Pour ou contre la césarienne de « convenance » ?

Pour ou contre la césarienne de « convenance » ?

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 32 (2004) 347–351 DÉBAT Pour ou contre la césarienne de « convenance » ? Cesarean section on maternal request: p...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 32 (2004) 347–351

DÉBAT

Pour ou contre la césarienne de « convenance » ? Cesarean section on maternal request: pros and cons? Doit-on accepter de réaliser une césarienne sans autre indication que le souhait de la patiente ? Le débat sur la part de décision du patient dans sa prise en charge médicale dépasse largement le cadre de notre spécialité. Il s’avère cependant particulièrement aigu en obstétrique étant donné qu’il s’adresse ici à un événement physiologique, même si la nature ne fait pas toujours « bien les choses… ». L’analyse de la littérature et des enquêtes de pratique montre que l’acceptation de la « césarienne de convenance » n’est plus une attitude marginale et montrée du doigt. Ses défenseurs prônent le respect de l’autonomie de décision des patientes après information des avantages et des inconvénients de cette pratique. La question est de savoir si cette information est réellement « loyale et honnête », en sachant que le prix des inconvénients de la césarienne réalisée aujourd’hui risque de se payer au cours des futures grossesses qui seront des grossesses à risque plus élevé. En 1997, Flamm concluait un article sur la césarienne par cette réflexion : « À l’approche du siècle prochain, nos descendants regarderont sans doute notre taux de césarienne actuel en souriant. La question est de savoir s’ils trouveront notre taux actuel ridiculement élevé ou ridiculement bas ». Le débat reste ouvert... C. d’Ercole

POUR LA CÉSARIENNE DE « CONVENANCE » R. Shojai *, L. Boubli Service de gynécologie–obstétrique, hôpital Nord, chemin des Bourrely, 13015 Marseille, France Mots clés : Césarienne de convenance ; Demande maternelle Keywords: Cesarean on demand; Maternal request

1. Introduction Le taux croissant de césarienne représente une des préoccupations obstétricales majeures actuelles. Réaliser une césarienne de « convenance » sur demande maternelle, en l’absence d’indication médicale, est classiquement considéré comme une « mauvaise » pratique médicale. Alors qu’il y a près de 20 ans, la plupart des obstétriciens n’acceptaient pas de réaliser une césarienne sans indication médicale, le choix de la patiente est devenu un élément de plus en plus pris en considération et le taux de césarienne de « convenance » est en augmentation constante. Face à cette nouvelle attitude, qui remet en cause le dogme de l’accouchement par voie vaginale, il est utile de réfléchir sur les avantages de ce type de pratique même si bien souvent il s’agit d’une solution simple et rapide qui ne résout pas tous les problèmes [1]. Il * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Shojai). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S1297958904000360

convient d’analyser, en premier lieu, le concept de convenance. La convenance peut concerner soit l’obstétricien, soit la patiente soit les deux. En réalité, le débat doit porter sur les raisons d’un mode d’accouchement médicalement non justifié et surtout sur l’analyse précise des motivations de la patiente. On distingue alors deux situations précises : d’un côté, la demande fondée sur une croyance quasi irrationnelle en une césarienne panacée, miraculeuse, ne présentant que des avantages, liée à une angoisse maternelle et de l’autre la décision mûrement réfléchie d’une patiente correctement informée et consciente de l’ensemble de l’argumentaire en termes de balance avantages–inconvénients. 2. Une pratique qui se répand Les chiffres concernant le souhait des femmes sont variables : 8 % des femmes suédoises [2], 4 % des sages-femmes britanniques [3] et 15 à 31 % des obstétriciennes au Royaume-Uni souhaitent accoucher par césarienne [4,5]. En Italie, où il existe une loi depuis 1992 garantissant aux femmes le choix de leur mode d’accouchement, 9 % des césariennes ont été réalisées sur demande maternelle sans indication médicale en l’an 2000 [6]. En France, une enquête réalisée en 1999 dans la région d’Alsace a montré que 18 % des obstétriciens avaient déjà pratiqué des césariennes sur demande maternelle et 41 % étaient d’accord pour réaliser une césarienne de convenance après information et consentement éclairé [7]. Dans notre maternité (niveau III, 2200 accouchements/an), les demandes totalement infondées ne

