© Masson, Paris, 2004
REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-3S60-3S67
Les associations sans platine : une alternative aux chimiothérapies conventionnelles des cancers bronchiques non à petites cellules ? J.-L. PUJOL (1), W. JACOT (1), J.-L. BRETON (2), R. GERVAIS (3), X. QUANTIN (1), P. REBATTU (4) (1) Centre hospitalier universitaire de Montpellier, Hôpital Arnaud de Villeneuve, Avenue du Doyen-Giraud, 34295 Montpellier Cedex 5. (2) Centre hospitalier de Belfort, 14, rue de Mulhouse, 90000 Belfort. (3) Centre Régional de Lutte contre le Cancer de Caen (François-Baclesse), route de Lion, 14000 Caen. (4) Centre Régional de Lutte contre le Cancer de Lyon (Léon-Bérard), 28, rue Laennec, 69008 Lyon.
RÉSUMÉ La chimiothérapie des cancers bronchiques non à petites cellules au stade avancé est fondée sur le cisplatine. Elle permet de prolonger la survie. Cependant, la toxicité élevée des associations de type doublets incluant le cisplatine impose la recherche d’alternatives. Les nouveaux cytotoxiques anti-cancéreux ont un meilleur rapport efficacité : toxicité. Les doublets sans cisplatine, fondés sur de nouvelles molécules, constituent un espoir d’améliorer la survie des malades sans détériorer leur qualité de vie. Plusieurs études randomisées, à ce jour publiées ou présentées dans la maturité de leurs résultats, suggèrent que certains doublets de nouveaux cytostatiques soient une alternative aux classiques doublets fondés sur le cisplatine. Les modifications récentes des recommandations de l’American Association of Clinical Oncology tiennent comptent de ces récents résultats en admettant que “les chimiothérapies ne contenant pas de platine puissent être utilisées comme une alternative aux chimiothérapies fondées sur le platine, en première ligne”. Cette brève revue de la littérature aborde les questions méthodologiques soulevées par les publications des études randomisées évaluant essentiellement les doublets gemcitabine-vinorelbine ou gemcitabine-taxane, en les confrontant soit à des mono-chimiothérapies, soit à des chimiothérapies de référence fondées sur le cisplatine. Les critères de jugement choisis dans de telles études sont discutés.
Mots-clés : Cancers bronchiques non à petites cellules. Chimiothérapie. Gemcitabine. Taxanes. Vinorelbine. Qualité de vie. Toxicité. Étude randomisée.
SUMMARY Do combinations without cisplatin represent an alternative to conventional chemotherapy in non-small cell lung cancers? Chemotherapy of advanced non-small cell lung cancers is based on cisplatin, which prolongs survival. However, the high toxicity of double-type combinations including cisplatin warrants the search for alternatives. New anti-cancer cytotoxic agents exhibit improved efficacy-toxicity ratio. Bitherapy, without cisplatin and with new molecules, provides hope of improvement in survival without deterioration in quality of life. Several randomised trials, already published or presented with mature results, suggest that certain bitherapies with new cytostatic agents are an alternative to the classical cisplatin-based bitherapies. The recent modifications in the guidelines of the American Association of Clinical Oncology take into account these recent results by admitting that “chemotherapy without cisplatin can be used as an alternative to the first-line platin-based chemotherapies”. This brief review of the literature underlines the methodological questions raised by the publication of randomised studies essentially assessing gemcitabine-vinorelbine or gemcitabine-taxane combinations, by confronting them with either mono-chemotherapies or reference chemotherapy based on cisplatin. The assessment criteria selected in such studies are discussed.
Key-words: Non-small cell lung cancers. Chemotherapy. Gemcitabine. Taxanes. Vinorelbine. Quality of life. Toxicity. Randomised study.
Correspondance :
[email protected]
LES CHIMIOTHÉRAPIES DE SECONDE LIGNE DANS LES CANCERS BRONCHIQUES NON À PETITES CELLULES
L
a chimiothérapie prolonge la survie des malades atteints de cancers bronchiques non à petites cellules localement avancés ou métastatiques. De nombreux essais randomisés et plusieurs méta-analyses [1, 2] permettent de soutenir une telle assertion, alors qu’elle faisait l’objet de débats passionnés il y a seulement quelques années. Le cisplatine s’est imposé comme la drogue pivot des chimiothérapies des cancers bronchiques non à petites cellules.
