Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 38 (2010) 36–44
Revue ge´ne´rale
Prise en charge du don d’ovocytes : re´glementation du don, la face cache´e du tourisme procre´atif§ Egg donation: Regulation of the donation and the hidden face of the cross-border reproductive care F. Merlet *, B. Se´ne´maud Direction me´dicale et scientifique, Agence de la biome´decine, 1, avenue du Stade-de-France, 93212 Saint-Denis La Plaine cedex, France Rec¸u le 15 septembre 2009 ; accepte´ le 26 octobre 2009 Disponible sur Internet le 21 de´cembre 2009
Re´sume´ Le don d’ovocytes est une activite´ qui n’est pas disponible en France a` hauteur des demandes en raison du manque de donneuses, entraıˆnant pour les couples infertiles de longs de´lais d’attente. Les couples sont ainsi pousse´s a` recourir a` un don d’ovocytes dans un pays e´tranger. Les conditions dans lesquelles sont re´alise´s ces dons peuvent poser des questions e´thiques, tant pour les soins de´livre´s aux receveuses que pour le recrutement et la prise en charge des donneuses. Qualifie´ de « tourisme procre´atif », l’ampleur de ce phe´nome`ne reste difficile a` e´valuer. Toutefois, un faisceau d’indices ame`ne a` penser qu’il va croissant, renforce´ par les nouvelles directives visant a` faciliter la libre circulation des personnes au sein de l’Union europe´enne pour des soins de sante´ transfrontaliers. Ce constat conduit a` s’interroger sur les causes possibles du tourisme procre´atif a` la lumie`re des le´gislations nationales, puis a` dresser le bilan des conse´quences e´ventuelles. Enfin, la re´flexion ame`nera a` sugge´rer des actions possibles tant au niveau national qu’international. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Don d’ovocytes ; Assistance me´dicale a` la procre´ation (AMP) ; Tourisme procre´atif ; E´thique, Loi de bioe´thique ; Coope´ration internationale ; Bonnes pratiques en AMP
Abstract In France egg donation is not sufficient to meet the needs of infertile couples. As a consequence there is a long waiting time for those couples who may be driven to search solutions abroad. Nonetheless in some countries practice of egg donation raises medical and ethical questions regarding the quality of care provided to the recipients as well as the recruitment and follow-up of egg donors. Meanwhile the scope of this type of ‘‘cross-border reproductive care’’ remains difficult to assess, even though this trend seems to be growing and is reinforced by a recent regulation facilitating the free movement of people seeking cross-border health care within the European Union. These observations lead to question the possible causes of ‘‘cross-border reproductive care’’ in the light of national laws, to identify potential consequences in order to suggest possible actions at both national and international level. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Egg donation; Assisted Reproductive Technologies (ART); Cross-border reproductive care; Ethics and laws; International cooperation; Good practice in ART
1. La proble´matique du don d’ovocytes, ici et ailleurs § Cet article a fait l’objet d’une communication dans le cadre des Quatorzie`mes Journe´es nationales de la Fe´de´ration franc¸aise d’e´tude de la reproduction (FFER), a` Clermont-Ferrand, les 18–20 novembre 2009. Voir le nume´ro de novembre-de´cembre 2009 (37/11–12) de Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´. * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Merlet).
Le don d’ovocytes est pratique´ en France depuis plus de 20 ans avec un ve´ritable savoir-faire des praticiens. Cette activite´ entre naturellement dans le panel des traitements que l’on peut offrir aux couples infertiles. Toutefois, l’offre est insuffisante en France au regard de la demande, meˆme lorsque
1297-9589/$ – see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.gyobfe.2009.11.008
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celle-ci est limite´e aux indications reconnues, de´finies et consensuelles des infertilite´s pathologiques. Une enqueˆte mene´e par l’Agence de la biome´decine (ABM) en 2006 avait montre´ que plus de 1000 couples e´taient en attente de don, attente qui pouvait durer plusieurs anne´es. Ces de´lais, qui persistent aujourd’hui, sont lie´s a` une pe´nurie d’ovocytes compte tenu du nombre insuffisant de donneuses d’ovocytes. Le manque de donneuses pousse de nombreux couples, lasse´s d’attendre, a` se de´placer au-dela` de nos frontie`res. De fac¸on surprenante, d’autres pays europe´ens semblent n’avoir aucune difficulte´ a` recruter des donneuses ; certains centres de´marchent meˆme aujourd’hui pour e´tendre leur activite´ a` de nouveaux couples demandeurs. « Le voyage pour transplantation dans un pays e´tranger a` son lieu de re´sidence devient du ‘‘tourisme de transplantation’’ s’il implique du trafic et/ou du commerce ou si les ressources utilise´es pour le soin de patients venant de l’exte´rieur re´duisent les capacite´s de ce pays a` re´pondre aux besoins de sa propre population ». Cette de´finition de la de´claration d’Istanbul1, destine´e au domaine de la transplantation d’organes, pourrait eˆtre applique´e aux ovocytes. Si l’ampleur du phe´nome`ne dit de « tourisme procre´atif » reste mal connue a` ce jour, un faisceau d’indices ame`ne a` penser que ce phe´nome`ne va croissant, renforce´ notamment par les nouvelles directives visant a` faciliter la libre circulation des personnes au sein de l’Union europe´enne pour be´ne´ficier de soins de sante´ dans un pays autre que son pays de re´sidence. Ce constat conduit a` s’interroger sur les possibles causes du tourisme procre´atif, a` la lumie`re des le´gislations nationales, puis a` dresser le bilan des conse´quences e´ventuelles. Enfin, la re´flexion ame`nera a` sugge´rer des actions possibles tant au niveau national qu’international. 2. Le contexte le´gislatif Une grande he´te´roge´ne´ite´ existe en Europe dans l’encadrement des activite´s de soins et plus particulie`rement dans celui des activite´s d’Assistance me´dicale a` la procre´ation (AMP) ou de don de game`tes. Les caracte´ristiques le´gislatives de chaque pays font l’objet d’une e´tude comparative de l’encadrement juridique international publie´ dans le rapport d’application de la loi de bioe´thique de l’ABM2. Tre`s diffe´rentes d’un pays a` l’autre, parfois inexistantes ou non applique´es, les le´gislations sont souvent accuse´es d’eˆtre a` l’origine du tourisme procre´atif. Ainsi, la loi franc¸aise, juge´e trop restrictive et conteste´e de ce fait par beaucoup, est remise en question. La loi de bioe´thique du 6 aouˆt 2004 encadre strictement les activite´s de l’AMP et le don de game`tes. L’AMP y est de´finie
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De´claration d’Istanbul sur le trafic d’organes et le tourisme de transplantation, mai 2008, te´le´chargeable sur http://www.agence-biomedecine.fr/article/ 222. 2 Le rapport d’application de la loi de bioe´thique de l’Agence de la biome´decine. Octobre 2008.
