ÎLettre à la rédaction © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés - Rev Pneumol Clin 2006 ; 62 : 413-414
Pneumatocèles au cours d’un « poumon du cracheur de feu » chez un touriste au Sénégal A. Niang1, 2, J. Margery1, 2, K. Bâ-Fall1, A.-R. NDiaye1, P. Camara1, N. Lefebvre1, J.-M. Debonne1, M. Sané1 413 1
Services Médicaux, Hôpital Principal de Dakar, Dakar, Sénégal. 2 Service des Maladies Respiratoires, Hôpital d’Instruction des Armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, 92140 Clamart. Correspondance : J. Margery, Département de Cardiologie-Pneumologie, Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, 27, avenue Plantières, BP 10, 57998 Metz-Armées.
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ans un récent numéro de la Revue, Benjelloun et al. ont décrit une pneumopathie par inhalation d’hydrocarbures (PIH) [1]. Les intoxications domestiques pédiatriques et le siphonage de réservoir sont les principales causes de PIH dans les pays en voie de développement [2, 3]. Nous rapportons une observation originale de « poumon du cracheur de feu », chez un touriste français en vacances au Sénégal.
Observation Un étudiant français de 20 ans en séjour touristique à Dakar était hospitalisé pour dyspnée aiguë fébrile et douleurs thoraciques, le lendemain d’une inhalation accidentelle de kerdane alors qu’il tentait d’imiter un cracheur de feu animant un spectacle de rue. Le patient présentait une polypnée à 40 cycles/min, une saturation transcutanée en air ambiant à 88 %, une fièvre à 38,9 °C, un syndrome de condensation alvéolaire de la base droite. Il existait une leucocytose à 18 500 éléments et une élévation de la protéine C-réactive à 125 unités. Le cliché thoracique montrait des opacités rondes localisées, dans les bases. La tomodensitométrie thoracique confirmait l’existence, au niveau du lobe moyen, de la lingula et des deux pyramides basales, de plusieurs condensations parenchymateuses de 2 à 3 cm de diamètre et comportant une hyperclarté centrale. Après 5 jours d’amoxiciline - acide clavulanique, l’évolution clinique était favorable (apyrexie,
sevrage en oxygène et disparition des douleurs). L’antibiothérapie était suspendue au 10e jour et un cliché de contrôle montrait une régression des anomalies radiologiques. Le patient rentrait en France et une correspondance avec son médecin généraliste signalait une disparition complète des images pulmonaires un mois après l’épisode initial.
Discussion Le kerdane est un mélange d’hydrocarbures polycycliques et saturés utilisé par les cracheurs de feu. Comme tous les produits à base de pétrole, son inhalation détermine une pneumopathie chimique, au tableau clinique stéréotypé [1, 3]. Les anomalies radiographiques sont précoces, à type d’opacités alvéolaires confluentes prédominant dans les bases, notamment à droite. Une atteinte pleurale est possible et complique la pneumopathie initiale. On peut encore observer des images nodulaires comportant une hyperclarté. Dans ce cas, l’apparition de bronchiectasies centrales par traction rend compte des propriétés lypolytiques du kerdane qui détruit le surfactant et provoque une nécrose bronchiolaire. Ces deux phénomènes entraînent une distension localisée des voies aérienne et la formation de pneumatocèles. La fréquence des pneumatocèles serait largement sous-estimée car, comme chez notre patient, elles sont dépistées par la tomodensitométrie et disparaissent en quelques semaines [4, 5].
Pneumatocèles au cours d’un « poumon du cracheur de feu »
d’implantation de son hôpital [7]. Dans un pays où les PIH témoignent majoritairement d’intoxications pédiatriques par des dérivés pétroliques à usage domestique (cuisine, groupe électrogène), l’accroissement du flux touristique en provenance d’Europe pourrait faire craindre un phénomène identique au Sénégal et contribuer à l’émergence locale du « poumon du cracheur de feu ». Références 1.
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3. Figure 1. - Tomodensitométrie thoracique. Condensations parenchymateuses avec bronchectasies au niveau du lobe moyen et de la lingula.
Au travers de cette observation, nous souhaitons encore attirer l’attention sur le fait qu’au Sénégal, le risque de PIH n’est pas limité à la population autochtone et que l’inhalation accidentelle de kerdane peut également être observée. En France, une équipe a évoqué un lien entre la fréquence des inhalations au kerdane et la densité des spectacles de rue qui se déroulent dans le bassin
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Benjelloun A, Ait Benasser MA, Driouche A. Pneumopathie aux hydrocarbures. A propos d’un cas. Rev Pneumol Clin 2006;62:191-4. Huber C, Huber-Braun MC, Desrentes M, Lautier F. Les intoxications aiguës par le pétrole chez l’enfant du Gabon. Bull Soc Pathol Exot 1987;80:682-8. Khanna P, Devgan SC, Arosa VK, Shah A. Hydrocarbon pneumonitis following diesel siphonage. Indian J Chest Dis Allied Sci 2004;46:129-32. Birolleau S, Belleguic C, Léna H, Chemery L, Delaval P. Le poumon du cracheur de feu : à propos de six cas. Rev Pneumol Clin 1999;55:27-9. Bankier AA, Brunner C, Lomoschitz F, Mallek R. Pyrofluid inhalation in “fire-eaters”: sequential findings on CT. J Thorac Imaging 1999;14:303-6. Thalhammer GH, Eber E, Zach MS. Pneumonitis and pneumatoceles following accidental hydrocarbon aspiration in children. Wien Klin Wochenschr 2005;117:150-3. Lamour C, Bouchaud C, Dore P, D’Arlhac M, Bodin J. Pneumopathies par inhalation d’hydrocarbures volatiles. Rev Mal Respir 2003;20:959-64.