Le cis-diamine-dichloroplatinum II (N2Cl2PtH6) apparaît en effet en filigrane des progrès réalisés en matière de chimiothérapie. La méta-analyse amalgamant les 11 études “chimiothérapie versus soins de soutien dans les stade IV” est l’une des évidences les plus marquantes de ce rôle pivot : la chimiothérapie réduit le risque de décès des malades atteints de cancer non à petites cellules de 10 % à un an. Cet avantage en survie est statistiquement hétérogène selon que les études comparatives avaient opté pour une chimiothérapie fondée sur le cisplatine ou non. Dans le groupe des études où la chimiothérapie était fondée sur le cisplatine, la réduction de risque de mortalité était plus marquée. Aucune étude ne permet de conclure à l’équivalence d’aucun autre sel de platine dans cette indication. Le cisplatine a donc joué un rôle essentiel dans le développement de la chimiothérapie du cancer bronchique, mais cet agent assimilé aux alkylants, bien que très actif, est également toxique. L’impact sur la qualité de vie des toxicités spécifiques telles que l’ototoxicité, la neurotoxicité, l’émésis est sans doute important, bien qu’il ait été rarement mesuré. L’hyperhydratation nécessaire à la prévention de la néphrotoxicté induit un coût indirect élevé. En regard de la faible curabilité du cancer bronchique non à petites cellules avancé, il est essentiel que le traitement évolue vers un meilleur rapport activité : toxicité. Une question se pose à tout médecin prenant en charge des malades atteints de cancers bronchiques non à petites cellules : pourra-t-on demain se passer du cisplatine ? La décennie passée a vu le développement de nouvelles molécules originales par leur mode d’action et attractives par leur profil de tolérance. Leur efficacité dans le traitement des cancers bronchiques non à petites cellules a été démontrée. Le gain thérapeutique en termes de durée de survie deviendrait-il possible sans détérioration de la qualité de vie ? C’est une telle réflexion qui a stimulé le développement d’associations sans cisplatine et fondées sur des nouveaux cytotoxiques. Parmi celles-ci les associations gemcitabine-
3S61
vinorelbine et les associations gemcitabine-taxanes paraissent particulièrement prometteuses. Cet article se propose de faire l’état de cette question en privilégiant l’analyse des études randomisées déjà publiées ou présentées.
REMARQUES PRÉLIMINAIRES : LE “STADE” AVANCÉ ET LES OBJECTIFS RÉELS DE SON TRAITEMENT La littérature internationale a vu surgir le concept de cancer bronchique non à petites cellules avancé comme un sous-groupe particulier de cette maladie. Cependant, il n’y a pas de définition officiellement admise de l’adjectif “avancé”. Sous ce vocable les investigateurs regroupent généralement les malades qui souffrent, soit d’un stade IV, soit d’un stade IIIb avec épanchement pleural ou péricardique néoplasique. Il s’agit en fait d’un regroupement des malades théoriquement inéligibles pour la chirurgie ou la radiothérapie à intention curative. Par conséquent, les patients souffrant d’une métastase cérébrale unique et accessible à la neurochirurgie, comme seul critère de stade IV, sont exclus de ce groupe. Les malades atteints de cancer bronchique non à petites cellules avancé ont généralement des scores-symptômes élevés et ils sont fréquemment affectés de douleurs, de dyspnée et d’anxiété. Les survivants à long terme sont rares. Dans cette population, les critères habituellement utilisés en cancérologie ne sont pas suffisants. L’amélioration de la survie reste l’objectif principal, mais la seule démonstration d’un gain de vie ne permet pas d’accepter un traitement comme un nouveau standard. Trois autres critères sont de plus en plus souvent évalués par les études de chimiothérapie : la réduction du score-symptôme, le maintien ou l’amélioration de la qualité de vie, et un impact aussi minime que possible des toxicités. Ces derniers paramètres sont, au mieux, mesurés par des études de type “qualy” intégrant le temps sans symptôme ni toxicité [3] (TWiST ; fig. 1). Cette approche propose de considérer que la survie globale d’une cohorte de malades recevant un même traitement se décompose en trois états différents : 1. l’état TOX : qui correspond à la période de temps consacrée par les malades à leur traitement ou au temps de survie gâché par une toxicité notoire (telle qu’une hospitalisation pour sepsis) ; 2. l’état REL qui correspond à l’état de récidive ou de la progression de la maladie; 3. l’état TWiST qui correspond à une période de bien-être, sans symptôme et sans
3S62
J.-L. PUJOL et COLL.
LES DOUBLETS “GEMCITABINE-VINORELBINE”
Fig. 1. — Exemple d’analyse TWiST de la survie de malades traités par chimiothérapie exclusive. TWiST : acronyme anglais pour temps sans toxicité et sans traitement, QTWiST : Temps sans toxicité et sans traitement ajusté par la méthode des Qualy. U : coefficient d’utilité affecté d’une valeur comprise entre 0 et 1 ; Us coefficient d’utilité pour les toxicités ; Ut : coefficient d’utilité pour la toxicité (TOX) ; Ur coefficient affectant le temps pendant lequel le patient est en rechute.
toxicité. C’est l’état d’utilité réelle du traitement. Enfin, dans le contexte actuel, un traitement devrait avoir un rapport efficacité : coût favorable en regard du traitement “standard” pour être considéré comme applicable en routine.
