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The´ rapeutique
Mise au point
Presse Med. 2008; 37: 1793–1801 ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Prise en charge des spasticités douloureuses : pourquoi et comment utiliser les blocs locorégionaux ? Éric Viel1, Frédéric Pellas2, Jacques Ripart1, Jacques Pélissier2, Jean-Jacques Eledjam3
1. Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, pôle anesthésie-réanimationsdouleur-urgences, groupe hospitalo-universitaire Caremeau, faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, 30029 Nîmes Cedex 9, France 2. Unité de prise en charge des cérébrolésés, service de médecine physique et réadaptation fonctionnelle, groupe hospitalo-universitaire Caremeau, faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, 30029 Nîmes Cedex 9, France 3. Service des urgences et SAMU 34, hôpital Lapeyronie, centre hospitalier universitaire, faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, 34295 Montpellier Cedex 5, France
Correspondance : Éric Viel, centre d’évaluation et de traitement de la douleur, groupe hospitalouniversitaire Caremeau, rue du Professeur Debré, 30029 Nîmes Cedex 9, France.
[email protected]
Key points Peripheral nerve blocks and spasticity. Why and how should we use regional blocks? Muscle spasticity causes pain, disability, and difficulties in the rehabilitation of patients with cerebrovascular lesions, head, brain or spine trauma, coma, or neurologic diseases such as multiple sclerosis, amyotrophic lateral sclerosis, or cerebral palsy. Regional blocks have a threefold use in patients with painful spasticity: diagnostic, prognostic, and therapeutic. Blocks are feasible on an outpatient or day-hospital basis. Blocks are applied most often to 4 peripheral sites: the pectoral nerve loop, median, obturator, and tibial nerves. The main indication is debilitating or painful spasticity. Peripheral blocks with local anesthetics are used as tests, to mimic the effects of motor blocks and determine their potential adverse effects, transiently and reversibly. Peripheral neurolytic blocks are easy to perform, effective, and inexpensive.
tome 37 > n812 > décembre 2008 doi: 10.1016/j.lpm.2008.07.007
Points essentiels La contracture spastique de divers groupes musculaires est une source classique de douleur et de handicap qui obère les possibilités de réhabilitation et d’autonomisation des patients cérébrolésés, des blessés médullaires et de patients ayant certaines affections neurologiques dégénératives (sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique. . .), voire d’une infirmité motrice d’origine cérébrale. . . Les blocs locorégionaux (blocs-test aux anesthésiques locaux, blocs neurolytiques) sont utilisés pour traiter la spasticité douloureuse, comme un triple outil : de diagnostic différentiel, de pronostic de l’efficacité des traitements et/ou de thérapeutique. La prise en charge s’effectue sur le mode ambulatoire ou en hospitalisation de jour. Quatre sites nerveux périphériques sont couramment abordés : l’anse des pectoraux, les nerfs médian, obturateur et tibial. L’indication est l’existence d’une spasticité douloureuse et/ou fonctionnellement gênante, compromettant la réalisation de l’acte moteur et/ou entraînant des attitudes articulaires vicieuses.
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Disponible sur internet le : 4 septembre 2008
É Viel, F Pellas, J Ripart, J Pélissier, J-J Eledjam
Les blocs périphériques aux anesthésiques locaux sont utilisés à titre de test précédant le traitement de la spasticité par neurolyse périphérique ou par injection intramusculaire de toxine botulique. . . Le but est de reproduire de manière temporaire et réversible les effets d’un bloc moteur, afin d’en mesurer l’efficacité et les éventuels effets secondaires. Les blocs neurolytiques constituent une approche simple, efficace et de coût peu élevé.
