Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2015) 14, 31—39
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ÉTUDE ORIGINALE
Soins palliatifs et précarité : l’impossible équation ? Étude sur l’hébergement social en unité de soins palliatifs Palliative care and vulnerability: An impossible equation? A study of social sheltering in palliative care units Camille Desforges ∗, Laurent Montaz Unité de soins palliatifs, pavillon Jeanne-Garnier, CHU de Poitiers, 2, rue de la Milétrie, 86021 Poitiers, France evrier 2014 ; rec ¸u sous la forme révisée le 30 juin 2014; accepté le 4 octobre 2014 Rec ¸u le 12 f´ Disponible sur Internet le 27 f´ evrier 2015
Camille Desforges
MOTS CLÉS Unités de soins palliatifs ; Précarité sociale ; Prolongation de séjours ; Hébergement social ; Alternative à l’hospitalisation
∗
Résumé Objectifs. — À l’heure de la rationalisation des soins, la question se pose de l’adéquation entre l’offre de soins palliatifs et les besoins générés par la précarité sociale en fin de vie. Les objectifs étaient d’évaluer la réalité de l’hébergement social en unité de soins palliatifs et d’en déterminer les facteurs causals. Matériel et méthode. — Cette étude prospective a été réalisée entre février et juillet 2013 auprès de quatre unités de soins palliatifs (Nantes, Tours, Angers et Poitiers). Les données étaient recueillies par un questionnaire à j21 de tous les séjours qui atteignaient cette borne, afin de distinguer parmi les séjours prolongés ceux qui l’étaient pour des raisons d’ordre social. L’hébergement social était défini par le délai entre le jour où le patient était jugé médicalement sortant et le jour de la sortie effective. Parmi les facteurs prédictifs définis, les facteurs contrariant le projet de sortie du patient ont alors été identifiés : familiaux, financiers et structurels. Résultats. — Sur les 44 séjours identifiés, 16 ont été prolongés pour des raisons d’ordre purement social, pour un taux de nuitées d’hébergement social mesuré à 10,3 %. L’hébergement social apparaissait comme le résultat du cumul d’au moins deux facteurs de précarité parmi la
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Desforges).
http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2014.10.002 1636-6522/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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C. Desforges, L. Montaz pauvreté, l’isolement et le mal-logement, empêchant alors le retour à domicile, sans que soit disponible d’alternative à l’hospitalisation. Conclusion. — L’hébergement social est une réalité, qu’elle soit assumée par l’unité de soins palliatifs ou déplacée en aval. Face aux pressions budgétaires qui contraignent l’hôpital, d’autres solidarités doivent être envisagées pour répondre aux besoins des patients jeunes et précaires en fin de vie. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Palliative care unit; Social vulnerability; Prolongation of stays; Social sheltering; Alternative to hospitalization
Summary Objectives. — At a time when care is being rationalized, the question arises: is there adequacy between the provision of palliative care and the needs generated by social disadvantage in end-of-life? The objective of this study was to assess the actual status of social sheltering in pallative care units and determines the causal factors. Materials and methods. — Prospective study conducted between February and July 2013 in four palliative care units in French hospitals (Nantes, Tours, Angers and Poitiers). Data were collected using a questionnaire at D21 for each stay that reached this duration in order to determine which of the prolonged stays were for social reasons. Social sheltering was defined as the period during which a patient remains in hospital between the day of being deemed medically fit for discharge and the actual day of discharge. Then we identified the factors that impede a patient’s discharge, within three categories: family, financial, and structural. Results. — Of the 44 identified stays, 16 were extended for purely social reasons, equating to 10.3 % of nights being social sheltering. Social sheltering appeared to be the result of at least two factors of vulnerability from amongst poverty, isolation, and poor accommodation, which — in the absence of any alternative to hospitalization — prevented the return at home. Conclusion. — Social sheltering is a reality whether the responsibility is assumed by palliative care units or passed downstream. Given the budgetary constraints that the hospital faces, we ought to seek partnerships in responding to the needs of young and vulnerable end-of-life patients. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Au regard de la circulaire de 2008, l’unité de soins palliatifs est une structure spécialisée qui accueille toute personne atteinte de maladie grave, évolutive, mettant en jeu le pronostic vital, en phase avancée ou terminale, qui ne peut plus être suivie à domicile, en établissement médicosocial ou dans un service hospitalier classique, et nécessite l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire ayant des compétences spécifiques [1]. L’admission est subordonnée au critère de complexité, elle-même définie par la multiplicité des motifs parmi des critères d’ordre médical : charge en soins trop lourde, intensité des symptômes détériorant de fac ¸on majeure la qualité de vie du malade ; et des critères plus subjectifs de l’ordre de la nécessité d’un accompagnement du patient ou des proches : souffrance morale intense et réfractaire, détérioration majeure de la qualité de vie familiale, situation sociofamiliale complexe, questionnement difficile dans le champ de l’éthique. Or, d’un côté, les unités de soins palliatifs s’inscrivent dans des établissements de santé en pleine mutation, au profit d’une démarche entrepreneuriale avec les logiques comptables et de rentabilité qu’impose un contexte
budgétaire difficile, et sont soumises au système de tarification à l’activité. Et, de l’autre côté, certains patients en situation de précarité sociale voient leurs séjours en unité de soins palliatifs se prolonger faute de possibilité d’accueil en aval, augmentant ainsi la durée moyenne de séjour et émoussant d’autant la « performance » de l’hôpital, alors que leur situation clinique stabilisée ne relève plus des moyens spécialisés de l’unité de soins palliatifs. Au cœur de ces tensions éthiques, la question se pose de la capacité qu’ont aujourd’hui les unités de soins palliatifs de répondre aux besoins des personnes en situation de précarité sociale, parmi lesquels un besoin crucial d’accompagnement humain et social [2]. L’objectif principal de cette étude est de déterminer la réalité de l’hébergement social en unité de soins palliatifs, afin de savoir ce qu’il en est de l’adéquation entre l’offre de soins palliatifs telle qu’elle existe en France, et les besoins générés par les situations de précarité sociale en fin de vie. L’objectif secondaire est d’identifier plus précisément les différents facteurs contribuant à l’hébergement social en unité de soins palliatifs. Les facteurs sociaux prédictifs de prolongation de séjour définissent les critères de jugement secondaires.
