Projets de naissance en soins palliatifs : un domaine de la périnatalité à construire

Projets de naissance en soins palliatifs : un domaine de la périnatalité à construire

Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 41 (2013) 251–254 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Revue de la litte´rature Projets de naissan...

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Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 41 (2013) 251–254

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Revue de la litte´rature

Projets de naissance en soins palliatifs : un domaine de la pe´rinatalite´ a` construire Palliative care birth plan: A field of perinatal medicine to build B. Tosello a,*,b, P. Le Coz a, A. Payot c, C. Gire b, M.-A. Einaudi a a Espace e´thique Me´diterrane´en, UMR7268 (anthropologie bio-culturelle, droit, e´thique et sante´), universite´ Aix-Marseille, hoˆpital de La Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, France b Service de ne´onatologie, poˆle Me`re-Enfant, CHU Nord, chemin des Bourelly, 13015 Marseille, France c Unite´ de consultation en soins palliatifs pe´diatriques, unite´ d’e´thique clinique, de´partement de pe´diatrie, service de ne´onatologie, universite´ de Montre´al, CHU Sainte-Justine, 3175, chemin de la Coˆte-Sainte-Catherine, Montre´al, H3T 1C5 Que´bec, Canada

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 16 juillet 2012 Accepte´ le 21 fe´vrier 2013 Disponible sur Internet le 8 avril 2013

Lorsqu’une pathologie fœtale incurable est de´couverte, certains couples choisissent de poursuivre la grossesse, ne pouvant se re´soudre a` une interruption de grossesse pour motif me´dical. De telles situations apparaissent, depuis quelques anne´es, en me´decine ne´onatale et peuvent de´boucher sur une prise en charge palliative ne´onatale. Devant l’impre´cision du diagnostic ante´natal et face aux incertitudes pronostiques, l’e´quipe me´dicale se doit d’informer le couple des diffe´rentes e´volutions possibles, e´tape apre`s e´tape. La prise en charge palliative de l’enfant a` naıˆtre doit alors avoir une cohe´rence d’intention a` la fois dans la re´flexion qui la porte, le discours qui est livre´ aux parents et les actions qui sont mene´es, tout en faisant participer l’ensemble des intervenants d’une e´quipe de sante´. L’un des enjeux est d’explorer comment il est possible de contribuer a` la construction de la parentalite´ dans le contexte d’un projet de naissance en soins palliatifs. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Diagnostic pre´natal Nouveau-ne´ Soins Palliatifs Conside´ration e´thique

A B S T R A C T

Keywords: Prenatal diagnosis Newborn Palliative care Ethical issue

Some couples may choose to continue the pregnancy unable to decide for termination of pregnancy. Such situations recently occurred in neonatology units and may lead to neonatal palliative care. Faced with all uncertainties inherent to medicine and the future of the baby, medical teams must inform parents of different possible outcome step by step. Consistency in the reflection and intentionality of the care is essential among all different stakeholders within the same health team to facilitate support of parents up to a possible fatal outcome. This issue in perinatal medicine seems to be to explore how caregivers can contribute in the construction of parenthood in a context of a palliative care birth plan. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction Les progre`s du diagnostic pre´natal (l’imagerie ante´natale) permettent aux familles de de´couvrir leur enfant pendant la grossesse graˆce a` l’e´chographie qui en donne une image de plus en plus de´taille´e. Si cette re´volution me´dicale permet aux parents d’esquisser les traits de leur enfant, elle permet prioritairement au me´decin de rechercher toute anomalie d’une particulie`re gravite´. En cas de diagnostic de pathologie juge´e grave, incurable ou le´tale, la Loi franc¸aise autorise l’interruption de grossesse pour motif

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Tosello). 1297-9589/$ – see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2013.02.013

me´dical (IMG), s’il existe une forte probabilite´ que l’enfant a` naıˆtre soit atteint d’une affection d’une particulie`re gravite´ reconnue comme incurable au moment du diagnostic (Loi no 75-17 du 17 janvier 1975 ou Loi Veil ; Art. 162-12). Ne´anmoins, certains couples choisissent parfois de poursuivre la grossesse ne pouvant se re´soudre a` une IMG [1]. Certaines de ces situations peuvent conduire a` une prise en charge palliative ne´onatale, dans le respect de la loi (Loi du 22 avril 2005 dite Loi Le´onetti transcrite au Code de la Sante´ Publique, a` l’article L 1110-10) [2]. D’un point de vue le´gal, depuis 2005 en France [3] et depuis 2006 au Que´bec [4], un enfant peut be´ne´ficier de soins palliatifs lorsqu’il est atteint d’une maladie incurable ou a une espe´rance de vie limite´e. Il est aussi indique´ que tout enfant ayant une maladie potentiellement le´tale, mais curable, puisse be´ne´ficier de soins