L
es blocs nerveux des membres font partie de longue date de l’arsenal thérapeutique des anesthésistes impliqués dans l’évaluation et le traitement des douleurs aiguës et chroniques. Si les applications thérapeutiques en sont relativement bien connues, il n’en va pas de même de leur utilisation à but diagnostique et pronostique, encore sous-utilisée [1]. Le but est avant tout de contribuer à établir un diagnostic différentiel entre une spasticité musculaire et une rétraction tendinomusculaire que les seules données cliniques n’ont pu préciser. Les blocs sont également utilisés à titre pronostique afin de déterminer, par un effet temporaire, ce que serait l’effet sur la spasticité d’un traitement définitif tel qu’une neurolyse pharmacologique ou qu’une injection intramusculaire de toxine botulique [2,3]. Ils s’intègrent donc dans la stratégie de décision thérapeutique face à une spasticité [4] et complètent une approche clinique et anamnestique rigoureuse. L’utilisation de ces blocs nerveux périphériques ne nécessite pas une hospitalisation conventionnelle : la pratique ambulatoire est l’option la plus fréquente avec l’hospitalisation de jour, cette dernière permettant en outre l’approche multidisciplinaire combinée en une seule fois (neurologue, rééducateur, médecin de la douleur. . .) [5]. La relative méconnaissance de ces techniques et des stratégies qui en découlent d’une part, leur réelle sous-utilisation d’autre part justifient une mise au point sur les possibilités offertes par ces techniques dérivées des techniques d’anesthésie locorégionale.
Blocs pronostiques et diagnostiques Les blocs périphériques aux anesthésiques locaux (AL) sont utilisés à titre de test dans le cadre du traitement de la spasticité. L’injection première d’un AL permet ainsi d’éviter
Glossaire
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AL Anesthésiques locaux AVC Accident vasculaire cérébral IMOC Infirmité motrice d’origine cérébrale
d’injecter d’emblée la solution lytique [6,7]. Le but est de reproduire de manière transitoire et réversible les effets d’un bloc moteur, afin d’une part d’en mesurer l’impact fonctionnel (marche, préhension, habillage, soins infirmiers. . .) et d’autre part d’apprécier les éventuels effets adverses de ces techniques [2]. Cette pratique est en réalité ancienne puisqu’en 1919 déjà, Liljestrand et Magnus [8] montraient expérimentalement au niveau du triceps sural une diminution de la spasticité après injection intramusculaire de procaïne. C’est en fait en 1924 que Walsche [9] devait développer les premiers blocs périphériques dans le cadre de la spasticité. Plus près de nous, en 1979, Zancolli [10] rapportait les résultats de stratégies chirurgicales de la spasticité déterminées par la réalisation préalable de blocs moteurs anesthésiques.
Aspects techniques Les techniques de repérage des troncs nerveux ont considérablement varié au fil des années. Pierrot-Desseiligny et al [11] proposaient en 1970, une technique de stimulation électrique percutanée du nerf tibial basée sur l’obtention d’une paresthésie ou d’une douleur traçante signant la localisation du nerf recherché. Plus tard, d’autres équipes proposaient l’utilisation de cathéters (identiques aux cathéters de canulation veineuse) reliés à un stimulateur nerveux électrique pour repérer le tronc nerveux par l’obtention de la réponse motrice correspondante. D’autres techniques étaient fondées sur le repérage des « points moteurs », dont il existe une cartographie détaillée, à la superficie des masses musculaires [6]. À l’heure actuelle, le matériel et les techniques ne différent en rien de ceux utilisés pour l’anesthésie locorégionale (neurostimulateur, aiguilles gainées) [12,13]. L’AL, dont la nature peut varier, est injecté après obtention de la réponse motrice recherchée et test d’aspiration. Aucun recul n’existe encore sur l’éventuel repérage par échographie, mais il est probable que cette technique se développe dans les années à venir. Si l’on souhaite un bloc-test de courte durée, la lidocaïne doit être utilisée. Si l’on souhaite un effet plus prolongé, par exemple lorsque une analyse informatisée de la marche est programmée, un AL de plus longue durée d’action doit être préféré. La ropivacaïne (NaropeineW) paraît alors l’agent de choix en raison de sa moindre cardiotoxicité potentielle en cas d’injection intraveineuse accidentelle. L’inscription tome 37 > n812 > décembre 2008
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de ces blocs dans le cadre du traitement de la douleur ne doit en effet pas être prétexte à une paupérisation des moyens mis en oeuvre par comparaison aux habituelles conditions de sécurité qui doivent entourer la pratique anesthésique. Ainsi, comme lors de toute anesthésie locorégionale, une voie veineuse périphérique est préalablement mise en place, ainsi que le monitorage habituel. Chez les malades particulièrement anxieux, il peut être intéressant d’administrer un agent anxiolytique 45 à 60 minutes avant la réalisation du geste. Un environnement plus « lourd » est nécessaire chez les malades dans l’impossibilité de coopérer à la réalisation de ces gestes (malades agités ou déments), chez l’enfant (douleur, agitation) et chez la plupart des infirmes moteurs d’origine cérébrale. C’est notamment le cas si le traitement entrepris comporte plusieurs blocs périphériques, qui sont alors réalisés en une seule séance, sans dépasser les doses maximales usuelles de l’AL choisi. Les gestes sont dans ce cas réalisés sous anesthésie générale de durée brève, dans les conditions de sécurité indispensables à la pratique de l’anesthésie, ainsi qu’à la surveillance postinterventionnelle.