Soins palliatifs et précarité : l’impossible équation ? En toile de fond, s’élabore la question de l’opportunité de la promotion d’un nouveau type d’accueil adapté à ces patients dont la problématique médicale ne relève plus de l’unité de soins palliatifs mais dont la situation sociale compromet un retour à domicile ou une admission dans un autre établissement.
Matériel et méthode Il s’agit d’une étude prospective longitudinale, menée pendant six mois entre le 1er février 2013 et le 31 juillet 2013 auprès des unités de soins palliatifs de six centres hospitalo-universitaires de la région Grand-Ouest : Nantes, Tours, Angers, Poitiers, Brest et Rennes.
Choix de la population : les séjours prolongés L’étude a inclus des cas consécutifs de séjours se prolongeant au-delà du 21e jour d’hospitalisation. Parmi ces séjours, ceux dont la prolongation était liée à des motifs d’ordre médical ont été distingués de ceux dont la prolongation était associée à des motifs autres, notamment d’ordre social.
Critère de jugement principal : l’hébergement social Le critère de jugement principal de l’étude était l’hébergement social, défini par l’intervalle entre la borne à laquelle le patient était jugé médicalement sortant et la borne correspondant à la fin du séjour. Il était exprimé en nombre de nuitées, en cohérence avec la mesure des durées de séjours utilisée dans le programme de médicalisation des systèmes d’information. Les patients dont l’état clinique (physique et/ou psychologique) était stabilisé ont été considérés comme « médicalement sortants ».
Résultats secondaires : facteurs prédictifs d’hébergement social Les facteurs prédictifs d’hébergement social, définis sur la base d’une première phase d’observation menée à l’unité de soins palliatifs du centre hospitalo-universitaire de Poitiers en 2011, comprenaient : • des facteurs familiaux et matériels, liés au patient : il s’agissait des facteurs de précarité sociale, celle-ci étant définie par une pauvreté économique (restant à charge trop élevé), et/ou une situation d’isolement, et/ou une situation de mal-logement ; • des facteurs structurels, liés à la disponibilité des professionnels (libéraux, réseaux, service d’hospitalisation à domicile) et des structures alternatives à l’hospitalisation.
Recueil des données Les données ont été recueillies à l’aide d’un questionnaire standardisé, rempli de fac ¸on systématique au 21e jour de tout séjour atteignant cette borne. Il comprenait trois parties :
33 • une première partie rendait compte de la situation de départ : motif d’admission principal, motifs d’admission associés, autonomie, situation sociale et financière ; • une deuxième partie renseignait la situation clinique du patient au 21e jour et permettait de distinguer : un premier groupe de patients non sortants médicalement, pour lequel l’enquête n’était pas poursuivie ; et un second groupe de patients médicalement sortants, pour lequel une enquête plus détaillée était menée et précisait les raisons, autres que purement médicales, s’opposant à la sortie du patient : obstacles familiaux (absence d’entourage aidant, entourage aidant présent mais épuisé, réticent, ou non disponible, personnes à charge dans l’entourage), obstacles matériels (situation de mal-logement, restant à charge trop élevé, délais d’obtention des aides trop longs), obstacles structurels (défaut d’infirmiers libéraux, de services de soins infirmiers ou d’hospitalisation à domicile, ou défaut d’alternatives à l’hospitalisation : absence de structure adaptée, manque de place, institutionnalisation soumise à un critère d’âge) ; • une troisième partie, pour ce second groupe de patients jugés médicalement sortants à 21e jour, était renseignée le jour de la sortie administrative du service, et précisait le terme du séjour et sa conclusion : décès, transfert, ou retour à domicile. À la fin du recueil, une enquête complémentaire était adressée au responsable local et au service d’informations médicales de chaque structure, afin de situer les unités de soins palliatifs les unes par rapport aux autres, et permettre l’analyse des disparités dans les résultats. Un observateur unique basé au centre hospitalo-universitaire de Poitiers, n’ayant pas participé au recueil, était chargé de centraliser l’ensemble des données et de les analyser.
