d’une HPT et d’un fibrinogène faussement normaux. Le rapport orosomucoïde (ORO)/HPT pourrait alors être une aide car dans un syndrome inflammatoire isolé l’ORO et l’HPT sont corrélées selon la formule HPT (%) = ORO (%) × 1/3, ainsi peut-être y-a-t-il une HPT faussement normale. Les antiphospholipides ont « temporairement » disparus. Le bilan infectieux est négatif. Le myélogramme serait peu contributif montrant des cellules lysées, puis de rares mégacaryocytes. Nous ne savons pas si une biopsie ostéomédullaire a été réalisée. La patiente s’aggrave avec apparition d’un hématome du psoas. Finalement, un examen donnera le diagnostic et l’évolution est favorable sous traitement en deux mois. Devant des douleurs épigastriques en barre au troisième trimestre de grossesse le diagnostic d’éclampsie ou de prééclampsie doit être évoqué et ne peut pas être retenu en l’absence d’hypertension artérielle, de protéinurie et d’atteinte rénale et de signes neurologiques [1,2]. De même, le diagnostic de hemolysis, elevated liver enzyme and low platelets (HELLP) syndrome peut être éliminé en l’absence d’hémolyse et de perturbation du bilan hépatique [3]. Cette patiente est, cependant, à risque de présenter ces pathologies, puisque ces deux complications obstétricales surviennent plus volontiers chez la primipare et sont des complications du SAPL [4]. La douleur épigastrique est un signe d’appel et le terme est également concordant avec le risque de survenue. La cholestase gravidique est également éliminée du fait de la normalité du bilan hépatique. Le diagnostic de pancréatite nécrosante de la grossesse ne nous semble pas à retenir, bien que nous n’ayons
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pas de résultat du bilan pancréatique, mais il n’y a pas de troubles digestifs, la douleur n’est pas transfixiante, le scanner abdominal est normal et il n’y pas de perturbation du bilan hépatique évocateur de migration lithiasique. Dans le contexte de SAPL, le diagnostic de thrombose mésentérique pourrait être évoqué mais on nous dit que le scanner injecté est normal, une thrombose pouvant expliquer l’élévation des LDH. Enfin, une pathologie ulcéreuse gastrique ne correspond pas à la présentation. Nous n’avons aucun résultat d’investigations visant les organes intrathoraciques dont l’atteinte pourrait entraîner des douleurs projetées (infarctus inférieur. . .). L’apparition d’une thrombopénie sévère permet de recentrer la démarche diagnostique. Cette thrombopénie s’associe à une anémie qui n’a probablement pas pour origine le « post-partum », puisque des transfusions itératives sont nécessaires. Cette anémie n’est pas bien documentée sur les éléments fournis et est considérée comme non hémolytique et arégénérative. La survenue d’une thrombopénie au moment d’une grossesse est fréquente et peut avoir de nombreuses origines. Les trois principales causes de thrombopénie survenant au cours de la grossesse sont représentées par la thrombopénie gestationnelle idiopathique, la prééclampsie et le HELLP syndrome, et le purpura thrombopénique immunitaire idiopathique ou secondaire [5]. La thrombopénie liée à la grossesse est liée à une association d’hémodilution et d’augmentation du phénomène d’activation et de clearance plaquettaire. Une diminution d’environ 10 % est classique à la fin du troisième trimestre, celle-ci disparaît en postpartum, ce qui n’est pas le cas ici. La profondeur de la thrombopénie et la découverte d’un hématome du psoas fait éliminer le diagnostic de thrombopénie gravidique. Le diagnostic de HELLP ou d’éclampsie a déjà été discuté et n’est pas retenu ici en l’absence des autres anomalies biologiques classiques [1]. Le diagnostic de thrombopénie auto-immune primitive est à considérer. Ce type de thrombopénie survient dans un sur 1000 à 10 000 grossesses, est d’autant plus plausible chez cette patiente