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Figure 1 Contracture spastique des muscles fléchisseurs de la main et du poignet
Aspects cliniques
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Figure 2 Repérage du nerf obturateur sous amplificateur de brillance : installation du patient sur une table de radiologie
du muscle biceps brachial), nerf ulnaire, plexus lombaire par voie paravertébrale (spasticité du muscle psoas). . . L’utilisation d’un neurostimulateur, et depuis peu de l’échographie, associée à de bonnes connaissances anatomiques, permet d’affiner les indications pronostiques en réalisant des blocs de plus en plus distaux. C’est le cas par exemple au membre inférieur ou le bloc du nerf tibial dans sa globalité au creux poplité peut être remplacé par la pratique successive d’un bloc du nerf du jambier postérieur puis d’un bloc du nerf postérieur et supérieur du soléaire [18]. D’autres travaux font également état de blocs
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Quatre sites nerveux périphériques sont couramment abordés dans notre expérience [5,12,13] : l’anse des pectoraux et le nerf médian au membre supérieur, le nerf obturateur et le nerf tibial (et ses branches) au membre inférieur. Le bloc pour spasticité du muscle grand pectoral fait appel à l’abord de l’anse des pectoraux [14], technique tout à fait originale dans la mesure où ce bloc n’est pas employé en pratique anesthésique habituelle. L’abord peut être réalisé en deux points situés sur une ligne reliant l’articulation sternoclaviculaire au sommet du creux axillaire. Le premier point correspond à l’union tiers moyen - tiers externe de cette ligne, le second à l’union tiers moyen - tiers interne. Ces deux localisations correspondent sensiblement aux points moteurs interne et externe du grand pectoral sur la cartographie classique des points moteurs. Le nerf médian (spasticité des muscles palmaires et fléchisseurs de la main) (figure 1) est abordé à la face antérieure du coude, au bord médial de l’artère humérale. Le repérage du nerf obturateur fait appel à la combinaison de la neurostimulation et de la radioscopie [13]. Le positionnement correct sous amplificateur de brillance (incidence 3/4 obturateur) (figure 2) permet en effet d’obvier aux difficultés générées par l’attitude particulière de ces malades porteurs d’une spasticité des muscles adducteurs de la cuisse [13,15,16]. Le nerf tibial (spasticité du muscle triceps sural) est abordé au creux poplité [17], où il importe de bien différencier la réponse motrice à la stimulation du nerf tibial d’une part (flexion plantaire de la cheville) et du nerf péronier commun d’autre part (flexion dorsale de la cheville). D’autres troncs nerveux sont moins fréquemment abordés : nerfs du sus-scapulaire et/ou du grand rond (spasticité des muscles rotateurs de l’épaule), nerf musculocutané (spasticité
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sélectifs des branches terminales du nerf fémoral (nerfs du vaste médial, du vaste latéral. . .) [19,20].