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comme une activite´ de soins destine´e a` traiter l’infertilite´ me´dicalement constate´e3 et non comme une activite´ de convenance. Conside´re´e comme un traitement, l’AMP s’inscrit dans une politique de sante´ qui vise a` garantir l’acce`s aux soins pour tous. Prise en charge par une assurance maladie fonde´e sur la solidarite´ nationale, elle permet aux couples infertiles de be´ne´ficier de ce traitement inde´pendamment de leurs conditions de ressources. Les principes de respect de la dignite´ humaine, ainsi que d’inte´grite´ et de non-patrimonialite´ du corps humain sont constamment re´affirme´s dans les textes de loi. Applique´s au don de game`tes, ces principes le´gislatifs visent a` prote´ger les donneurs. La re´tribution du don, sous quelque forme financie`re que ce soit, est exclue par la loi franc¸aise, par crainte de la marchandisation des produits du corps humain qui risque de renforcer les ine´galite´s sociales et d’ouvrir la porte a` l’exploitation des plus vulne´rables. La re´glementation financie`re4 conforte cette disposition le´gislative en pre´voyant le remboursement des frais occasionne´s pour le don, tant pour la donneuse que pour l’e´tablissement qui pre´le`ve les ovocytes, ce de´fraiement e´tant calcule´ a` partir des justificatifs garantissant qu’il ne s’agit pas d’une re´mune´ration de´guise´e. La motivation des donneuses apparaıˆt alors clairement dissocie´e d’un enjeu financier. De plus, conforme´ment aux re`gles de bonnes pratiques cliniques et biologiques, des entretiens me´dicaux et psychologiques sont organise´s avec toute candidate au don d’ovocytes en vue de de´celer d’e´ventuelles pressions, financie`res ou non, exerce´es par son entourage familial ou amical. En cas de doute, les praticiens ont pour principe de re´cuser le don. La loi cherche aussi a` prote´ger les donneurs de game`tes au plan psychologique. Ainsi, la condition de procre´ation ante´rieure5 impose´e a` la femme qui souhaite faire don de ses ovocytes, si elle augmente l’aˆge moyen des donneuses, donne un sens au don d’une femme qui est de´ja` me`re. Elle pre´vient la survenue d’e´ventuels proble`mes psychologiques lie´s a` la re´ve´lation secondaire d’une ste´rilite´ chez la donneuse a` distance de son don, la conduisant a` fantasmer sur d’e´ventuelles naissances ante´rieures issues du don. La France et la Russie ont inscrit cette exigence dans leur loi. Une e´tude re´trospective mene´e aux E´tats-Unis par une association de patients6, portant sur le devenir de 155 donneuses a` long terme, rapporte un taux de 5 % d’infertilite´ apparue apre`s le don, infertilite´ que les donneuses attribuent au fait d’avoir donne´ leurs ovocytes. La loi met e´galement l’accent sur l’information a` de´livrer a` la donneuse afin qu’elle consente au don en pleine connaissance des risques e´ventuels lie´s au don7.
3 Loi 2004-800 du 6 aouˆt 2004 relative a` la bioe´thique. Articles L.2141-1 et 2141-2. 4 De´cret 2000-409 du 11 mai 2000 modifie´ par le de´cret 2009-217 du 24 fe´vrier 2009 relatif au remboursement des frais engage´s a` l’occasion du pre´le`vement d’e´le´ments ou de la collecte de produits du corps humain a` des fins the´rapeutiques. 5 Article L.1244-2 du Code de la sante´ publique (CSP). 6 http://www.donorsiblingregistry.com. 7 Article L.1244-7 du CSP.
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Enfin, le le´gislateur a pre´vu de prote´ger les donneuses d’ovocytes en demandant a` l’ABM de mettre en place un dispositif de suivi de leur sante´8. Dans un pays ou` l’acce`s aux soins de sante´ est relativement aise´, la loi vient renforcer l’attention porte´e a` la sante´ des donneuses. Par ailleurs, les centres franc¸ais d’AMP, qu’ils soient installe´s dans des e´tablissements publics ou prive´s, sont soumis a` des re`gles de de´ontologie me´dicale strictes, interdisant toute publicite´ individuelle9. Les centres et les praticiens, duˆment autorise´s a` la pratique du don d’ovocytes, sont e´value´s et controˆle´s pe´riodiquement et doivent exercer dans un cadre exclusivement non lucratif. Une critique faite a` la loi franc¸aise est que l’interdiction de compenser les donneuses la rend peu incitative. Est-elle pour autant en cause dans la pe´nurie de l’offre ? La meˆme proble´matique est pose´e au Royaume-Uni, pays dans lequel on observe une diminution marque´e du nombre de dons. Cependant dans ce pays ou`, comme en France, la re´mune´ration du don est interdite, la loi britannique permet a` l’enfant issu d’un don de game`tes de connaıˆtre l’identite´ de son donneur. Ainsi en plus des longs de´lais d’attente existant dans leur pays, des couples infertiles souhaitant e´chapper a` l’intervention d’un tiers dans leur famille se rendent a` l’e´tranger pour be´ne´ficier d’un don d’ovocytes anonyme. Face a` ce proble`me, la directrice de l’HFEA10, Lisa Jardine, pose la question de l’interdiction le´gale de re´mune´rer le don et envisage l’augmentation du montant de la compensation actuelle, plutoˆt que de revenir sur la leve´e de l’anonymat11. Le de´bat se poursuit actuellement au Royaume-Uni. Dans ces pe´riodes de´die´es a` la re´flexion bioe´thique, particulie`rement pour la France qui doit re´viser sa loi, il est important d’examiner les proble´matiques pose´es par les dons re´alise´s ailleurs, notamment dans des pays ou` la le´gislation est plus souple.