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palliatifs lors de pe´riodes d’incertitude (e´vitant une obstination de´raisonnable) ou lorsque les traitements curatifs s’ave`rent inefficaces. Ainsi, la notion meˆme d’incertitude devient le cœur du paradigme palliatif, n’excluant pas une approche palliative concomitante des soins curatifs. S’opposant a` l’intentionnalite´ de l’IMG (mort du fœtus), les soins palliatifs pe´rinatals s’inscrivent de`s lors dans un projet de vie, si courte soit-elle. Parce qu’une prise en charge palliative, en se pre´occupant de la qualite´ plutoˆt que de la quantite´ de vie, vise a` tisser d’authentiques relations de parentalite´ entre le couple et l’enfant, elle permettrait que la vie de cet enfant soit la plus sereine possible et que les parents puissent envisager une issue fatale plus acceptable. 2. Une ne´cessaire cohe´rence d’intentionnalite´ ante´- et post-natale La de´couverte d’une anomalie fœtale, surtout si le pronostic vital est engage´, provoque un traumatisme psychologique profond chez les parents. Culpabilite´, angoisse, cole`re, refus de la ve´rite´ et de´valorisation s’entremeˆlent [5,6]. Meˆme si les risques potentiels de la grossesse et de l’accouchement pour la me`re et l’enfant sont socialement compris [7], la mort annonce´e d’un nouveau-ne´ reste toujours insupportable. Ces situations ne´cessitent un temps de re´flexion et d’accompagnement pre´alable a` toute de´cision, adapte´ a` chaque cas particulier. Quand naissance et mort se superposent, les repe`res des professionnels de pe´rinatalite´ sont brouille´s et leur sensibilite´ subjective est mise a` mal. Il est contre-nature d’envisager la fin de vie en de´but de vie. Ainsi, les me´decins e´prouvent des difficulte´s lors d’annonce de pathologies fœtales incurables et se sentent de´munis et seuls dans leur de´marche de´cisionnelle [8]. Ce roˆle, si difficile, d’annonce de la possibilite´ de mort de l’enfant n’est pas une pratique inne´e ni enseigne´e, et la subjectivite´ et le ve´cu de chacun des professionnels s’inscrit en filigrane dans les informations de´livre´es. Le compromis serait peut-eˆtre d’orienter les sentiments qui submergent le soignant vers une objectivite´ compassionnelle (principe de bienfaisance [9]) faite de professionnalisme, d’e´coute et d’e´change. La de´cision de poursuivre ou d’interrompre la grossesse est l’issue de colloques singuliers et d’inte´gration collective d’e´le´ments sociaux. De´ja`, le Comite´ consultatif national d’e´thique (CCNE) dans son avis sur les proble`mes du diagnostic ante´natal et pe´rinatal en 1985, e´nonc¸ait clairement certains principes e´thiques fondamentaux en me´decine, notamment la liberte´ de choix des parents (« la de´cision de poursuivre ou d’interrompre la grossesse appartient en dernier ressort aux parents en vertu de la loi » Avis no 005 [10]). Il condamnait l’e´ventuelle pre´sentation du diagnostic ante´natal comme une obligation sociale : « il convient de prendre garde que l’information ne puisse eˆtre prise comme une pression exerce´e sur (les parents) . . . Il ne saurait eˆtre fait grief aux parents de s’opposer au diagnostic pre´natal ou a` l’interruption de grossesse ». Comment les parents peuvent-ils se de´partir du pouvoir qui leur avait e´te´ « preˆte´ » d’interrompre la vie ? Dans l’e´ventualite´ oppose´e, les deux termes de l’alternative pour laquelle le consentement est sollicite´ apparaissent inacceptables, qu’il s’agisse d’interrompre la vie ou de se soumettre a` la maladie [11]. Ainsi, une des exigences fondamentales de l’e´thique me´dicale, dans ces situations particulie`res, est de garantir une relation e´galitaire de collaboration entre les protagonistes. Cette cohe´rence ne peut se retrouver qu’au travers d’une approche interdisciplinaire, telle qu’elle s’est de´veloppe´e dans plusieurs centres (notamment au Que´bec et a` Rennes). Une approche interdisciplinaire transversale a pour objectif d’impliquer les diffe´rentes spe´cialite´s me´dicales et parame´dicales dans un esprit d’ouverture face a` l’autre et dans chaque situation singulie`re. L’implication de participants aux points de vue professionnels et expe´rientiels diffe´rents permet de de´velopper une compre´hension