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sont pas nombreuses et le taux de césarienne sur demande maternelle en l’absence d’indication médicale était inférieur à 0,15 % en 2002. 3. La convenance pour l’obstétricien Tout d’abord, la césarienne programmée offre de nombreux avantages pour l’obstétricien. Il peut choisir la date de l’accouchement non pas à une heure avancée de la nuit lorsqu’il est épuisé ou le week-end mais en fonction de ses journées opératoires en dehors de ses horaires de consultation par exemple. Il peut faire de l’obstétrique « de jour », gagner du temps en réduisant son temps de présence au bloc, alléger la garde et faciliter l’organisation du bloc [8]. La surveillance pré-partum est réduite, la patiente est à jeun et les conditions de sécurité optimales peuvent être réunies lorsque toute l’équipe est disponible. L’analyse de la réalité de certaines indications de césarienne pour suspicion de disproportion fœtopelvienne, échec de déclenchement, dystocie dynamique ou anomalies du rythme cardiaque montre que la voie haute est parfois un mode de simplification rapide du problème. Il est clair par ailleurs que notre discipline est passée au premier rang des spécialités dites à haut risque médico-légal. Les récentes augmentations des primes d’assurance en responsabilité civile traduisent l’augmentation des plaintes. Ces plaintes concernent majoritairement la souffrance fœtale au cours du travail et les méthodes d’extraction de l’enfant et entraînent à l’évidence une déviation des pratiques. La césarienne de convenance prévient (pour l’instant) du risque médico-légal. Les obstétriciens sont encore rarement poursuivis pour des césariennes « abusives » et le plus souvent c’est le défaut de césarienne qui est reproché lors de l’expertise des dossiers obstétricaux [9]. 4. La convenance pour la mère La maternité survient plus tardivement avec des familles de taille réduite et la qualité de vie est de plus en plus prise en compte avec l’augmentation de l’espérance de vie. Dans nos sociétés occidentales, la valeur et l’admiration de la maternité ont diminué aux dépens de l’émancipation et du travail. Par souci d’organisation familiale et professionnelle, les femmes ont tendance à planifier leur grossesse. Afin de faciliter les congés maternels, elles préfèrent connaître la date de l’accouchement, plutôt que d’attendre l’entrée en travail qui reste imprévisible. L’évolution socioculturelle actuelle se satisfait peu de l’aléatoire et les critères prédictifs de bon déroulement de l’accouchement sont insuffisants comme le précise B. Fatton. Les complications maternelles de la césarienne ont diminué grâce notamment aux progrès de l’anesthésie, de l’antibioprophylaxie et de la prévention des complications thromboemboliques alors que les complications fœtales et maternelles des manœuvres obstétricales restent stables. Dans l’étude des morts maternelles anglaises [10], le risque de mortalité au cours d’une césarienne pro-