qu’elle est porteuse d’un SAPL et peut également révéler un lupus [6] : cependant, les auteurs ne signalent pas de syndrome hémorragique cutanéomuqueux, le bilan auto-immun est strictement négatif, la corticothérapie et les IgIV semblent n’avoir aucun effet et enfin, le myélogramme semble pauvre (rare mégacaryocytes), ce qui va contre le diagnostic de thrombopénie périphérique. La thrombopénie dans le cadre du SAPL est retrouvée dans 21 à 42 % des cas de SAPL mais est habituellement supérieure à 50 000 par millimètre cube sans manifestation clinique [7]. Elle est fréquemment confondue avec une thrombopénie auto-immune, mais ici confère plutôt un risque thrombotique : en effet, il y aurait une interaction entre les antiphospholipides et les plaquettes entraînant l’agrégation et l’activation de celles-ci. Cette étiologie n’est donc pas en cause ici, étant donnée la profondeur de la thrombopénie, la présence d’un accident hémorragique, la négativité du bilan immunologique et puis, cela n’expliquerait pas le reste de la symptomatologie. Le syndrome catastrophique des antiphospholipides associe des thromboses sur au moins trois organes, touchant des gros et des petits vaisseaux, avec une thrombopénie fréquente. Ici, aucune thrombose n’est retrouvée sous réserve de l’interprétation du scanner sur les vaisseaux mésentériques et il n’y a plus d’antiphospholipides. Nous n’avons pas d’argument pour un lupus systémique : pas de signe cutanéoarticulaire, rénal ou neurologique et le bilan immunologique est négatif. L’origine carentielle ne semble pas être à l’origine du tableau clinique : la survenue brutale de cette thrombopénie profonde, les douleurs et la gravité de la présentation ne plaident pas pour cette étiologie. Les myélogrammes ne sont pas très contributifs mais ne montrent pas de mégaloblastose. Cependant, il existe une anémie pour laquelle nous n’avons pas le volume globulaire moyen et nous n’avons pas les résultats des dosages vitaminiques. Une CIVD ne semble pas pourvoir expliquer l’ensemble du tableau, le fibrinogène
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est normal (bien que celui-ci peut aussi être faussement normal comme l’HPT), nous n’avons pas les autres paramètres biologiques nécessaires à ce diagnostic. La survenue d’une microangiopathie thrombotique type purpura thrombotique thrombocytopénique ou syndrome hémolytique et urémique est à redouter, en effet, ces pathologies surviennent plus souvent au troisième trimestre de grossesse ou dans la période du péripartum. Les critères diagnostiques incluent la présence d’une thrombopénie sévère, d’une anémie hémolytique microangiopathique à Coombs négatif, associées à des anomalies neurologiques, une atteinte rénale modérée, une biopsie cutanée montrant des microthromboses et l’absence d’argument pour une autre étiologie. Le diagnostic différentiel avec une éclampsie ou un HELLP syndrome est souvent difficile [8]. Le tableau clinique pourrait correspondre à une microangiopathie thrombotique et expliquer les douleurs abdominales, la profondeur de la thrombopénie. L’élévation des LDH peut refléter une ischémie tissulaire. Mais en l’absence d’hémolyse, d’insuffisance rénale, ce diagnostic ne peut être posé. Cependant, on aurait aimé avoir le résultat de la recherche de schizocytes. Un sepsis sévère semble peu probable malgré le syndrome inflammatoire, on nous dit que le bilan infectieux est négatif et l’évolution ne plaide pas pour ce diagnostic. Une érythroblastopénie liée au Parvovirus B19 est à évoquer mais l’anémie ne domine pas la présentation, les immunoglobulines polyvalentes n’ont pas d’effet. On ne nous parle pas de cette sérologie. Une thombopénie liée à l’héparine est à évoquer. Il existe deux types de thrombopénie liée à l’héparine : le type 1 (incidence de 10 à 30 % avec les héparines non fractionnées [HNF]) qui est précoce, donne