plus globale de chaque situation. L’approche pluridisciplinaire a alors un impact pe´dagogique et e´thique dans le de´veloppement de la cohe´rence entre les pe´riodes pre´ et post-natales. 3. Une parentalite´ bouscule´e La naissance est l’aboutissement d’une grossesse, elle-meˆme porteuse d’une richesse relationnelle qui s’exprime en premier lieu dans les interactions du be´be´ avec sa me`re. A-t-on de´ja` entendu d’une femme enceinte dire qu’elle portait un « fœtus » ? Les conse´quences de l’alte´ration de cette relation, par une annonce de pathologie fœtale, peuvent eˆtre irre´me´diables. Le CCNE rappelle, en 2009, dans son avis (no 107) sur les proble`mes e´thiques lie´es aux diagnostics ante´natals : le diagnostic pre´natal (DPN) et le diagnostic pre´implantatoire (DPI) [12]), que « la force du lien maternofœtal rend parfois la de´marche d’une IMG plus e´prouvante encore que l’ide´e d’avoir un enfant atteint d’une affection grave. C’est pourquoi, meˆme lorsque les informations scientifiques et me´dicales les autorisent a` recourir a` une IMG, les couples peuvent prendre la de´cision de poursuivre la grossesse ». Ainsi, « la liberte´ de de´cision est un principe qui ne peut eˆtre remis en question, sous peine d’attenter aux droits fondamentaux de la personne ». Une demande parentale d’IMG, ne veut pas syste´matiquement signifier un de´sir d’IMG. C’est parfois un choix par de´faut, ge´ne´rateur de culpabilite´ et de tensions psychologiques pour les parents, en particulier les me`res [13]. D’une part, il y a la volonte´ de lutter contre la maladie et d’e´pargner des souffrances a` l’enfant a` naıˆtre, d’autre part, il faut faire le deuil de la grossesse et de l’enfant ide´al. En effet, le risque pour le soignant est de n’offrir aux parents qu’une vision biologique de l’enfant a` naıˆtre et d’induire sous couvert d’autonomie parentale, une culpabilite´ lie´e a` la responsabilite´ de la de´cision. D’autant que le contexte e´motionnel de l’annonce rend aussi l’exercice de´cisionnel difficile : si la loi stipule bien que l’information de´livre´e doit eˆtre ‘‘claire’’, ‘‘approprie´e’’ et ‘‘loyale’’, qu’entendent re´ellement les parents ? De`s lors, l’enjeu de la me´decine pe´rinatale est de contribuer a` la construction et/ou pre´servation de la parentalite´ dans le contexte particulier d’un projet de naissance en soins palliatifs. D’une parentalite´ « bouscule´e » par l’annonce du diagnostic irre´me´diable et fatal, et par le poids d’une impossible de´cision d’interrompre la grossesse, le projet de naissance en soins palliatifs pourrait contribuer a` replacer les parents au cœur de leur fonction. Il propose un accompagnement de l’enfant et de l’entourage. Il laisse du temps pour l’acceptation du pronostic. Il aide les parents a` inscrire l’enfant dans leur histoire de couple et permet le partage entre soignants et parents, de la responsabilite´ de la vie (et de la mort) du nouveau-ne´. 4. L’incertitude au cœur des soins palliatifs pe´rinatals Sur le plan le´gal, les e´quipes pe´rinatales peuvent recourir aux soins palliatifs pre´vus comme une alternative a` l’obstination de´raisonnable dans la Loi du 22 avril 2005 [3]. Cette loi relative aux droits des malades et a` la fin de vie donne un cadre juridique a` l’abstention et a` la suppression des traitements curatifs lorsqu’ils sont inutiles ou tellement disproportionne´s qu’ils pourraient s’apparenter a` de l’obstination de´raisonnable. Elle de´termine les conditions ou` les soins palliatifs sont les plus opportuns dans le respect de la dignite´ du patient tout en interdisant l’euthanasie [14]. Ainsi, la me´decine palliative, « aussi vieille que l’humanite´ elle-meˆme » [15], tente de re´pondre aux besoins tre`s particuliers des malades incurables ou en fin de vie. Le nouveau-ne´ peut lui aussi mourir et le droit lui donne la possibilite´ de mourir soulage´, accompagne´ et entoure´. Cependant, une fois prise la de´cision de soins palliatifs, les e´quipes soignantes se retrouvent parfois dans la de´licate position