grammée reste supérieur à celui des voies basses (risque multiplié par environ 3). La césarienne programmée permet toutefois d’éviter une extraction instrumentale ainsi qu’une césarienne en urgence responsable des plus importants taux de complications (risque de mortalité multiplié par 9 environ). Le traumatisme obstétrical lors d’un accouchement par voie vaginale est classiquement considéré comme un facteur de risque d’incompétence sphinctérienne. Les modifications hormonales et les contraintes mécaniques sur le plancher pelvien au cours de la grossesse semblent toutefois avoir un rôle dans l’incontinence sphinctérienne et la genèse du prolapsus génital. La relation entre le mode d’accouchement et le risque d’incontinence urinaire d’effort (IUE) ou d’incontinence anale reste encore débattue dans la littérature médicale. En ce qui concerne le risque d’IUE, des études observationnelles semblent montrer l’effet protecteur de la césarienne par rapport à la voie basse mais de façon transitoire et à court terme [11]. Pour certains, la césarienne a un effet protecteur sur la continence anale par rapport à l’accouchement par voie basse en particulier lorsqu’elle est instrumentale [12] mais il n’existe pas d’études méthodologiquement correctes avec un suivi au long cours sur la question. La voie haute permet d’éviter une déchirure mécanique des éléments du plancher pelvien et une rupture du sphincter anal mais il semble que les césariennes réalisées en cours du travail, en particulier au-delà de 8 cm, ne permettent pas de prévenir les lésions périnéales obstétricales [13]. Un des autres arguments rapportés par les femmes désirant accoucher par césarienne est le maintien du « tonus vaginal » et la préservation de la fonction sexuelle dans le post-partum. Par rapport à un accouchement par voie vaginale et surtout en cas d’épisiotomie ou d’extraction instrumentale, la laparotomie permet d’éviter la dyspareunie orificielle. L’importance de la dyspareunie est liée au degré de déchirure périnéale et la reprise de l’activité sexuelle semble plus rapide après une césarienne qu’après un accouchement par voie basse. Une césarienne programmée permettrait théoriquement d’éviter les accidents imprévisibles de fin de grossesse tels que la procidence du cordon, l’hématome rétroplacentaire ou les complications liées au dépassement de terme. Il s’agit cependant d’événements rares et il faudrait réaliser un nombre très important de césariennes afin d’éviter ces types d’accidents. Il est estimé qu’une politique de césarienne systématique à terme pourrait éviter un décès néonatal pour 1500 naissances d’enfants de plus de 1500 g, une mort in utero pour 5000 naissances, une encéphalopathie hypoxoischémique pour 1750 naissances [14]. Les traumatismes néonatals liés aux manœuvres obstétricales et l’asphyxie perpartale responsable d’environ 10 % des infirmités cérébrales seraient également diminués [15]. Pour Towner et al. [16], le taux d’hémorragie intracrânienne est de 1/1900 lors d’un accouchement simple par voie basse, comparé à 1/2750 lors d’une césarienne en dehors du travail, mais l’effet protecteur de la voie haute n’est pas significatif (OR 0,7 IC95 % 0,4–1,3).

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5. L’angoisse de l’accouchement Le dénominateur commun des demandes infondées de césarienne est souvent représenté par une angoisse majeure de l’accouchement. Elle peut survenir chez 2 à 6 % des femmes [17] et la demande est souvent réalisée en début de grossesse. Dans les formes extrêmes, il s’agit d’une véritable phobie et un avis psychiatrique est recommandé. Les motifs produisant l’angoisse de l’accouchement sont multiples [17]. Il peut s’agir de la crainte de la douleur au cours du travail et lors des efforts expulsifs malgré les progrès de l’analgésie, de l’incapacité d’accoucher, la peur d’une extraction instrumentale, d’une déchirure périnéale ou bien d’un traumatisme néonatal. Les facteurs de risque le plus souvent retrouvés sur le plan social sont : le jeune âge maternel, un faible niveau d’enseignement, un statut socioéconomique précaire, un entourage absent et des difficultés relationnelles au sein du couple. Il s’agit le plus souvent de personnalités anxieuses, psychologiquement vulnérables ayant une faible estime de soi avec une diminution de la tolérance à la douleur et il peut exister une symptomatologie dépressive sous-jacente. On retrouve également dans les antécédents l’existence de problèmes psychologiques liés à la sexualité ou à la notion d’un abus sexuel dans l’enfance. Sur le plan obstétrical, l’angoisse de l’accouchement concerne aussi bien les nullipares que les multipares. Dans ce cas, il s’agit souvent de femmes ayant une expérience négative de leur précédent accouchement, comme par exemple un travail long et douloureux, une extraction instrumentale, une césarienne en urgence ou un accident périnatal.