Indications L’indication est l’existence d’une spasticité fonctionnellement gênante et douloureuse et/ou compromettant la réalisation de l’acte moteur et/ou susceptible d’entraîner des attitudes articulaires vicieuses [12,21]. Quelle que soit la localisation de la spasticité, l’existence d’une douleur sévère lors de toute tentative pour mobiliser une articulation empêche toute réadaptation fonctionnelle efficace. L’indication optimale est la spasticité d’apparition récente, avant que les phénomènes de rétraction capsulaire articulaire et d’involution fibreuse des éléments musculotendineux n’apparaissent. Une injection neurolytique n’est réalisée que si l’injection-test de l’AL a permis une réduction significative de la spasticité. La spasticité a des causes variées. L’une des indications les plus fréquentes est l’hémiplégie en phase initiale, avant le sixième mois d’évolution, lorsque, au membre inférieur, la spasticité du muscle soléaire compromet l’acquisition d’une marche stable, harmonieuse et performante [12,14]. À la même période, elle peut être indiquée lorsqu’une spasticité du grand pectoral favorise l’apparition d’un syndrome algodystrophique du membre supérieur. Dans la phase secondaire, au-delà du sixième mois, la neurolyse chimique est indiquée lorsqu’une spasticité des muscles fléchisseurs de la main et du poignet est responsable d’une griffe en flexion, douloureuse et invalidante. Les grandes indications se trouvent de fait dans les hémiplégies consécutives à un accident vasculaire cérébral. En résumé [3,4], les blocs anesthésiques « représentent une étape [. . .] nécessaire et souvent décisive de l’évaluation du patient spastique. Le principal intérêt du bloc moteur est d’anticiper un nouvel équilibre fonctionnel et de simuler le traitement. La maîtrise du mécanisme intime du trouble moteur en fait un outil diagnostique performant et est à l’origine d’un meilleur ajustement de [nos] propositions thérapeutiques ».
Blocs thérapeutiques
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Outre la chirurgie (orthopédie et neurochirurgie), plusieurs approches thérapeutiques ont été proposées pour traiter la spasticité [12–14,22,23]. L’approche pharmacologique (dantrolène baclofène. . .) est parfois incomplètement efficace ou d’une efficacité transitoire et ces traitements ne sont en outre pas dénués d’effets secondaires, en particulier au plan hépatique. Ailleurs, le programme de rééducation peut nécessiter de conserver, voire d’utiliser une spasticité du membre inférieur tout en souhaitant la faire disparaître au membre supérieur, nécessitant de fait une approche plus régionale que systémique. Une approche plus récente consiste à utiliser les injections de toxine botulinique [7,14], au niveau même des muscles spastiques, et constituent une approche plus récente, dont l’efficacité est validée. L’obstacle principal à une large exten-
sion de l’utilisation de la toxine réside, non pas tant dans son coût relativement élevé, mais dans l’existence de doses maximales à ne pas dépasser. L’effet en est de plus temporaire, imposant souvent des réinjections périodiques. Les blocs neurolytiques, grâce à l’utilisation de techniques de repérage fiable, constituent une approche simple et efficace, qui se caractérise en outre par un prix de revient extrêmement peu élevé [2,24]. Elle est au mieux précédée par la pratique de blocs-tests aux anesthésiques locaux [11], parfois complétée par une étude électrophysiologique [25]. La neurolyse chimique est une méthode déjà fort ancienne, proposée dans diverses indications à visée analgésique [26,27] et dans le traitement de la spasticité [14]. Les neurolyses périphériques peuvent être pratiquées au niveau de la plupart des troncs et plexus, y compris les paires crâniennes et leurs branches [26–28]. L’utilisation des blocs