Résultats Sur les six unités de soins palliatifs sollicitées, quatre ont participé au recueil de données : Nantes, Tours, Angers et Poitiers.
Résultats principaux Trois cent soixante et onze séjours (soit 5320 nuitées) ont été recensés entre le 1er février 2013 et le 31 juillet 2013 dans les quatre unités de soins palliatifs ayant participé à l’étude. Quarante-quatre séjours dépassaient le 21e jour d’hospitalisation, parmi lesquels 16 étaient prolongés pour des raisons d’ordre social, alors que les patients étaient sortants médicalement. Le taux d’hébergement social a été mesuré à 10,3 % (549 nuitées d’hospitalisation entre le jour où le patient était jugé sortant et le jour de la sortie effective sur 5320). Dans les autres cas, les séjours ont été prolongés pour des raisons médicales, pouvant être cumulées : douleur non soulagée (neuf cas), symptômes physiques ou psychiques non équilibrés (20 cas), phase terminale (12 cas), justifiant le recours aux moyens humains et techniques d’une unité de soins palliatifs. Dans le détail, l’hébergement social était mesuré à 1,9 % pour l’unité de soins palliatifs de Nantes (25 nuitées
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C. Desforges, L. Montaz
Tableau 1 Impact de l’hébergement social dans quatre unités de soins palliatifs (Nantes, Angers, Tours et Poitiers), entre le 1er février et le 31 juillet 2013. Social sheltering impact in four palliative care units (Nantes, Tours, Angers and Poitiers) between February and July 2013.
Capacité d’accueil (nombre de lits) Durée moyenne de séjour (jours) Ratio décès/séjours Ratio retours à domicile/séjours Ratio transferts/séjours (dont nombre de transferts en service de soins de suite et de réadaptation) Nombre de séjours Nombre de séjours prolongés (raisons sociales) Nombre de nuitées d’hébergement social Taux d’hébergement social (% de nuitées)
Nantes
Angers
Tours
Poitiers
8 12,1 0,79 0,12 0,09 (4)
5 11,7 0,36 0,32 0,32 (11)
10 14,7 0,39 0,49 0,12 (3)
10 18 0,62 0,30 0,08 (2)
109 2
59 3
104 3
99 8
25 1,9 %
36 5,2 %
68 4,4 %
420 23,6 %
sur 1319), 5,2 % pour Angers (36 nuitées sur 690), 4,4 % pour Tours (68 nuitées sur 1529) et 23,6 % pour Poitiers (420 nuitées sur 1782). Les résultats sont présentés dans le Tableau 1. D’un point de vue individuel, les prolongations de séjours pour des raisons sociales étaient de trois à 207 nuitées au-delà du jour où le patient était jugé médicalement sortant.
Résultats secondaires Les résultats secondaires concernaient les facteurs associés à l’hébergement social. Ils étaient établis sur la base du recueil des données relatives à la situation familiale et matérielle des patients, ainsi que sur la base des données de l’enquête complémentaire (facteurs structurels).
Obstacles à la mise en œuvre du projet de sortie Facteurs sociaux liés au patient : obstacles familiaux et matériels La prolongation des séjours, lorsqu’elle n’était pas liée à des motifs médicaux, était associée à plusieurs facteurs sociaux, d’ordre familial ou matériel. Dans la plupart des cas (11 cas sur 16), les facteurs limitant la sortie étaient multiples chez un même patient. Une situation d’isolement (absence de personne ressource, épuisement, indisponibilité, peur) était présente dans la totalité des 16 cas ; ce défaut d’entourage était aggravé dans trois cas par une situation de mal-logement (logement absent, insalubre ou inadapté, notamment pour l’accueil de gardes-malades). Dans un cas, le patient n’avait pas d’entourage et, dans les 15 autres cas, on notait non pas une absence, mais une défaillance de l’entourage : épuisement (sept cas), crainte ou refus (huit cas), indisponibilité (trois cas) ou présence de personnes à charge (un cas). L’isolement était alors relatif, défini comme l’absence d’un entourage aidant à proprement parler. Six patients (37,5 %) pourtant éligibles au Fonds national d’action sanitaire et sociale ne pouvaient y accéder : les revenus annuels dépassaient de justesse le plafond de
ressources fixé par la loi, tout en restant trop faibles pour qu’ils puissent assumer le restant à charge (de 10 à 15 % de l’enveloppe de 3000 euros).
