Précarité, couverture sociale et couverture vaccinale : enquête chez les enfants consultant aux urgences pédiatriques

Précarité, couverture sociale et couverture vaccinale : enquête chez les enfants consultant aux urgences pédiatriques

Rec¸u le : 24 juin 2011 Accepte´ le : 11 de´cembre 2011 Disponible en ligne 4 janvier 2012 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Me´moir...

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Rec¸u le : 24 juin 2011 Accepte´ le : 11 de´cembre 2011 Disponible en ligne 4 janvier 2012

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com



Me´moire original

Pre´carite´, couverture sociale et couverture vaccinale : enqueˆte chez les enfants consultant aux urgences pe´diatriques Relationship between precariousness, social coverage, and vaccine coverage: Survey among children consulting in pediatric emergency departments in France N. Bouhamama, R. Laportea,*, A. Boutinb, M. Utersa, V. Bremondb, G. Noela, P. Rodierc, P. Minodiera,d a Service d’urgences des enfants, CHU Nord, AP–HM, chemin des Bourrely, 13915 Marseille cedex 20, France b Service d’urgences des enfants, CHU Timone–Enfants, AP–HM, rue Saint-Pierre, 13005 Marseille, France c Me´decins du Monde, 13003 Marseille, France d UMR MD3, universite´ de la Me´diterrane´e, 13005 Marseille, France

Summary

Re´sume´

Poor children are more susceptible to infectious diseases. Routine medical follow-up is infrequent in these patients, sometimes resulting in immunization delays. The aim of this study was to correlate a number of socioeconomic factors related to poverty with vaccination coverage in children visiting a pediatric emergency ward. Patients and methods. Previous routine vaccinations and various socioeconomic features were prospectively recorded for children aged 9 months to 7 years visiting two public pediatric emergency departments in Marseilles (southern France) from 2009 to 2010. Results. Three hundred and seventy-five children were included. Vaccination coverage was 87% for diphtheria, tetanus, poliomyelitis, Haemophilus influenzae type b infections and pertussis, 69% for tuberculosis (Bacillus Calmette-Gue´rin), 77% for measles, mumps and rubella, 74% for pneumococcal infections (conjugate vaccine), and 55% for hepatitis B. Socioeconomic factors related to poverty were significantly associated with delays in immunizations. Children not attending school (OR = 2.5), having parents who were not fluent in French (OR = 5.7), living in caravans or squatting (OR = 11.5), or being recipients of the national medical assistance for foreigners (OR = 12.8) had significant delays with diphtheria, tetanus, and poliomyelitis vaccines. The measlesmumps-rubella vaccine was also delayed in homeless children (OR = 3.4). Children who were recipients of the national medical

Les enfants vivant dans des conditions socioe´conomiques pre´caires sont plus expose´s aux maladies infectieuses be´ne´ficiant d’une pre´vention vaccinale. L’objectif de cette e´tude e´tait d’e´valuer les relations entre de´terminants socioe´conomiques et couverture vaccinale. Les statuts vaccinaux et socioe´conomiques ont e´te´ e´tudie´s chez des enfants de 9 mois a` 7 ans, consultant dans 2 services d’urgences pe´diatriques a` Marseille en 2009–2010. Trois cent soixante-quinze enfants ont e´te´ inclus. Les couvertures vaccinales e´taient de 87 % pour la diphte´rie, le te´tanos, la poliomye´lite (DTP), Haemophilus influenzae type b et coqueluche, de 69 % pour le bacille de Calmette et Gue´rin (BCG), de 77 % pour la rougeole, les oreillons et la rube´ole (ROR), de 74 % pour le pneumocoque (vaccin conjugue´) et de 55 % pour l’he´patite B. Le retard de vaccination DTP e´tait majeur chez les enfants non scolarise´s (OR = 2,5), ceux dont les parents parlaient mal ou pas le franc¸ais (OR = 5,7), ceux vivant en caravane ou en squat (OR = 11,5) ou ceux be´ne´ficiant de l’aide me´dicale d’e´tat ou d’aucune assurance maladie franc¸aise (OR = 12,8). Les enfants de familles sans domicile fixe avaient plus de retard pour le ROR (OR = 3,4). A` l’oppose´, les enfants be´ne´ficiant de la couverture maladie universelle ou suivis en consultation de protection materno-infantile e´taient mieux vaccine´s par le BCG et contre l’he´patite B. Les enfants les plus expose´s aux maladies infectieuses be´ne´ficiant d’une pre´vention vaccinale sont toujours les plus mal