neurolytiques, initialement proposée par Tardieu pour traiter la spasticité chez les patients ayant une infirmité motrice d’origine cérébrale (IMOC), reconnaît à l’heure actuelle l’essentiel de ses indications dans le traitement des séquelles spastiques des hémiplégies et des paraplégies [29]. Les techniques d’alcoolisation se sont vues longtemps reprocher un effet trop transitoire et un taux d’échec important, régulièrement supérieur à 30 %. Par comparaison aux techniques classiques, « à l’aveugle », longtemps utilisées par les médecins rééducateurs, le repérage par neurostimulation [12,13], technicité directement transférée des techniques d’anesthésie locorégionale, améliore les taux de succès, qui avoisinent régulièrement 100 % [12–14,23]. Le choix de la solution lytique se porte fréquemment sur l’éthanol, proposé dès 1914 par Gordon, puis par Labat en 1933. Ses effets varient avec la concentration utilisée. À 958, les lésions neuronales ne sont pas sélectives et s’étendent fréquemment aux tissus de voisinage, tandis que l’on décrit des altérations plus variables aux concentrations inférieures à 808. Dans le traitement de la spasticité, nous utilisons l’éthanol à la concentration de 658 qui agit en détruisant les fibres g, interrompant ainsi le réflexe monosynaptique d’étirement, support de la réponse spastique. L’éthanol provoque l’extraction du cholestérol, des phospholipides et des cérébrosides et la précipitation des muco- et des lipoprotéïnes, Au niveau des nerfs périphériques, les lésions observées intéressent à la fois les axones et les cellules de Schwann, et l’on note une destruction partielle des gaines de myéline. D’autres agents sont proposés comme le phénol (5 à 12 %) qui induit des lésions neurales sévères, de même nature que celle induites par l’alcool, généralement accompagnées de lésions vasculaires importantes, ce qui conduit fréquemment à préférer l’alcool éthylique. Enfin, la littérature permet de trouver, plus rarement, l’utilisation d’autres agents neurolytiques (glycérol, anesthésiques locaux à forte concentration). Les grandes indications se retrouvent dans les hémiplégies consécutives à un accident vasculaire cérébral (AVC), qu’il soit tome 37 > n812 > décembre 2008
Prise en charge des spasticités douloureuses : pourquoi et comment utiliser les blocs locorégionaux ?
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la conséquence d’un infarctus ou d’une hémorragie cérébrale [14]. Toutes les pathologies causes de spasticité se rencontrent : traumatismes crânio-encéphaliques et/ou rachidiens, comas chroniques, maladies dégénératives ou d’origine génétique (sclérose en plaques, sclérose latérale amyotrophique, maladie de Friedreich, maladie de Little. . .). L’indication princeps de Tardieu, chez les patients ayant une IMOC, reste évidemment d’actualité.
Spasticité douloureuse de la jambe et du pied La spasticité d’un ou plusieurs groupes musculaires (triceps sural, jambier postérieur, long fléchisseur des orteils, fléchisseur propre de l’hallux) contribue au pied spastique varus équin, auquel s’associe fréquemment un genu recurvatum. Il en résulte une perturbation majeure de l’appui plantigrade et
Figure 4 Positionnement schématique de l’aiguille dans le foramen obturateur et positionnement de l’aiguille de neurostimulation (aiguille de longueur 100 mm) avant la division du nerf en branches antérieure et postérieure
de la marche. L’alcoolisation du nerf tibial, ou parfois du seul nerf postérieur et supérieur du soléaire puisque ce dernier muscle est le « coupable » le plus fréquemment en cause [25,30], permet de retrouver un angle positif de flexion dorsale et de faire secondairement disparaître le varus : l’appui redevient possible, permettant de débuter un nouveau programme de réadaptation à la marche et, à terme, un abandon de l’orthèse.