une chute non immunologique modérée des plaquettes est asymptomatique et transitoire ; le type 2 (TIH) qui est retardé, survenant le plus souvent entre le cinquième et le 21e jour après l’introduction (incidence de 3 % sous HNF et 0 à 0,8 % sous HBPM), entraînant une chute importante des plaquettes qui constitue un état préthrombotique. Cet état persiste et s’aggrave en cas de poursuite de l’héparine, le diagnostic repose sur l’imputabilité et la présence d’anticorps anti-PF4. Ici, le délai de survenue ne correspond pas, il n’y a pas d’accident thrombotique et cela n’expliquerai pas l’ensemble de la symptomatologie [9]. Une aplasie médullaire de la grossesse est possible, il existe une bicytopénie, la moelle a l’air pauvre sur le deuxième myélogramme, les anomalies hématologiques surviennent dans un contexte d’auto-immunité. Le diagnostic imposerait alors la réalisation d’une biopsie ostéomédullaire. Cependant, nous n’avons aucun renseignement concernant la lignée blanche, les douleurs abdominales et les myalgies sont difficiles à intégrer. La présence de douleurs abdominales et lombaires, de myalgies rebelles associées à une anémie et une thrombopénie évoque l’existence d’une hémolyse. La seule normalité de l’HPT ne peut affirmer l’absence d’hémolyse. En effet, l’HPT peut être faussement normale en cas de syndrome inflammatoire et de plus, la grossesse élève les taux sanguins de cette protéine. Si l’on n’élimine pas l’hémolyse, on peut alors évoquer le diagnostic d’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN). L’HPN est une maladie acquise clonale des cellules souches hématopoïétiques atteignant les trois lignées mais s’exprimant préférentiellement sur la lignée rouge par une sensibilité particulière du globule rouge à l’action du complément [10]. La symptomatologie de cette maladie est, en fait, très polymorphe et associe le plus souvent des crises d’hémolyse volontiers nocturnes et des manifestations thrombotiques (30–40 % des patients). Le mode d’entrée dans la maladie est volontiers une thrombose (un patient sur dix), une thrombopénie est retrouvée associée à l’anémie dans 6 à 43 % selon la forme, les douleurs abdominales sont présentes dans plus d’un tiers des cas et reflète un déficit en NO au niveau des cellules musculaire lisse lié à l’hémolyse et responsable des douleurs [11]. Actuellement, le diagnostic est
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Tableau 1 Critères préliminaires pour la classification du syndrome catastrophique des antiphospholipides. (1) Atteinte de plus de 3 organes ou systèmes ou tissua (2) Apparitions des anomalies de manière simultanée ou en moins d’une semaine (3) Confirmation histologiqueb d’une occlusion d’un petit vaisseau sur au moins 1 organe (4) Confirmation biologique de la présence d’un anticorps antiphospholipide (lupus anticoagulant ou anticardiolipine)c CAPS certain : tous les critères CAPS probable si une des associations suivantes (a) Tous les 4 critères mais atteinte de seulement 2 organes, systèmes ou tissus (b) Tous les 4 critères sauf la confirmation biologique (dans les 6 semaines) du au décès d’un patient chez qui les antiphospholipides n’avaient jamais été recherché (c) Critères (1), (2) et (4) (d) Critères (1), (3) et (4) et la survenue d’un troisième évènement entre 1 semaine et 1 mois en dépit d’une anticoagulation a Évidence clinique d’une thrombose confirmée par imagerie si nécessaire. L’atteinte rénale est définie par une augmentation de 50 % de la créatinémie, une HTA sévère ou une protéinurie supérieure à 500 mg/j. b La thrombose doit être présente, des lésions de vascularite peuvent être présentes. c Si le patient n’est pas porteur d’un SAPL connu, la confirmation biologique nécessite la détection d’antiphospholipides deux reprises ou plus à six semaines d’intervalle (pas nécessairement au moment de l’épisode).