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en confiance. Il peut être utile d’instaurer des cours spécifiques de préparation à l’accouchement, d’organiser des visites dans la maternité en concertation avec des sages-femmes sensibilisées au problème et d’adresser la patiente à un psychologue ou éventuellement à un psychiatre. Un deuxième avis obstétrical est également utile et on peut diriger la patiente vers un confrère si la requête de césarienne paraît injustifiée. A contrario, lorsque l’indication de demande maternelle est motivée par un argument précis et sous couvert d’une information claire, il est difficile de refuser un mode d’accouchement qui en 2004 ne peut être considéré comme exceptionnel. Références [1]

D’Ercole C, Shojai R, Desbriere R, Bretelle F, Boubli L. La césarienne résout-elle tous les problèmes ? In d’Ercole C, Collet M (éds.) 33e Journées nationales de la Société française de médecine périnatale. Paris : Arnette, 2003.

[2]

Hildingsson I, Radestad I, Rubertsson C, Waldenstrom U. Few women wish to be delivered by cesarean section. Br J Obstet Gynaecol 2002;109:618–23.

[3]

Dickson MJ, Willett M. Midwives would prefer a vaginal delivery. BMJ 1999;319:1008.

[4]

MacDonald C, Pinion SB, MacLeod UM. Scottish female obstetricians’ views on elective caesarean section and personal choice for delivery. J Obstet Gynaecol 2002;22:586–9.

[5]

Al-Mufti R, McCarthy A, Fisk NM. Survey of obstétricians’ personnal preference and discretionnary practice. Eur J Obstet Gynaecol Reprod Biol 1997;73:1–4.

[6]

Tranquilli AL, Giannubilo SR. Cesarean delivery on maternal request in Italy. Int J Gynaecol Obstet 2003 (in press).

6. Les inconvénients de la césarienne

[7]

Rodriguez B. Letter to the editor. Eur J Obstet Gynecol Reprod 2001;99:138.

Les inconvénients de la césarienne sont développés par L. Marpeau dans ce même numéro. Le taux de complications maternelles à court terme est le plus élevé en cas de césarienne en cours de travail et le plus faible en cas de succès de la voie basse, la césarienne programmée représentant une situation à risque intermédiaire. La pratique d’une césarienne comporte des répercussions néfastes sur l’avenir obstétrical de la mère (diminution de la fertilité, augmentation des morts in utero, des ruptures utérines, des anomalies placentaires tels placenta praevia, accreta et hématomes retroplacentaires). Enfin, la césarienne n’exclut pas tout risque de traumatisme fœtal et expose le nouveau-né à des risques accrus de détresse respiratoire.

[8]

Salvat J. La césarienne de convenance. 20e journées de Gynécologie de Nice et de la Côte d’azur (http://www.gyneweb.fr).

[9]

Ferraud O. La césarienne La lettre du Gynécologue 2000;252:14–6.

[10] Why mothers die. Report on confidential enquiries into maternal deaths in the United Kingdom, 1994–1996. London: Stationary Office, 1998. [11] Rortveit G, Daltveit AK, Hannestad YS, Hunskaar S. Urinary incontinence after vaginal delivery or cesarean section. N Engl J Med 2003;348:900–7. [12] MacArthur C, Glazenzr CMA, Wilson PD, Herbison GP, Gee H, Lang GD, et al. Obstetric practice and faecal incontinence three months after delivery. Br J Obstet Gynaecol 2001;108:678–83. [13] Fynes M, Donnelly VS, O’Connel R, O’Herrily C. Cesarean delivery and anal sphincter injury. Obstet Gynaecol 1998;92:496–500.

7. Conclusion

[14] Bewley S, Cockburn J. The unfacts of request cesarean section. Br J Obstet Gynaecol 2002;109:597–605.

