Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions

Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions

Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 325—330 MÉTHODOLOGIE Recherche et évaluation en soins palliatifs : pano...

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 325—330

MÉTHODOLOGIE

Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions Research and assessment in palliative care: Overview and reflections Vincent Gamblin a,1,∗, Franc ¸ois-Xavier Derousseaux b,2, Serge Blond c,3, Magali Pierrat b,4, Sara Balagny d,5 a

Unité de soins palliatifs, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307, 59020 Lille cedex, France b Unité de soins palliatifs, hôpital cardiologique, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq, 59037 Lille, France c Hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille, rue Émile-Laine, 59037 Lille, France d Hôpital Calmette, CHRU de Lille, boulevard du Pr-Leclercq, 59037 Lille, France Rec ¸u le 26 novembre 2010 ; accepté le 8 avril 2011 Disponible sur Internet le 18 mai 2011

MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Recherche ; Évaluation quantitative ; Évaluation qualitative ; Éthique

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Résumé Cet article a pour but, à partir de données issues de la littérature, de présenter de fac ¸on synthétique un certain nombre d’éléments de réflexion sur l’intérêt et les limites de la recherche et de l’évaluation — tant quantitative que qualitative — dans le contexte des soins palliatifs. L’emploi d’outils de recherche et d’évaluation, tout à la fois porteurs d’une image idéale d’un « bien mourir » et prétendant objectiver ce qui relève fondamentalement d’un vécu subjectif, nécessite en effet le maintien d’une certaine distance critique afin de ne pas se substituer à la relation avec le patient. Dans cette optique, il paraît ainsi essentiel d’intégrer des approches méthodologiques issues des sciences sociales, conjointement à une réflexion d’ordre éthique. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Gamblin). Praticien CLCC. Photo. Praticien hospitalier, responsable de la clinique de soins palliatifs. PUPH, chef du service de neurochirurgie fonctionnelle (B) et responsable du CETD. PH, unité de soins palliatifs. PH, équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs, responsable du service d’hospitalisation à domicile.

1636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2011.04.001

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KEYWORDS Palliative care; Research; Qualitative evaluation; Quantitative evaluation; Ethics

V. Gamblin et al.

Summary The purpose of this article is to present synthetically, based on literary data, some items of reflection on the interest and the limits of the evaluation process in palliative care, whether it be a qualitative or quantitative approach. The use of evaluation techniques is questionable for they imply an ideal depiction of a ‘‘proper way of dying’’ and because they claim to objectivate a fundamental subjective matter. Therefore it is necessary to keep a critical distance with this evaluation process not to alter the relationship with the patient. As a result, it proves essential to integrate the methodological approach issuing from social sciences into an ethical reflexion. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction La nécessité de la recherche en soins palliatifs s’impose pour un grand nombre d’équipes, afin non seulement d’améliorer la prise en charge des patients mais aussi d’optimiser le fonctionnement de ces équipes et d’assurer leur reconnaissance par le monde médical. Toutes les structures de soins palliatifs ont en effet une vocation de recherche, mais qui soulève des interrogations et trouve des limites en rapport avec leur sujet même, la personne gravement malade et son entourage [1—5]. De plus, dans le contexte actuel de santé publique visant le respect des « bonnes » pratiques soignantes dans le double objectif d’offrir une prise en charge uniforme et optimale des patients et de maîtriser les dépenses de santé (tarification à l’activité), les soins palliatifs sont tout autant concernés par ces exigences d’évaluation. Toute la difficulté va donc consister à associer à l’évaluation de résultats à partir d’indicateurs objectivement mesurables ce qui fait la spécificité des soins palliatifs, à savoir l’accompagnement global des patients, y compris dans leurs dimensions psychosociale et spirituelle. Le défi actuel des soins palliatifs est alors d’envisager de nouveaux modèles, de fac ¸on alternative mais néanmoins complémentaire aux approches classiques [6,7].