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] 0929-693X/$ - see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.arcped.2011.12.001 Archives de Pe´diatrie 2012;19:242-247

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Couverture sociale et vaccinale : aux urgences pe´diatriques

assistance for citizens were better vaccinated against tuberculosis and hepatitis B. Conclusion. Poor children living in southern France had significant delays in their routine immunizations, resulting in gaps in their protection. Every medical visit, even those conducted in an emergency ward, should identify children with immunization delays and offer a catch-up schedule if necessary. ß 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

prote´ge´s. A` toute consultation, meˆme en urgence, un retard vaccinal doit eˆtre recherche´ afin de proposer un rattrapage. ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction

donne´es ont e´te´ anonymise´es. L’analyse a e´te´ effectue´e sur le logiciel statistique SPSS 17,0W pour WindowsW. L’effet des variables cate´gorielles a e´te´ teste´ en utilisant les tests du x2 ou de Fisher. Les variables quantitatives ont e´te´ compare´es en utilisant les tests de Student et Anova. Tous les tests et intervalles de confiance e´taient bilate´raux avec un risque alpha (p = 0,05).

Malgre´ l’existence de dispositifs de protection sociale visant les personnes les plus de´munies (couverture maladie universelle [CMU], aide me´dicale d’e´tat [AME]. . .), la pauvrete´ affecte encore largement, en France, l’acce`s aux soins [1]. Chez les enfants, l’absence de suivi me´dical conduit rapidement a` un retard dans le calendrier vaccinal. Ce retard vaccinal expose a` des maladies infectieuses elles-meˆmes favorise´es par la pauvrete´, la promiscuite´, l’hygie`ne pre´caire ou la malnutrition et constitue un marqueur de manque d’acce`s aux soins. Plusieurs e´pide´mies sont encore re´cemment survenues, en France, dans les populations pre´caires (tuberculose, coqueluche, rougeole) [2]. Plusieurs e´tudes ont de´crit le roˆle majeur d’un contexte socioe´conomique de´favorable sur le retard vaccinal des enfants scolarise´s [3–5]. Les enfants vivant dans une grande pre´carite´ ou de familles migrantes re´cemment arrive´es n’ont pas e´te´ souvent inclus dans ces investigations car ils n’acce`dent pas au syste`me e´ducatif. L’objectif de cette e´tude e´tait de de´crire les relations entre les conditions socioe´conomiques et la couverture vaccinale, chez des jeunes enfants consultant dans les services d’urgences pe´diatriques de Marseille.

2. Patients et me´thodes Cette enqueˆte transversale prospective a e´te´ re´alise´e aupre`s d’enfants de 9 mois a` 7 ans consultant aux urgences pe´diatriques des hoˆpitaux Nord et Timone-Enfants du CHU de Marseille entre juillet 2009 et juillet 2010. Elle a e´te´ approuve´e par le comite´ d’e´thique local. Les enfants de 9 mois a` 7 ans ont e´te´ inclus, quel que soit le motif de leur consultation. Le consentement e´crit des parents a e´te´ recueilli, apre`s les avoir informe´s. En cas de difficulte´ linguistique de la famille, l’e´tude n’e´tait pas propose´e sauf en pre´sence d’un traducteur (proche ou mandate´). Un questionnaire standardise´ a recueilli des donne´es socioe´conomiques, les conditions de vie de la famille, les ante´ce´dents et suivi me´dicaux de l’enfant et les vaccinations effectue´es. Lorsqu’il e´tait disponible, un document de vaccination a e´te´ consulte´ (carnet de sante´ ou certificat de vaccination). Les parents qui ne pre´sentaient pas de document e´crit ont e´te´ rappele´s afin d’obtenir les informations par lecture te´le´phonique. Le calendrier vaccinal 2009 e´tait la re´fe´rence pour l’e´tude de la couverture vaccinale [6]. Les