Spasticité douloureuse des adducteurs de cuisse
Repérage radiologique du foramen obturateur et positionnement de l’aiguille de neurostimulation (aiguille de longueur 100 mm)
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Figure 3
La spasticité douloureuse des adducteurs de cuisse [13,16,22,29,31] est responsable d’une adduction excessive du membre inférieur à la marche (le malade « croise » les membres inférieurs) et d’une adduction non réductible empêchant les soins de toilette et d’hygiène. Le repérage du nerf obturateur dans le foramen homonyme, avant sa division en
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Figure 5 Effet du bloc neurolytique du nerf obturateur sur le score de spasticité des adducteurs (score en 4 points : 0 = adduction aisée à 458; 1 = adduction à 458 nécessitant un effort modéré ; 2 = adduction à 458nécessitant un effort majeur ; adduction à 458 impossible). (J0- : avant le bloc ; J0+ : 15 minutes après le bloc ; J20 : vingt jours ; J60 : un mois ; J120 : quatre mois), d’après [13], (* p < 0,05 ; ***p < 0,001)
ses contingents antérieur et postérieur, est permis par une technique originale développée dans notre équipe [13], combinant la radioscopie et la neurostimulation percutanée (figures 3 et 4). Une série rapportée en 2002 [13] fait état des résultats obtenus chez des patients porteurs d’une spasticité des muscles adducteurs de cuisse, toutes causes confondues (traumatisme crânio-encéphalique et/ou médullaire, AVC, sclérose en plaques). L’évaluation à 1, 2 et 4 mois montrait une efficacité pérenne sur la spasticité (figure 5), sur la douleur et sur un score d’hygiène évaluant notamment les possibilités de toilette périnéale. Le coût de la technique restait par ailleurs très faible par comparaison à d’autres stratégies de traitement de la spasticité des membres. In fine, la neurolyse autorise le ré-apprentissage d’un schéma de marche moins perturbé, grâce à un angle d’abduction de hanche significativement accru et à la disparition du croisement du pas.
Spasticité douloureuse du membre supérieur
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La spasticité s’intègre dans le schéma en flexion du membre supérieur hémiplégique, atteignant le triceps ou le biceps et surtout les muscles palmaires et fléchisseurs des doigts. Ce phénomène est responsable de l’attitude en flexion du poignet et de la griffe (figure 1), qui rendent illusoire toute récupération de la préhension. La disparition des phénomènes spastiques améliore en outre l’hygiène locale et facilite l’adaptation d’orthèses spécifiques. Selon la topographie de la spasticité musculaire, tous les nerfs moteurs correspondants sont accessibles à la neurolyse : le nerf musculocutané pour la spasticité des muscles biceps brachial et brachial antérieur, le nerf médian pour la spasticité des muscles
fléchisseurs du poignet et de la main sont les plus fréquemment traités.
Spasticité douloureuse du grand pectoral La spasticité douloureuse du grand pectoral est fréquente et à l’origine d’une part non négligeable de la douleur et de l’incapacité fonctionnelle de l’hémiplégique spastique [14,32–34]. Cette dernière comprend la laxité glénohumérale et la spasticité du grand pectoral. La capsule de l’articulation glénohumérale est distendue et tout mouvement d’abduction/rotation externe de l’épaule (habillage, toilette. . .) « réveille » la spasticité : le grand pectoral tracte alors la tête humérale vers l’avant, contribuant à pérenniser la distension et les lésions capsulaires. La neurolyse s’adresse ici à l’anse des pectoraux, structure anatomique correspondant aux nerfs pectoral médial et pectoral latéral, tous deux branches du plexus brachial. Les résultats montrent une réduction significative des scores de spasticité et de douleur après le bloc neurolytique (figures 6 et 7). La survenue concomitante d’un syndrome algodystrophique est une complication redoutable et fréquente chez ces malades. Elle entraîne des phénomènes douloureux parfois sévères, majore l’impotence liée au déficit moteur et/ou aux troubles sensitifs et s’accompagne à terme d’un enraidissement douloureux de l’épaule (rétraction capsulaire, sub-luxation invétérée de la tête humérale). Les mesures d’installation et de mobilisation correcte visant à préserver la coaptation glénohumérale et la suppression de la spasticité, par la neurolyse [34], contribuent à une réduction drastique de l’incidence de l’algodystrophie. tome 37 > n812 > décembre 2008
Prise en charge des spasticités douloureuses : pourquoi et comment utiliser les blocs locorégionaux ?