Il n’existe pas à l’heure actuelle d’études prospectives randomisées comparant la césarienne en l’absence d’indication médicale à la tentative de voie basse et la décision du mode d’accouchement est fondée sur la balance avantages– inconvénients. Lorsqu’une demande de césarienne repose sur un excès d’anxiété maternelle, il faut être à l’écoute de la patiente et veiller à instaurer un dialogue afin qu’elle se sente

[15] Paterson-Brown S. Should doctors perform an elective cesarean section on request? Yes as long as the woman is fully informed. BMJ 1998;317:462–3. [16] Towner D, Castro M, Eby-Wilkens E, Gilbert W. Effect of mode of delivery in nulliparous women on neonatal intracanial injury. N Eng J Med 1999;341:1709–14. [17] Saisto T, Halmesmaki E. Fear of childbirth: a neglected dilemma. Acta Obstet Gynecol Scand 2003;82:201–8.

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CONTRE LA CÉSARIENNE DE « CONVENANCE » L. Marpeau Clinique gynécologique et obstétricale, CHU Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Mots clés : Césarienne avant travail ; Mortalité périnatale ; Morbidité périnatale ; Mortalité maternelle Keywords: Elective cesarean section; Perinatal mortality; Perinatal morbidity; Maternal mortality

1. Introduction La demande, par la patiente, d’une césarienne hors indication médicale reconnue est un phénomène qui s’observe de plus en plus (7 % des césariennes au Royaume-Uni). Ce n’est bien sûr pas sans poser de difficiles problèmes aux obstétriciens… Le débat porte sur les avantages et les inconvénients respectifs, à court et à long terme, de la tentative d’accouchement par les voies naturelles (et son risque de césarienne en urgence) par rapport à la césarienne programmée [1]. Il suscite des réactions passionnelles car il touche très profondément l’idée que chacun se fait de la meilleure façon d’accoucher, cette idée reposant sur la connaissance médicale bien sûr mais également sur la culture, l’éducation, la mode, les corporatismes… et les religions. Enfin, une nouvelle fois, c’est la question de la nature de l’acte médical qui se trouve posée : « Y a-t-il une place pour la convenance dans l’acte médical pris en charge quand aucun bénéfice objectif de cet acte n’a pu être démontré ? » Schématiquement, trois pistes de réflexion peuvent être suivies pour se positionner dans le camp des « pour » ou dans celui des « contre » la césarienne programmée hors pathologie : • si la césarienne programmée est supérieure pour la mère et son enfant en termes de mortalité et/ou de morbidité, organique et/ou psychologique, à court, moyen et long terme, alors le débat n’a pas lieu d’être. La césarienne programmée avant travail n’est plus une césarienne de convenance mais un acte de soin authentique qu’il faut encourager et qui ne fait que s’inscrire dans la longue liste de tous ceux que l’homme a pu imaginer pour s’extraire de sa pauvre condition d’homme ; • si les deux attitudes se valent, alors le choix peut être laissé à la femme, choix qu’elle fera sur ses propres critères, les plus intimes, à sa convenance ; • si la césarienne programmée met davantage en péril la mère et/ou son enfant qu’une tentative de voie basse, on ne voit pas bien comment donner son accord médical à une telle procédure.

Adresse e-mail : [email protected] (L. Marpeau).