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ou` l’enfant « irre´me´diablement atteint » survit. La maladie s’inscrit dans la dure´e, et pointe le risque du handicap. Cette notion conduit ine´luctablement au crite`re de qualite´ de vie avec toute l’incertitude et la difficulte´ que l’on peut accorder a` l’e´valuation de cette dernie`re [16]. En ne´onatologie, la qualite´ de vie peut s’inscrire dans une dure´e de vie longue. Il s’agit alors de projeter la capacite´ future de sante´ et de de´veloppement de l’enfant, sa capacite´ a` avoir des ˆ t « humain » pour lui et ses proches. Cette relations, ainsi que le cou position n’est pas sans risque et re´clame une rigueur et un sens aigu de la responsabilite´ e´thique [17]. En effet, l’entre´e en soins palliatifs du nouveau-ne´ conduit ine´vitablement a` accepter l’e´ventualite´ de sa mort, meˆme si celleci n’est ni imminente, ni certaine [7]. Ceci constitue une re´elle difficulte´ dans la de´marche d’accompagnement de ces nouveaune´s. Le professionnel doit alors changer son positionnement : la gue´rison n’est plus a` l’ordre du jour, il s’agit alors prendre soin de l’enfant (le « care » en opposition au « cure »). D’un point de vue purement me´dical, les pathologies permettant d’envisager une issue fatale rapide en post-natal sont relativement rares. Tel que le de´crit Leuthner [18], la majeure partie des diagnostics pre´natals devra eˆtre confirme´e apre`s la naissance. Pour plusieurs d’entre eux, seule l’e´volution de l’enfant permettra de s’assurer que les soins palliatifs sont la meilleure, voire la seule option a` privile´gier. En effet, toutes les anomalies fœtales ne mettent pas en jeu le pronostic vital a` la naissance. Il existe une discontinuite´ entre vies fœtale et ne´onatale, sur plusieurs plans : physiologique, the´rapeutique, psychologique et juridique. Ainsi, l’intentionnalite´ meˆme de la de´marche palliative post-natale, projet de vie de l’enfant, diffe`re de celle de l’IMG (projet de mort du fœtus) [19]. L’accompagnement palliatif d’un nouveau-ne´ ne peut donc en aucun cas eˆtre une simple option, un pis-aller a` l’IMG. Il ne s’agit pas de choisir entre deux traitements pour soigner une maladie, mais bien de faire un choix entre deux projets diffe´rents, prenant place dans des temporalite´s diffe´rentes. La de´marche palliative s’inscrit alors dans une dure´e ouverte et incertaine ou` le bien eˆtre de l’enfant et de sa famille est au cœur du soin, a` la diffe´rence de l’IMG protocolise´e, plus expe´ditive et radicale. Finalement, le soignant de ne´onatologie qui est face au nouveau-ne´ physiquement pre´sent et vivant, se doit d’en prendre soin (traitement avec attention et bienveillance). Il rejoint en cela la pense´e d’E. Le´vinas : « La relation au visage est d’emble´e e´thique ». Ce visage est que l’on ne peut tuer, rappelant l’interdiction ontologique du « tu ne tueras point » [19]. 5. Une « impossible cohe´rence » ? Une cohe´rence de discours entre les pe´riodes ante et postnatales apparaıˆt alors comme une e´vidente ne´cessite´. Elle doit faire face aux diffe´rents intervenants me´dicaux qui peuvent influencer le couple dans leur prise de de´cision, qui peuvent rassurer ou alarmer en fonction des e´motions transmises et qui ne peuvent faire abstraction d’une subjectivite´ « physiologique » [5,8]. En somme, il s’agit de limiter la subjectivite´ pour garantir une neutralite´ des soins, mais aussi d’expliciter l’incertitude. Une e´tude mene´e aupre`s de professionnels de Centres pluridisciplinaires de diagnostic pre´natal montre que les propres convictions des soignants concernant les de´cisions d’IMG influencent dans la moitie´ des cas la de´cision d’un couple [20]. En voulant bien faire ou tout dire, les paroles du me´decin lors de l’annonce, peuvent parfois eˆtre malfaisantes. Le choix des mots, le ton de l’annonce [21], et l’« alliance the´rapeutique » telle qu’elle est de´crite par P. Ricoeur [22], autrement dit les pre´requis de l’e´thique de la relation de soin, conditionnent la de´cision future. L’honneˆtete´ scientifique consisterait a` accepter l’insupportable incertitude, est souvent battue en bre`che, le me´decin se sentant dans l’obligation de prendre position.

