Cancer bronchique
Prédiction de la réponse aux inhibiteurs de l’EGFR dans les cancers bronchiques non à petites cellules : l’immunohistochimie disqualifiée ! Clark GM, Zborowski DM, Culbertson JL, Whitehead M, Savoie, M, Seymour L, Shepherd FA. Clinical utility of epidermal growth factor receptor expression for selecting patients with advanced non-smallcell lung cancer for treatment with erlotinib. J Thorac Oncol 2006 ; 1 : 837-846. Hirsch FR, Varella-Garcia M, Bunn Jr PA, Franklin WA, Dziadziuszko R, Thatcher N, Chang A, Parikh P, Pereira JR, Ciuleanu T, von Pawel J, Watkins C, Flannery A, Ellison G, Donald E, Knight L, Parums D, Botwood N, Holloway B. Molecular predictors of outcome with gefitinib in a phase 3 placebo-controlled study in advanced non–small-cell lung cancer. J Clin Oncol 24 : 5034-42.
Introduction La sélection des patients pouvant bénéficier des nouvelles thérapeutiques ciblées fait encore couler beaucoup d’encre et nous nous étions fait l’écho dans les précédents numéros de « l’année en pneumologie - cancer bronchique » des études concernant les mutations de l’EGFR, l’expression de l’EGFR en immunohistochimie (IHC), et des études ayant testé le nombre de copies du gène EGFR, notamment dans le cadre des grands essais thérapeutiques à base de géfitinib ou erlotinib [1]. L’année 2006 a vu la confirmation de certains résultats, notamment concernant la valeur prédictive pour la réponse aux inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI), de la détection de mutations fonctionnelles du domaine tyrosine kinase de l’EFGR (exons 19 et 21) [2-4]. Par contre, la déception de l’année 2006 est représentée par l’incapacité de l’immunohistochimie EGFR à prédire la réponse et la survie sous TKI dans les deux essais de phase 3, BR21 (à base d’erlotinib) et ISEL (à base de géfinitib). On rappellera que, dans le premier cas, la publication princeps de Tsao dans le New England Journal of Medicine (NEJM) rapportait pourtant, chez les 325 patients étudiés, qu’une positivité de l’immunomarquage EGFR, définie par un marquage d’au moins 10 % des cellules tumorales, était associé à la réponse, mais pas à la survie en analyse multivariée dans l’ensemble de la population étudiée (patients traités après une première ligne de chimiothérapie à base de cisplatine par erlotinib comme placebo) [5]. Dans le groupe traité par erlotinib, la survie des patients avec immunomarquage
EGFR positif était plus longue que dans le groupe placebo (avec un p à 0,02 en analyse univariée, non confirmée en analyse multivariée). Il n’y avait cependant pas dans cette étude de test d’interaction, seul test permettant d’affirmer qu’un immunomarquage EGFR positif donne un avantage de survie aux patients traités par erlotinib par rapport aux patients traités par placebo.
Méthodes et résultats L’analyse statistique de cette étude immunohistochimique a été publiée in extenso dans le Journal of Thoracic Oncology par Clark GM et collaborateurs : elle fait état de résultats sensiblement différents ce qui, pour notre pratique quotidienne, aura des conséquences certaines L’analyse a été effectuée avec le kit commercial DAKO EGFR pharmDxTM utilisé par la plupart de nos pathologistes. Deux cent vingt-neuf prélèvements sur les 325 testés (70 %) présentaient un marquage membranaire EGFR. Dans les 115 patients du bras placebo avec immunomarquage EGFR, aucun seuil n’a pu être déterminé, tant dans la proportion de cellules marquées (de plus de 1 % à plus de 95 % de cellules marquées), que dans l’intensité du marquage (de 1+ à 3+), ou dans le score hybride multipliant le score d’intensité plus 1, par le pourcentage de cellules marquées (donnant un score de 2 à 400). Le seuil recherché était celui qui aurait généré une valeur pronostique statistiquement significative pour les scores supérieurs. De fait, tous les seuils testés ont généré des p > 0,2, même si les très forts immunomarquages semblaient associés à une survie plus courte, mais de façon non statistiquement significative. Pour ce qui est de la prédiction de la réponse au TKI dans le groupe de patients traités par erlotinib, l’analyse finale a abouti au même constat quels que soient les scores utilisés, quels que soient les seuils testés, d’impossibilité de prédire de façon statistiquement fiable la réponse à l’erlotinib ! Plus troublant encore, les patients avec un immunomarquage considéré comme négatif, s’ils semblaient répondre moins bien à l’erlotinib, pouvaient y répondre malgré tout, dans une proportion non négligeable, et même présenter un rash cutané. Un immunomarquage EGFR négatif ne peut donc statistiquement pas être utilisé pour contreindiquer un traitement par TKI. Enfin, il n’y avait aucune proportionnalité entre l’importance du marquage (quel que soit le score utilisé) et la valeur prédictive, les scores les plus élevés n’étant pas plus prédictifs que les scores moindres ! Ainsi, cette publication, par les mêmes auteurs (à l’exception du premier auteur du NEJM), dans l’année même qui suit une première publication prestigieuse, vient contredire cette dernière, l’étude moléculaire (avec plus de 40 % des mutations artéfactuelles !) ayant déjà suscité de nombreuses réserves. Pour autant, l’article du NEJM n’a pas été rétracté... Hirsch FR et coll. ont, quant à eux, rapporté les résultats de l’immunohistochimie EGFR dans l’étude de phase 3 ISEL, qui a testé en deuxième ligne de traitement après échec d’une © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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F. Barlési et coll.