3. Re´sultats 3.1. Caracte´ristiques ge´ne´rales L’e´tude a e´te´ propose´e a` 403 enfants. Vingt-huit (6,9 %) ont e´te´ exclus car leur statut vaccinal n’e´tait pas de´terminable. Ces enfants ne diffe´raient significativement des autres que pour l’aˆge et le taux de scolarisation, les 2 parame`tres plus e´leve´s. L’analyse finale a donc porte´ sur 375 enfants dont 199 garc¸ons (53,1 %), aˆge´s en moyenne de 3 ans (extreˆmes : 9 mois–7 ans). Cent cinquante-quatre enfants (41,1 %) avaient moins de 2 ans. Leurs caracte´ristiques sont de´taille´es dans le tableau I. Trois cent cinquante-huit (95,5 %) e´taient ne´s en France, mais leurs me`res e´taient ne´es hors de France dans 41,1 % des cas, essentiellement en Afrique du Nord (26,4 %). Les familles monoparentales repre´sentaient 16,1 % des cas. La compre´hension du franc¸ais par les parents e´tait juge´e mauvaise ou nulle dans 8 % des cas mais dans ces cas, un traducteur e´tait pre´sent. La couverture sociale e´tait connue pour 371 enfants (98,9 %) : 221 (59,6 %) be´ne´ficiaient de la se´curite´ sociale, associe´e a` une assurance maladie comple´mentaire dans 91,9 % des cas. Cent trente-deux enfants (35,6 %) be´ne´ficiaient de la CMU ; 9 (2,4 %) recevaient l’AME et 9 (2,4 %) avaient une assurance me´dicale e´trange`re ou e´taient sans assurance maladie. Le domicile de l’enfant e´tait une caravane ou un squat dans 1,4 % des cas. La famille e´tait sans domicile fixe (SDF) – familles he´berge´es ou vivant en squats – dans 4,4 % des cas. Cent quatre-vingt-deux enfants (48,7 %) e´taient garde´s en collectivite´ ou scolarise´s. Pour 3 enfants (0,8 %), une contre-indication vaccinale e´tait alle´gue´e. Les parents de 10 enfants (2,7 %) de´claraient eˆtre oppose´s a` tous les vaccins non obligatoires. Dans 30,9 % des cas, les parents disaient n’eˆtre oppose´s qu’a` certaines vaccinations, antigrippale pande´mique et he´patite B (He´p B) principalement. Cent soixanteseize enfants (46,9 %) avaient e´te´ vaccine´s par un seul

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N. Bouhamam et al.

Tableau I Caracte´ristiques sociode´mographiques des enfants (n = 375). Patients

n (%)

Garc¸ons

199 (53,1)

ˆ ge A < 12 mois 13 a` 23 mois 24 mois a` 6 ans > 6 ans

62 92 194 27

Naissance en France

358 (95,5)

Pays de Naissance de la me`re France Maghreb, Afrique et Comores Europe de l’Est

210 (56,0) 131 (34,9) 12 (3,2)

Famille monoparentale

60 (16,1)

(16,5) (24,5) (51,7) (7,2)

Couverture sociale Se´curite´ sociale et mutuelle CMUa ou se´curite´ sociale seule AMEb, assurance e´trange`re ou aucune

203 (54,7) 150 (40,5) 18 (4,8)

Type de domicile Maison ou appartement Autre

365 (98,6) 5 (1,4)

Statut d’occupation du domicile par la famille Proprie´taire ou locataire SDF (he´bergement ou autre)

353 (72,6) 16 (4,4)

Scolarisationc

182 (48,7)

a

Couveture maladie universelle. Aide me´dicale d’E´tat. c Ou garde en collectivite´ (cre`che).

