Annales Franc¸aises d’Anesthe´sie et de Re´animation 29 (2010) 818–820
Cas clinique
Ponction veineuse radiale superficielle et neuropathie : une complication oublie´e Puncture of the radial vein: A forgotten complication M. Charavel a,*, E. Veyrat a, J. Ripart b a b
Polyclinique du Grand Sud, 480, avenue St-Andre´-de-Codols, 30000 Nıˆmes, France Fe´de´ration anesthe´sie douleur urgences re´animation, groupe hospitalier universitaire Caremeau, place du Pr-Debre´, 30029 Nıˆmes cedex 09, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Rec¸u le 28 septembre 2009 Accepte´ le 15 juin 2010 Disponible sur Internet le 3 novembre 2010
La veine radiale superficielle, au bord late´ral du tiers infe´rieur de l’avant-bras et du poignet, entretient des rapports anatomiques e´troits avec la branche sensitive superficielle du nerf radial. Toute ponction veineuse a` ce niveau peut entraıˆner une le´sion de ce nerf, la branche superficielle du nerf radial. Nous rapportons deux cas de dysesthe´sies prolonge´es dans le territoire radial apre`s une telle ponction. L’attention des lecteurs est attire´e sur ce risque banalise´ a` tort. Cette zone doit eˆtre e´vite´e pour les ponctions veineuses. ß 2010 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
Mots cle´s : Ponction veineuse Veine radiale Nerf radial Dysesthe´sies Traumatisme nerveux
A B S T R A C T
Keywords: Blood puncture Radial vein Radial nerve Dysesthesia Nervous trauma
The superficial radial vein at the lateral edge of the inferior third of the forearm and of the wrist has strong anatomical relationship with the sensory superficial branch of the radial nerve. At this level, any venous puncture may be responsible for a lesion of this superficial part of the radial nerve. We report two cases of dysesthesia in the radial territory after this kind of puncture. This risk should not be neglected and venous puncture should be avoided in this area. ß 2010 Published by Elsevier Masson SAS.
1. Introduction La veine radiale superficielle, au bord late´ral du tiers infe´rieur de l’avant-bras et du poignet, entretient des rapports anatomiques e´troits avec la branche sensitive superficielle du nerf radial. Toute ponction veineuse a` ce niveau peut entraıˆner une le´sion de ce nerf, la branche superficielle du nerf radial. Nous rapportons deux cas de dysesthe´sies prolonge´es dans le territoire radial apre`s une telle ponction. 2. Observations 2.1. Cas no 1 Une patiente de 62 ans devait eˆtre ope´re´e d’une reprise de pelvectomie me´diane pour saignement d’un nodule ne´oplasique au niveau du moignon vaginal. Dans ses ante´ce´dents, cette patiente
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Charavel). 0750-7658/$ – see front matter ß 2010 Publie´ par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annfar.2010.06.024
avait eu une cœlioscopie pour endome´triose, une hyste´rectomie e´largie en 2004 pour ne´oplasie, une mise en place de site implantable et son ablation apre`s la chimiothe´rapie, une re´section rectale ante´rieure avec stomie de protection en juillet 2007, puis re´tablissement de continuite´, une ovariectomie bilate´rale trois semaines plus toˆt. La patiente n’avait aucun traitement lorsqu’elle est venue pour la pelvectomie. A` l’arrive´e au bloc ope´ratoire, elle a be´ne´ficie´ de la pose d’un cathe´ter veineux pe´riphe´rique 18 gauge. La ponction a e´te´ re´alise´e sur la veine radiale superficielle gauche. Elle a alors signale´ une douleur fulgurante a` titre de de´charge e´lectrique au niveau du point de ponction avec irradiation au bord late´ral du poignet et la main. Cette douleur, de´crite, comme tre`s intense par la patiente a dure´ quelques minutes, puis a diminue´ progressivement, sans disparaıˆtre comple`tement. La voie veineuse, e´tant fonctionnelle, a e´te´ malgre´ tout utilise´e pour l’induction de l’anesthe´sie ge´ne´rale par re´mifentanil et propofol puis a e´te´ change´e imme´diatement apre`s. Une nouvelle voie veineuse pe´riphe´rique a e´te´ pose´e sur la main gauche, la seconde veine ponctionne´e se drainant dans la veine radiale au niveau du quart supe´rieur de l’avant-bras. L’anesthe´sie a e´te´ entretenue par du re´mifentanil, du desflurane