Facteurs locorégionaux : obstacles structurels L’hébergement social était également associé à plusieurs facteurs d’ordre structurel. L’absence d’alternative à l’hospitalisation (pas de structure adaptée ou manque de place, institutionnalisation soumise à un critère d’âge et délai d’obtention d’une dérogation trop long) était notée dans dix cas sur 16 (62,5 %). Les données recueillies auprès du département de l’information médicale de chacune des structures permettaient d’identifier des disparités importantes entre les unités de soins palliatifs en termes : de capacité d’accueil (nombre de lits variant de cinq pour Angers à huit pour Nantes, jusqu’à dix pour Poitiers et Tours), de durée moyenne de séjour (variant de 11,7 pour Angers à 18 pour Poitiers), de trajectoire des patients, exprimée par le nombre de décès, de retour à domicile et de transferts rapportés au nombre de séjours (Tableau 1).
Devenir des patients Dans 25 % des cas d’hébergement social (quatre cas sur 16), les patients ont finalement été transférés dans une structure d’accueil alternative : service de soins de suite et de réadaptation, établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes, maison d’accueil spécialisée, unité de soins de longue durée, après un délai respectivement de 7, 22, 42 et 207 jours. Dans 50 % des cas (huit cas sur 16), un retour à domicile a été réalisé, avec une hospitalisation à domicile (deux cas), hospitalisation à domicile et gardesmalades (deux cas), avec un service de soins infirmiers à domicile (un cas), ou sans autres aides que l’entourage (trois cas). Dans 25 % des cas (quatre cas sur 16), le séjour s’est conclu par le décès du patient dans l’unité de soins palliatifs, alors même que le patient ne relevait plus des moyens spécifiques d’une unité de soins palliatifs depuis, respectivement, 18, 14, 47 et 56 jours.
Soins palliatifs et précarité : l’impossible équation ?
Discussion Analyse de la méthode Recherche des biais Seule une étude multicentrique permettait d’intégrer des facteurs spécifiques tels que l’impact d’un réseau efficace, d’un service de soins de suite et de réadaptation conciliant, ou l’influence des critères d’admission. En revanche, l’évaluateur unique basé sur le centre de Poitiers ne pouvait contrôler d’une fac ¸on égale le recueil des données des autres centres, avec le risque relatif d’un recueil aléatoire. Ce biais de mémorisation a été cependant minoré par des contacts réguliers, pour préciser certaines données et traduire avec plus d’acuité les difficultés rencontrées. La participation de plusieurs variables dans la prolongation de séjour a été évaluée, parmi lesquelles l’autonomie du patient. Le faible nombre de patients permettait une observation au cas par cas, et si la dépendance impactait logiquement le projet de sortie, il n’en reste pas moins que dans toutes les situations, la dépendance engendrée par le handicap physique n’était pas un obstacle en elle-même, mais le devenait du fait de la précarité sociale sous-jacente (notamment, la défaillance de l’entourage). Cette observation rejoint celle de Lang et al., qui montraient que le niveau de dépendance n’était pas un marqueur pertinent de la prolongation de séjours [3].
Mesure de la variable principale Le choix du 21e jour comme borne basse d’un séjour prolongé, définie a priori, tenait compte de la durée de séjour attendue (10 jours) et de la borne haute (12 jours) au regard du PMSI, ainsi que de la durée moyenne de séjour nationale (16,9 jours pour les centres hospitalo-universitaires).
Évaluation de l’hébergement social en unité de soins palliatifs Le concept d’hébergement social peut prêter à discussion si l’on se réfère aux critères d’admission définis par la circulaire de 2008 qui sont ceux d’une situation complexe et qui ne se limitent pas à des critères médicaux [1]. Si le niveau de précarité socioéconomique entraînant une détérioration substantielle de la qualité de vie du patient peut renforcer la légitimité d’une admission en unité de soins palliatifs, c’est le principe de complexité qui conditionne l’admission, lui-même étant défini par la multiplicité des critères. Par ailleurs, si l’unité de soins palliatifs n’est pas un service de « court séjour », s’agissant d’une structure spécialisée « qui accueille de fac ¸on temporaire ou permanente » les patients qui relèvent de ses indications, il convient de rappeler que sont alloués aux unités de soins palliatifs des moyens considérables, à la fois humains et techniques, pour assumer leurs missions de soins, et assurer la surveillance rapprochée de patients dont l’état clinique est instable et dont les symptômes sont souvent « bruyants ». Même si le bénévolat d’accompagnement y est développé, et même si l’assistante sociale et la psychologue ont un rôle dédié et déterminant, l’unité de soins palliatifs reste un lieu où la priorité est à la médicalisation : si le ratio du personnel est plus élevé qu’ailleurs, c’est d’abord et
35 avant tout à la faveur d’un ratio soignant : 21,5 équivalent temps plein (ETP) de soignants pour une unité de dix lits, pour 1 ETP de psychologue et 0,5 ETP d’assistante sociale, à titre indicatif d’après le référentiel de 2008. L’unité de soins palliatifs ne semble donc pas, a priori, être le lieu privilégié pour la prise en charge du « long mourir » chez la personne précaire lorsque celle-ci, équilibrée d’un point de vue clinique, relève avant tout d’un accompagnement humain, social, psychologique et spirituel. De même en est-il pour l’expression « médicalement sortant », dont la pertinence peut être pour la même raison contestée lorsqu’elle s’applique aux patients en unité de soins palliatifs, qui a été choisie pour les besoins de l’étude, afin de discerner parmi les séjours prolongés ceux qui se prolongeaient pour des raisons d’ordre purement social, lorsque l’état clinique du patient était par ailleurs stabilisé. Cette terminologie n’est utilisée dans ce travail que pour caractériser