me´decin. La premie`re vaccination avait e´te´ re´alise´e par un pe´diatre (183 enfants, 53,2 %), par un me´decin ge´ne´raliste (71 enfants, 20,6 %) ou par le service de protection maternoinfantile (PMI) (90 enfants, 26,2 %). Le premier vaccin avait plus souvent e´te´ re´alise´ en PMI chez les enfants couverts par la CMU ou n’ayant pas de couverture sociale (36,2 %) que chez ceux qui be´ne´ficiaient de la se´curite´ sociale et d’une assurance comple´mentaire sante´ (18,1 %). Le statut vaccinal a e´te´ releve´ lors de la consultation chez 354 (94,4 %) enfants et de´termine´ par rappel te´le´phonique chez 21 (5,6 %). Deux familles qui ne disposaient d’aucun document vaccinal, avaient affirme´ que leur enfant n’avait jamais e´te´ vaccine´. Les couvertures vaccinales e´taient les suivantes : diphte´rie, te´tanos et polio (DTP) 87,2 %, coqueluche (Ca) 88,5 %, Haemophilus influenza type b (Hib) 86,1 %, rougeole, oreillons et rube´ole (ROR) 76,5 %, pneumocoque conjugue´ 74,4 %, tuberculose (BCG) 68,5 % et He´p B 55,2 %. La couverture vaccinale pour les diffe´rents vaccins n’e´tait pas lie´e au sexe de l’enfant. Celle du DTP chutait significativement pour les enfants aˆge´s de plus de 6 ans. Quatre-vingt-seize pour cent des enfants de plus d’un an avaient rec¸u une injection de ROR, mais seulement 70 % des enfants de plus de 2 ans avaient eu une 2e injection.

3.2. Couverture vaccinale en fonction des facteurs socioe´conomiques La figure 1 montre la couverture vaccinale en fonction de la couverture sociale. Les enfants couverts par la CMU ou sans assurance comple´mentaire a` la se´curite´ sociale avaient moins de retard de vaccination pour le BCG : OR = 0,52 [0,32 ; 0,85] et l’He´p B : OR = 0,56 [0,37 ; 0,87]. Leur couverture vaccinale pour

b

100%

80%

60%

*

*

*

40%

*

* *

20%

0% BCG

DTP

Ca

HiB

Sécurité Sociale et Mutuelle Sécurité Sociale seule ou Couverture Maladie Universelle autres (Assistance Médicale d'Etat, Assurances étrangères, aucune)

HepB

PCV

ROR

* p < 0.005

Figure 1. Couverture vaccinale en fonction de la couverture sociale. BCG : bacille de Calmette et Gue´rin ; DTP : vaccin diphte´rie te´tanos polio ; Ca : vaccin coquelucheux acellulaire ; HiB : Haemophilus influenza type b ; Hep B : he´patite B ; PCV : vaccin antipneumococcique conjugue´ ; ROR : vaccin rougeole oreillons rube´ole.

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Couverture sociale et vaccinale : aux urgences pe´diatriques

Tableau II Facteurs socioe´conomiques associe´s au risque de retard vaccinal. Fre´quence Naissance de la me`re France et pays occidentaux Europe de l’Est Maghreb Afrique Sub-Saharienne Parents parlant mal le franc¸ais Enfant non scolarise´

h

Couverture sociale Se´curite´ sociale et mutuelle CMUi AMEj Famille SDF

DTP a

Ca b

e

OR

ROR c

e

[IC 95 %]

f

OR

e

n (%)

OR

226 13 99 32

1 8,6g 0,83 0,76

[2,69 ; 27,5] [0,38 ; 1,78] [0,22 ; 2,67]

1 9,82g 0,74 0,87

[3,05 ; 31,63] [0,32 ; 1,71] [0,25 ; 3,08]

1 2,32 0,45g 0,90

30 (8,0)

5,72g

[2,55 ; 12,9]

5,66g

[2,48 ; 12,95]

1,66

192 (51,3)

2,49

g

[1,29 ; 4,83]

3,99

g

203 (54,7) 150 (40,4) 18 (4,9)

1 1,49 12,8g

[0,75 ; 2,95] [4,50 ; 36,6]

16 (4,3)

6,45g

[2,27 ; 18,4]

(61,1) (3,5) (26,8) (8,6)

[IC 95 %]

f

HepB d OR e

[IC 95 %] f

[0,75 ; 7,17] [0,24 ; 0,84] [0,38 ; 2,11]

1 1,17 0,57g 0,46

[0,38 ; 3,58] [0,35 ; 0,93] [0,21 ; 1,00]

[0,75 ; 3,68]

1,68

[0,79 ; 3,57]

[1,01 ; 2,67]

1,01

[0,67 ; 1,52]

[IC 95 %]

g

f

[1,85 ; 8,60]

1,64

1 1,60 15,67g

[0,77 ; 3,32] [5,38 ; 45,59]

1 0,97 2,66

[0,59 ; 1,61] [0,99 ; 7,11]

1 0,56g 2,68

[0,37 ; 0,87] [0,92 ; 7,79]

7,54g

[2,64 ; 21,57]

3,41g

[1,24 ; 9,38]