posé par cytométrie en flux sur les polynucléaires ou les hématies avec recherche d’un clone CD55 CD59 négatif. Chez cette patiente, le diagnostic d’HPN peut expliquer l’anémie (si l’on admet qu’il peut y avoir une hémolyse), la thrombopénie, les douleurs abdominales et lombaires et les myalgies. L’existence d’une moelle pauvre est compatible avec une aplasie médullaire. La recherche du clone HPN permet de poser le diagnostic et le traitement fait appel aux transfusions, à l’anticoagulation et à l’éculizimab (anticorps anti-C5 du complément) qui empêche la génération du complexe C5b-C9 et donc l’hémolyse intravasculaire. Les problèmes à résoudre si l’on retient ce diagnostic sont les suivants : • que faire du SAPL ? Soit le diagnostic de SAPL a été posé à tort (on nous dit que les APL ont été trouvés à plusieurs reprise mais nous n’avons aucune idée des taux successifs) et alors l’accident vasculaire est à rapporter, a posteriori, à l’HPN. Les accidents vasculaires cérébraux sont possibles dans l’HPN et représentent une cause de mortalité importante. Les nécroses digitales ne sont pas retrouvées dans la littérature. Soit il s’agit de l’association de deux maladies rares ; • est-il possible de normaliser le bilan à deux mois ? La première étude ouverte avec l’éculizumab montrait un effet sur l’hémolyse en 12 semaines. Si l’éculizimab a une efficacité remarquable sur l’hémolyse et sur les thromboses, il n’a aucun effet sur le clone HPN. Ce diagnostic ne semble donc pas pouvoir intégrer l’ensemble des anomalies. Il est donc important de revoir l’ensemble de l’histoire. Si nous considérons : l’antécédent de SAPL avec des critères diagnostiques conformes au consensus international [6], la bonne évolution de la grossesse sous HBPM et aspirine ; l’apparition après la 30e semaine des symptômes abdominaux, puis des « myalgies » à CPK normales ; l’absence d’argument pour les complications classique de la grossesse (HELLP. . .) ; l’aggravation rapide après la césarienne avec thrombopénie sévère et une moelle semblant pauvre avec des éléments « lysés » : le diagnostic de syndrome catastrophique des antiphospholipides (CAPS) est à ré-envisager (Tableau 1) [12]. En effet, le CAPS survient souvent après un élément déclenchant, la grossesse fait partie de ces facteurs (4,2 %). De plus, il
Tableau 2 Différents traitements du syndrome catastrophique des antiphospholipides. Première ligne
Deuxième ligne
Troisième ligne
Expérimental
Anticoagulant Corticostéroïdes
IgIV Échanges plasmatiques
Fibrinolytiques Cyclophosphamide Prostacycline Ancrod Défibrotide
Anticytokine Rituximab
D’après [13].
est possible chez cette patiente qu’à la 30e semaine, l’aspirine a été arrêtée en vue de la réalisation d’une anesthésie péridurale, ce qui peut représenter un élément favorable à la survenue du CAPS. L’aggravation en post-partum immédiat peut être également aggravée par un arrêt transitoire de l’anticoagulation en vue de la césarienne. Les douleurs abdominales sont un mode de présentation classique et sont présentes dans un cas sur trois des CAPS et peuvent témoigner de microthromboses mésentériques. Les lésions histologiques le plus souvent retrouvées dans les atteintes digestives du CAPS sont représentées par les microthromboses (75 % des cas). La survenue d’une thrombopénie est fréquente dans le CAPS (62 %) des cas et est profonde dans 50 % des cas. Ici, elle peut être aggravée par une insuffisance médullaire. Dans ce syndrome, l’anémie peut être légèrement hémolytique avec la présence de schizocytes en petit nombre à la différence du purpura thrombotique thrombocytopénique. La présence d’une moelle pauvre avec des éléments lysés sur le myélogramme peut correspondre à une nécrose médullaire, rarement rapportée au cours du syndrome des antiphospholipides. Dans la plupart des cas décrits, cette nécrose médullaire survient dans un contexte de CAPS. Neuf cas sur 282 épisodes de CAPS ont été décrits dans le registre européen (http://www.med.ub.es/MIMMUN/FORUM/CAPS.HTM). La grossesse est un facteur déclenchant dans la moitié des cas de ces nécroses médullaires [7]. Celle-ci est définie par la destruction du tissu hématopoïétique avec un os préservé. Ainsi, les douleurs des membres de cette patiente pourraient être en rapport avec des douleurs osseuses : en effet, la nécrose médullaire est liée à une obstruction des vaisseaux à destinée médullaire et peut être très douloureuse. Enfin, la « négativité transitoire » du bilan immunologique est également rapportée dans le cadre du « thrombotic storm ». Dans le registre européen des CAPS, on retrouve six cas au cours desquels il n’y a pas d’anticorps au moment de l’épisode. Le diagnostic peut être posé par la réalisation d’une biopsie ostéomédullaire. Le traitement doit donc comporter une anticoagulation, une corticothérapie, des immunoglobulines humaines polyvalentes et des échanges plasmatiques avec du plasma frais congelé qui apportent un net bénéfice dans cette situation (Tableau 2) [13]. Quelques auteurs rapportent l’efficacité du rituximab [14]. Je retiens donc le diagnostic de syndrome catastrophique des antiphospholipides avec nécrose médullaire. La biopsie ostéomédullaire pose le diagnostic de nécrose médullaire orientant le diagnostic vers le CAPS. Les échanges plasmatiques sont ajoutés aux traitements déjà initiés. Le rituximab a peut-être été un traitement de sauvetage ? 3. La démarche diagnostique des auteurs Il s’agit d’une thrombopénie et d’une anémie survenant en post-partum dans un contexte de syndrome des antiphospholipides primaire à expression thrombotique artérielle. Plusieurs hypothèses diagnostiques ont été explorées. En premier lieu, au troisième trimestre de la grossesse, l’association douleurs épigastriques et secondairement d’une thrombopénie évoquait une complication obstétricale tels qu’un hématome rétroplacentaire
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Fig. 2. Biopsie ostéomédullaire : lyse cellulaire ischémique avec noyaux nus persistants, îlots érythropoïétiques et fantômes cellulaires acidophiles.
