Prévention et traitement de l’obésité : le piège de la portion

Prévention et traitement de l’obésité : le piège de la portion

Pour la pratique J.-L. Schlienger Service de médecine interne et nutrition, Hôpital de Hautepierre, CHRU, Strasbourg, France. Prévention et traitem...

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Pour la pratique

J.-L. Schlienger

Service de médecine interne et nutrition, Hôpital de Hautepierre, CHRU, Strasbourg, France.

Prévention et traitement de l'obésité : le piège de la portion

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Correspondance : Jean-Louis Schlienger

Service de médecine interne et nutrition Hôpital de Hautepierre - CHRU 67098 Strasbourg cedex [email protected] © 2008 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

extraordinaire augmentation de la prévalence de l’obésité de l’enfant au cours des 20 dernières années n’a pas manqué d’interpeller parents, éducateurs et parlementaires. Ces derniers en ont fait une grande cause de santé publique et ont pris des mesures réglementaires en dépit d’un lobbying particulièrement actif avec, entre autres, la suppression des distributeurs de boissons et d’aliments sucrés dans les établissements scolaires et l’obligation d’assortir les publicités de produits alimentaires de conseils d’équilibre et de diversification alimentaire inspirée de celle du PNNS. Ces moyens peuvent paraître dérisoires face à l’ampleur du problème qui relève d’une stratégie de prévention complexe et multifactorielle portant sur l’ensemble des facteurs nutritionnels, biologiques, comportementaux et sociologiques modifiables impliqués dans la pathogénie de l’obésité. Ils ne dispensent pas d’une action individuelle visant à optimiser les habitudes alimentaires et à augmenter l’activité physique. Les grandes injonctions ne se traduisent dans les faits que si les individus parviennent à se les approprier de façon concrète grâce à des actions éducatives. L’exemplarité des repas à la table familiale ou à la cantine scolaire, la limitation du temps passé devant un écran (télévision, ordinateur, console de jeux) et l’incitation à pratiquer une activité physique sont autant de moyens validés par une méta-analyse [1]. L’environnement alimentaire apparaît particulièrement important, mais il reste à trouver des moyens simples de l’améliorer. L’attention apportée à la taille des portions s’inscrit dans cet objectif dans la mesure où elle est un déterminant, conscient ou non, de l’apport énergétique qui concerne

Médecine des maladies Métaboliques - Octobre 2008 - Vol. 2 - N°5

tous les consommateurs quel que soit leur âge.

La stratégie de la portion Partant du principe simple que la prise de poids résulte d’un différentiel positif entre les entrées et les dépenses d’énergie, l’objectif premier de la prévention de l’obésité ou de son traitement consiste à réduire les premières et à augmenter les secondes de façon durable. L’expérience prouve que ces propositions frappées au coin du bon sens sont difficiles à mettre en œuvre. La pratique d’une activité physique reste souvent au stade des intentions et la prescription d’un régime restrictif n’a en général qu’un effet transitoire. Il est vrai que l’auto-estimation des ingesta est un exercice difficile qui fait appel à une capacité de distanciation et à des connaissances et des moyens techniques (atlas photographique, pesée des aliments) qui ne sont pas le propre du mangeur. D’où l’idée simple de s’en prendre à la taille des portions par le biais des contenants, puisque nombre d’aliments se présentent aujourd’hui sous la forme d’un conditionnement. Un discours sur la taille des portions est plus facile à tenir qu’un développement sur les acides gras saturés, l’index glycémique ou les acides gras trans. Il ne s’agit pas ici de troquer les vérités nutritionnelles pour des consignes au rabais mais de faire preuve d’un pragmatisme pour mieux faire mouche. La stratégie de la portion se fonde sur l’assertion qu’elle est quantitativement satisfaisante quand le poids est normal, et excessive quand le poids est élevé.