Principes de la recherche quantitative (ou sommative) — Essais contrôlés randomisés (ECR) Le paradigme à la base du modèle biomédical dominant est représenté par une vision du monde positiviste, où le but fondamental est la recherche de la vérité. Celle-ci est considérée comme étant unique, objective, mais surtout observable, mesurable, et ne dépendant aucunement ni du chercheur ni des moyens mis en œuvre pour la trouver. Ainsi, afin de déterminer si un phénomène donné est lié ou non au seul effet du hasard, le chercheur va utiliser un certain nombre de critères validés et définir un cadre méthodologique artificiel lui permettant de contrôler le plus grand nombre de paramètres possibles susceptibles d’influencer sa recherche. L’étude portant sur un échantillon randomisé, un modèle statistique permettra enfin de généraliser les résultats à la population totale d’où provient cet échantillon. Dans le cadre de l’Evidence Based Medicine, les ECR

représentent la procédure autorisant le plus haut niveau de preuve [1,8].

Difficultés d’application des essais contrôlés randomisés en soins palliatifs Cependant, dans le contexte des soins palliatifs (mouvement qui s’est développé au moins partiellement en opposition avec cette conception positiviste), les ECR posent un certain nombre de problèmes en raison du caractère multidimensionnel de la prise en charge des personnes en fin de vie. En effet, moins de 5 % des études publiées en soins palliatifs ont utilisé les ECR [1]. On peut ainsi identifier un certain nombre de biais [1,5,6,8,9].

Dans la sélection des patients Les échantillons sont bien souvent de petite taille dans le cas de patients suivis en soins palliatifs. Si, pour corriger ce biais, on s’intéresse à des échantillons plus grands de malades non suivis en soins palliatifs mais susceptibles de bénéficier de ce type de soins (par le biais d’équipes mobiles ou de soignants formés aux soins palliatifs), se pose alors le problème de l’hétérogénéité des prises en charge. Afin que les groupes comparés soient les plus homogènes possibles, on s’efforce de définir des critères d’inclusion précis. Cependant en soins palliatifs, il existe une très grande disparité entre les patients selon la pathologie, le stade d’évolution, la symptomatologie, le contexte sociofamilial, compromettant ainsi la représentativité des groupes. De nombreux médecins de soins palliatifs sont opposés à la randomisation pour des raisons éthiques, considérant qu’ils doivent offrir le meilleur traitement possible à leurs patients. De même selon les études, 10 à 67 % des malades refusent de participer aux recherches cliniques [5].

Dans le recueil des données La période de suivi est limitée par la médiane de survie, celle-ci étant de plus particulièrement difficile à estimer, d’où des patients parfois inclus ou exclus à tort. Le taux d’abandon est élevé et varie de 34 à 80 % selon les études [5], et est à mettre en rapport avec la rapide dégradation physique et/ou psychique des patients. Ainsi l’utilisation de questionnaires d’autoévaluation, à première

Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions vue les plus adaptés, n’est pas facilitée lorsque la maladie évolue. La plupart des indicateurs de santé habituellement utilisés ne sont pas validés pour une utilisation dans un cadre palliatif et risquent de ne pas être sensibles à ces soins. La subjectivité des mesures effectuées compromet la reproductibilité de ces études. Les problèmes rencontrés sont en effet souvent situés à l’intersection de plusieurs domaines, médical, relationnel, social, éthique. . . Dans le cas d’une comparaison prise en charge palliative/non palliative, la diffusion de plus en plus généralisée d’un certain « savoir-faire » en soins palliatifs rend parfois difficile la mise en évidence d’une différence significative entre les procédures de soins. Enfin, bien souvent dans les structures de soins palliatifs les moyens humains ou financiers dévolus à la recherche sont encore insuffisants.