un profil tout à fait particulier de séjours, dont la raison d’être ne se situe que dans le seul champ de la précarité sociale. Tous les séjours identifiés ne sauraient être qualifiés d’hébergement social, lorsque l’intervalle entre la sortie médicale et la sortie administrative est réduit à quelques jours. Ainsi, en était-il pour deux patients sur les 16 inclus, sortis respectivement à j22 (+3) et j21 (+5), sans que cela traduise nécessairement une difficulté sociale. Le nombre de nuitées est donc préférable au nombre de séjours en ce qui concerne l’expression des résultats. À notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée au profil des séjours se prolongeant pour des raisons sociales en unité de soins palliatifs. Les comparaisons avec les données de la littérature sont donc limitées. En revanche, l’influence de la précarité sur la durée moyenne de séjour à l’hôpital a été mise en évidence, notamment chez Mathy et Bensadon, qui ont montré que, pour des groupes homogènes de malades identiques, les patients dits « précaires » avaient une durée de séjour globalement supérieure de 36 % à celle des patients « non précaires », avec un coût de séjour majoré de 33 % (l’accroissement du coût étant lié non pas à la complexité de la prise en charge mais à la durée prolongée du séjour) [4] ; de même, Bréchat et al. ont montré que les personnes de plus de 50 ans ayant des handicaps sociaux restaient hospitalisées plus de 2,5 jours en moyenne par rapport à celles qui n’avaient pas de handicap social, avec un surcoût hospitalier imputable au handicap social de 18 % [5].
Obstacles à la mise en œuvre du projet de sortie du patient
Dans tous les cas d’hébergement social, étaient cumulés deux facteurs de précarité parmi l’isolement, le mal-logement et la pauvreté économique, ce qui suggère le théorème suivant : un facteur de précarité sociale ne constitue un obstacle à la sortie d’unité de soins palliatifs que lorsqu’il est cumulé avec un autre (Fig. 1).
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C. Desforges, L. Montaz moitié des cas d’hébergement social. Ce décalage entre l’indication théorique d’un retour à domicile qu’autorise une situation clinique stabilisée, et l’obstacle que représente la défaillance de l’entourage, est évoqué dans un récent rapport de l’Observatoire national de la fin de vie, qui souligne la difficulté de trouver l’équilibre entre la nécessité de respecter la volonté du patient et la considération portée aux souhaits des aidants [8].
Rôle du logement
Figure 1. Théorème prédictif de l’hébergement social. Predictive equation of social sheltering.
Le mécanisme de l’hébergement social se déclinait ainsi : en premier lieu, une défaillance de l’entourage (absence, épuisement, indisponibilité, peur), aggravée par une situation de mal-logement ou par une pauvreté économique, empêchant la mise en place des gardes-malades nécessaires au retour à domicile ; à cette situation de précarité répondait l’absence de structure adaptée capable de représenter une alternative à l’hospitalisation.
Facteurs sociaux individuels Rôle de l’entourage Parmi les conditions sine qua non du retour à domicile, la plupart des auteurs citent la présence de la famille ou d’un entourage aidant autre que familial [6]. Le rôle de l’isolement dans l’hébergement social est clairement mis en évidence dans notre travail, puisque l’on retrouve la notion d’un entourage défaillant dans la totalité des cas identifiés. En revanche, il convient de distinguer l’isolement absolu, noté dans un seul cas, de l’isolement relatif, lié à un entourage épuisé, réticent (par peur la plupart du temps) ou indisponible (travail, maladie, personnes à charges), ce dernier ne pouvant être considéré comme un critère de précarité sociale.
Une des conclusions de l’étude peut ainsi s’énoncer : la précarité sociale impose l’hospitalisation lorsqu’elle est associée à une défaillance de l’entourage. Le rôle de la maladie dans la perte des liens a bien été objectivé, notamment chez Élic ¸abe et al. [7]. L’isolement aggrave l’isolement : non seulement le patient désocialisé ne peut pas convoquer un réseau d’entraide, mais la maladie elle-même, facteur d’anxiété et d’impuissance pour l’entourage (impuissance à gérer la plainte), induit souvent l’éloignement des proches. La notion d’épuisement est, quant à elle, rapportée dans notre travail dans près de la
En 2013, près de 700 000 personnes étaient privées de domicile personnel et 2,8 millions vivaient dans des conditions de logement très difficiles (privation de confort, surpeuplement) [9]. Dans notre étude, un seul patient était sans logement. Dans deux autres cas, une situation de mal-logement était identifiée, étant considérés comme mal-logés les patients dont le domicile était insalubre ou inadapté : par exemple, un logement ne comprenant qu’une seule pièce de vie compromet la mise en place de gardesmalades la nuit. Cependant, le mal-logement n’est pas suffisant pour justifier en lui seul la prolongation du séjour : dans ces deux cas, d’autres facteurs compromettaient la sortie indépendamment de la précarité du logement. Privés des ressources du Fond national d’action sanitaire et sociale pour des raisons liées à des conventions locales, ces patients ne pouvaient compter sur la mise en place de gardes-malades à domicile pour suppléer l’indisponibilité de l’entourage. Dans le cas du patient sans domicile, qui n’avait par ailleurs pas d’entourage, l’âge jeune ne permettait pas l’accueil en établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes, l’absence de « projet de sortie » lui a fermé les portes du service de soins de suite et de réadaptation, et une demande d’accueil familial n’a pu aboutir. L’obtention d’une dérogation a finalement permis le transfert vers une unité de soins de longue durée, au terme d’un hébergement de cinq mois. L’hébergement social en unité de soins palliatifs pour ce patient a atteint le chiffre record de 207 jours.