LES DROGUES Parmi l’ensemble des nouveaux agents anti-cancéreux, la gemcitabine, un analogue spécifique de la déoxycytidine [4-7], le paclitaxel [8], prototype des taxanes, le docétaxel, un analogue semi-synthétique du paclitaxel [9] et la vinorelbine, un analogue semi-synthétique des vinca-alcaloïdes [10], ont en commun une activité anti-tumorale per se démontrée. Les malades atteints de cancers bronchiques avancés qui reçoivent l’une de ces drogues comme mono-chimiothérapie survivent plus longtemps que les malades qui n’ont que des soins de soutien. Cette assertion est soutenue par les résultats de cinq études différentes portant chacune sur l’une de ces drogues [6, 8, 10-12]. Les médicaments anti-cancéreux sus-cités ont un meilleur ratio efficacité : tolérance en comparaison avec les drogues de générations précédentes. Cela permet d’envisager l’hypothèse qu’une combinaison sans sel de platine, puisse être une alternative aux doublets classiques fondés sur le cisplatine.
Les profils de toxicité de la gemcitabine et de la vinorelbine sont assez distincts (thrombocytopénie pour la première et neutropénie pour la seconde) ; de plus, les modes d’action cellulaire sont différents. L’association des deux molécules pourrait constituer un doublet potentiellement actif dans l’indication des malades atteints de cancer bronchique non à petites cellules. La littérature internationale récente a rapporté un nombre important d’études de phase II [13-15]. L’association optimale serait la délivrance de la gemcitabine et de la vinorelbine aux jours 1 et 8 d’un cycle recommençant toutes les trois semaines. Des doses quasiment optimales de chacune des deux drogues peuvent être délivrées de manière sûre. La littérature rapporte trois études randomisées évaluant l’association gemcitabine-vinorelbine : deux d’entre elles ont comparé le doublet à une monochimiothérapie chez des sujets âgés (plus de 70 ans). La troisième compare le doublet à des associations fondées sur le platine. Les deux études comparant monochimiothérapie et doublet gemcitabine-vinorelbine apportent des conclusions conflictuelles. Dans la première étude, 120 malades âgés ont été randomisés entre vinorelbine 30 mg/m2, jours 1 et 8 et vinorelbine 30 mg/m2 plus gemcitabine 1 200 mg/m2 jours 1 et 8 [16]. Dans les deux groupes, la chimiothérapie était reprise toutes les trois semaines. La survie globale était significativement plus longue dans le groupe recevant le doublet avec une réduction du risque de décès de 52 % après ajustement des co-variables dans un modèle de Cox. Dans la deuxième étude, 698 malades âgés ont été randomisés entre trois groupes : (A) vinorelbine 30 mg/m2, jours 1 et 8, (B) gemcitabine, 1 200 mg/m2 jours 1 et 8 et (C) vinorelbine 25 mg/m2 plus gemcitabine 1 000 mg/m2 jours 1 et 8 toutes les trois semaines [17]. Il n’y avait pas de différence de taux de réponses, de survie globale et de temps jusqu’à la progression entre les trois groupes. La seule différence statistique observée était un taux de neutropénies de grades 3 et 4 significativement plus élevé dans le groupe “doublet sans platine”. Les doses de chacune des molécules étaient plus élevées lorsqu’elles étaient administrées en monochimiothérapie (bras A ou B) que lorsqu’elles étaient en doublet (bras C). C’est la seule explication apparente de la discordance des résultats de ces deux études similaires dans leur protocole et dans la population étudiée.