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et de l’atracurium en injections discontinues. En perope´ratoire, il n’y a pas eu de trouble he´modynamique ou ventilatoire. L’analge´sie postope´ratoire a e´te´ de´bute´e une heure avant la fin de l’intervention, avec du parace´tamol, du ke´toprofe`ne, du ne´fopam et de la morphine. L’intervention a dure´ deux heures. La patiente a e´te´ extube´e avant son transfert en salle de surveillance postinterventionnelle. La patiente se plaignait alors des meˆmes douleurs qu’en pre´ope´ratoire au niveau du point de ponction de la premie`re voie veineuse, avec irradiation au bord late´ral du poignet. En postope´ratoire, la patiente continuait de se plaindre de dysesthe´sies persistantes, de type neuroge`ne avec sensation avec un fond douloureux persistant a` titre de « fourmillements », plus des paroxysmes brefs en de´charges e´lectriques. Six jours apre`s l’intervention, la patiente ne de´crivait plus de fond douloureux, mais les douleurs e´taient intermittentes, spontane´es ou de´clenche´es par les mouvements (flexion dorsale et pronation le plus souvent). Les e´chelles visuelles analogiques (EVA) e´taient e´value´es entre 35 et 50 lors des paroxysmes, mais les douleurs e´taient de moins en moins fre´quentes. L’examen clinique n’avait pas objective´ de trouble sensitif ni de trouble moteur. Le reste de l’examen neurologique e´tait normal. Un traitement par pre´gabaline (Lyrica1) a e´te´ propose´ a` la patiente, qui ne l’a pas accepte´, jugeant les douleurs tole´rables (EVA entre 20 et 25 au moment du retour a` domicile) et souhaitant e´viter tout un traitement autant que possible. Trois semaines apre`s la ponction veineuse, la patiente de´crivait une geˆne et non une douleur avec parfois des paresthe´sies, volontiers de´clenche´es par les mouvements de pronation. Le toucher n’e´tait pas douloureux, la patiente n’e´tait pas geˆne´e par le port de manches longues. Six semaines plus tard, elle ne de´crivait plus de geˆne, aucune douleur et estimait que tout e´tait rentre´ dans l’ordre. 2.2. Cas no 2 Une patiente de 56 ans e´tait admise le 2 mars 2009 pour une coloscopie de de´pistage en ambulatoire. La patiente avait pour seul ante´ce´dent une appendicectomie dans l’enfance. Une voie veineuse pe´riphe´rique e´tait pose´e en salle d’induction au bord late´ral du tiers infe´rieur de l’avant-bras gauche, sans difficulte´ particulie`re, la patiente ne se plaignait d’aucune douleur lors de la ponction, la voie veineuse e´tait utilise´e sans aucun proble`me lors de l’anesthe´sie. Trois heures apre`s la ponction, la patiente se plaignait de paresthe´sies a` la face dorsale des trois premiers doigts de la main gauche et la face ante´rieure du pouce. A` son retour a` domicile, les paresthe´sies s’accentuaient et s’accompagnaient de douleurs neuroge`nes intermittentes, la re´veillant la nuit avec une impotence fonctionnelle partielle lors des mouvements d’utilisation de la pince. A` j3, la patiente a contacte´ un des anesthe´sistes de l’e´quipe, qui lui a conseille´ un traitement par parace´tamol et tramadol, lui a propose´ de revenir en consultation d’anesthe´sie et lui a pris un rendez-vous avec le me´decin re´fe´rent de la douleur. Elle a e´te´ revue le lendemain (j4). L’examen clinique ne retrouvait pas de signes cutane´s objectifs, pas de trouble vasomoteur, le point de ponction n’e´tait presque plus visible. A` l’interrogatoire, elle de´crivait des douleurs neuroge`nes intenses (EN 7/10) spontane´es et de´clenche´es par les mouvements de flexion du poignet et l’adduction et l’abduction du pouce. La patiente, chirurgien dentiste, se disait tre`s geˆne´e en travaillant : « le fait de serrer une pince me donne des douleurs a` pleurer ». Un traitement par pre´gabaline a e´te´ ajoute´ au parace´tamol et au tramadol. La patiente a e´te´ rec¸ue en consultation de la douleur trois jours plus tard (j7), l’interrogatoire retrouvait alors de surcroıˆt un syndrome du canal carpien de´butant pre´existant. Trois semaines apre`s avoir de´bute´ son traitement, la patiente de´crivait une tre`s nette ame´lioration et se disait peu geˆne´e,
