ACTUALITÉS 2012 EN IMMUNOLOGIE
Protéines cryoprécipitantes en pathologie : cryoglobuline et cryofibrinogène Marie-Nathalie Kolopp-Sardaa,*, Colette Chapuis-Celliera, Isabelle Dimeta, Christine Lombarda
RÉSUMÉ
SUMMARY
Le froid entraîne des signes cliniques chez certains sujets du fait de la précipitation de protéines sériques ou plasmatiques dans les vaisseaux de petit et moyen calibre, telles que les cryoglobulines et le cryofibrinogène. Les cryoglobulines sont constituées principalement d’immunoglobulines monoclonales ou polyclonales. Elles sont essentielles ou secondaires à des pathologies immunoprolifératives, auto-immunes ou infectieuses. Les signes cliniques associés sont des vascularites, se traduisant par des signes cutanés (purpura, phénomène de Raynaud), des arthralgies, une insuffisance rénale et des neuropathies périphériques. Le cryofibrinogène, en association avec de la fibronectine et autres protéines plasmatiques, est impliqué dans des phénomènes thrombotiques liés au froid (purpura, livedo, ulcération, nécrose). La recherche de ces cryoprotéines exige des conditions pré-analytiques très strictes : prélèvement, transport et coagulation à 37 °C. Les demandes doivent être initiées dans un contexte clinique évocateur, car le diagnostic d’une cryoglobulinémie ou d’une cryofibrinogénémie est difficile : d’une part ces cryoprotéines sont présentes chez des sujets asymptomatiques et d’autre part leur concentration n’est pas toujours proportionnelle à la sévérité des signes cliniques. La recherche et le suivi de ces cryoprotéines sont essentiels car leur présence peut entraîner des complications graves par atteinte d’organes vitaux ou développement de néoplasie. Cryoglobuline – cryofibrinogène – vascularites – diagnostic biologique – hépatite C.
Cryoprecipitating proteins in pathology : cryoglobulin and cryofibrinogen Cold is responsible for clinical symptoms in some subjects, caused by seric or plasmatic proteins precipitation in small or medium vessels, as cryoglobulins or cryofibrinogen. Cryoglobulins are constituted with monoclonal or polyclonal immunoglobulins, with sometimes rheumatoid factor activity. They are essential or secondary in immunoproliferative, autoimmune or infectious diseases. Cutaneous vasculitis (purpura, Raynaud phenomenon), arthralgies, peripheral neuropathies or renal failure are the main cryoglobulinemic symptoms. Cryofibrinogen, associated with fibronectin and others plasmatic proteins, is involved in cold triggered thrombotic events (purpura, livedo, ulceration, necrosis). Strict pre-analytic conditions are essential to evidence cryoproteins in serum or plasma : blood sample, transport and coagulation at 37 °C. Cryoprotein analysis must be initiated in evocating clinical context, because of difficulties in cryoglobulinemia or cryofibrinogenemia diagnosis : first, these cryoproteins could be present in asymptomatic subjects, second, cryoprotein concentration is not proportional to symptom severity. Nevertheless, biologic study is essential, even in low concentration, because of potential renal or neoplasic complications of these cryoproteins. Cryoglobulin – cryofibrinogen – vasculitis – biologic diagnosis – hepatitis C.
Liste des abréviations aa : acides aminés Acs : anticorps FR : facteur rhumatoïde Ig : immunoglobuline
1. Introduction
VHC : virus de l’hépatite C
Laboratoire d’immunologie Centre de biologie Sud Centre hospitalier Lyon-Sud 165, chemin du Grand-Revoyet 69495 Pierre-Bénite cedex a
* Correspondance
[email protected] article reçu le 25 mai, accepté le 30 mai 2012. © 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
Wintrobe et Buell [1] furent les premiers en 1933 à décrire le cas d’un patient myélomateux dont le sérum « donnait au froid un précipité inhabituel disparaissant avec son réchauffement ». Les signes cliniques rapportés alors étaient une grande susceptibilité au froid, un syndrome de Raynaud, une acrocyanose des extrémités, des épistaxis, des hémorragies gingivales et de la langue et des thromboses rétiniennes. En 1947, Lerner et Watson [2] proposèrent le terme de cryoglobulines pour ces protéines sériques cryoprécipitantes. Meltzer et Franklin [3] décrirent une triade de signes cliniques purpura – arthralgie – asthénie associée aux cryoglobulinémies. En 1974, Brouet et al. [4] proposèrent une classification des cryoglobulines après REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2012 - N° 444 //
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analyse immunochimique. Cette classification a permis des corrélations entre la biologie des cryoglobulines et les pathologies associées. L’origine virale de certaines cryoglobulines était déjà suspectée, mais ce n’est que dans les années 90 qu’une relation étroite avec le virus de l’hépatite C (VHC) a été montrée [5, 6]. Ceci a permis d’expliquer l’origine de nombreuses cryoglobulines définies alors comme essentielles et de mettre en évidence leur rôle pathogénique dans certaines complications hépatiques et rénales. Après la définition des cryoprotéines, nous aborderons plus particulièrement la biologie et la clinique des cryoglobulines et des cryofibrinogènes, cryoprotéines les plus fréquemment recherchées.
