Médecine et maladies infectieuses 33 (2003) 654–656 www.elsevier.com/locate/medmal
Cas clinique
Pneumopathie à Geotricum capitatum chez une patiente neutropénique Geotricum capitatum pneumonia in a neutropenic patient B. Jemli a,*, R. Battikh b, F. Msaddak b, F. Barguellil a, S. Gargouri a, A. Amor a, S. Othmani b a b
Service de microbiologie, hôpital militaire de Tunis, 1008Montfleury, Tunisie Service de médecine interne, hôpital militaire de Tunis, 1008Montfleury, Tunisie Reçu le 17 septembre 2002 ; accepté le 17 mars 2003
Mots clés : Geotricum capitatum ; Neutropénie ; Pneumopathie Keywords: Geotricum capitatum; Neutropenia; Pneumonia
1. Observation Geotricum capitatum est un champignon opportuniste émergent rencontré essentiellement chez les patients immunodéprimés. Nous rapportons le cas d’une pneumopathie secondaire à ce champignon chez une patiente atteinte d’une leucose. Une femme de 36 ans est suivie au service de médecine interne pour leucémie aiguë promyélocytaire diagnostiquée en octobre 2000, traitée par polychimiothérapie avec rémission hématologique. Elle est hospitalisée le 23/10/2001 au service de médecine interne pour une fièvre d’installation progressive évoluant depuis une semaine dans un contexte d’altération de l’état général. L’examen clinique note une température à 39,2 °C mais n’objective pas de foyer infectieux. Les examens biologiques objectivent une pancytopénie (globules blancs = 0,7 Giga/l, hémoglobine = 9 g/dl, plaquettes = 50 Giga/l) et un syndrome inflammatoire biologique (CRP= 72 mg/l). L’examen cytobactériologique des urines est négatif. La radiographie pulmonaire est sans particularités. La patiente est mise sous antibiothérapie empirique visant d’emblée Pseudomonas aeruginosa vues les fréquentes hospitalisations précédentes (imipénème associée à l’amikacine). La vancomycine est ensuite introduite devant l’isolement d’un staphylocoque coagulase négative dans une hémoculture et dans un cathéter central. La ponction sternale et la biopsie médullaire concluent à une rechute médullaire de la leucémie du même type. Une * Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2003.03.002
chimiothérapie de rattrapage est débutée (acytarabine = 80 mg/ m2 de J1 à J5, mitoxantrone = 8 mg/m2 à J1 et étoposide = 200 mg/m2 à J1) associée aux facteurs de croissance (Granulocyte colony stimulating factor : G-CSF) à partir de J8 de la chimiothérapie et pendant 15 jours. À J10 d’hospitalisation, devant la persistance de la fièvre et de la neutropénie, l’amphotéricine B est alors prescrite à la dose de 1 mg/kg par jour i.v.. L’évolution est marquée par l’aggravation de la pancytopénie (GB = 0,4 Giga/l, hémoglobine = 7g/dl, plaquettes = 15 Giga/l) avec une neutropénie à 0,1 Giga/l, la persistance du syndrome infectieux et l’apparition de deux épisodes diarrhéiques à J11 et J16, traités symptomatiquement. Les coprocultures étaient négatives ainsi que l’antigènémie du cytomégalovirus. À J20 d’hospitalisation, la patiente présente une toux sèche avec une détresse respiratoire aiguë avec agitation et fièvre à 39 °C nécessitant son transfert en réanimation. À l’examen clinique, il existe des râles crépitants des deux bases. Les gaz du sang objectivent une hypoxémie (PaO2 = 7,6 KPA) et une acidose métabolique. La radiographie du thorax montre des opacités alvéolaires non systématisées de la base droite. La patiente est alors intubée, ventilée devant l’aggravation de l’état respiratoire et un lavage broncho-alvéolaire est pratiqué. Le liquide de lavage est trouble, la recherche de Pneumocystis carinii ainsi que les examens bactériologiques sont négatifs mais la coloration de Grocott (imprégnation argentique) montre la présence de filaments mycéliens arthrosporés. La culture sur milieu de Sabouraud est positive au bout de 72 heures montrant des colonies crémeuses d’aspect humide, de couleur beige. Ces colonies ont poussé sur milieu de Sabouraud avec et sans actidione à 27 et à 37 °C. Microscopiquement, on observe des filaments arthrosporés et des arthrospores allon-
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gées. L’identification sur galeries ID 32 C (Biomérieux– France) conclut à Geotricum capitatum. Des hémocultures sur milieu de Sabouraud n’ont pu être réalisées, la malade décède à J27 d’hospitalisation dans un tableau de choc septique.
