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La Revue de médecine interne 29 (2008) 242–245
Cas clinique
Polyarthrite et éruption papuleuse révélant une lèpre Polyarthritis and papular eruption revealing leprosy M. Meyer a , S. Ingen-Housz-Oro a,∗ , O. Ighilahriz b , J. Wendling a , A. Gaulier c , F. Levy-Weil b , M. Sigal-Grinberg a , B. Flageul d a
Service de dermatologie, centre hospitalier d’Argenteuil, 69, rue du lieutenant-colonel Prudhon, 95100 Argenteuil, France b Service de rhumatologie, centre hospitalier d’Argenteuil, 95100 Argenteuil, France c Service d’anatomo-pathologie, centre hospitalier d’Argenteuil, 95100 Argenteuil, France d Service de dermatologie, CHU de Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Rec¸u le 18 mai 2007 ; accepté le 13 aoˆut 2007 Disponible sur Internet le 11 septembre 2007
Résumé La lèpre se révèle habituellement par des lésions cutanées souvent associées à une neuropathie périphérique. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle peut réaliser un tableau inaugural de polyarthrite. Le diagnostic, déjà souvent tardif devant le tableau cutanéonévritique en raison de la faible prévalence et de la méconnaissance de la maladie en France métropolitaine, est particulièrement difficile dans le cas d’une présentation rhumatologique. Nous rapportons l’observation d’une femme de 28 ans, d’origine malienne chez qui une lèpre borderline lépromateuse avec réaction de réversion a été découverte dans le post-partum à l’occasion d’un bilan de polyarthrite associée à des lésions cutanées. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Leprosy is generally revealed by cutaneous lesions often associated to nerve impairment. Rarely, it may be revealed by polyarthritis. The diagnosis, often delayed in the cutaneous-nevritic form because of the low prevalence of the disease in metropolitan France, is very difficult in case of rheumatic presentation. We report the case of a 28 year-old woman from Mali, who was diagnosed with lepromatous borderline leprosy with reversal reaction occurring in the postpartum as she presented with polyarthritis and skin lesions. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Polyarthrite ; Lèpre Keywords: Polyarthritis; Leprosy
La lèpre est en métropole une pathologie rare touchant le plus souvent des patients immigrés ou originaires des DOMTOM [1]. Son diagnostic est souvent tardif en raison d’une méconnaissance de la maladie et de son polymorphisme clinique. En général, les manifestions cutanées et neurologiques sont au premier plan. Dans de rares cas, des manifestations rhumatologiques à type de polyarthrite inflammatoire peuvent être révélatrices. Nous en rapportons une observation.
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Ingen-Housz-Oro).
0248-8663/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.08.006
1. Observation Madame S., 28 ans, malienne, en France depuis 2000, présentait en août 2006, trois semaines après la naissance de son deuxième enfant, des polyarthralgies isolées touchant les pieds, les doigts, les coudes, les chevilles. Début septembre, une synovite de la cheville et de l’hallux gauche s’installait, résistante à un traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et à deux infiltrations de cortivazol. Progressivement, les arthralgies s’aggravaient, une asthénie s’installait et, devant l’apparition de lésions cutanées, la patiente était hospitalisée en dermatologie. À l’examen clinique d’entrée, la patiente était apyrétique et asthénique. L’interrogatoire était difficile en raison de la barrière
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Fig. 1. Lésion cutanée annulaire à bordure infiltrée du bras.
linguistique. Sur le plan rhumatologique, on constatait un gonflement non inflammatoire mais douloureux spontanément et à la moindre mobilisation des poignets, des articulations métacarpophalangiennes, interphalangiennes proximales et distales des deux mains, des genoux, de la cheville et du médiotarse gauches. Sur le plan dermatologique, il existait de multiples lésions annulaires de grande taille à bordure plus ou moins papuleuse infiltrée et à centre discrètement hypochromique des bras et des cuisses (Fig. 1), des macules hypochromiques arrondies du bas du dos, de l’épaule et de la fesse droites (Fig. 2) et une discrète infiltration de la racine du nez. Sur le plan neurologique, on retrouvait une hyperesthésie douloureuse spontanée et majorée par le simple effleurement de la voûte plantaire gauche et de la pulpe des doigts, en particulier dans les territoires du nerf cubital gauche et du nerf médian droit. Parmi les examens complémentaires, l’hémogramme, la vitesse de sédimentation, la C-réactive protéine, la créatininémie, l’ionogramme sanguin et le bilan hépatique étaient
Fig. 2. Macule hypopigmentée du bas du dos.