ou un HELLP syndrome. Ces hypothèses ont rapidement été éliminées, ce d’autant que la patiente ne présentait ni HTA, ni hémolyse, ni protéinurie, ni cytolyse. Surtout ces anomalies, qui se corrigent constamment avec la délivrance, ont persisté. Une thrombopénie induite à l’héparine a pu également être écartée par la recherche d’anticorps anti-PF4 négative, même si la chronologie et l’ancienneté de l’administration de l’énoxaparine n’allaient pas pour une telle hypothèse. Il n’y avait pas d’élément pour une CIVD biologique ni d’arguments pour une microangiopathie thrombotique (HPT normale, absence de schizocytes, protéine ADAMS-13 non étudiée). L’association « fièvre-myalgies-thrombopénie » a fait rechercher une cause infectieuse (infection par Parvovirus B19 ou CMV, notamment) qui aurait pu expliquer une anémie par érythroblastopénie et l’aggravation de la thrombopénie immunologique ou encore expliquer le syndrome algique majeur (syndrome de Bornholm). Cependant, l’ensemble des prélèvements bactériologiques et des sérologies virales était négatif et les tests de Coombs érythrocytaires et plaquettaires avec étude MAIPA également. La négativité de ces explorations, l’absence de diagnostic aux deux myélogrammes et l’existence d’une bicytopénie qui paraissait centrale (rares mégacaryocytes sur les myélogrammes, caractère arégénératif de l’anémie) conduisaient à réaliser une biopsie ostéomédullaire. L’histologie retrouvait un aspect de nécrose ischémique complète de la moelle avec lyse des corps cellulaires (Fig. 2). Des colorations supplémentaires n’ont pas permis de mettre en évidence de thromboses de microvaisseaux. Le diagnostic de nécrose médullaire ischémique au cours d’un syndrome des antiphospholipides survenant en post-partum, sans syndrome catastrophique des antiphospholipides, était finalement retenu. 4. La discussion La nécrose ischémique de moelle osseuse au cours d’un syndrome des antiphospholipides est une situation exceptionnelle dont la première description remonte à 1995 [13]. Dix cas sont recensés à ce jour et sa survenue semble plus fréquente dans le cadre d’un syndrome catastrophique des antiphospholipides (sept cas sur les dix rapportés) [16]. La nécrose médullaire a une définition histologique (biopsie ostéomédullaire) associant une destruction du tissu hématopoïétique avec lyse cellulaire et respect de l’architecture osseuse [17]. Cette entité inhabituelle est décrite plus volontiers au cours de certaines affections : drépanocytose, leucémie aiguë, cancer métastatique, infection, CIVD. La physiopathologie demeure inconnue, microangiopathie, maladie endothéliale par action des anticorps antiphospholipides, activité
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anormale de l’antithrombine. Il en résulte une nécrose médullaire d’origine ischémique [7]. Certains facteurs déclenchant ont été identifiés : grossesse, accouchement, césarienne ou chirurgie, infection. Sur le plan biologique, les anticorps anticardiolipines sont en règle présents à des titres souvent élevés [18–22]. Le traitement est non codifié associant diversement anticoagulant, aspirine, échanges plasmatiques, immunoglobulines polyvalentes [23]. L’évolution est souvent défavorable, avec une mortalité élevée (environ 30 %) liée notamment au syndrome catastrophique des antiphospholipides. Les séquelles hématologiques potentielles peuvent aller vers une aplasie ou une fibrose médullaire nécessitant des transfusions au long cours. Chez notre patiente, la question d’un syndrome catastrophique associé s’est posée. Celui-ci n’a pas