2. À propos du risque de mortalité maternelle Le bénéfice de la césarienne programmée se décline en termes d’organisation, de disponibilité et de réunion des compétences des uns et des autres. Une césarienne réglée, à jeun, sous analgésie locorégionale, poche des eaux intactes, par un opérateur et un anesthésiste entraînés et reposés, encadrée d’antibiotiques et suivie d’anticoagulants, nouveau-né accueilli par un pédiatre néonatologiste ne doit pas en effet être très loin du niveau de sécurité d’une intention de voie basse. Cela a été déjà démontré… Il est probable même que ce soit une meilleure solution qu’une césarienne en urgence dans une structure dont les gardes sont assurées par quelques mercenaires harassés et où pour d’obscures raisons les taux de césarienne sur grossesse normale en cours de travail sont anormalement hauts… Mais ce raisonnement à trop court terme n’intègre pas les accidents plus lointains d’anomalies d’insertion placentaire (placenta praevia ou accreta), de ruptures utérines, de difficultés per- et postopératoires lors de la grossesse suivante [2]. Qui a jamais comparé la mortalité maternelle des deuxièmes pares selon qu’elles ont ou non un utérus cicatriciel ? 3. À propos de morbidité maternelle Là encore, il ne viendrait à l’idée de personne de « préférer » un travail long, après maturation cervicale et déclenchement, conclu par un forceps partie haute en gauche postérieure sur un enfant macrosome avec hémorragie de la délivrance et périnée complet à une césarienne réglée à 39 semaines d’aménorrhée. Il est cependant admis par tous que complications hémorragiques, infectieuses et thromboemboliques sont plus fréquentes en cas de césarienne même programmée et que, comme pour la mortalité maternelle à distance, la morbidité liée au placenta accreta, au placenta praevia et aux ruptures utérines est sans commune mesure avec celle d’un deuxième accouchement par voie basse. On ajoutera que ces risques infectieux, hémorragiques et thromboemboliques encourus par la mère sont fonction de ses propres facteurs de risque individuels ; cet argument est rarement pris en compte alors qu’obésité ou antécédents thromboemboliques font bien meilleur ménage avec la voie basse. Les troubles de la statique pelvienne induits par l’accouchement et leur prévention éventuelle par la césarienne méritent d’être isolés ; il y aurait là pour une même femme « un conflit d’intérêts » avec les risques précités. En fait, la plus grande confusion règne dans la littérature et donc dans les esprits. Pour l’incontinence urinaire, on peut lire que la grossesse serait délétère avant l’accouchement, que la césarienne protégerait quand même à la condition d’être pratiquée avant 8 cm… mais que cette protection ne serait plus valable après deux césariennes ! ! ! Pour l’incontinence anale, on rappelle que cela ne peut se juger que trois mois minimum après l’accouchement, ce qui est rarement fait, et que les enquêtes transversales de

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population comparant les hommes aux femmes après 50 ans ne montrent pas de différence de prévalence. L’épisiotomie peut faire mal mais elle n’est plus aussi fréquente et personne n’a encore osé comparer son inconfort à celui d’une césarienne. Il est enfin une morbidité à prendre en compte, la morbidité psychologique maternelle. Après césarienne, le désir de grossesse est moindre, la dépression et les problèmes d’allaitement plus fréquents. Il est vrai que les travaux qui ont abordé ces thèmes n’ont pas isolé de populations spécifiques de césariennes librement consenties… 4. À propos du risque de mortalité périnatale Théoriquement, la césarienne réglée protège l’enfant des morts in utero tardives inexpliquées, des hématomes rétroplacentaires, des procidences du cordon et des accidents catastrophiques du travail. Ces accidents sont exceptionnels. On peut les mettre facilement en parallèle avec les morts in utero du troisième trimestre sur utérus cicatriciels signalées tout récemment [3]. 5. À propos de morbidité périnatale Bien sûr la césarienne protège contre les traumatismes obstétricaux parfois rencontrés à l’accouchement (anoxie, paralysie faciale, dystocie des épaules) mais il y a aussi des traumatismes d’extraction en cours de césarienne et, surtout, des risques de détresse respiratoire néonatale en cas de césarienne réglée. Celle-ci ne doit donc se faire qu’à 39 semaines d’aménorrhée, si le terme est certain. Ce qui expose à la mise en travail spontanée et donc à la césarienne en cours de travail. On rappellera aussi que l’inflation du nombre des césariennes à terme n’a pas permis d’enregistrer une diminution du nombre des infirmités motrices d’origine cérébrale [4]. 6. À propos des obstétriciens Accusés dans les médias de faire trop de césariennes, accusés par les juges de ne pas en faire assez ou du moins pas au bon moment, ils doivent maintenant répondre aux demandes particulières émanant de communautarismes aussi divers que variés. Doivent-ils répondre sans état d’âme à ces demandes après une « information éclairée » dont on se demande bien ce qu’elle pourrait être ? Et jusqu’où peuvent-ils accéder à ces volontés sans perdre le nord quand ils entendent tout au long du jour… et de la nuit : « Je veux une césarienne » – « Je ne veux surtout pas de césarienne » « Je veux accoucher naturellement » – « Je veux un déclenchement » « Je ne veux prendre aucun risque »– « Je veux accoucher à la maison » « Je veux une péridurale » – « Je ne veux pas qu’on me vole mon accouchement »