aupre`s de six pays volontaires qui a permis d’e´valuer a` pre`s de 25 000 le nombre de femmes se rendant chaque anne´e dans un de ces pays pour y avoir recours a` une AMP. Selon le docteur F. Shenfield, cette estimation est vraisemblablement infe´rieure a` la re´alite´ puisque de nombreux centres n’ont pas accepte´ de participer a` l’enqueˆte. En France, l’assurance maladie a finance´ en 2008, en totalite´ ou partiellement, le recours a` pre`s de 400 dons d’ovocytes dans un autre pays europe´en. Certaines destinations sont privile´gie´es par les couples franc¸ais, l’Espagne (66 %) dans la majorite´ des cas, puis la Belgique (14 %). Les autres destinations sont la Gre`ce (7 %) et la Re´publique tche`que (5 %). Le niveau d’encadrement des activite´s d’AMP et les conditions de se´curite´ dans lesquelles les soins sont de´livre´s dans ces pays sont bien connus, en revanche, tre`s peu d’informations sont fournies sur les donneuses. Les donne´es sur l’origine et les circuits de prise en charge des donneuses ne figurent pas dans les registres existants ou dans les publications scientifiques. De fait, le de´faut d’information laisse la place aux rumeurs de commerce, voire de trafics et de filie`res mafieuses. 3.2. Les aspects financiers Bucarest, 2008, un me´decin roumain est incarce´re´ pour avoir se´questre´ deux jeunes femmes roumaines qu’il destinait au « don » d’ovocytes au be´ne´fice d’une clinique cre´toise. Cette affaire, re´ve´le´e lors du congre`s de l’ESHRE 200813 a` Barcelone, a suscite´ un grand e´moi alors qu’une session spe´ciale e´tait consacre´e au tourisme procre´atif. En 2005, a` Bucarest de´ja`, des me´decins de la clinique Global ART e´taient accuse´s par la justice roumaine de trafic d’ovocytes humains. Bien qu’aucune condamnation n’ait e´te´ prononce´e, les me´decins n’exercent plus a` Bucarest mais a` Chypre ou` ils poursuivent leurs activite´s ante´rieures en toute impunite´. Re´cemment, une nouvelle affaire roumaine, au sein de la clinique Sabyc (spe´cialise´e dans l’AMP et la chirurgie esthe´tique), re´ve´lait que des me´decins israe´liens et roumains s’e´taient organise´s pour proposer aux riches israe´liennes, britanniques ou italiennes, des dons d’ovocytes qu’elles ne pouvaient obtenir dans leurs pays de re´sidence. De tre`s jeunes femmes roumaines, confronte´es a` des difficulte´s financie`res et pour la majorite´ appartenant a` la communaute´ des Roms, acceptaient de ce´der leurs ovocytes contre re´mune´ration – en violation de la loi roumaine en vigueur – et sans avoir e´te´ correctement informe´es sur les risques qu’elles encouraient. Ce re´seau e´tait de´mantele´ en juin 2009 par le de´partement roumain de lutte contre la criminalite´ organise´e.
3. Questions souleve´es par le tourisme procre´atif – Pays d’accueil – Pratiques 3.1. Les pays d’accueil Les destinations des couples sont choisies sur des crite`res variables en fonction des informations ve´hicule´es par les forum Internet et les associations de patients. Le groupe « CrossBorder Reproductive Care » de l’ESHRE12 a mene´ une enqueˆte
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Article L.1418-1 du CSP. Article R.4127-19 du CSP. La me´decine ne doit pas eˆtre pratique´e comme un commerce. Sont interdits tous proce´de´s directs ou indirects de publicite´ et notamment tout ame´nagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale. Le me´decin doit veiller a` l’usage qui est fait de son nom, de sa qualite´ ou de ses de´clarations. Il ne doit pas tole´rer que les organismes, publics ou prive´s, ou` il exerce ou auxquels il preˆte son concours utilisent a` des fins publicitaires son nom ou son activite´ professionnelle. 10 Human Fertilisation and Embryology Authority : organe de regulation des activite´s d’AMP et de la recherche sur l’embryon au Royaume-Uni. 11 The Times, July 27, 2009. 12 European Society of Reproduction and Embryology. Task Force: CrossBorder Reproductive Care. 9
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24th Annual Meeting ESHRE, 6–9 July 2008, Barcelona, Spain.