chimiothérapie à base de cisplatine, le géfitinib versus son placebo chez 1 692 patients. Seuls 379 prélèvements ont pu être analysés en immunohistochimie avec le même système DAKO que dans l’étude de Clark GM et coll., et avec un seuil de positivité fixé à 10 %. Ce qui a généré 69 % de positivité. Parallèlement, le FISH EGFR a pu être réalisé chez 370 patients, la recherche de mutations chez seulement 215. La présentation des résultats est très discutable d’un point de vue méthodologique. Si l’amplification ou la polysomie de haut niveau en FISH sont présentées comme prédictives de la réponse et de la survie sous géfitinib, avec respectivement 8,3 mois de médiane de survie dans le groupe géfitinib contre 4,3 dans le groupe placebo en cas de FISH positif, et un hazard ratio à 0,78 témoignant de cet effet, l’intervalle de confiance est large, franchissant la valeur de 1 (0,36 à 1,04), ce qui indique un défaut de significativité statistique, avec un p à 0,067. Un défaut de puissance peut, de fait, être suspecté, par un nombre insuffisant de prélèvements analysés, car le temps jusqu’à sans progression était, lui, significativement plus long (HR = 0,55 avec intervalle de confiance de 0,34 à 0,89) en cas de FISH positif dans le groupe géfitinib (4,5 mois en médiane), que dans le groupe placebo (1,9 mois de médiane). À l’inverse, en cas d’immunohistochimie EGFR positive, certes la survie des patients sous géfitinib était discrètement plus longue (5,5 mois) que celle des patients sous placebo (4,6 mois), mais le hazard ratio était de 0,77, l’intervalle de confiance comprenait à nouveau la valeur 1, (0,56 à 1,08) avec un p = 0,126, les courbes de survie allant même jusqu’à se croiser, avec un temps médian jusqu’à progression de 2,8 mois sous géfitinib contre 3,2 mois sous placebo (HR = 0,3 ; IC95 [0,61-1,12]) ! Il est étonnant que le résumé de l’article, comme la discussion, reprenne le concept d’un avantage de survie en cas d’IHC EGFR positive en cas de traitement par géfitinib, dans ce contexte. Sur 215 patients, 12,5 % (n = 26) de mutations fonctionnelles ont été retrouvées en séquençage (un pourcentage assez constant dans la population caucasienne), avec un nombre insuffisant d’événements pour l’analyse de survie, même si le taux de réponses partielles sous géfitinib était de 37,5 % en cas de mutation (16 patients), contre 2,5 % en l’absence de mutation (116 patients). Il faut noter que 14 prélèvements avec mutation présentaient aussi un FISH positif soit 54 % des tumeurs avec mutation, 18 spécimens avec mutation ayant aussi un immunomarquage positif.
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Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 5S54-5S60
Commentaires Si l’on doit résumer ces deux articles et les intégrer à l’ensemble des résultats publiés à ce jour, il s’avère que l’utilisation de l’immunohistochimie EGFR ne peut être recommandée actuellement pour sélectionner les patients pouvant bénéficier d’un traitement par erlotinib. Ce constat serait à réévaluer au cas où l’analyse « poolée » de ces deux études (méta-analyse) venait pallier le manque de puissance et inverser les résultats, ou si l’utilisation de l’autre anticorps antiEGFR (l’anticorps Zymed) donnait des résultats différents (étude française ERMETIC en cours, Pr J. Cadranel). S’il existe encore des incertitudes quant au FISH, cette technique s’avère inappropriée pour la routine diagnostique, car trop difficile, chère et versatile à mettre en œuvre dans ce contexte. La recherche de mutations fonctionnelles du domaine tyrosine kinase de l’EGFR reste la technique qui a été la plus étudiée dans la littérature, avec les résultats les plus constants et reproductibles pour la prédiction de l’efficacité des TKI. Le développement de techniques PCR [6, 7], peu onéreuses, aisées à mettre en œuvre en routine, et de kits commerciaux, devrait très rapidement banaliser cette approche pour les laboratoires hospitaliers.
Références 1 2
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