été retenu en l’absence des critères biologiques et cliniques [24]. La particularité de cette observation réside, d’une part, dans le fait qu’il s’agissait d’une nécrose médullaire isolée, c’est-à-dire sans autre localisation thrombotique artérielle, veineuse ou microcirculatoire, d’autre part, d’une symptomatologie extrêmement douloureuse évoquant les douleurs osseuses, comme celles survenant lors des crises drépanocytaires. Deux hypothèses permettraient d’expliquer ces douleurs. La première reprendrait la possibilité d’une infection virale à l’origine du syndrome inflammatoire biologique et des myalgies fébriles (syndrome de Bornholm). La deuxième nous apparaît plus plausible, compte tenu de la négativité d’un bilan infectieux quasi-exhaustif, à savoir des douleurs d’ischémie osseuse à l’instar des drépanocytaires. De telles algies avaient été décrites dans le cas rapporté par Bulvik et al., attribué à des infarctus osseux authentifiés par une scintigraphie osseuse [15]. Conflit d’intérêt Aucun. Références [1] American college of obstetricians and gynecologists. Hypertension in pregnancy. ACOG Technical bulletin 219. Washington, DC: AOCG; 1999. p. 514–21. [2] Pourrat O, Pierre F. La consultation médicale après une prééclampsie : pourquoi ? Pour qui ? Quand ? Comment ? Pour trouver quoi ? Rev Med Interne 2010;31:766–71. [3] Pourrat O, Pierre F, Magnin G. Le syndrome HELLP : les dix commandements. Rev Med Interne 2009;30:58–64. [4] Queyrel V, Ducloy-Bouthors AS, Michon-Pasturel U, Hachulla E, Dubucquoi S, Caron C, et al. Anticorps antiphospholipides au cours du syndrome HELLP : étude clinique et biologique à partir de 68 patientes. Rev Med Interne 2003;24:154–64. [5] Federici L, Serraj K, Maloise F, Andres E. Thrombopénie et grossesse : du diagnostic à la prise en charge thérapeutique. Presse Med 2008;37:1299–307. [6] Miyakis S, Lockshin MD, Atsumi T, Branch DW, Brey RL, Cervera R, et al. International consensus statement on an update of the classification criteria for definite antiphospholipid syndrome. J Thromb Haemost 2006;4:295–306. [7] Uthman I, Godeau B, Taher A, Khamashta M. The hematologic manifestations of the antiphospholipid syndrome. Blood Rev 2008;22:187–94. [8] Sibai BM. Imitators of severe pre-eclampsia. Semin Perinatol 2009;33:196–205. [9] Shantsila E, Lip GY, Chong B. Heparin-induced thrombopenia: a contemporary clinical approach to diagnosis and management. Chest 2009;135:1651–61. [10] Peffault de Latour R, Mary JY, Salanoubat C, Terriou L, Etienne G, Mohty M, et al. Paroxysmal nocturnal hemoglobinuria: natural history of disease subcategories. Blood 2008;112:3099–106. [11] Brodsky RA. Advances in diagnosis and therapy of paroxysmal nocturnal hemoglobinuria. Blood Rev 2008;22:65–74. [12] Cervera R, Font J, Gomez-Puerta JA, Espinosa G, Cucho M, Bucciarelli S, et al. Validation of the preliminary criteria for the classification of catastrophic antiphospholipid syndrome. Ann Rheum Dis 2005;64:1205–9. [13] Asherson RA. The catastrophic antiphospholipid syndrome in 2004 – a review. Autoimmun Rev 2005;4:48–54. [14] Erkan D. Therapeutic and prognostic consideration in catastrophic antiphospholipid syndrome. Autoimmun Rev 2006;6:98–103. [15] Bulvik S, Aronson I, Ress S, Jacobs P. Extensive bone marrow necrosis associated with antiphospholipid antibodies. Am J Med 1995;98:572–4. [16] Asherson RA. Acute respiratory distress syndrome and other unusual manifestations of the catastrophic antiphospholipid (Asherson’s) syndrome. Isr Med Assoc J 2004;6:360–3.
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