3S63
LES CHIMIOTHÉRAPIES DE SECONDE LIGNE DANS LES CANCERS BRONCHIQUES NON À PETITES CELLULES
La troisième étude randomisée [18] tentait de répondre simultanément à deux questions (ce qui n’est pas recommandé d’un point de vue méthodologique) : un triplet fondé sur le cisplatine (CDDP-gemcitabinevinorelbine) fait-il mieux qu’un doublet (cisplatinegemcitabine) ? Un doublet sans cisplatine fait-il aussi bien qu’un doublet fondé sur le cisplatine ? À la complexité des hypothèses, s’ajoutait la complexité du protocole, puisque le groupe sans cisplatine recevait, en fait, quatre drogues : gemcitabine-vinorelbine pour trois cycles suivi d’ifosfamide-vinorelbine pour trois cycles supplémentaires. L’étude n’est pas analysée en intention de traitement, puisque 13 des 570 malades ne sont pas évalués. Le taux de réponses objectives était significativement supérieur pour les malades recevant le triplet que pour les malades recevant la chimiothérapie sans cisplatine. Les survies globales et les temps jusqu’à progression ne différaient pas entre les trois groupes (tableaux Ia et Ib). Le triplet fondé sur le cisplatine comportait un risque de toxicité plus élevé, particulièrement en termes de myélosuppression et de risque de complications infectieuses des neutropénies de grade 3 ou 4 (19 % contre 5 % pour le doublet gemcitabine-vinorelbine). Le doublet gemcitabine-vinorelbine a également été comparé au doublet gemcitabine-cisplatine ou au doublet vinorelbine-cisplatine dans une étude de phase III [19]. Un total de 503 malades atteints de cancer non à petites cellules avancé ont été randomisés entre vinorelbine 25 mg/m2 plus gemcitabine 1 000 mg/m2 jours 1 et 8 toutes les trois semaines versus la combinaison de cisplatine 80 mg/m2 jour 1 et gemcitabine 1 200 mg/m2 Tableau Ia. — Comparaison d’un doublet fondé sur le cisplatine versus un triplet fondé sur le cisplatine versus chimiothérapie sans platine [18]. n= 557 *q 3 sem Gem 1 250 mg/m2, J1 et 8* Cis 100 mg/m2, J1*
Gem 1 250 mg/m2, J1 et 8*
Vnr 30 mg/m2, J1 et 8*
Vnr 30 mg/m2, J1 et 8*
Gem 1250 mg/m2, J1 et 8*
Cis 80 mg/m2, J1*
Puis Ifo, 3 g/m2 J1* Vnr 30 mg/m2, J1 et 8*
Gem : gemcitabine ; Cis : cisplatine ; Vnr : vinorelbine ; Ifo : ifosfamide.
Tableau Ib. — Comparaison d’un doublet fondé sur le cisplatine (GC) versus un triplet fondé sur le cisplatine (GVC) versus chimiothérapie sans platine (VG/ IV) [18]. Bras
GC
GVC
VG/IV
N
182
188
187
42 %
41 %
9,3
8,2
8,1
NS
38 %
33 %
34 %
NS
6,3
6,7
5,5
NS
Émésis
22 %
32 %
6 % 0,0001
Thrompocytopénies gr. 3-4
19 %
23 %
3 % 0,0001
Neutropénies gr. 3-4
32 %
57 %
27 % 0,0001
Taux de réponses Survie globale (mois) Survie à 1 an Temps à progression (mois)
P
27 % 0,01*
*Comparaison GVC versus VG/IV.
jours 1 et 8 toutes les trois semaines versus la combinaison de cisplatine 80 mg/m2 jour 1 et vinorebine 30 mg/ m2 jours 1 et 8 toutes les trois semaines. Les deux derniers groupes ne sont pas analysés séparément, mais comme un seul bras de randomisation, celui des malades recevant un sel de platine. En termes de qualité de vie, il n’y avait pas de changement notable selon que les malades recevaient ou ne recevaient pas le sel de platine. Cependant, les scores relevant de la fatigue et de la perte d’appétit étaient moins altérés dans le groupe gemcitabinevinorelbine. La toxicité affectant les malades recevant une chimiothérapie fondée sur le platine était plus marquée, particulièrement lorsque l’émesis et la myéolosuppression étaient considérés. Les taux de réponses objective (30 % pour les doublets fondés sur le platine versus 25 % pour gemcitabine-vinorelbine) ne différaient pas significativement de même que les taux de survie à 1 an (37 % versus 31 %). Cependant, la différence de temps jusqu’à la progression était en défaveur du doublet gemcitabine-vinorelbine (médiane 23 versus 17 semaines pour les groupes avec et sans platine respectivement, hasard ratio : 1,29 [1,10-1,52 ; p = 0,004). Cette étude rapporte donc que le doublet gemcitabine-vinorelbine est mieux toléré, mais peut-être un peu moins actif que les doublets fondés sur le platine. Il faut cependant relever que chacune des drogues, vinorelbine ou gemcitabine, était planifiée pour une dose intensité relative inférieure en comparaison avec le doublet fondé sur le platine correspondant. L’impact de ces réductions de doses dans le résultat final n’est pas connu.
3S64
J.-L. PUJOL et COLL.