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Lorsqu’on s’inte´resse aux modes de recrutement des donneuses, les enjeux financiers sont diffe´rents, au plan e´thique, selon qu’il s’agit de compensation ou de re´mune´ration. La plupart des pays en dehors des E´tats-Unis, condamnent la re´mune´ration des dons d’ovocytes, signe de marchandisation du corps humain. Qu’en est-il dans les faits ? la compensation financie`re est un forfait, tel qu’il est pre´vu par la loi espagnole par exemple, destine´ a` compenser d’une part les frais que la donneuse est amene´e a` de´bourser et, d’autre part, les inconve´nients, le temps et les efforts fournis pour le don. Toutefois, la traduction en monnaie est difficile et, malgre´ toutes les pre´cautions prises, cette compensation peut repre´senter une re´mune´ration de´guise´e pour une certaine cate´gorie de personnes. En effet, d’un montant faible, la compensation n’est attractive que pour des personnes vulne´rables que l’on va, ainsi, inciter a` re´pe´ter le don ; d’un montant plus ge´ne´reux, elle devient source d’enrichissement a` l’encontre de toute ide´e d’altruisme. La compensation espagnole, fixe´e a` 900 euros, attire ainsi de jeunes e´tudiantes ; le succe`s de cette mesure est tel que certaines e´tudiantes re´sidant en France, traversent la frontie`re pour effectuer un don a` Barcelone. Elle attire aussi des donneuses e´trange`res en provenance de pays ou` le niveau de vie est moins e´leve´. Ceci permet de proposer le don d’ovocytes sans aucun de´lai. Ainsi, en Espagne, en 2006, plus de 7000 des 50 299 fe´condations in vitro (14,1 %) e´taient re´alise´es avec un don d’ovocytes14. En Gre`ce, les donneuses rec¸oivent une indemnisation de 600 a` 800 euros, somme le´ge`rement supe´rieure au salaire mensuel moyen. Une meˆme donneuse peut le re´pe´ter jusqu’a` trois fois dans l’anne´e, pendant plusieurs anne´es conse´cutives. En Core´e, apre`s le scandale de l’affaire Hwang Woo-suk qui avait fait pression sur ses jeunes assistantes pour qu’elles acceptent de donner leurs ovocytes a` la recherche, la loi sur la se´curite´ et la bioe´thique a e´te´ re´vise´e pour lutter contre le commerce ille´gal d’ovocytes en e´tablissant un niveau « raisonnable » de de´dommagements pour les frais occasionne´s lors du pre´le`vement, tels les frais de transport, l’intervention et la convalescence ; la re´mune´ration, qui transforme l’activite´ de don d’ovocytes en commerce, est rarement de´clare´e. Aux USA par exemple, le don d’ovocytes fait l’objet d’un marche´. Il existe des catalogues de donneuses imme´diatement disponibles qui de´taillent leurs caracte´ristiques morphologiques, leurs niveaux d’e´ducation et leurs origines ethniques. La re´mune´ration en fait une activite´ attractive pour les jeunes e´tudiantes qui financent ainsi une partie de leurs e´tudes. Dans certains pays, les enjeux financiers inte´ressent aussi des interme´diaires, des me´decins et des re´seaux. Ainsi, Denisa Priadkova, membre slovaque de l’association Fertility
14 Registro de te´cnicas de reproduccio´n asistida de la sociedad espan˜ola de fertilidad, 2006.
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Europe, rappelait lors du congre`s de l’ESHRE a` Barcelone le hiatus existant entre le prix d’achat des ovocytes, entre 1500 et 2500 euros, et la somme rec¸ue par les donneuses, de 50 a` 500 euros, en Slovaquie ou en Re´publique tche`que par exemple : une forme d’incitation financie`re est le « egg sharing » qui consiste a` faire be´ne´ficier des femmes d’une fe´condation in vitro a` moindre couˆt a` condition qu’elles donnent en e´change une partie des ovocytes pre´leve´s. Au Royaume-Uni, cette possibilite´ est inscrite dans la loi. Dans des pays comme l’Ukraine, le « egg sharing » est bien souvent la seule possibilite´ pour les populations locales d’avoir acce`s a` la reproduction assiste´e ; on peut souligner que l’assurance maladie franc¸aise, qui prend en charge les soins de´livre´s dans un autre e´tat de l’Union europe´enne lorsque les de´lais d’attente sont trop longs en France, couvre (indirectement) la compensation financie`re de la donneuse, certes pre´vue par la loi espagnole mais non autorise´e par la loi franc¸aise. The Centre for Human Reproduction (CHR) values your time, effort, commitment and services in the egg donation and oocyte donation process. This is why we offer a competitive compensation of $8,000 at our CHR-New York program or $5,000 at our CHR-Illinois program. Additionally, CHR offers egg donors a unique third party insurance policy, which gives you, the donor, added security.