2. Commentaires Les géotrichoses sont des mycoses émergentes dues à des champignons levuriformes du genre Geotricum [1]. Il s’agit d’infections opportunistes qui se développent quand il existe un terrain favorable, particulièrement une immunodépression ou une destruction de la flore microbienne normale [1]. La répartition géographique des infections à Geotricum capitatum (anciennement appelé Blastoschizomyces capitatus ou Trichosporon capitatum) est particulière puisque 85 % des infections sont décrites en Europe, 10 % aux États-Unis et 5 % en Asie [2]. Les géotrichoses respiratoires et généralisées sont les plus couramment rapportées, G. capitatum étant de plus en plus incriminé [3]. Le facteur de risque dominant est l’existence d’une neutropénie profonde et durable, le plus souvent dans un contexte de leucémie aiguë ou de greffe de moelle osseuse [3–5]. Dans notre observation, la malade est atteinte d’une leucémie aiguë en rechute à l’origine de la pancytopénie. La neutropénie profonde et prolongée comme dans le cas de notre patiente constitue un facteur favorisant de mycose opportuniste [3–5]. La porte d’entrée dans les géotrichoses peut être digestive, pulmonaire ou cutanée [2]. Les champignons du genre Geotricum sont des champignons cosmopolites et ubiquitaires, très répandus dans la nature, saprophytes des plantes en particulier les fruits et légumes et de certains produits animaux tels que les laitages [5,6]. Chez notre patiente la porte d’entrée de la mycose est probablement digestive comme en témoigne la diarrhée qui a précédé la symptomatologie respiratoire. G. capitatum est fréquemment isolé de la cavité buccale et des selles de sujets sains. Il peut être inhalé et exercer un pouvoir pathogène au niveau des tissus et de l’alvéole pulmonaire, mais aussi induire des lésions multivicérales [4,5]. Les formes pulmonaires isolées semblent rares [6] et le diagnostic est généralement confirmé dans les formes disséminées par la positivité des hémocultures. Les sepsis à G. capitatum autrefois rares sont en effet de plus en plus décrits [3–6]. Dans notre observation, nous avons retrouvé G. capitatum à l’examen direct et dans les cultures du liquide de lavage broncho-alvéolaire, cultures réalisées systématiquement sur milieu de Sabouraud. La malade décède dans un tableau de choc septique sans que des hémocultures fongiques n’aient été réalisées.
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Le traitement des géotrichoses fait appel à l’amphotéricine B par voie générale mais le pronostic reste redoutable avec une mortalité élevée de l’ordre de 75 % [2,3,5]. Malgré l’introduction précoce de l’amphotéricine B comme traitement empirique chez notre patiente, l’évolution a été fatale du fait probablement de la gravité de la maladie sous-jacente et de la persistance d’une neutropénie profonde et prolongée malgré l’utilisation de facteurs de croissance hématopoïétique. En effet dans les mycoses invasives, le facteur pronostique le plus favorable reste la récupération rapide de la neutropénie [2,7,8]. Actuellement les meilleurs résultats dans la thérapeutique des géotrichoses semblent être obtenus avec les associations d’antifongiques (amphotéricine B associée à la 5-fluorocytosine ou à l’itraconazole) [3,9]. L’association de l’amphotéricine B liposomale et l’itraconazole a été utilisée avec succès dans un cas de géotrichose disséminée [2] ; la forme liposomale ayant permis une réduction des effets indésirables de l’amphotéricine B [9]. Par ailleurs, les nouveaux antifongiques triazolés tels le voriconazole, le posaconazole et le ravuconazole semblent avoir une activité fongicide à large spectre pouvant ainsi être indiqués dans le traitement de mycoses invasives telles les géotrichoses [10].
3. Conclusion Les Geotricum sont des champignons opportunistes rencontrés de plus en plus souvent particulièrement chez les malades en hématologie. Une colonisation par ces champignons chez un sujet neutropénique doit être surveillée attentivement par des prélèvements répétés surtout au niveau des sites pouvant constituer une porte d’entrée, en raison du risque élevé d’infection disséminée sur ce terrain. Les schémas thérapeutiques et prophylactiques de ces mycoses opportunistes restent mal établis, le pronostic demeure sombre avec une mortalité élevée malgré l’apparition de nouvelles thérapeutiques antifongiques.
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