normaux. Le bilan immunologique – comprenant une recherche de facteurs antinucléaires, facteur rhumatoïde, d’anticorps antiCCP, anticorps anti-cytoplasme de polynucléaires neutrophiles et le dosage du complément – était négatif ou normal. La sérologie VIH était négative. La PCR hépatite B était positive à 227 UI/ml (2,36 log) confirmant une hépatite B chronique connue. Les radiographies des poignets, des mains et du pied gauche étaient normales. Cliniquement, l’association d’une polyarthrite et de lésions cutanées comportant essentiellement des papules infiltrées des membres supérieurs et des cuisses faisait d’abord évoquer une collagénose de type lupus ou une vascularite. Un traitement par diclofénac était débuté, sans efficacité, relayé en attendant les résultats du bilan par une corticothérapie orale à la dose de 0,5 mg/kg par jour soit 30 mg/j permettant une régression des
Fig. 3. Biopsie cutanée HES × 10 : granulome lymphohistiocytaire tuberculoïde périnerveux (a) et périannexiel (b).
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arthralgies mais, en revanche, une intensification des douleurs palmaires et plantaires. L’examen histologique d’une lésion infiltrée du bras retrouvait une granulomatose lymphohistiocytaire tuberculoïde à tropisme essentiellement périnerveux (Fig. 3) en faveur d’une probable maladie de Hansen. La patiente était alors transférée à l’hôpital Saint-Louis (Paris) où le diagnostic était confirmé devant l’association de signes cliniques évocateurs : lésions cutanées infiltrées annulaires et macules hypochromiques, déficit sensitivomoteur du quatrième et cinquième doigts gauches, hypertrophie douloureuse du nerf cubital gauche, du nerf médian droit et du nerf tibial postérieur gauche, et de signes paracliniques déterminants : sur les nouvelles histologies d’une lésion infiltrée et d’une macule hypochromique, on retrouvait la présence d’infiltrats histiocytaires à cytoplasme parfois un peu clair et d’infiltrats lymphoplamocytaires périnerveux ainsi que quelques bacilles de Hansen (BH) à la coloration de Ziehl-Nielsen en faveur d’une forme borderline lépromateuse avec réaction de réversion. La présence de quelques BH était confirmée dans les frottis du suc dermique des lésions cutanées (index bactériologique à 0,5+). L’électromyogramme montrait une atteinte neurogène périphérique sensitive des nerfs cubitaux et médians, l’absence de tracé aux membres inférieurs ainsi que des tracés moteurs un peu altérés au niveau du nerf cubital et des nerfs sciatiques poplités externe et interne gauches. Le diagnostic de lèpre borderline lépromateuse avec réaction de réversion dans le post-partum était retenu. Après élimination des contre-indications (dosage de la G6PD), une trithérapie était instaurée, comportant de la rifampicine à 600 mg/j, de la dapsone à 100 mg/j et de la clofazimine à 100 mg/j. La corticothérapie orale à la dose de 0,5 mg/kg par jour était maintenue en raison de la réaction de réversion sous couvert de lamivudine en raison de la positivité de la PCR hépatite B. Sous traitement, les lésions cutanées se désinfiltraient, l’œdème articulaire disparaissait mais les douleurs neurogènes ne régressaient que partiellement sur certains nerfs nécessitant, six mois après le début du traitement, une neurolyse des nerfs cubital, médian et tibial postérieur gauches. 2. Discussion La lèpre est une maladie d’importation à très faible prévalence en France métropolitaine où une vingtaine de cas sont détectés annuellement, avant tout chez des patients originaires de pays d’endémie [1], mais également chez des patients originaires des DOM-TOM (Antilles, Guyane, Réunion, Nouvelle-Calédonie, Mayotte) où la maladie existe encore de fac¸on autochtone [2] ou chez des patients métropolitains ayant vécu en pays d’endémie. Sa méconnaissance en métropole et son polymorphisme clinique entraînent souvent un retard diagnostique. Dans notre observation, le diagnostic n’a été posé que quatre mois après le début des symptômes. Ce retard peut s’expliquer en partie par : • la barrière linguistique qui rendait l’interrogatoire difficile et notamment la description des douleurs neuropathiques et le caractère hypoesthésique ou non des lésions cutanées ;
• la localisation initialement purement articulaire des symptômes et la notion de réalisation d’infiltrations locales avant l’hospitalisation, orientant vers un rhumatisme inflammatoire ou une autre maladie systémique ; • les lésions hypochromiques, en général les plus évocatrices, qui n’étaient pas au premier plan. En effet, les placards infiltrés qui auraient pu faire évoquer un lupus érythémateux subaigu ou éventuellement une sarcoïdose étaient prédominants.