LES DOUBLETS “GEMCITABINE-TAXANES” L’association gemcitabine et taxanes est une voie de recherche intéressante, en raison des modes d’action différents et de spectres de toxicité distincts (à l’exception peut-être de la toxicité pulmonaire qui serait potentialisée par ce type de doublet [20]). Chacun des deux taxanes, paclitaxel et docétaxel a été évalué en association avec la gemcitabine. Ici aussi, nous ne ferons pas état des nombreuses études de phases I et II qui ont démontré la faisabilité de ces associations ; nous développerons essentiellement les stratégies qui ont abouti à la réalisation d’études de phase III. Association gemcitabine et paclitaxel À ce jour, deux études comparant ce doublet à une association comportant un composé dérivé du platine ont été rapportées. Une première étude hellénique a comparé l’association carboplatine-paclitaxel à l’association gemcitabine-paclitaxel [21]. Un total de 329 malades atteints de cancer bronchique non à petites cellules avancé ont été inclus (tableau II). Aucune différence selon les critères conventionnels n’était observée entre les deux groupes, lorsque la survie, le taux de réponses ou les principales toxicités étaient analysés. Une analyse rétrospective des coûts n’a pas montré de différences entre les deux bras. Tableau II. — Comparaison d’une chimiothérapie fondée sur un
Une autre étude comparant le doublet gemcitabinepaclitaxel à deux autres doublets fondés sur le cisplatine a été rapportée par l’EORTC, lors de l’édition 2001 du congrès de l’ASCO [22]. Le protocole de cette étude prévoyait l’allocation de 480 malades entre trois groupes de traitement : (A) paclitaxel-cisplatine ; (B) gemcitabine-cisplatine ; (C) gemcitabine-paclitaxel. Les doses et schémas d’administration du paclitaxel étaient identiques entre les bras A et C ; il en était de même de la gemcitabine entre les bras B et C et du cisplatine entre les bras A et B. De ce point de vue, l’étude répond à une méthodologie exemplaire. Les taux de réponses ne différaient pas significativement entre les trois groupes (31 %, 36 % et 27 % pour les bras A, B et C respectivement). Les principales toxicités ne différaient pas entre les trois groupes. Par contre, les survies globales et sans progression du bras C (6,7 et 3,5 mois) étaient sensiblement inférieures à celle observées dans le bras A (8,1 et 4,2 mois) et le bras B (8,9 et 5,1 mois). La comparaison établie entre le bras C et le bras A (considéré comme bras de référence) indique une tendance statistique en défaveur du bras sans cisplatine (p < 0,044, non significatif, compte tenu de l’ajustement pour comparaisons multiples). Les principales toxicités ne différaient pas entre les trois groupes. Il est remarquable que certaines des études présentées ici, dont celle de l’EORTC détaillée ci-dessus, aient été dessinées pour démontrer une amélioration de la survie, une hypothèse peut être un peu trop optimiste. De vraies études d’équivalence devraient être pratiquées.
sel de platine au doublet gemcitabine-paclitaxel pour les CBNPC avancés [20].
Association gemcitabine-docétaxel n= 164
n = 165
Gem. 1 g/m2, J1 et J8* Pac 200 mg/m2, J1*
CBDCA AUC6 J1* Pac 200 mg/32, J1*
257
252
35 %
25 %
0,12
Temps à progression (mois)
6,1
6,3
0,36
Survie médiane (mois)
9,8
10,4
0,32
41,4 %
41,7 %
15 %
15 %
NS
7 484 euros
7 612 euros
0,66
*q 3 sem Malades évaluables Taux de réponses
Survie à 1 an Neutropénie gr. 3-4 Coût
P
Cette association a été particulièrement développée par le groupe hellénique de cancérologie. Une première publication a fait état de la faisabilité de cette association [23]. Cependant, il existe un grand nombre d’études de phase II qui ont évalué la faisabilité de différentes modalités et doses de cette combinaison. Tous les schémas ont en commun l’administration de la gemcitabine aux jours 1 et 8 de cycles répétés tous les 21 jours. L’administration du docétaxel est par contre plus variable. La plupart des études ont privilégié d’administration du docétaxel au jour 8 plutôt qu’au jour 1. Une telle planification du docétaxel a pour intérêt de limiter les risques d’omission de l’administration de la gemcitabine, car les nadirs hématologiques des deux drogues sont alors synchronisés dans la même période de repos. Les toxicités de l’association sont essentiellement hématologiques, mais elles sont faciles à gérer et ne provoquent qu’exceptionnellement des accidents de neutropénies. Par contre, la
LES CHIMIOTHÉRAPIES DE SECONDE LIGNE DANS LES CANCERS BRONCHIQUES NON À PETITES CELLULES