3.3. Le recrutement des donneuses Il existe tre`s peu d’informations sur les modalite´s et les crite`res de recrutement des donneuses dans les pays d’accueil. Qui sont les donneuses ? Un aˆge minimal est-il requis pour donner ses ovocytes, sachant que les chances de succe`s du don d’ovocytes sont corre´le´s a` l’aˆge des donneuses ? La loi espagnole fixe un aˆge minimal de 18 ans, la loi russe de´finit un intervalle d’aˆge entre 20 et 35 ans. Quelle est l’origine socioge´ographique des donneuses ? Se de´placent-elles loin de leurs lieux de re´sidence pour donner leurs ovocytes ? Seules des rumeurs nous parviennent sur le de´placement de donneuses d’Europe de l’Est dans d’autres pays car on ne dispose d’aucune information pre´cise. D’autres crite`res existent-ils pour recruter et accepter les candidates au don d’ovocytes ? Dans des publicite´s glisse´es dans des programmes de congre`s ou disponibles a` partir de sites Internet de´die´s, certains centres russes n’he´sitent pas a` vanter la beaute´, la blondeur, la blancheur de la peau et l’intelligence de leurs donneuses, sous une forme proche de la discrimination ethnique. . . En effet, il s’agit de ve´ritables arguments publicitaires qui rele`vent d’une de´marche bien diffe´rente que la description individuelle des crite`res morphologiques des donneurs de game`tes faite en France dans le but d’apparier donneur et receveurs et d’e´viter des dissemblances importantes avec l’enfant issu du don. La « promotion » de caracte`res ge´ne´tiques particuliers, en e´voquant des risques de se´lection de
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l’espe`ce, pose une autre question d’ordre e´thique (Annexe 1 « Catalog of egg donors »). Cette « publicite´ » est parfois mensonge`re comme dans l’affaire re´cente de Bucarest, ou` les dossiers me´dicaux saisis par la justice roumaine e´taient falsifie´s, trompant les « be´ne´ficiaires » sur les caracte´ristiques morphologiques des donneuses qui leur e´taient the´oriquement apparie´es. . . Our egg donors are aged under 30, with an average age of just 26. They are fertile, with at least one child of their own. They are also attractive, intelligent and healthy. They undergo a complete medical evaluation by a doctor, gynaecologist and psychiatrist, and are screened for HIV, Hepatitis B and C every 3 months. En re´alite´, comme les « vendeurs » de rein, les femmes candidates au don sont en ge´ne´ral issues des cate´gories les plus pre´caires de la socie´te´. Qu’elles soient Roms en difficulte´ ou ukrainiennes au choˆmage, ces jeunes femmes vendent un capital de vie pour une somme d’argent, minime et ponctuelle, re´pe`tent les traitements et les pre´le`vements plusieurs fois dans l’anne´e. . . et deviennent ainsi des professionnelles du don. 4. Les aspects me´dicaux concernant les donneuses 4.1. La re´pe´tition des dons La re´pe´tition des dons jusqu’a` trois fois dans l’anne´e semble ˆetre une e´vidence pour ces femmes tre`s jeunes qui en obtiennent un revenu re´gulier. Certaines cliniques russes n’he´sitent pas a` proposer des « anonymous professional egg donors » dans les programmes de don d’ovocytes, de procre´ation pour autrui ou « d’adoption d’embryons ». En l’absence de registres nationaux, elles peuvent renouveler leurs dons dans des centres diffe´rents au risque de leur sante´. La` encore, sur cette question, aucune information pre´cise n’est disponible.
d’hyperstimulation se´ve`re a` mode´re´). Quelques rares autres e´tudes semblent confirmer ces taux. Une pratique largement de´veloppe´e, notamment a` la demande des centres espagnols et grecs, consiste a` demander a` la receveuse e´trange`re d’apporter les me´dicaments de la donneuse. Ceci implique la prescription en France d’un traitement d’hyperstimulation ovarienne, en ge´ne´ral pris en charge par l’assurance maladie de la receveuse bien qu’il ne lui soit pas destine´. Cette prescription, administre´e a` une jeune femme que le me´decin n’aura jamais vue en consultation, outre qu’elle ne respecte pas les re`gles ordinales e´le´mentaires, n’est acceptable ni au plan e´thique ni au plan me´dical. 4.3. Le suivi des donneuses et l’acce`s aux soins L’absence d’information sur le suivi des femmes apre`s le don est une autre pre´occupation. Bien que les complications du traitement de stimulation ovarienne et du pre´le`vement ovocytaire semblent peu fre´quentes, le don d’ovocytes ne´cessite des explications pre´alables sur les contraintes et les risques the´oriques. Lorsque des donneuses se de´placent dans un pays e´tranger, la barrie`re linguistique aggrave encore le de´faut d’information sur les risques encourus. De retour dans leur pays d’origine ou` l’acce`s aux soins de sante´ n’est pas toujours garanti, en cas de complications les donneuses risquent de rencontrer de grandes difficulte´s de prise en charge me´dicale. Par ailleurs, la question de l’acce`s aux soins dans les pays d’origine des donneuses ame`ne a` s’interroger sur le de´veloppement des soins de reproduction assiste´e dans les pays concerne´s, notamment quant il s’agit de pays dits « e´mergents ». Comme dans le domaine de la transplantation, le tourisme pour soins procre´atifs entraıˆne la mobilisation de ressources a` titre prive´ pour le traitement de patients aise´s venant de pays de´veloppe´s — ce qui pose la question des conditions d’acce`s a` ces soins pour les citoyens de ces pays. 5. La de´ontologie et les centres
4.2. La prise en charge me´dicale des donneuses
5.1. La publicite´
Dans certains pays, l’indemnisation de´pend du nombre d’ovocytes fournis. Pour augmenter les taux de succe`s de leur programme de dons d’ovocytes, certains centres prescrivent des traitements de stimulation ovarienne a` fortes doses chez de tre`s jeunes femmes. Ces traitements ne sont pas de´pourvus de risques surtout que la prise en conside´ration d’e´ventuelles contre-indications n’est pas garantie compte tenu de proble`mes de langue et de communication. Par exemple, un facteur de thrombophilie passera facilement inaperc¸u si la pathologie n’a pas e´te´ spe´cifiquement recherche´e lors des consultations pre´alables. Peu d’e´tudes scientifiques se sont inte´resse´es aux complications lie´es au don. Citons celle d’une e´quipe catalane [1], colligeant 4052 dons d’ovocytes entre 2001 et 2007, qui rapporte un taux de complications de 0,42 % suite au pre´le`vement d’ovocytes (he´mope´ritoine, torsion d’ovaire) et de 0,5 % lie´es a` la stimulation ovarienne (syndrome