2,13

[0,76 ; 5,97]

SDF : sans domicile fixe. Vaccin diphte´rie te´tanos polio. b Vaccin coquelucheux acellulaire. c Vaccin rougeole oreillons rube´ole. d He´patite B. e Odds’ ratio. f Intervalle de confiance a` 95 %. g p < 0,05. h Ou non garde´ en collectivite´ (cre`che). i Couverture me´dicale universelle ou se´curite´ sociale seule. j Aide me´dicale d’E´tat ou assurance e´trange`re ou aucune. a

les autres vaccins e´tait comparable a` celle des enfants couverts par la se´curite´ sociale et une assurance comple´mentaire. Les enfants be´ne´ficiaires de l’AME ou n’ayant aucune assurance me´dicale franc¸aise avaient un retard pour toutes les vaccinations (DTP : OR = 12,8 [4,5 ; 36,6], BCG : OR = 2,92 [1,09 ; 7,87] et ROR : OR = 2,66 [0,99 ; 7,11]). Les liens entre la couverture vaccinale DTP, Ca, ROR, He´p B et les conditions socioe´conomiques sont de´taille´s dans le tableau II. Les enfants dont la me`re e´tait ne´e en Afrique du Nord, avaient moins de retard pour le BCG (OR = 0,32 [0,17 ; 0,58]), pour l’He´p B (OR = 0,57 [0,35 ; 0,93]) et pour le ROR (OR = 0,45 [0,24 ; 0,84]). Ceux issus de familles monoparentales avaient moins de retard pour le BCG (OR = 0,44 [0,22 ; 0,87]). Le nombre d’habitants au domicile rapporte´ au nombre de pie`ces a permis de de´finir un rapport de promiscuite´ qui, s’il e´tait supe´rieur a` 2, e´tait significativement lie´ a` un retard pour le DTP (OR = 2,41 [1,01 ; 5,71]), Ca (OR = 2,79 [1,16 ; 6,68]) et Hib (OR = 3,02 [1,35 ; 6,77]). Les facteurs lie´s a` l’immigration re´cente (enfant ne´ a` l’e´tranger, mauvaise pratique du franc¸ais, me`re ne´e en Europe de l’Est) ou la de´socialisation (familles SDF, absence de scolarisation) e´taient inde´pendamment associe´s a` des retards de vaccination significatifs et importants. En particulier, un retard de BCG e´tait plus fre´quent chez les enfants de parents ne´s a` l’e´tranger (OR = 3,86 [1,38 ; 10,88]), SDF (OR = 3,00 [1,09 ; 8,26]) ou non scolarise´s (OR = 2,51 [1,59 ; 3,96]. Les enfants dont les parents e´taient

oppose´s a` certains vaccins avaient plus de retard de vaccination pour l’He´p B (OR = 1,92 [1,23 ; 3,01]) et pour le BCG (OR = 1,76 [1,10 ; 2,80]). Les enfants dont les parents e´taient oppose´s a` tous les vaccins non obligatoires, n’e´taient pas moins vaccine´s que les autres.

4. Discussion Cette e´tude transversale d’un an a e´te´ re´alise´e dans 2 services d’accueil d’urgences pe´diatriques, visant a` explorer les liens entre couverture vaccinale et conditions socioe´conomiques. Elle s’est heurte´e a` plusieurs difficulte´s. Les familles en situation pre´caire sous-estiment souvent leurs difficulte´s e´conomiques ou sont re´ticentes a` re´pondre a` des questions sur leur logement et leur situation administrative [7]. Un document officiel de vaccination manquait souvent (non e´tabli, perdu ou vole´, de´truit ou non apporte´ aux urgences). Les enfants ayant re´cemment immigre´ ou dont les familles e´taient faiblement inte´gre´es socialement, pouvaient avoir e´te´ vaccine´s selon des calendriers diffe´rents dans d’autres pays et leurs parents parlaient mal le franc¸ais. Cela a limite´ leurs inclusions dans l’e´tude. La couverture vaccinale globale e´tait comparable a` celle observe´e au niveau national pour DTP et ROR et, dans une moindre mesure, pour Ca et Hib [8]. La couverture vaccinale He´p B e´tait, en revanche, infe´rieure [9]. Le BCG

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N. Bouhamam et al.