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Et pourquoi pas bientôt : « Pour mon premier, j’ai voulu une césarienne, et maintenant, pour mon deuxième je veux accoucher normalement !!! » La tentation est grande de laisser à la patiente le choix du mode d’accouchement ; à lui l’obstétricien, la tranquillité d’esprit fruit d’une totale déresponsabilisation, à elle, la patiente, l’angoisse de la décision, dans « le respect de son autonomie et donc de sa dignité ». Peut-être va-t-il falloir regrouper les équipes en fonction de leur affinité pour la voie haute ou la voie basse et le faire savoir aux femmes enceintes ; elles pourront ainsi choisir la structure adaptée à leur désir sans risque de rencontres explosives entre deux conceptions obstétricales différentes. C’est une proposition qu’on a pu lire dans un récent rapport remis au ministre de la Santé. Ne convient-il pas plutôt de reconnaître que le respect absolu de l’autonomie, associé à l’abandon de la motivation bienfaisante, est probablement la forme la plus subtile, mais aussi la plus hypocrite de la malfaisance [5] ! 7. Conclusion Il est certain qu’il est devenu difficile de prôner l’accouchement par les voies naturelles quand on affiche des taux moyens de césariennes supérieurs à 20 %, que 30 % des primipares déclenchées après 41 semaines d’aménorrhée sont césarisées en cours de travail et que les taux d’extraction instrumentale pour celles qui accouchent « normalement » sont voisins de 20 %. Il vaut mieux effectivement accepter la césarienne de convenance voire la proposer et ainsi éviter ces fins de grossesse et ces accouchements à la sauce des années 2000. Les indiscutables performances de la césarienne réglée imposent maintenant à la voie basse de fortes exigences de qualité. Il ne devient logique d’envisager l’accouchement par les voies naturelles que si l’on est capable de proposer aussi bien et si possible mieux. C’est évidemment possible si l’on maîtrise les indications et les techniques du déclenchement, si le normal est distingué du pathologique, si les outils de la direction du travail sont correctement utilisés. C’est plus difficile à faire qu’une césarienne, mais cela s’apprend. Les obstétriciens resteront alors crédibles et convaincants pour affirmer qu’un accouchement par les voies naturelles est un objectif magnifique. Références [1] [2]

[3] [4] [5]

Minkoff H, Chervenak F. Elective Primary Cesarean Delivery. NEJM2003;6:946–50. Ofir K, Sheiner E, Levy A, Katz M, Mazor M. Uterine rupture: Risk factors and pregnancy outcome. Am J Obstet Gynecol 2003;189:1042–6. Smith G, Pell J, Dobbie R. Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subsequent pregnancy. Lancet 2003;362:1779–84. Clark S, Hankins G. Temporal and demographic trends in cerebral palsy-Fact and fiction. Am J Obstet Gynecol 2003;188:628–33. Sureau C. Fallait-il tuer l’enfant Foucault ? Les essais. Stock 2003 ;360.