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Pour la pratique Qu’est-ce qu’une portion ? Les ingesta sont composés de plusieurs portions dont la taille, pour certaines d’entre elles est dictée par la taille du contenant. Dans un monde de superlatif, la présentation des aliments manufacturés et la restauration rapide ou populaire met volontiers en avant l’argument du volume pour inciter à l’achat. Les qualificatifs de « géant », « jumbo », « maxi » sont perçus par les consommateurs comme une valeur ajoutée, notamment par les plus jeunes qui y voient une façon de se rapprocher des pratiques des adultes et de transgresser. Plusieurs arguments font que la taille des portions et des conditionnements est surdimensionnée. Certaines actions promotionnelles « offrant » 20 % ou 30 % de plus pour le même prix, séduisent l’acheteur par de grands volumes de type « discount » dont le prix est relativement moindre que le même produit dans un conditionnement standard. Il en est de même au restaurant où « en avoir pour son argent » se résume à en avoir beaucoup et même davantage avec, par exemple, une grande assiette de pâtes à la bolognaise qui à elle seule représente plus que la dotation énergétique souhaitable de tout un repas. Il n’est que de voir la préférence des clients de la restauration rapide ou le volume relègue souvent dans l’ombre les autres critères de qualité. En ces temps de pouvoir d’achat vacillant et de campagne en faveur d’une alimentation plus équilibrée, comment trouver un juste milieu entre de grands volumes d’aliments à forte densité énergétique - proportionnellement moins chers et servis généreusement - et des portions conséquentes d’aliments à forte densité nutritionnelle – plus chers et souvent qualifiés d’accompagnement ? Que dire encore des boissons presque toujours sucrées vendues en grand conditionnement… Dans la restauration rapide fréquentée par les plus jeunes, plusieurs tailles de verre ou de gobelets sont pro-

posées, mais c’est le prix des « maxi » et des « jumbos » qui est le plus incitatif. En avoir plus pour à peine plus cher... En avoir plus pour davantage de plaisir… qui ne résisterait pas à cette offre ? Cette stratégie entraîne peu à peu une dérive de la notion de taille d’une portion dans le quotidien. Les grandes tailles sont importées à la table familiale et s’imposent comme de nouvelles normes. Sans avoir le tracassin, faisons nôtres les propositions un peu sévères, mais combien proches de la vraie vie, formulées par Debbi Lucus [2] consistant à gérer son poids en contrôlant les portions. • Aider les sujets à identifier la taille de leurs portions à domicile en les rendant attentifs à la taille de l’assiette, du verre, du bol, de la tasse et d’autres ustensiles de cuisine par analogie avec des volumes standardisés. • Utiliser des ustensiles plus petits. Remplir une assiette de taille moyenne ou une grande assiette donne la même impression de plénitude et conduit au même sentiment de rassasiement pour un apport énergétique presque moitié moindre… alors qu’une portion standard servie dans une grande assiette laisse une impression de manque, génératrice de frustration, avec une incitation à se resservir. • Augmenter la densité nutritionnelle et réduire la densité énergétique en remplissant l’assiette pour moitié de légumes et pour moitié de ce qu’il est convenu d’appeler le « plat de résistance » protidoglucido-lipidique et donc énergétique. • Acheter de petits conditionnements. Les enquêtes confirment qu’acheter plus, fait manger davantage. Les habitués des magasins « hard discount » devraient reconditionner leurs achats dans des sachets en plastique correspondant à l’équivalent d’une portion souhaitable. • Identifier la taille d’une portion, soit après pesée, soit en la comparant à des objets de référence. La taille de la viande ne devrait pas excéder la surface de la

paume de la main, celle du poisson peut être comparée à celle de la main. Une portion de fromage correspond à la taille d’un pouce. Le beurre ajouté ne devrait pas dépasser l’équivalent d’une cuillère à café par jour. Le fruit de référence est la pomme ou l’orange ou à défaut la poignée pour les baies, les cerises et les raisins. L’exercice est plus difficile au restaurant et tout dépend du type de restaurant. Dans les restaurants de gamme moyenne, l’usage veut que l’on serve la même quantité pour un que pour deux convives… reste alors la solution du « doggy bag » que l’usage et le restaurateur réprouvent, ou celle de choisir des restaurants qui proposent des demiparts (cela existe !) et des boissons au verre. La portion ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt et la prise en charge nutritionnelle ne saurait se résumer à cet aspect trivial. Elle n’est qu’un moyen d’action simple, facile à mettre en œuvre au quotidien. Sensibiliser un sujet à une portion adaptée à ses besoins est une façon de le rendre attentif à son comportement alimentaire global et à la pression exercée par l’environnement alimentaire et lui permettre d’adapter le contenant au contenu et le contenu au contenant, en choisissant chaque fois que cela est possible la plus petite portion, sachant que la consommation de crudités et de légumes constitue un espace de liberté indispensable. Les métaphores de l’équilibre alimentaire – la pyramide alimentaire ou le voilier – et les conseils d’activité physique conservent toute leur place à une époque caractérisée par un gradient de plus en plus défavorable entre les apports et les dépenses énergétiques.

Références [1] Stice E, Shaw H, Marti CN. A meta-analytic review of obesity prevention programs for children and adolescents: the skinny on interventions that work. Psychol Bull 2006;132:667-91. [2] Lucus D. Portion distortion. Prev Cardiol 2008;11:121-2.

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