Les cliniques des pays d’accueil utilisent souvent des techniques commerciales offensives, non autorise´es en France dans le domaine de la sante´. Certaines cliniques font leur publicite´ de fac¸on tre`s discutable : en annonc¸ant des chances de grossesse ne reposant pas sur des chiffres valide´s par les autorite´s compe´tentes concerne´es ; en sollicitant directement les praticiens franc¸ais a` l’aide de propositions de collaboration, par courriels ou lettres, mettant toujours l’accent sur la simplicite´ de la proce´dure et les excellents re´sultats. Dans des courriers de 2009, une clinique espagnole promet meˆme une re´tribution aux praticiens pour toute nouvelle patiente adresse´e. Comme l’a re´cemment confirme´ l’Ordre national des me´decins mais aussi l’ESHRE [2], ces de´marches agressives,
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racolage et dichotomie, sont condamnables en France15 comme en Espagne. La loi espagnole pre´voit d’ailleurs expresse´ment l’interdiction de publicite´ pour le don d’ovocyte a` des fins e´conomiques. La concurrence que se livrent les cliniques e´trange`res et le caracte`re offensif de leurs pratiques commerciales utilise´es refle`tent l’importance des enjeux financiers. Il s’agit la` d’un nouveau business, semblable a` celui des organes pour la transplantation tel que de´fini par la de´claration d’Istanbul en 2008 : « le commerce de transplantation [reproduction] est une politique ou une pratique par laquelle un organe [un ovocyte] est traite´ comme une marchandise, notamment en e´tant achete´ ou vendu, ou utilise´ en vu d’un gain mate´riel. ». 5.2. Les re´seaux La dernie`re affaire me´diatise´e a implique´ des citoyens roumains et israe´liens et les demandeurs issus de pays riches. C’est le de´partement roumain de lutte contre la criminalite´ organise´e qui a de´mantele´ un re´seau se´vissant au sein de la clinique Sabyc impliquant une trentaine de personnes parmi lesquelles des me´decins d’origine israe´lienne. De re´els trafics sont donc imaginables dans le domaine du don d’ovocytes. Les destinations choisies changent au gre´ de la re´ve´lation de scandales. Depuis l’e´te´ 2008, une fameuse clinique cre´toise, longtemps pre´fe´re´e des patientes franc¸aises, n’est plus cite´e par les associations ou les forum Internet qui vantaient auparavant la qualite´ des soins qui y e´taient de´livre´s et son efficacite´. On y loue maintenant les me´rites d’une clinique grecque, nouvelle arrive´e sur le marche´, cette dernie`re cherchant de´ja` a` contourner les re`gles grecques en de´veloppant son activite´ au-dela` de la frontie`re avec l’Albanie. Dans les pays de l’Europe orientale qui souvent ne disposent pas de loi spe´cifique sur l’AMP et qui n’ont pas transpose´ les directives europe´ennes, les centres d’AMP se de´veloppent de fac¸on anarchique, inde´pendamment des besoins et du syste`me de soins du pays. Ils sont cre´e´s pour re´pondre a` la demande croissante de pays e´trangers plus riches incapables de satisfaire a` leurs propres besoins. Ces centres ne sont ni recense´s, ni autorise´s, ni controˆle´s.
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seuls 4 % des centres espagnols aient accepte´ d’y participer et notamment des centres assez peu fre´quente´s par les patientes franc¸aises pour y be´ne´ficier d’un don d’ovocytes. Concernant la France, l’enqueˆte permet de n’e´valuer qu’une partie du phe´nome`ne, celui de la centaine de femmes ce´libataires ou homosexuelles qui se rendent chaque mois en Belgique pour y be´ne´ficier d’un don de sperme. Les motifs e´voque´s sont le plus souvent : l’aˆge de la femme, le don d’ovocytes e´tant inaccessible pour les femmes de plus de 42 ans ; le contournement de certaines dispositions de la loi, et notamment le recours a` une donneuse de l’entourage ; les longs de´lais d’attente pour be´ne´ficier d’un don d’ovocytes. C’est la raison principale du de´placement des patientes franc¸aises hors de nos frontie`res. La loi italienne de 2004 et la loi allemande sur la protection de l’embryon, plus ancienne, sont les plus restrictives. Les Allemands se de´placent a` l’e´tranger pour be´ne´ficier d’une quatrie`mee tentative d’AMP (non rembourse´e), d’un don d’ovocytes ou d’un diagnostic pre´implantatoire (tous deux interdits). Lorsqu’ils ne peuvent se de´placer a` l’e´tranger, ils recourent, cache´s, a` des pratiques ille´gales dans leur pays. Dans tous les cas, les couples s’exposent a` des difficulte´s importantes lie´es au secret ne´cessaire autour du recours ille´gal a` l’AMP et au de´faut d’informations (barrie`re de la langue, difficulte´s juridiques sur les re`gles de filiation et d’anonymat qui s’appliquent, etc.). Le nombre de couples concerne´s n’est pas connu avec pre´cision. 6.2. L’aˆge de la receveuse L’augmentation de la fre´quence des complications de la grossesse avec l’aˆge de la femme est une notion bien connue des obste´triciens qui peut cre´er des drames comme l’a re´cemment montre´ l’actualite´. Il en va ainsi de l’incidence du diabe`te gestationnel, des pathologies vasculaires de la grossesse, des naissances par ce´sarienne et de la mortalite´ maternelle, d’autant plus lorsqu’il s’agit de femmes primipares de plus de 45 ans.
6. La prise en charge des receveuses
6.3. Les grossesses multiples et l’aˆge tardif
6.1. Les motifs de recours a` un centre e´tranger
Une autre conse´quence du don d’ovocytes est la fre´quence des grossesses multiples, parfois de haut rang, obtenues a` cause de l’aˆge tre`s jeune des donneuses et des transferts embryonnaires imprudents. Ces grossesses sont fortement a` risque, d’autant plus si la receveuse est aˆge´e. Il arrive que des couples franc¸ais mal informe´s du risque de grossesse multiple en subissent les lourdes conse´quences. Une affaire re´cente a de´fraye´ la chronique : la naissance de triple´s chez une primipare de 59 ans, a` la suite d’un don d’ovocytes re´alise´ au Vietnam, mise en exergue par les media, qui a occulte´ une autre re´alite´, le coma d’une femme de 46 ans, venant elle aussi de mettre au monde des triple´s, graˆce a` un don d’ovocytes re´alise´ en Gre`ce.