Cependant, même si le modèle biomédical classique d’évaluation des résultats n’est pas particulièrement adapté aux soins palliatifs, les ECR restent pour la plupart des auteurs un idéal vers lequel tendre. La prise en charge palliative, par définition complexe car de nature médico-psychosociale, voire spirituelle, ne peut être simplement évaluée comme une procédure de soins techniques. Les spécificités des soins palliatifs rendent donc nécessaires l’adjonction d’autres méthodes, notamment des méthodologies de recherche qualitative utilisées dans le domaine des sciences sociales. Au regard de la définition du principe de « souffrance globale », il apparaît donc indispensable d’associer autant que possible ces deux types d’approches, quantitative et qualitative, l’expérience des équipes de soins palliatifs en termes de multidisciplinarité et de non-étanchéité des pratiques étant sur ce point un atout majeur.

Principes de la recherche qualitative (ou formative) Dans ce cas, la vérité n’apparaît pas comme un phénomène unique, objectivable, mesurable, extérieur à l’expérimentateur. Elle est au contraire une construction basée sur les représentations, conceptions et perceptions des personnes impliquées. La recherche qualitative va ainsi s’intéresser surtout au contexte, à l’environnement d’un système, et aux interactions qui vont s’établir entre ses différents composants. Elle va chercher à connaître et comprendre des phénomènes subjectifs, des expériences, des opinions, des motivations, des comportements. Elle se base fondamentalement sur deux notions principales [10,11].

Le concept de réflexivité La vérité n’étant donc pas considérée comme un phénomène extérieur, objectif, l’évaluateur fait partie intégrante du système étudié, et chaque participant va accepter de

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se transformer, d’évoluer au contact de l’autre. La distanciation sujet—objet n’a donc plus lieu d’être. Chacun est à la fois chercheur et objet de la recherche. Cette notion se retrouve dans le principe de la recherche—action, qui consiste à générer des changements en association avec le recueil de données.

Le concept de triangulation Il s’agit de multiplier les sources de données, les méthodologies (entretiens, études statistiques, observation directe, etc.), mais aussi les observateurs, afin de recueillir le maximum d’informations. Un même système est alors étudié selon différentes approches, chacune ayant ses spécificités méthodologiques tout en étant complémentaires les unes par rapport aux autres. Et les éventuelles divergences de résultats, loin d’invalider l’étude, permettent au contraire d’apporter un surcroît de renseignements. Dans cette logique « d’enquête », l’entretien ou « interview » reste l’outil le plus souvent employé. Élaboré à partir d’un guide spécifique, il présente des degrés de directivité variables selon la liberté d’expression laissée à la personne enquêtée : entretien libre (ou non directif), entretien guidé (ou semi-directif), entretien directif, voire même questionnaire structuré [1]. Tout autant que la recherche quantitative, la recherche qualitative répond à un certain nombre de critères de rigueur [11] : • la reproductibilité : elle se vérifie par une double interprétation des résultats reposant sur une triangulation des investigateurs ; • la validité : elle repose sur la comparaison des résultats de plusieurs méthodes ; • la transférabilité : transposition de la généralisation des études quantitatives, elle se vérifie par l’application de la théorie dans un contexte analogue à celui de l’étude initiale. Plusieurs stratégies peuvent être proposées afin de respecter au mieux ces trois critères [7,12] : • utilisation d’un cycle de recherche : de fac ¸on régulière le chercheur passera de la réflexion à l’action et de l’action à la réflexion dans un mouvement de va-et-vient afin d’adapter et d’équilibrer de fac ¸on continue chacun de ces deux pôles du travail ; • la prise en charge des projections inconscientes : la recherche en soins palliatifs peut générer des émotions pénibles chez le chercheur, réveiller des difficultés personnelles et ainsi diminuer la validité de l’étude. Une supervision avec un suivi psychologique peut alors prévenir toute situation de détresse [12] ; • une recherche collaborative : l’équipe doit travailler dans un contexte de multidisciplinarité et organiser régulièrement des rencontres entre tous les participants. Au total, la recherche qualitative est essentiellement un cadre méthodologique centré sur un dispositif plutôt que sur des performances, et impliquant les acteurs eux-mêmes. À titre d’illustration, une enquête qualitative publiée en 2009 réalisée sous la forme d’entretiens semi-directifs auprès de professionnels et bénévoles de différentes équipes de soins palliatifs a cherché à analyser la fac ¸on dont ces derniers concevaient leur activité en fonction

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des besoins et attentes des malades et de leurs proches, et a permis d’identifier différents modèles de prise en charge [13].