avait e´te´ effectue´ chez 68,5 % des enfants ce qu’il faut mettre en rapport avec la suspension de l’obligation vaccinale depuis 2007 [10]. Dans notre e´tude, le type de couverture sociale influait sur le taux de couverture vaccinale. Les enfants les mieux vaccine´s e´taient ceux qui be´ne´ficiaient d’une assurance sante´ comple´mentaire. Les enfants allocataires de la CMU avaient une couverture vaccinale comparable aux autres pour la majorite´ des vaccins. On a observe´ notamment chez eux, un meilleur respect de l’indication du BCG, surtout quand l’enfant e´tait suivi en PMI ou issu d’une famille monoparentale. Cette observation est originale. En effet, bien que la CMU soit retenue comme indicateur de « pre´carite´ socialement reconnue » [7], elle paraissait influer positivement sur le taux de couverture vaccinale. Il nous semble en fait que la CMU e´tait lie´e a` un suivi me´dical pre´fe´rentiel en PMI et que ce suivi, plus que la CMU, permettrait un meilleur respect des indications vaccinales. De meˆme, a` Paris en 1997, les enfants de familles en situation socioe´conomique difficile consultaient plus souvent en PMI, ou aux urgences hospitalie`res [11]. La PMI paraıˆt bien eˆtre un acteur-cle´ de la pre´vention vaccinale dans la petite enfance [12]. Les enfants les moins bien prote´ge´s e´taient ceux issus de familles be´ne´ficiaires de l’AME, de familles SDF, ou dont la me`re e´tait ne´e en Europe de l’Est. Il s’agissait pour la plupart de familles migrantes en situation de pre´carite´ extreˆme, commune´ment appele´es « gens du voyage », mais regroupant principalement des roms. Les populations nomades gitanes ou d’Europe du nord semblaient avoir un meilleur suivi, les rattachant aux groupes de´finis comme ayant une « pre´carite´ socialement reconnue » [7]. Le principal frein a` l’acce`s aux soins dans les populations roms est la ne´cessite´ d’une domiciliation pour l’obtention de documents administratifs (titre de se´jour, couverture sociale, scolarisation). Le retard vaccinal e´tait aussi fortement associe´ au manque de pratique du franc¸ais par les parents. Cette barrie`re de la langue empeˆche une information claire sur la pre´vention vaccinale. Un fonctionnement tribal, une mauvaise pratique du franc¸ais et une faible alphabe´tisation nous ont paru eˆtre des freins majeurs a` de bonnes relations avec le milieu soignant. Ces difficulte´s d’acceptation de la vaccination par les gens du voyage ont de´ja` e´te´ observe´es et parfois rapporte´es a` la peur des effets secondaires imme´diats (douleur, fie`vre) [13]. L’absence de scolarisation a e´galement e´te´ associe´e a` un retard vaccinal. En revanche, une autre e´tude mene´e en re´gion Provence-Alpes-Coˆte d’Azur avait montre´ qu’eˆtre scolarise´ en zones d’e´ducation prioritaire ne constituait pas un facteur de´favorisant pour les vaccinations [14]. En effet, le milieu scolaire permet de re´duire l’impact des ine´galite´s sociales, en particulier en ce qui concerne l’acce`s aux soins de sante´ et la vaccination [15]. La promiscuite´ au domicile e´tait associe´e a` un retard vaccinal pour Ca et Hib. Aux E´tats-Unis [16], en Gre`ce [17] et en Belgique [5], un nombre e´leve´ d’enfants au domicile a aussi