toxicité pulmonaire (pneumopathie interstitielle aiguë, d’évolution parfois fatale [19]), est beaucoup plus fréquente que lors de la seule utilisation de la gemcitabine. Les toxicités habituelles du docétaxel, tel que l’œdème des membres inférieurs ou l’onycholyse, ne semblent pas exacerbées par l’association avec la gemcitabine. L’étude hellénique comparant l’association gemcitabine-docétaxel à l’association cisplatine-docétaxel a été récemment publiée dans la version mature de ses résultats (tableau III) [24]. Le traitement alloué par randomisation aux 441 malades consistait soit en une association de docétaxel 100 mg/m2, jour 1 et cisplatine 80 mg/m2, jour 2, soit en l’association docétaxel 100 mg/m2, jour 1 et gemcitabine 1 100 mg/m2 délivrée aux jours 1 et 8. Dans les deux cas, le traitement était repris toutes les trois semaines. Les malades des deux groupes recevaient du granulocyte-colony stimulating factor (G-CSF), au titre de prophylaxie primaire. L’analyse de l’étude n’est malheureusement pas faite en intention de traitement puisque 14 malades du groupe cisplatine-docétaxel et 21 malades du groupe gemcitabine-docétaxel sont exclus de l’analyse pour diverses raisons, certaines pouvant tenir à des exclusions a posteriori (indice de performance rétrospectivement considéré comme supérieur à 2, par exemple). L’étude a été méthodologiquement planifiée pour mettre en évidence une différence de taux de réponses de 15 % en faveur du bras sans cisplatine. La
Tableau II. — Comparaison d’une chimiothérapie fondée sur un sel de platine au doublet gemcitabine-docétaxel pour les CBNPC avancés [24]. Variables
Gem-Doc
Cis-Doc
Patients évaluables
201 (90 %)
205 (97 %)
Réponses objectives
30 % [24-36 %]
Temps à progression (mois)
9
8
0,78
9,5
10
0,98
Survie à 1 an
39 %
42 %
0,80
Neutropénie gr. 3-4
22 %
33 %
0,01
Décès toxiques
1 % (2)
3 % (6)
0,15
Rétention d’eau
14 %
7%
0,005
Emésis gr. 3-4
2%
10 %
0,01
Survie médiane (mois)
P
3S65
prise en compte du taux de réponses comme critère de jugement dans une étude de phase III est assez inhabituelle. Comme l’indique le tableau IV, il n’a pas été mis en évidence de différence entre les deux groupes, en termes de survie globale, de survie sans progression et de taux de réponses (lesquels varient selon que l’on lit le résumé ou les tableaux). Remarquons qu’une interprétation méthodologiquement discutable provoque une confusion, dans l’article, entre “absence de différence” et “équivalence”. Les toxicités de chacun des deux groupes étaient assez différentes, les malades recevant l’association cisplatine-docétaxel étant plus fréquemment affectés par des neutropénies de grades 3 et 4, tandis que ceux qui recevaient l’association gemcitabinedocétaxel couraient plus de risques de souffrir d’œdèmes de rétention. Une étude française comparant le doublet gemcitabinedocétaxel à l’association cisplatine-vinorelbine a inclus, de septembre 1999 à avril 2001, 311 malades atteints de cancer bronchique non à petites cellules avancé. L’hypothèse de travail repose sur la détection d’une différence de temps jusqu’à la progression de deux mois en faveur du doublet sans cisplatine. Cette étude est fondée sur un essai de phase I-II qui avait permis d’établir la dose recommandée de docétaxel et un profil pharmacocinétique sans interaction [25]. Aux doses recommandées, l’association démontre une toxicité hématologique très modérée ne justifiant pas l’utilisation de G-CSF en prophylaxie primaire. L’étude de phase III prend en compte des critères de jugement additionnels importants tels que la qualité de vie et les coûts de traitement (fig. 2). Ni la survie sans progression (SSP) ni la survie globale ne différaient entre les deux groupes (SSP médiane : 4,2 et 4 mois ; survie médiane : 11,3 et 9,8 mois ; taux de survie à 1 an : 47 % et 43 % pour gemcitabine-docétaxel et
32 % [26-38 %] 0,43
Fig. 2. — Schéma de l’étude de phase III comparant l’association gemcitabine (G) docétaxel (D) à l’association cisplatine (C) vinorelbine (V) pour les cancers bronchiques non à petites cellules avancés.
3S66
J.-L. PUJOL et COLL.
cisplatine-vinorelbine respectivement). Le hasard ratio [intervalle de confiance à 95 %] dans le groupe gemcitabine-docétaxel, était de 1,04 [0,83-1,32] pour la SSP et 0,90 [0,70-1,16] pour la survie globale. Les taux de réponses objectives ne différaient pas significativement (31 % et 36 %, respectivement). La myélosuppression, l’émésis et la fréquence des neutropénies fébriles étaient plus prononcés dans le groupe cisplatine-vinorelbine en comparaison avec le groupe gemcitabine-docétaxel résultant en un taux plus élevé d’événements indésirables graves et une moins bonne compliance avec le protocole dans le groupe recevant le sel de platine. La qualité de vie globale évaluée par le questionnaire EORTC ne changeait pas significativement durant la durée du traitement sans qu’une différence entre les deux bras soit observée. Cette étude n’a pas démontré un avantage en SSP pour les malades traités par le protocole gemcitabine-docétaxel en comparaison avec ceux traités par l’association cisplatine-vinorelbine. Le taux plus élevé d’événements toxiques dans le bras standard remet en question l’utilisation dogmatique du cisplatine dans le traitement des cancers bronchiques non à petites cellules avancés [26].