Démarche qualité et soins palliatifs Recherche et évaluation, tant quantitatives que qualitatives, concourent finalement dans le domaine des soins à la recherche du critère de qualité, dimension incontournable de la politique de santé actuelle, s’exprimant en particulier à travers les démarches de certification [14]. Sous cet angle, l’évaluation concerne les deux aspects suivants [15] : • qualité de vie du patient ; • qualité des soins.

Les soins palliatifs, en tant que partie intégrante de la pratique médicale contemporaine, ne peuvent faire l’économie d’une telle démarche s’ils souhaitent conserver et affermir leur légitimité.

Évaluation de la qualité de vie du patient La notion de qualité de vie reste particulièrement subjective, mais pourrait se définir comme étant « l’inverse de la distance qui sépare les buts de la vie d’un individu, de la capacité qu’il a de les atteindre » [16]. Il s’agit d’un concept multidimensionnel, couvrant tout à la fois les champs du bien-être physique, psychique, familial, social et spirituel. De nombreux instruments de mesure sont actuellement disponibles sous forme de questionnaires remplis par le patient lui-même, et les études concernant ce sujet se sont multipliées ces dernières années, témoignant ainsi à la fois de son importance mais aussi de sa complexité. Il faut également rappeler qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune échelle de qualité de vie validée en franc ¸ais pour le patient relevant de soins palliatifs. Une étude multicentrique ayant pour principal objectif de valider différents questionnaires anglo-saxons de qualité de vie en phase palliative avancée chez des patients atteints de cancer est en cours (Protocole Cancer End of Life Evaluation : CEOLE). Ces outils peuvent être schématiquement classés dans trois catégories selon leur domaine d’application [16—18] : • des mesures génériques, qui ne sont pas spécifiques d’une population ou d’une maladie. L’Edmonton Symptom Assessment System (ESAS) utilise neuf échelles visuelles analogiques correspondant chacune à un symptôme (douleur, fatigue, nausée, dépression, anxiété, somnolence, appétit, bien-être, respiration) [19] ; • des mesures pour des populations ou des pathologies particulières, comme le European Organisation for Research into the Treatment of Cancer Quality of Life Questionnaire (EORTC-QLQ-C30), très souvent cité, ou le Functional Assessment of Cancer - General Version (FACT-G) ; • des mesures concernant des symptômes spécifiques, comme la douleur (McGill Pain Questionnaire), l’anxiété et la dépression (Hospital Anxiety and Depression Scale [HADS]), ou encore l’asthénie.

Quelques instruments ont été développés spécifiquement pour une utilisation dans le cadre des soins palliatifs : le Schedule for the Evaluation of Individual Quality of Life (SEIQOL), le McGill Quality of Life Questionnaire (MQOL), le Life Evaluation Questionnaire (LEQ), le Assessment of Quality of Life at the End of Life (AQEL). Actuellement, les derniers outils élaborés cherchent à s’intéresser plus au vécu subjectif des patients, à leur propre perception de la maladie, qu’à la description de leurs symptômes. Deux orientations peuvent être distinguées sur le plan méthodologique : • l’approche multidimensionnelle, qui concerne la majorité des questionnaires, où la qualité de vie est définie selon plusieurs items ; • l’approche individualisée, qui permet au patient de pondérer chaque item en fonction de l’importance qu’il lui accorde. Appartiennent à cette catégorie le SEIQOL, le Patient Evaluated Problem Score (PEPS), le profil de qualité de vie subjective (PQVS) [16—18].