L’effet du cumul de difficultés financières, d’un âge jeune, d’un entourage absent et d’une situation de mal-logement paraît majeur.
Impact des revenus Tout bénéficiaire relevant du régime général et suivi en soins palliatifs peut prétendre au Fonds national d’action sanitaire et sociale, à condition qu’il soit suivi par une équipe mobile ou un réseau de soins palliatifs, une structure d’hospitalisation à domicile ou un service de soins infirmiers à domicile. Si cette enveloppe (3000 euros, renouvelable une fois) permet le recouvrement des frais de garde-malade à domicile et de certaines prestations non remboursables, sa mise en place se heurte à plusieurs difficultés : l’indication est limitée par la charge en soins (service d’hospitalisation ou de soins infirmiers à domicile), sauf à être pris en charge par un réseau ville—hôpital spécifique ou par une équipe mobile de soins palliatifs extrahospitalière, condition qui reste région-dépendante ; par ailleurs, le dispositif est conditionné au fait de rester à son domicile, étant donc exclues les personnes hébergées dans les domiciles « de substitution » tels que les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes ; enfin, certains patients qui
Soins palliatifs et précarité : l’impossible équation ? ont des faibles revenus, tout en restant juste au-dessus du barème prévu, ne peuvent accéder au Fonds national d’action sanitaire et sociale faute de pouvoir payer le restant à charge, de 15 % (450 euros). Dans notre étude, ce restant à charge était trop élevé dans 37,5 % des situations d’hébergement social.
Or bien souvent, le retour et le maintien à domicile sont conditionnés au financement de gardes-malades. D’autres solidarités doivent alors se mettre en place (secteur associatif par exemple) mais relèvent d’un bricolage fragile et ne sauraient se substituer à des mesures qui trouveraient leur pérennité dans une définition légale.
Facteurs d’ordre structurel Aux facteurs de précarité, parfois cumulés, étaient opposés des obstacles structurels, avec dans 62,5 % des cas l’absence de structure adaptée disponible. L’écart important d’incidence de l’hébergement social entre celle du centre hospitalo-universitaire de Poitiers (76,5 % de l’ensemble de l’hébergement social) et les autres unités de soins palliatifs semble étroitement lié à la présence ou non de structures susceptibles de représenter une alternative à l’hospitalisation, et les partenariats développés localement. Ainsi, le manque de structures adaptées est traduit par le taux d’hébergement social plus ou moins important en fonction du bassin d’implantation de l’unité de soins palliatifs : de 1,9 % pour celle du centre hospitalo-universitaire de Nantes, bénéficiant d’une collaboration étroite avec les services de soins de suite et de réadaptation ; 5,2 % pour celle du centre hospitalo-universitaire d’Angers, bénéficiant d’un partenariat avec le service de soins de suite et de réadaptation (sur la période de l’étude, sur 59 séjours et 19 transferts, on en dénombre 11 vers le service de soins de suite et de réadaptation) ; 4,4 % pour celle du centre hospitalo-universitaire de Tours, bénéficiant d’un réseau ville—hôpital très développé, ainsi que d’une entente avec le service d’oncologie susceptible d’accepter des transferts depuis l’unité de soins palliatifs, notamment dans la situation particulière du « palliatif chronique » (le patient chemine alors entre le domicile, l’unité de soins palliatifs et le service d’oncologie) ; et jusqu’à 23,6 % pour l’unité de soins palliatifs du centre hospitalo-universitaire de Poitiers, dont le bassin est pauvre en structures alternatives à l’hospitalisation.