Le groupe « Cross-Border Reproductive Care » de l’ESHRE a cherche´ a` e´valuer les diffe´rents motifs qui poussent les personnes a` recourir a` une AMP dans un pays e´tranger. L’analyse des 1230 questionnaires remplis par les patientstouristes pendant un mois dans 44 centres d’AMP re´partis dans six pays (Belgique, Re´publique tche`que, Danemark, Slove´nie, Espagne et Suisse) a permis de de´crire les motifs de de´placement des patients a` l’e´tranger. On peut regretter que
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Article R.4127-24 du CSP.
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7. Autres questions 7.1. L’information des couples D’autres e´le´ments doivent faire l’objet d’une information particulie`re des personnes avant de se rendre dans un pays e´tranger pour une AMP. Par exemple : les tests pratique´s sur les donneurs de game`tes pour la recherche de certaines affections virales ou ge´ne´tiques, pas toujours syste´matiquement re´alise´s avant le don comme cela est fait en France ; les recours parfois impossibles en cas d’e´ve´nement inde´sirable survenant a` la suite de l’AMP ; la conservation et la confidentialite´ des donne´es me´dicales non re´glemente´es avec la meˆme rigueur dans tous les pays ; la le´gislation concernant l’anonymat du don de game`tes et les re`gles de filiation variables selon les pays. Ces diffe´rences peuvent entraıˆner des difficulte´s juridiques parfois inextricables et dommageables pour l’e´quilibre des familles. L’ABM a d’ailleurs rendu publique une mise en garde « s’informer avant une AMP a` l’e´tranger » sur son site Internet http://www.procreationmedicale.fr.
eˆtre mene´e par les professionnels des pays concerne´s sur les questions lie´es a` la reproduction assiste´e et au don de game`tes. Les me´canismes qui conduisent a` une exploitation base´e sur les ine´galite´s socio-e´conomiques sont les meˆmes, la pe´nurie d’ovocytes favorisant l’essor d’un marche´ particulie`rement lucratif dans des pays de´pourvus de le´gislation ou ne l’appliquant pas. 8.1.2. La directive europe´enne De meˆme, comme pour les organes dans la Convention d’Oviedo16 et son protocole additionnel sur la biome´decine17, la directive europe´enne s’est clairement prononce´e contre toute ide´e de re´mune´ration pour le don18de game`tes, pre´cisant que le don d’e´le´ments du corps humain ne doit pas eˆtre pratique´ dans un but lucratif. Cette directive pre´voit un ensemble de dispositions visant a` garantir les conditions de qualite´ et de se´curite´ des soins de´livre´s au sein des e´tats membres de l’Union europe´enne concernant a` la fois les donneurs et les receveurs. En pre´voyant que les laboratoires d’AMP soient spe´cifiquement autorise´s, e´value´s et controˆle´s, ce texte contribue a` pre´venir tout commerce utilisant des produits et e´le´ments du corps humain a` des fins the´rapeutiques. En dehors de l’existence d’une le´gislation spe´cifique contenant les meˆmes e´le´ments, les E´tats membres doivent transposer la directive europe´enne dans leur le´gislation nationale.
7.2. L’acce`s au don a` l’e´tranger Le couˆt du don d’ovocytes varie selon les destinations, entre 6000 et 12 000 euros en Espagne et entre 2500 et 4000 euros en Re´publique tche`que. Il faut y ajouter le couˆt du transfert d’embryons congele´s (entre 1000 et 2000 euros en Espagne). Si l’assurance maladie prend une partie des frais a` sa charge, elle ne peut couvrir l’ensemble des de´penses auxquelles doivent faire face les patients demandeurs. L’acce`s a` l’AMP dans ces conditions de´pend donc largement des conditions de ressources ou de la capacite´ des personnes a` s’endetter. 7.3. Le ve´cu des couples Une enqueˆte mene´e par une association italienne s’est inte´resse´e au ve´cu des couples italiens qui ont recours a` une AMP a` l’e´tranger. Elle de´montre que, malgre´ un niveau socioculturel souvent e´leve´, les AMP se de´roulent dans des conditions psychiques et pratiques e´prouvantes (de´marche effectue´e dans le secret, difficulte´s de communication, absence de soutien moral). 8. Les perspectives 8.1. Fixer des bornes e´thiques au sein de l’Union europe´enne 8.1.1. Une re´flexion internationale Comme dans le domaine de la transplantation d’organes ou`, a` l’initiative des professionnels et des socie´te´s savantes, la concertation a abouti a` une de´claration commune lors du congre`s d’Istanbul en mai 2008, une re´flexion commune doit
8.1.3. Les recommandations de l’ESHRE La re´flexion de l’ESHRE a conduit aux recommandations suivantes : la mise en place de registres nationaux des donneuses et le suivi de leur e´tat de sante´ notamment au regard des e´ventuelles complications du don ; l’acce`s aux soins a` tous inde´pendamment des conditions de ressources a` travers la prise en charge des soins par un syste`me d’assurance maladie ; l’application des lois nationales interdisant notamment la marchandisation du corps et la prise en compte des aspects e´thiques du recrutement des donneuses ; la re´alisation de campagnes d’information et l’implication des professionnels ; l’information juste et comple`te des donneuses ; le controˆle des taux de succe`s et des grossesses multiples. 16 Convention internationale e´nonc¸ant les principes fondamentaux applicables a` la me´decine et aux nouvelles technologies dans le domaine de la biologie humaine et de la me´decine. 17 Protocole additionnel a` la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignite´ de l’eˆtre humain a` l’e´gard des applications de la biologie et de la me´decine. 18 Directive 2004/23/CE du Parlement europe´en et du Conseil du 31 mars 2004 relative a` l’e´tablissement de normes de qualite´ et de se´curite´ pour le don, l’obtention, le controˆle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains : Article 12 : les E´tats membres s’efforcent de garantir les dons volontaires et non re´mune´re´s de tissus et cellules. Les donneurs peuvent recevoir une indemnisation qui est rigoureusement limite´e a` la couverture des de´penses et de´sagre´ments lie´s au don. Dans ce cas, les E´tats membres de´finissent les conditions en vertu desquelles ces indemnisations peuvent eˆtre accorde´es.