Évaluation de la qualité des soins Le second volet de la démarche qualité est représenté par l’évaluation de la qualité des soins, l’objectif des professionnels étant de répondre aux besoins du patient et de reconnaître ses attentes. Le Support Team Assessment Schedule (STAS) reste l’outil le plus souvent utilisé, et le seul publié et validé à de nombreuses reprises. Élaboré en 1990 en Angleterre sous forme d’un « audit clinique » prospectif des soignants, il s’adresse aux équipes de soins palliatifs à domicile [20]. Ce questionnaire comprend 16 items (neuf concernent le patient et sa famille, et sept les services fournis), chacun étant côté de 0 à 4 (douleurs, symptômes, angoisse du patient, angoisse de la famille, conscience du patient sur son espérance de vie, conscience de la famille sur l’espérance de vie, communication entre le patient et sa famille, communication entre les professionnels, communication entre les professionnels et le patient et/ou la famille, projets personnels, aides pratiques, finances, temps perdu, vie intérieure, anxiété des professionnels). Ainsi, remplis par chacun des membres de l’équipe lors de réunions hebdomadaires, le STAS permet de mettre en évidence les difficultés de prise en charge d’un patient donné et donc de mesurer la qualité des soins. On assiste également depuis peu à l’apparition d’outils d’évaluation de nouvelle génération comme le Palliative care Outcome Scale (POS), élaboré par les auteurs du STAS. Il se propose de regrouper dans un même instrument mesure de la qualité de vie et évaluation de la qualité des soins, patient et équipe soignante répondant à une même série de questions [20]. Cette dernière approche « intégrée » illustre le fait que l’évaluation de la qualité des soins nécessite d’analyser l’adéquation de ceux-ci aux besoins du malade et de son entourage, tout en ayant conscience que les paroles et attitudes des soignants eux-mêmes peuvent majorer la souffrance directement générée par la maladie [21]. Des échelles de mesure prenant en compte ces besoins semblent donc plus adaptées à la fin de vie [20]. L’étude qualitative menée par Yaël Tibi-Levi de 2005 à 2006 dans cinq unités de soins palliatifs s’est ainsi intéressée au point de vue des

Recherche et évaluation en soins palliatifs : panorama et réflexions « usagers », en recueillant par des entretiens semi-directifs auprès de patients et de familles les qualités que doit posséder à leurs yeux une unité (équipe et environnement) pour être jugée « performante » [22].