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e´te´ associe´ a` une moins bonne couverture vaccinale. Mais cet indicateur pourrait eˆtre indirectement un marqueur d’immigration et de moins bonne inte´gration sociale. Isole´, il ne paraıˆt pas tre`s pertinent : en Espagne, la couverture vaccinale est meilleure dans les familles autochtones de plus de 3 enfants et dans les familles migrantes de moins de 3 enfants [18]. D’autres e´tudes [16–19] ont montre´ le roˆle d’autres facteurs comme le jeune aˆge maternel, le faible niveau d’e´ducation des parents ou le caracte`re monoparental des familles sur le retard de vaccination. L’opinion parentale avait une faible influence sur la couverture vaccinale dans notre e´tude, les parents s’opposant principalement aux vaccinations contre la grippe pande´mique. De meˆme, en Gre`ce, les facteurs socioe´conomiques ont joue´ un roˆle plus important sur la couverture vaccinale de l’enfant que l’opinion parentale [17]. L’approche de la pre´carite´ et de la pauvrete´ est difficile dans un contexte de soins alors que cela permettrait des prises en charge spe´cifiques (de´pistage du saturnisme, indication du BCG, limitation des prescriptions partiellement rembourse´es. . .). En fait, il n’existe pas une mais des pre´carite´s. Nicolas et al. ont ainsi propose´ une classification en pre´carite´ absolue, socialement reconnue, me´connue et en vulne´rabilite´ psychologique [7]. Cette classification repose sur un interrogatoire d’une vingtaine de minutes re´alise´ par un intervenant spe´cialise´, ce qui limite son utilisation pratique. Un groupe multidisciplinaire franc¸ais a se´lectionne´ 5 crite`res (assurance sante´, assurance comple´mentaire, difficulte´s a` payer les soins, allocations sociales, recherche prolonge´e d’emploi) pour tenter d’identifier par un score la pre´carite´ sociale d’adultes [20]. Ce score n’a montre´ qu’une sensibilite´ de 70 % et une spe´cificite´ de 77 %. Un autre score (score E´pices) a tente´ de formaliser l’e´valuation de la pre´carite´ a` partir de 11 items [21]. Ce score pre´sente plusieurs limites, comme le caracte`re stigmatisant de certaines questions et des pre´requis dont certains patients peuvent manquer (avoir un domicile, pratiquer le franc¸ais. . .). Certains moments sont plus propices au repe´rage et au rattrapage vaccinal dans les populations a` risque : lors de consultations syste´matiques (maternite´, PMI, sante´ scolaire, me´decine du travail) ou pendant le suivi d’un patient malade (cabinet libe´ral, clinique, hoˆpital). Ainsi, une vaccination cible´e pour le BCG re´alise´e en maternite´ est efficace pour ame´liorer la couverture vaccinale des populations a` risque a` l’heure de la suspension de l’obligation vaccinale universelle [22]. La consultation dans les services d’urgences publics est fre´quente dans les populations les plus de´favorise´es qui ont du mal a` accepter la contrainte horaire d’un rendez-vous, ou ne peuvent avancer les frais me´dicaux [7]. C’est un endroit propice au de´pistage du retard vaccinal. Effectuer un rattrapage des vaccins manquants lors d’une consultation d’urgence est limite´ par les contre-indications inhe´rentes a` l’e´tat clinique de l’enfant, a` l’obtention d’un document vaccinal ou a` l’organisation du service et enfin l’acceptation par les

Couverture sociale et vaccinale : aux urgences pe´diatriques

parents d’un acte pre´ventif lors d’une demande d’acte curatif n’est pas toujours aise´e. Il nous semble que le de´pistage d’un retard vaccinal aux urgences permettrait, cependant, la sensibilisation des parents et la re´orientation vers une structure de soin capable d’un rattrapage (me´decin traitant, PMI ou consultations post-urgences) et plus largement d’une e´valuation de toutes les pathologies en lien avec la pauvrete´ (permanences d’acce`s aux soins, par exemple).

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5. Conclusion Dans cette e´tude, la couverture sociale semble un marqueur pertinent de l’acce`s aux soins, e´value´ par le taux de couverture vaccinale. La CMU et les structures de PMI paraissent jouer leurs roˆles de facilitateurs d’un suivi me´dical pertinent. Les enfants be´ne´ficiaires de l’AME ou sans couverture sociale pre´sentent, en revanche, des retards vaccinaux importants. Chez eux, une consultation dans un service d’urgences constitue donc l’occasion d’un de´pistage. En aval, une filie`re de soins a` caracte`re social devrait eˆtre clairement identifie´e pour reprendre leur suivi me´dical.

De´claration d’inte´reˆts N.B., R.L., M.U., V.B., G.N., P.R. : les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article ; P.M. : confe´rences : invitations en qualite´ d’auditeur (frais de de´placement et d’he´bergement pris en charge par une entreprise) pour Pfizer.

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Aide financie`re

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Aucune.

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Communication ou publications pre´liminaires Pre´sentation orale a` la Socie´te´ franc¸aise de pe´diatrie, Marseille, 2011.

Re´fe´rences [1]

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