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8.1.4. Le de´veloppement de bonnes pratiques internationales L’e´laboration consensuelle de re`gles de bonnes pratiques en matie`re de dons d’ovocytes pourrait constituer le moyen d’harmoniser les pratiques au sein de l’Union europe´enne. 8.2. De´velopper l’activite´ a` hauteur des besoins Afin que le don d’ovocytes soit accessible dans de bonnes conditions a` tous les couples infertiles qui rele`vent de cette indication dans des de´lais d’attente raisonnable, trois actions permettraient de de´velopper une offre suffisante : en premier lieu, faire mieux connaıˆtre au public la nature et les indications du don d’ovocytes ainsi que les besoins existants au niveau national et la ne´cessite´ de de´velopper cette activite´, au travers de campagnes d’information et de communication. L’ABM, qui a lance´ une premie`re campagne en 2008, va poursuivre et renforcer cette action afin de poursuivre l’objectif du chiffre de 700 donneuses ne´cessaires pour re´pondre aux besoins des couples infertiles ; en deuxie`me lieu, valoriser la de´marche individuelle des donneuses d’ovocytes par les pouvoirs publics et la socie´te´ a` travers une meilleure reconnaissance avec, par exemple, le remboursement total et sans de´lai des frais occasionne´s par le don ; enfin, redynamiser l’activite´ en soutenant les professionnels a` travers l’attribution de moyens supple´mentaires et spe´cifiques aux e´quipes concerne´es. 9. Conclusion Le nombre important de couples franc¸ais se rendant a` ´ l’etranger en vue de be´ne´ficier d’un don d’ovocytes est principalement duˆ a` la pe´nurie de l’offre et a` la longueur des ` de´lais d’attente observe´s dans les centres d’AMP en France. A ´ ´ ´ ` ´ l’echelle europeenne, ce phenomene de tourisme procreatif est e´galement lie´ a` la grande he´te´roge´ne´ite´ le´gislative qui existe d’un pays a` l’autre. L’interdiction du don en Allemagne et en Italie ou encore la leve´e de l’anonymat au Royaume-Uni poussent les patients allemands, italiens ou britanniques a` recourir a` des prestations e´trange`res. Toutefois, les de´lais d’attente variables et les restrictions le´gislatives variables d’un pays a` l’autre ne suffisent pas a` expliquer un phe´nome`ne mal quantifie´ a` ce jour mais qui, d’apre`s de nombreuses informations indirectes, ne cesse d’augmenter. Paralle`lement, les activite´s de don de game`tes ou d’AMP qui se de´veloppent rapidement et sans encadrement dans certains
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pays proposent des prestations attractives et facilement accessibles pour satisfaire la demande croissante des pays ou` l’offre est insuffisante. Dans le domaine des soins reproductifs, qui en France fait l’objet d’un encadrement juridique strict, le phe´nome`ne de tourisme procre´atif soule`ve de nombreuses questions lie´es a` la diversite´ des pratiques professionnelles comme des principes e´thiques observe´s dans les pays ou` se rendent les couples franc¸ais. Le remboursement par la se´curite´ sociale de ces soins dispense´s a` l’e´tranger, en application de la le´gislation europe´enne, pose la question supple´mentaire du paiement par l’assurance maladie franc¸aise de soins dont les modalite´s de dispensation ne seraient pas autorise´es en France. En outre, le manque d’information sur les donneuses d’ovocytes recrute´es a` l’e´tranger pose la question de possibles tractations financie`res, se´ve`rement condamne´es en France. Effectue´es par le biais d’interme´diaires ou de re´seaux, ces enjeux financiers ouvrent la voie au commerce des ovocytes et a` une exploitation des donneuses. ` ce jour, un ve´ritable marche´ des ovocytes semble A s’organiser et prendre de l’ampleur graˆce a` l’offre propose´e dans certains pays face aux besoins non satisfaits dans d’autres pays, sans prise en compte des risques potentiels pour la sante´ des donneuses d’ovocytes comme des receveuses, ni du respect des re´glementations ni des principes e´thiques. Ce domaine est a` rapprocher de celui des organes, le trafic d’e´le´ments du corps humain e´tant actuellement une pre´occupation majeure des professionnels et des organismes qui re´gulent ces activite´s. ` l’instar des professionnels de la transplantation d’organes, A une re´flexion entre pays europe´ens doit eˆtre initie´e afin d’e´tablir des re`gles communes sur les indications, l’utilisation et les bonnes pratiques lie´es aux activite´s d’AMP et de don d’ovocytes en particulier, dans l’objectif de les faire appliquer au sein de l’Union europe´enne. Afin d’alimenter cette re´flexion, et au-dela` des rumeurs, il est indispensable de mieux connaıˆtre le phe´nome`ne de tourisme procre´atif a` travers le recueil des informations disponibles dans les diffe´rents pays et par des e´tudes comple´mentaires. Enfin, l’ame´lioration de l’activite´ de don d’ovocytes en France a` travers des campagnes de communication et le soutien des professionnels doit eˆtre une priorite´, afin de re´pondre a` la demande des couples franc¸ais par une offre satisfaisante coupant court a` l’expansion du tourisme procre´atif. Conflit d’inte´reˆt Les auteurs n’ont pas transmis de conflit d’inte´reˆt.
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Annexe 1. « Catalog of egg donors » – Disponible sur le site Internet d’une clinique de fertilite´ russe.
Re´fe´rences [1] Bodri D, et al. Complications related to ovarian stimulation and oocyte retrieval in 4052 oocyte donor cycles. Reprod Biomed Online 2008;17(2): 237–43.
[2] Pennings G, et al. ESHRE Task Force on Ethics and Law 15: Cross-border reproductive care. Hum Reprod 2008;23(10):2182–4.