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L’organisation des soins en re´seaux pe´rinatals complexifie davantage la prise en charge. Les repre´sentations inconscientes de la maladie chez le soignant varient en effet avec leur pratique et leurs convictions. De nombreux facteurs les de´terminent : expe´rience de la pathologie, acce`s aux donne´es me´dicales re´centes, valeurs morales, religieuses, objectifs professionnels, rapport intime a` la maladie, au handicap, a` la mort. . . Ces repre´sentations transparaissent e´galement plus ou moins dans la communication avec les parents. Elles jouent meˆme un roˆle de´cisif dans le choix des e´le´ments objectifs que le me´decin de´cide d’exposer aux parents. De fait, la multiplicite´ des intervenants et des contextes peut ge´ne´rer des incohe´rences dans les discours et les prises en charge. Il arrive fre´quemment que dans les situations critiques impliquant la me`re et le fœtus, les obste´triciens et les pe´diatres soient en de´saccord (surveillance du rythme cardiofœtal et/ou de´cision de ce´sarienne dans les contextes si difficiles et singuliers de pathologies fœtales le´tales). Ainsi, pour l’e´quipe obste´tricale, l’objectif est d’associer a` la fois la surveillance de la sante´ de la me`re et le respect de la demande parentale. Certaines de ces pathologies le´tales sont sans retentissement sur la grossesse et donc sur la sante´ de la me`re. Ne´anmoins, certaines, obligent a` recourir a` un geste obste´trical (par exemple : ponction de liquide amniotique) [23]. Il est donc indispensable que l’obste´tricien informe le couple des diffe´rents sce´narii possibles et des traitements qui seront e´ventuellement propose´s. En cas de difficulte´s me´dicales, avec un pronostic maternel engage´, un de´clenchement qui peut eˆtre re´alise´ sans geste fœticide, ajoute a` la pathologie de l’enfant les complications de la pre´maturite´ et impose plus encore une stricte de´finition du niveau de traitement post-natal. Pour ce qui concerne le de´roulement du travail et de l’accouchement, l’ensemble de la de´marche doit eˆtre de´fini dans le dossier obste´trical en accord avec l’e´quipe de ne´onatologie. Cette notification permet un respect du choix me´dical et parental, s’adressant, plus spe´cifiquement aux me´decins de garde. Le risque maternel ne doit en aucune fac¸on eˆtre augmente´ par une proce´dure d’accouchement privile´giant le be´be´. Un constat analogue d’incohe´rence de discours peut eˆtre fait au sein d’une meˆme spe´cialite´ ou d’une meˆme cate´gorie professionnelle [24]. Ainsi, les informations de´livre´es aux parents risquent alors d’eˆtre contradictoires et de renforcer leur angoisse de´ja` bien pre´sente face a` une situation clinique douloureuse. De meˆme, des visions diffe´rentes, voire oppose´es influent sur la qualite´ des e´changes entre les me´decins du pre´- et du post-natal, au point d’alte´rer parfois leur confiance mutuelle. Ce mode de fonctionnement base´ sur la relation interindividuelle du soignant avec son patient est ainsi la source de nombre de proble´matiques et d’incohe´rences. En effet, lorsque le sujet de soins n’est plus uniquement biome´dical, mais porte´ par de multiples valeurs qui e´chappent a` la logique me´dicale, les interpre´tations et repre´sentations peuvent prendre le dessus. Or c’est a` ce niveau qu’une cohe´rence de discours et d’approche s’ave`re essentielle. Par conse´quent, chaque intervenant se doit de respecter, autant que faire se peut, une cohe´rence globale, tout en ayant un discours rassurant et respectueux du contexte spe´cifique, se basant avant tout sur les besoins et les attentes des parents. Dans le cadre du colloque singulier parents/me´decin, chaque protagoniste est porteur de valeurs, d’histoires et de besoins diffe´rents. Cette cohe´rence doit se de´velopper au travers d’une approche interdisciplinaire, inte´grant la pratique de soins dans un dialogue constant avec les autres acteurs implique´s dans chaque situation. Si cela reste difficile, l’intervention d’une e´quipe me´dicale exte´rieure peut apporter des e´le´ments positifs de re´flexion sans se substituer aux e´quipes traitantes. Parmi ces intervenants, les e´quipes mobiles de soins palliatifs pe´diatriques, voire ne´onatales