Dans la lèpre, on distingue schématiquement deux pôles [3], tuberculoïde et lépromateux, avec entre les deux, un spectre continu de formes intermédiaires dites borderline. Les formes tuberculoïdes, pauvres en bacilles et non contagieuses, sont caractérisées par une bonne réaction immunitaire vis-à-vis du BH : les lésions sont peu nombreuses, souvent de grande taille et toujours hypo- ou anesthésiques. L’atteinte nerveuse touche quelques nerfs et est souvent sévère. À l’inverse, dans les formes lépromateuses, très bacillaires et potentiellement contagieuses, les défenses immunitaires sont insuffisantes : les lésions sont plus nombreuses, de petite taille, sans trouble de la sensibilité. L’atteinte neurologique est diffuse mais souvent peu sévère au départ. Dans les formes borderline à l’immunité anti-BH instable, surviennent fréquemment des complications immunologiques dont la réaction de réversion (30 % des patients). Cette complication aiguë, qui correspond à un déplacement du pôle lépromateux vers le pôle tuberculoïde, traduisant un renforcement de l’immunité cellulaire vis-à-vis du BH, se manifeste fréquemment par la turgescence des lésions cutanées et surtout par la survenue ou l’aggravation des névrites rendant sa prise en charge médicale (corticothérapie générale) et parfois médicochirurgicale (neurolyse) urgente en raison de la possibilité de séquelles neurologiques périphériques définitives [4,5]. Sa survenue est souvent favorisée par un renforcement de l’immunité « générale » (amélioration des conditions d’hygiène, d’alimentation, traitement des infections intercurrentes, mise sous traitement antilépreux. . .). Dans le cas de notre patiente, c’est le renforcement de l’immunité dans le post-partum qui a révélé la maladie, qui était sans doute latente depuis plusieurs années, la patiente n’ayant pas voyagé depuis son départ du Mali en 2000. En effet, l’une des particularités de la maladie de Hansen est sa durée d’incubation longue de trois à six ans dans les formes tuberculoïdes et de cinq à plus de 12 ans dans les formes lépromateuses [3]. Le tableau inaugural purement rhumatologique est rare mais a été déjà rapporté [6–10]. Dans tous les cas décrits, il existait un retard diagnostique de quelques mois à plusieurs années. La maladie mimait le plus souvent une polyarthrite rhumatoïde avec des arthrosynovites inflammatoires habituellement diffuses dont le bilan immunologique était négatif ou parfois une vascularite quand apparaissaient des signes cutanés. Généralement, ces manifestations articulaires apparaissent au cours des complications immunologiques dont fait partie la réaction de réversion au cours de lèpres connues (1 à 3 % des cas).
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3. Conclusion Cette observation confirme la nécessité, chez un patient originaire de pays d’endémie lépreuse, devant toute polyarthrite inexpliquée avec bilan immunologique négatif, de penser à la lèpre et de réaliser un examen dermatologique et neurologique soigneux. Références [1] Flageul B. Epidemiology study of Hansen’s disease in metropolitan France between 1995 and 1998. Ann Dermatol Venereol 2001;128: 17–20. [2] de Carsalade GY, Achirafi A, Flageul B. Lèpre dans la collectivité départementale de Mayotte. Bull Epidemiol Hebd 2006;45:350–2.
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[3] Flageul B. Maladie de Hansen – Lèpre – Encycl Méd Chir Dermatologie (Elsevier, Paris), 98-370-A-10, 2001, 19 p. [4] Flageul B. Prise en charge médicale actuelle de la maladie de Hansen. Bull Soc Pathol Exot 2003;96:357–60. [5] Gupta SK, Puneet, Shukla VK, Ansari MA. Surgical repair in leprosies. J Plaies Cicatrisation 2004;44:23–7. [6] Kuntz JL, Meyer R, Vautravers PH. Polyarthralgies au cours de la lèpre. Sem Hôp (Paris) 1979;55:1889–92. [7] Cossermelli-Messina W, Festa Neto C, Cossermelli W. Articular inflammatory manifestations in patients with different forms of leprosy. J Rheumatol 1998;25:111–9. [8] Roul-Bouriat S, Léauté-Labrèze C, Bobin P. Leprosy revealed by articular manifestations. Ann Dermatol Venereol 1998;125:888–90. [9] Imed Miladi M, Feki I, Bahloul Z. Chronic inflammatory joint disease revealing borderline leprosy. Rev Rhum 2006;73:502–5. [10] Sadeghi P, Dupree M, Carison JA. Delay in diagnosis: indeterminate leprosy presenting with rheumatic manifestations. J Cutan Med Surg 2000;4:26–9.