2. Définition Les cryoprotéines sont des molécules formant des complexes précipitant à une température inférieure à 37 °C et se redissolvant à chaud. Les cryoprotéines peuvent être des complexes CRP-albumine, immunoglobulines-albumine, immunoglobulines-fibrinogène, des agglutinines froides, des immunoglobulines, du fibrinogène. Les agglutinines froides sont des auto-anticorps agglutinant les globules rouges à basse température. Elles sont constituées d’IgM monoclonales précipitant entre 0 et 25 °C et sont recherchées par leur activité. Elles ne seront pas abordées dans cet article.
2.1. Les cryoglobulines Elles sont composées essentiellement d’immunoglobulines et peuvent précipiter dès 36 °C, d’où une phase pré-analytique délicate et essentielle à la bonne réalisation de leur recherche. Lors de leur précipitation, elles peuvent entraîner divers composés tels que des fractions du complément, de l’albumine, de la fibronectine, du fibrinogène,…. Leur prévalence est mal connue. Comme certaines cryoglobulines sont fréquemment associées aux infections par virus de l’hépatite C, elles suivent la prévalence de cette pathologie [7]. Les cryoglobulinémies sont essentielles (primaires ou idiopathiques, par absence de pathologie sous-jacente), ou secondaires à diverses pathologies, en particulier des syndromes lymphoprolifératifs, des dyscrasies plasmocytaires, des maladies auto-immunes et des infections. Elles se traduisent ou non par des signes cliniques. Elles peuvent précipiter dans les petits et moyens vaisseaux, entraînant une vascularite, en fonction de différents paramètres tels que le froid ou leur propension à former des complexes immuns. Les cryoglobulines sont composées d’immunoglobulines monoclonales seules, ou associées à des immunoglobulines polyclonales, formant des complexes immuns. En 1974, Brouet et al. [4] ont proposé une classification élaborée à partir de 86 observations qui fait la quasi unanimité des auteurs. On distingue trois types de cryoglobulines : • les cryoglobulines de type I constituées par une immunoglobuline monoclonale, le plus fréquemment une IgM Kappa, mais des IgG voire des IgA monoclonales sont
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également retrouvées. Brouet et al. [4] ont décrit dans leur série des chaînes légères libres monoclonales ; • les cryoglobulines de type II associant une immunoglobuline monoclonale et des Immunoglobulines polyclonales. Toutes les possibilités d’association d’IgM, IgG et IgA sont retrouvées ; • les cryoglobulines de type III associant des immunoglobulines polyclonales de type IgM, IgG et plus rarement IgA. Tridon et al. [8] ont mis en évidence une oligoclonalité de certaines cryoglobulines, stade intermédiaire entre type II et III. Cette classification peut être alors complétée par deux sous-types : cryoglobuline de type IIa associant une Ig monoclonale à des Ig polyclonales et type IIb, associant des Ig oligoclonales et polyclonales. De leur côté, les équipes américaines décrivent les cryoglobulines en deux grands types : les cryoglobulines de type I monoclonales et les cryoglobulines mixtes, regroupant les types II et III. C’est dans le groupe des cryoglobulines mixtes que l’on a mis en évidence le rôle majeur du virus de l’hépatite C dans la pathogénie d’un grand nombre de ces cryoglobulinémies [5, 6].