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l’ame´lioration ayant de´bute´e neuf jours apre`s l’introduction de la pre´gabaline. Trois mois apre`s la ponction, la symptomatologie a comple`tement disparue, mais la patiente se souvient de l’endroit exact de la ponction. 3. Discussion Ces cas cliniques illustrent la possibilite´ de survenue d’une complication classique mais trop peu connue [1] ou ne´glige´e du fait de son caracte`re relativement be´nin. En conse´quence, la principale mesure pre´ventive (choisir un autre site de ponction) est encore trop fre´quemment ignore´e. Les anesthe´sistes re´animateurs sont re´pute´s pour leur expertise en matie`re de perfusion pe´riphe´rique, a` tel point qu’ils sont fre´quemment appele´s pour les patients « imperfusables » [2]. La veine radiale superficielle est largement utilise´e pour sa facilite´ de ponction, son trajet rectiligne qui la rend facile a` cathe´te´riser, et sa localisation reproductible meˆme chez les patients « difficiles a` piquer » ou` l’acce`s veineux est difficile a` repe´rer. Elle pre´sente de plus l’avantage d’eˆtre peu sujette a` des coudures ou une baisse de de´bit lors des mouvements du poignet ou du coude. C’est pourquoi elle est largement utilise´e en routine. La veine radiale superficielle est parfois appele´e familie`rement veine de l’anesthe´siste dans sa partie distale. Au niveau du tiers infe´rieur de l’avant-bras, elle est localise´e a` proximite´ de la branche sensitive superficielle du nerf radial dont certains rameaux la croisent en superficie dans 80 % des cas [3,4]. La ponction veineuse peut donc entraıˆner une le´sion de cette branche. Plusieurs cas de traumatisme de la branche sensitive du nerf radial ont e´te´ de´crits dans la litte´rature, alors meˆme que la ponction veineuse avait e´te´ facile [1,5,6]. L’atteinte nerveuse est, soit lie´e a` un traumatisme direct lors de la ponction, soit lie´e a` une compression lors de l’extravasation du solute´ de perfusion. Enfin, une inflammation a` proximite´ d’une veinite peut contribuer a` irriter le nerf. Le pronostic habituel est bon, il n’y a pas d’atteinte motrice, les douleurs neuroge`nes sont habituellement re´gressives en deux a` trois mois. D’autres sites de ponction sont pourvoyeurs des meˆmes complications. Ce risque est mieux connu sur les acce`s veineux centraux, comme l’atteinte du plexus brachial lors de la pose d’une voie veineuse sous-clavie`re [7] ou l’atteinte du nerf phre´nique lors du cathe´te´risme jugulaire interne [8]. Mais la ponction de la veine saphe`ne chez l’enfant peut entraıˆner une atteinte du nerf saphe`ne, de meˆme qu’une atteinte du nerf cutane´ me´dial du bras a e´te´ de´crite apre`s ponction de la veine cubitale me´diane car ces deux e´le´ments se croisent chez 50 % de la population [9]. 4. Conclusion Au vu de ces donne´es, il paraıˆt logique de rappeler que la veine radiale superficielle ne devrait pas eˆtre utilise´e pour perfuser les patients a` proximite´ du poignet, au risque de provoquer une le´sion nerveuse, source de douleurs neuroge`nes prolonge´es. Une autre localisation devrait eˆtre propose´e en premie`re intention pour les perfusions pe´riphe´riques. La veine radiale superficielle ne devrait eˆtre ponctionne´e qu’en dernier recours [10]. Conflit d’inte´reˆt Aucun. Re´fe´rences [1] Thrush DN, Belsole R. Radial nerve injury after routine peripheral vein cannulation. J Clin Anesth 1995;7:160–2. [2] Lefrant JY, Muller L, Ripart J, de La Coussaye JE. Peripheral venous cannulation in patients with ‘‘no more veins’’. Can J Anaesth 2004;51:90.
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