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Figure 6 Effet du bloc neurolytique de l’anse des pectoraux sur le score de spasticité (échelle d’Ashworth) (* p < 0,05 ; ***p < 0,001) (J0- : avant le bloc ; J0+ : 15 minutes après le bloc ; J20 : vingt jours ; J60 : un mois ; J120 : quatre mois), d’après [31]
Figure 7 Effet du bloc neurolytique de l’anse des pectoraux sur le score de douleur (* p < 0,05 ; ***p < 0,001) (J0- : avant le bloc ; J0+ : 15 minutes après le bloc ; J20 : vingt jours ; J60 : un mois ; J120 : quatre mois), d’après [31]
Une douleur locale, d’intensité variable et de durée brève, est fréquente lors de l’injection de la solution neurolytique. Cette douleur peut être atténuée en diluant initialement l’alcool, non pas avec du sérum salé isotonique mais avec un AL
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(lidocaïne. . .). Aucune altération de la commande motrice volontaire n’a été observée dans nos différentes séries [2,13,34]. En apparence, aucune altération de la sensibilité n’a été relevée à l’examen neurologique clinique habituel. Cependant, le risque ne pouvant être totalement écarté, un
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Effets adverses
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travail prospectif [24] a été réalisé chez quinze patients hémiplégiques recevant une neurolyse à l’alcool du nerf tibial, en étudiant la sensibilité plantaire par la technique des monofilaments de Semmes-Weinstein. Concomitamment à l’amélioration de la spasticité, ce travail a montré une altération nette de la sensibilité plantaire, régressive au deuxième mois, mais compromettant toute amélioration des performances de marche du patient. Ces résultats incitent donc à réserver la neurolyse chimique aux troncs nerveux ne comportant qu’un faible contingent sensitif et/ou aux territoires pour lesquels l’aspect sensitif ne paraît pas essentiel à la réadaptation fonctionnelle (nerf musculocutané, nerf obturateur, anse des pectoraux. . .).
Conclusion La contracture spastique de divers groupes musculaires représente une source classique de douleur et d’invalidité pour les patients ayant des séquelles de maladies ou traumatismes neurologiques centraux. Les troubles qui en résultent obèrent considérablement les possibilités de réhabilitation et d’autonomisation de ces patients. Les blocs neurolytiques, à l’aide d’agents divers (phénol, alcool, glycérol. . .) ont été proposés de longue date, avec des résultats variés et souvent controversés [14,35]. Outre la chirurgie (orthopédie et neurochirurgie), plusieurs approches thérapeutiques ont été proposées pour traiter la spasticité, incluant la kinésithérapie et diverses médications.
L’approche pharmacologique (dantrolène, baclofène. . .) est fréquemment incomplètement efficace ou d’une efficacité transitoire. Ailleurs, le programme de rééducation peut conserver et utiliser une spasticité du membre inférieur tout en souhaitant la faire disparaître au membre supérieur, nécessitant de fait une approche plus régionale que systémique. Enfin, une approche plus récente consiste à utiliser les injections intramusculaires de toxine botulique [6,25,36]. Les blocs neurolytiques, grâce à l’utilisation de techniques de repérage fiable, représentent à l’heure actuelle une approche simple et efficace, qui se caractérise en outre par un prix de revient extrêmement peu élevé [2,4]. Elle est au mieux précédée par la pratique de blocs-tests aux anesthésiques locaux [12,36,37], parfois complétée par une étude électrophysiologique [30]. Ces blocs-tests n’ont donc non pas seulement une valeur diagnostique (spasticité vs rétraction) : ils ont également un intérêt prédictif en reproduisant temporairement l’effet de la disparition de la spasticité d’un ou plusieurs groupes musculaires. À l’issue de l’analyse des résultats, le choix technique entre toxine intramusculaire et neurolyse peut être fait, les deux techniques pouvant d’ailleurs être utilisées de manière concomitante et complémentaire. C’est ainsi que, face à des spasticités multifocales, intéressant plusieurs groupes musculaires ou plus d’un membre, afin de se maintenir dans les limites des doses maximales de toxine botulique, certains sites sont traités par neurolyse et d’autres par toxine. Conflits d’intérêts : aucun
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