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B. Tosello et al. / Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 41 (2013) 251–254

semblent tre`s inte´ressantes. Elles participent au prendre-soin et apportent une aide a` la prise de de´cision et surtout a` la re´alisation de la de´marche palliative. Elles facilitent l’e´mergence d’une de´marche e´minemment e´thique en diffusant une culture palliative cohe´rente et consciente qui inclut les limites de la condition humaine et de la science. Un tel accompagnement ne´cessite aussi de comprendre les enjeux anthropologiques d’une socie´te´ moderne me´tisse´e, plurielle dans ses cultures, religions et valeurs [25]. 6. Conclusion La spe´cificite´ de la me´decine pe´rinatale – patient double (voire multiple) et interlocuteur unique – fait que l’e´vidente continuite´ des affects parentaux ne peut pas eˆtre l’objet, d’un point de vue me´dical, d’une discontinuite´ tranche´e entre l’ante´natal et le post-natal. La prise de conscience des me´decins qu’expulser l’ « inquie´tante e´trangete´ » [26,27] ne de´barrasse pas les parents du proble`me, constitue un nouveau cadre de re´flexion : comment construire un « eˆtre ensemble » pour les multiples spe´cialistes, les futurs parents, dans un temps ou` chaque instant compte, sachant que la sensation, meˆme bre`ve, d’eˆtre « laˆche´s » peut pre´cipiter les couples vers l’abandon de leur enfant. Ceci exige des acteurs de la pe´rinatalite´ d’« eˆtre la` », accueillir celles ou ceux qui viennent formuler une demande de soin au sens large. Ainsi, une e´thique de la me´decine pe´rinatale peut s’envisager comme le garant d’une continuite´ des propos et du respect de l’autonomie des parents. C’est donc du partage des connaissances, ainsi que la rencontre entre le point de vue de l’obste´tricien et celui de ses interlocuteurs pe´diatres que naıˆtraient les repre´sentations d’un avenir possiblement humanise´ pour cet enfant-la`, atteint de cette pathologie-la`. Les professionnels parlent dans ce sens d’une « nouvelle me´decine pe´rinatale », ou`, ensemble, au fil des jours, obste´triciens, ne´onatologistes, pe´diatres spe´cialistes, ge´ne´ticiens, sages femmes et d’autres spe´cialite´s me´dicales partagent les connaissances et les techniques. Cette nouvelle me´decine, faite de liens de partenariat clair et vivant entre protagonistes et d’une re´flexion transversale, tente de maıˆtriser l’incertitude et de ne pas e´teindre la parentalite´. De plus, ces dimensions ne peuvent se re´duire au domaine biome´dical et s’ouvrent vers une interdisciplinarite´ en inte´grant d’autres acteurs (psychosociaux, spirituels du soin et associations). Si, la me´decine pe´rinatale, met en application cohe´rence et continuite´, elle permettra de combattre le morcellement de´shumanisant [28]. De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

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