EN CONCLUSION Que dire aujourd’hui des associations sans cisplatine ? La faisabilité de différents doublets est définitivement démontrée. Leur utilité l’est moins. Les études qui ont comparé des chimiothérapies conventionnelles fondées sur le platine et ces nouveaux doublets manquent souvent de la dimension humaine du traitement en termes de qualité de vie, de toxicité, de durée d’hospitalisation et de temps consacré par le malade à recevoir des soins. Alors la question est : que pourrions nous considérer comme progrès dans ce domaine ? Un impact significatif sur la survie sans aggravation de la toxicité ? Une réduction significative des toxicités et des temps de traitement pour un résultat global équivalent (sous réserve que cette équivalence soit démontrée par des études appropriées) ? Il est très difficile de faire un choix. En réalité, une augmentation réelle du temps sans toxicité et sans symptômes serait sans doute le meilleur critère de décision avant d’évoluer vers des protocoles sans cisplatine dans la pratique quotidienne. D’autres voies de traitement sont également explorées. Il est possible que certains modificateurs de la réponse biologique (thérapies ciblées) puissent faire eux aussi progresser le traitement des cancer bronchiques non à petites cellules avancés
vers un meilleur rapport efficacité : tolérance. Les deux démarches, abandon du cisplatine et adoption d’associations chimiothérapie et thérapies ciblées, ne sont pas antinomiques. Les modifications récentes des recommandations de l’American Association of Clinical Oncology tiennent comptent de ces récents résultats en admettant que “les chimiothérapies ne contenant pas de platine puissent être utilisées comme une alternative aux chimiothérapies fondées sur le platine, en première ligne” [27].
RÉFÉRENCES 1. Souquet PJ, Chauvin F, Boissel JP, et al. Polychemotherapy in advanced non small cell lung cancer: a meta-analysis. Lancet 1993;342:19-21. 2. Non-Small Cell Lung Cancer Collaborative Group. Chemotherapy in non-small cell lung cancer: a meta-analysis using updated data on individual patients from 52 randomized clinical trials. Br Med J 1995;311:899-909. 3. Gelber RD, Goldhirsh A, Cole BF. Evaluation of effectiveness: Q-TWiST. The Internetional Breast Cancer Study Group. Cancer Treat Rev 1993;19:73-84. 4. Gwyther SK, Aapro MS, Hatty SR, et al. Results of independent review of 374 patients with non-small cell lung cancer treated with gemcitabine (Gemzar). 8th world conference on lung cancer. Lung Cancer 1997;18(1s):A29. 5. Abratt R, Bezwoda W, Falkson G, et al. Drug efficacy and safety profile of gemcitabine in non-small cell lung cancer: a phase II study. J Clin Oncol 1994;12:1535-40. 6. Anderson H, Hopwood P, Stephens RJ, et al. Gemcitabine plus best supportive care (BSC) vs BSC in inoperable nonsmall cell lung cancer--a randomized trial with quality of life as the primary outcome. UK NSCLC Gemcitabine Group. Non-Small Cell Lung Cancer. Br J Cancer 2000; 83;447-53. 7. Manegold C, Drings P, Von Pawel J, et al. Single agent gemcitabine versus cisplatin etoposide: early results of a randomised phase II study in locally advanced or metastatic non-small cell lung cancer. Ann Oncol 1997;8:525-9. 8. Ranson M, Davidson N, Nicolson M, et al. Randomized trial of paclitaxel plus supportive care versus supportive care for patients with advanced non-small-cell lung cancer. J Natl Cancer Inst 2000;92:1074-80. 9. Cerny T, Kaplan S, Pavlidis N, et al. Docetaxel (Taxotere) is active in non-small cell lung cancer: A phase II trial of the EORTC-Clinical Trials Group. Br J Cancer 1994;70: 384-7. 10. The elderly lung cancer vinorelbine italian study group. Effect of vinorelbine on quality of life an sruvival of elderly patients with advanced non-small cell lung cancer. J Natl Cancer Inst 1999;91:66-72. 11. Roszkowski K, Pluzanska A, Krzakowski M, et al. A multicenter, randomized, phase III study of docetaxel plus best supportive care versus best supportive care in chemothera-