Influence du recrutement des patients en unité de soins palliatifs Le développement des unités de soins palliatifs étant insuffisant pour répondre à toutes les demandes d’admission a priori justifiées [10], le ministère de la Santé a validé, dans sa circulaire de 2008, l’établissement de critères d’admission, tout en laissant un champ d’appréciation large aux médecins décideurs. Dans ce cadre relativement ouvert, le recrutement peut être plus ou moins prédictif de l’hébergement social en fonction des critères d’admission propres à chaque unité de soins palliatifs. En ce qui concerne l’unité de soins palliatifs de Nantes, l’accueil privilégié de patients en phase terminale, pour lesquels l’objectif du
37 séjour est l’encadrement de la phase d’agonie, explique la forte proportion de décès (79 % contre 36 % à Angers) et participe à la réduction de la durée moyenne de séjour constatée : 11,7 jours contre 16,9 jours au niveau national. Les critères d’admission, laissés au libre jugement médical, ne favorisent pas le recrutement de patients en situation palliative chronique et susceptibles d’être concernés par l’hébergement social. De même, l’unité de soins palliatifs d’Angers, avec ses cinq lits intégrés dans un service de médecine interne, se positionne comme un service de médecine aiguë, ce qui peut non seulement influencer le recrutement mais également la mise en œuvre des projets de soins, au profit d’un transfert facilité vers le service de soins de suite et de réadaptation et d’une réduction de la durée moyenne de séjour. Aussi peut-on supposer que si l’hébergement social existe, il est transféré de l’unité de soins palliatifs sur le service de soins de suite et de réadaptation. L’unité de soins palliatifs du centre hospitalier Luynes-Tours, quant à elle, bénéficie d’une relative indépendance vis-à-vis du centre hospitalo-universitaire : le recrutement, peu soumis aux pressions budgétaires et aux politiques de raccourcissement des durées moyennes de séjour, est large et inclut une forte proportion de « palliatif chronique ». Enfin, l’unité de soins palliatifs du centre hospitalo-universitaire de Poitiers dispose d’une « fiche de classement des demandes d’admission par ordre de priorité » renseignée à partir des données consignées dans le formulaire de demande d’admission. La notion de précarité chez les patients nécessitant une prise en charge palliative représente un critère majeur qui rend l’admission prioritaire.
Collaboration avec le service de soins de suite et de réadaptation On le voit bien à Nantes et à Angers, c’est essentiellement la présence de service de soins de suite et de réadaptation « conciliants » qui permet d’absorber l’hébergement social de l’unité de soins palliatifs, en acceptant de prendre le relais lorsque le patient est médicalement sortant, même s’il n’y a pas de perspective lisible de retour à domicile (le problème de l’hébergement social n’est alors que déplacé). Ce n’est pas le cas de l’unité de soins palliatifs du centre hospitalo-universitaire de Poitiers, qui présente par ailleurs le plus fort taux d’hébergement social alors que le service de soins de suite et de réadaptation, en cohérence avec ses missions, et du fait d’une orientation principalement gériatrique (101 lits sur 122), ne permet que peu de transferts. La circulaire du 3 octobre 2008 le rappelle dans son annexe 1 : l’admission en service de soins de suite et de réadaptation est conditionnée au projet thérapeutique qui pourra être défini en termes d’objectifs de soins médicaux, de rééducation et de réadaptation.
Impact des réseaux et de l’hospitalisation à domicile En considérant le ratio de retours à domicile à l’unité de soins palliatifs du centre hospitalier Luynes-Tours (0,49), très supérieur à celui de Poitiers (0,30), alors que ces unités sont par ailleurs relativement comparables, on peut supposer que la présence d’un réseau ville—hôpital spécifique à Tours, solidement implanté et très développé, est un facteur facilitant la mise en œuvre du projet de
38 sortie des patients. Cependant, si un réseau performant ou un service d’hospitalisation à domicile disponible peut faciliter le retour et le maintien à domicile de certains patients, il ne sera d’aucun intérêt pour ceux qui, identifiés dans cette étude, sont isolés et/ou mal-logés et relèvent dès lors de structures d’accueil alternatives.
Positionnement éthique Par ce travail, il ne s’agit en aucun cas de se faire complice d’une logique d’exclusion à l’admission en unité de soins palliatifs, et les auteurs déplorent les pressions que la logique de la tarification à l’activité peut exercer sur ces structures, et les risques inhérents de sélection des « bons patients » susceptibles de participer à l’établissement de « bons séjours », c’est-à-dire suffisamment courts pour permettre une valorisation maximale. Bien au contraire, les auteurs souhaitent partir de ce constat, qui va à l’encontre de l’éthique et de la philosophie palliativiste, pour réfléchir aux moyens de corriger le tort fait à des patients qui sont plus vulnérables que d’autres du fait d’une précarité sociale qui s’ajoute à la précarité physique de la maladie. L’établissement de critères d’admission, et donc, logiquement, d’une certaine forme de sélection, s’opposet-elle à l’éthique ? La question se pose. Car il n’est pas du ressort de l’hôpital en général, et des unités de soins palliatifs en particulier, d’accueillir tous les « mourants » de la société. Or l’intention de la sélection est positivement l’admission, et non l’exclusion qui elle n’en est que la conséquence. Et cette sélection reste nécessaire ne serait-ce qu’au nom du principe de justice : l’établissement de critères d’admission permet de hiérarchiser