Limites de la démarche qualité en soins palliatifs, quelques réflexions éthiques L’utilisation d’outils d’évaluation de la qualité de vie et de la qualité des soins soulève déjà dans la plupart des disciplines un certain nombre de difficultés d’ordre méthodologique, pratique ou même éthique, d’autant plus dans le cadre de la médecine palliative [15—18,20,23,24] : • l’interprétation des résultats reste particulièrement subjective, notamment dans le recueil de certains items comme par exemple le bien-être spirituel ou social ; • l’abondance des outils disponibles rend parfois difficile le choix de l’instrument le plus adapté ; • certains items peuvent sembler inappropriés à des patients en fin de vie, comme l’activité professionnelle ou la sexualité ; • concernant les autoquestionnaires patients, certaines échelles trop longues ou complexes peuvent être difficiles à faire remplir ; • les conséquences de la mesure de la qualité de vie sur le patient restent mal évaluées et influent sur l’acceptabilité des questionnaires ; • enfin, trop souvent ces instruments sont établis à partir de l’avis d’experts, et non selon le vécu propre des patients. Ainsi, les auteurs s’accordent sur la nécessité de poursuivre l’évaluation de ces outils de mesure et sur l’importance de la comparaison de leur efficacité respective. Mais ces échelles qualité doivent demeurer complémentaires à la relation patient-soignant et ne pas s’y substituer, le malade demeurant au centre de la prise en charge multidisciplinaire. Cependant, et cette fois sur le plan de la réflexion éthique, se pose la question à travers cette démarche qualité de la distance entre soins palliatifs et modèle biomédical classique. Deux interrogations principales paraissent pouvoir être soulevées [15,16,20,23,25] : • dans quelle mesure ces outils sont-ils porteurs d’une vision idéalisée de la fin de vie, d’un « bien mourir », vision normative d’une société du paraître et de l’image faisant parfois peser sur les soignants une responsabilité excessive ? La fin de vie reste inévitablement remplie de peurs, d’incertitudes, voire même de mystères, et parler de « qualité de vie » durant cette période peut sembler paradoxal. La démarche qualité peut alors apparaître dans une certaine mesure comme un moyen de réassurance face à nos doutes et nos peurs. La plupart des critères communément admis pour définir une « bonne mort » apparaissent peu pertinents ou peu réalistes, voire ne sont pas avancés par les malades eux-mêmes : contrôle et confort de la fin de vie, accès conscient à sa propre fin, absence de fardeau pour l’entourage, optimisation de ses relations avec ses proches, mort « naturelle » [26] ; • de quelle objectivité parle t-on alors que l’on prétend « mesurer », « évaluer », ce qui relève d’un vécu subjectif ? Une étude originale avait justement mis en évidence la difficulté de prétendre évaluer les besoins spirituels

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des patients en soins palliatifs [27]. Ce qui ne serait pas mesurable, donc en dehors de la démarche Qualité, ne serait-il plus de la Qualité [15] ? Alors que la rencontre avec le patient se veut singulière, au nom précisément de ce qui fait l’unicité de chaque malade, le risque pour la pratique palliative serait de chercher une « objectivité à tout prix », y compris dans des domaines tels que le vécu psychologique, la spiritualité, ou le sentiment religieux. Ces outils doivent donc demeurer, sous peine même de perdre toute validité, des occasions de rencontre avec le patient, de récit d’une histoire clinique, où la « valeur étalon », le « gold standard », serait représenté par un recueil fidèle de la parole du malade, axé sur son vécu, comme par exemple dans le cadre de l’étude Qalidovie, basée sur des entretiens non directifs [16].

Conclusion Afin de respecter la spécificité de la médecine palliative, il semble indispensable d’être particulièrement attentif au maintien de la dimension qualitative de l’évaluation, fondamentalement basée sur le dialogue et la relation. Toutefois, dans ce contexte, l’emploi d’outils d’évaluation (évaluation de la qualité de vie et de la qualité des soins), tout à la fois porteurs d’une image idéale d’un « bien mourir » et prétendant objectiver ce qui relève fondamentalement d’un vécu subjectif, nécessite le maintien d’une certaine distance critique afin de ne pas se substituer à la relation avec le patient. Il existe sans aucun doute un « mystère » inhérent à la fin de vie de chacun, que l’on peut tenter d’approcher précisément en acceptant de « ne pas savoir ». Il s’agira donc pour les soignants impliqués dans l’évaluation de rester conscients de leurs propres limites et incertitudes, tout en visant une médecine palliative de qualité sans cesse en questionnement et cherchant à améliorer ses prises en charge. Une démarche d’évaluation nécessite ainsi d’adopter une véritable attitude éthique, s’intégrant dans un contexte pluridisciplinaire et présupposant écoute de l’autre et écoute de soi, où chacun accepte de se transformer et d’évoluer à travers la relation. La question de la démarche d’évaluation paraît alors trouver son origine dans la problématique du rapport à l’altérité et à la différence, la difficulté essentielle étant finalement, dans un double mouvement d’engagement et de désengagement, de trouver dans la relation avec l’autre, la juste mesure entre deux extrêmes : l’autre en tant que « tout autre », et l’autre en tant que « autre moi » [28].

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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