LES CHIMIOTHÉRAPIES DE SECONDE LIGNE DANS LES CANCERS BRONCHIQUES NON À PETITES CELLULES
py-naive patients with metastatic or non-resectable localized non-small cell lung cancer (NSCLC). Lung Cancer 2000;27:145-57. 12. Shepherd F, Dancey J, Ramlau R, et al. Prospective randomized trial of docetaxel versus best supportive care in patients with non-small cell lung cancer previously treated with platinum-based chemotherapy. J Clin Oncol 2000;18: 2095-103. 13. Gridelli C, Frontini L, Perrone F. Gemcitabine plus vinorelbine in advanced non-small cell lung cancer: a phase II study of three different doses. Gem Vin Investigators. Br J Cancer 2000;83:707-14. 14. Beretta GD, Michetti G, Belometti MO, et al. Gemcitabine plus vinorelbine in elderly or unfit patients with non-small cell lung cancer. Br J Cancer 2000;83:573-6. 15. Bajetta E, Chiara Stani S, De Candis D, et al. Gemcitabine plus vinorelbine as first-line chemotherapy in advanced nonsmall cell lung carcinoma a phase II trial. Cancer 2000;89:763-8. 16. Frasci G, Lorusso V, Panza N, et al. Gemcitabine plus vinorelbine versus vinorelbine alone in elderly patients with advanced non-small-cell lung cancer. J Clin Oncol 2000;18:2529-36. 17. Gridelli C, Perrone F, Gallo C, et al. Chemotherapy for elderly patients with advanced non-small-cell lung cancer: the Multicenter Italian Lung Cancer in the Elderly Study (MILES) phase III randomized trial. The MILES (multicenter Italian lung cancer in the elderly study). J Natl Cancer Inst 2003;95:341-3. 18. Alberola V, Camps C, Provencia D, et al. Cisplatin Plus gemcitabine versus a cisplatin-based triplet versus nonplatinum sequential doublets in advanced non-small-cell lung cancer: a Spanish Lung Cancer Group Phase III Randomized Trial. J Clin Oncol 2003;21:3207-13. 19. Gridelli C, Gallo C, Shepherd FA, et al. Gemcitabine plus vinorelbine compared with cisplatin plus vinorelbine or cisplatin plus gemcitabine for advanced non–small-cell lung cancer: A phase III trial of the Italian GEMVIN inves-
3S67
tigators and the national cancer institute of Canada clinical trials group. J Clin Oncol 2003;21:3025-34. 20. Dunsford M, Mead GM, Bateman A, et al. Severe pulmonary toxicity in patients treated with a combination of docetaxel and gemcitabine for metastatic transitional cell carcinoma. Ann Oncol 1999;10:943-7. 21. Kosmidis P, Mylonakis N, Nicolaides C, et al. Paclitaxel plus carboplatin versus gemcitabine plus paclitaxel in advanced non-small-cell lung cancer: a phase III randomized trial. J Clin Oncol 2002;20:3578-85. 22. Smit EF, van Meerbeeck JP, Lianes P, et al. Three-arm randomized study of two cisplatin-based regimens and paclitaxel plus gemcitabine in advanced non-small-cell lung cancer: a phase III trial of the European Organization for Research and Treatment of Cancer Lung Cancer Group EORTC 08975. J Clin Oncol 2003;21:3909-17. 23. Georgoulias, Kouroussis C, Androulakis N, et al. Frontline treatment of advanced non-small-cell lung cancer with docetaxel and gemcitabine: a multicenter phase II trial. J Clin Oncol 1999;17:914-20. 24. Georgoulias V, Papadakis E, Alexopoulos A, et al. Platinum-based and non-platinum-based chemotherapy in advanced non-small-cell lung cancer: a randomised multicentre trial. Lancet 2001;357:1478-84. 25. Rebattu P, Quantin X, Ardiet C, et al. Dose-finding, pharmacokinetic and phase II study of docetaxel in combination with gemcitabine in patients with inoperable nonsmall cell lung cancer. Lung Cancer 2001;33:277-87. 26. Pujol JL, Breton JL, Gervais R, et al. Gemcitabine-docetaxel (GD) versus vinorelbine-cisplatin (VC) in advanced non-small cell lung cancer (NSCLC): a phase III study. Abstract 222. 10th World Conference on Lung Cancer. Vancouver August 15th, 2003. Lung Cancer 2003; 41:65. 27. American Society of Clinical Oncology treatment of unresectable non-small-cell lung cancer guideline: update 2003. Adopted on September 8, 2003, by the American Society of Clinical Oncology. J Clin Oncol 2004;22:330-53.