les demandes, a priori selon une inspiration de bienfaisance, pour permettre de réserver aux plus nécessiteux les soins spécifiques. C’est du moins ce qu’il nous est permis d’envisager. Et si l’éthique intervient, plus que dans le principe de la sélection, elle concerne davantage les critères de hiérarchisation des demandes qui peuvent, du point de vue de l’éthique, être justes ou non. Le risque d’élaboration de critères normatifs est patent et s’immisce subrepticement dans la littérature scientifique pourtant acquise à la cause humaniste des soins palliatifs. Au sujet de la durée des séjours en unité de soins palliatifs, on distingue désormais les « séjours prolongés bien qu’usuels » des « séjours anormalement longs ». À côté de la moyenne, cette durée moyenne de séjour qui établit un repère, il y aurait donc une norme arbitraire. Ce qui dépasse, et quelles qu’en soient les raisons, est désormais anormal. Dès lors, on devine clairement le risque de dévier du principe de bienfaisance dans l’établissement des critères de sélection, qui ne s’intéresseraient plus d’abord au seul intérêt de la personne malade, mais se mettraient au service de l’institution, en sélectionnant les « bons patients ». C’est ce que dénonce Verspieren, au sujet du favoritisme de la part de l’hôpital vis-à-vis des malades auxquels la médecine de pointe, la plus valorisée aujourd’hui, est adressée [11]. Entre les attentes des patients et celles de l’institution de laquelle ils dépendent, les soignants sont partagés et les discours peuvent diverger sur la vocation des unités de soins palliatifs : si certains défendent le respect d’un statut bien à part, sur l’argument que la démarche palliative ne peut répondre à une logique de rentabilité sans perdre
C. Desforges, L. Montaz son âme, d’autres semblent composer avec ces exigences budgétaires, en recherchant le plus haut niveau d’éthique possible compte tenu des moyens alloués.
Les acteurs des soins palliatifs peuvent se contenter de déplorer ou de dénoncer une certaine dérive technicienne de l’hôpital qui se marie mal avec la démarche palliative. Ils peuvent aussi, sans négliger ce travail de « résistance » à l’intérieur des institutions, choisir de s’extraire de cette contradiction en faisant preuve de créativité, pour réfléchir au développement d’autres formes de solidarités susceptibles d’amener les soins palliatifs auprès des plus vulnérables, trop souvent laissés pour compte. Les soins palliatifs ne peuvent-ils pas être appelés à pallier jusqu’aux limites du système de santé ?
Perspectives L’hébergement social est une réalité, qu’elle soit assumée par l’unité de soins palliatifs ou déplacée en aval. Or, les unités de soins palliatifs s’intégrant dans des établissements de santé soumis à des exigences de rentabilité, il existe un risque d’exclusion à l’entrée, en l’absence de structures d’aval susceptibles d’apporter des réponses adaptées aux difficultés posées par la précarité. Un tel manque d’offre, notamment à l’égard des sujets jeunes en situation de précarité sociale, est doublement dommageable : pour les patients d’abord, en termes d’accompagnement, puisqu’une fois leur état clinique stabilisé, une prise en charge en structure prioritairement médicale risque de se faire au détriment d’un accompagnement social adapté ; et pour les autres patients relevant potentiellement d’une unité de soins palliatifs, dont l’admission est acceptée « trop tard », faute de lits disponibles. De ce constat, nous pouvons tirer deux propositions : ou bien l’on considère que l’hôpital du XXIe siècle doit continuer à assumer sa mission séculaire d’hospitalité, notamment envers les personnes les plus vulnérables, et la question des moyens humains, financiers et structurels doit clairement se poser ; ou bien l’on considère que l’évolution actuelle de l’hôpital, vers un établissement de santé devant répondre à des exigences de performances techniques et comptables, est éthiquement acceptable sous réserve que l’on envisage parallèlement d’autres solidarités pour répondre aux problèmes posés par la prise en charge des personnes les plus vulnérables, parmi lesquelles les personnes précaires en fin de vie : la question des alternatives à l’hospitalisation se pose alors. Actuellement, plusieurs projets sont à l’étude, parmi lesquels les appartements de coordination thérapeutiques, ou encore un dispositif adapté d’accueil familial. Sans doute n’y a-t-il pas de solution idéale et peut-être aurait-on tort de poursuivre à tout prix la quête d’une « meilleure solution possible » qui puisse être généralisable à l’échelle nationale. Cette étude le montre nettement : les réalités et les besoins ne sont pas du tout les mêmes en fonction des bassins dans
Soins palliatifs et précarité : l’impossible équation ? lesquels sont implantées les unités de soins palliatifs et les structures localement disponibles.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références [1] Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins. Circulaire no DHOS/02/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l’organisation des soins palliatifs. Paris: ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative; 2008. p. 22. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire 099 250308.pdf [2] Castel R. La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu. Paris: Seuil; 2009. [3] Lang PO, Heitz D, Meyer N, Dramé M, Jovenin N, Ankri J, et al. Indicateurs précoces de durée de séjour prolongée chez les sujets âgés. Étude pilote réalisée au CHRU de Strasbourg. Presse Med 2007;36:389—98. [4] Mathy C, Bensadon M. Le surcoût de l’hospitalisation des patients précaires. Econ Med 2002;20:263—78.
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