2.2. Le cryofibrinogène « Cryofibrinogène » est le nom donné en 1955 par Korst et Kratochvil pour décrire une protéine plasmatique anormale précipitant au froid. Ce cryoprécipité, apparaissant dans le plasma placé au froid au moins 72 h et non dans le sérum, est constitué d’un complexe associant de la fibrine, du fibrinogène, de la fibronectine, du facteur VIII et d’autres protéines plasmatiques [9]. Le cryofibrinogène peut être associé à des cryoglobulines. Dans ce cas, il est moins impliqué dans la pathologie que lorsqu’il est isolé et ne sera pas pris en compte pour le traitement. C’est pour cette raison que la recherche d’un cryofibrinogène, sur un tube avec anti-coagulant, doit être associée à la recherche d’une cryoglobuline dans le sérum : sa signification clinique et sa prise en charge thérapeutique en seront modifiées [10]. Les cryofibrinogénémies peuvent être essentielles ou secondaires à des pathologies inflammatoires telles que des connectivites, des vascularites, des cancers, des infections [10, 11]. Elles se traduisent ou non par des signes cliniques, le plus fréquemment des phénomènes thrombotiques liés au froid. La prévalence des cryofibrinogènémies est mal connue, certainement sous estimée car plus rarement recherchée. Il est rapporté des prévalences de 3,4 à 13 % dans différentes populations de patients [9]. L’hypothèse physiopathologique la plus plausible des cryofibrinogènémies serait la présence de concentrations élevées en inhibiteurs de la fibrinolyse, en particulier en alpha 1 anti-trypsine et en alpha 2 macroglobuline. Ces deux protéines ont un rôle d’inhibition de la plasmine, agent fibrinolytique. Le cryofibrinogène accumulé peut alors entraîner des occlusions thrombotiques des petits vaisseaux, en particulier dans la peau, via des mécanismes de vasospasmes réflexes, de stase vasculaire ou d’hypervicosité [9, 10]. L’implication des cryofibrinogènes en pathologie reste difficile à prouver et repose sur des éléments biologiques et cliniques, en particulier l’existence d’aucune autre hypothèse diagnostique possible [9].
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3. Phénomènes de cryoprécipitation De nombreuses conditions physiques et chimiques peuvent influencer la précipitation des cryoglobulines : conditions liées aux molécules d’immunoglobulines (Ig) elles-mêmes et conditions liées à l’environnement de ces immunoglobulines.
3.1. Facteurs liés à la structure et aux fonctions des immunoglobulines Pour les cryoglobulines constituées d’une immunoglobuline monoclonale, le plus fréquemment une IgM, ce sont les forces d’interactions moléculaires (hydrophobes et électrostatiques) faibles qui favorisent leur précipitation. Ce sont les immunoglobulines entières qui peuvent précipiter : les fragments Fab, F(ab’)2 et Fc ne précipitent pas au froid [4]. Des propriétés électrostatiques différentes ont été montrées entre des Ig monoclonales cryoprécipitantes et non cryoprécipitantes [12]. Les cryoglobulines dites mixtes, c’est-à-dire associant une Ig monoclonale à des Ig polyclonales ou des Ig polyclonales seules, forment des complexes immuns avec des antigènes ou entre Ig ayant une activité facteur rhumatoïde (IgM antiIgG le plus fréquemment). Cette formation de complexes immuns favorise leur précipitation [4]. Des anomalies de structure des immunoglobulines favorisant leur précipitation ont été suggérées par certains auteurs, telles que des anomalies de composition en acides aminés (aa) (abondance de résidus tyrosine, modification de certains aa tels que tyrosine, tryptophane, lysine ou histidine), l’oxydation de groupements thiols favorisant la polymérisation à froid [4, 13], des immunoglobulines pauvres en acide sialique [14].
quality assurance scheme) pour déterminer les pratiques liées à cette analyse. La recherche de cryofibrinogène est moins fréquente que celle des cryoglobuline, aucun consensus n’existe pour leur recherche et leur quantification.
4.1. Phase pré-analytique La température à laquelle les cryoglobulines sont susceptibles de précipiter est éminemment variable d’un patient à un autre. Il en résulte qu’une extrême rigueur s’impose quant à la réalisation du prélèvement, de son acheminement au laboratoire et de sa prise en charge à l’intérieur de celui-ci. Seuls les laboratoires bien au fait des problèmes posés par la recherche et l’identification des cryoglobulines sont à même de rendre des résultats fiables. Le prélèvement doit être réalisé chez le patient à jeun, les lipides pouvant gêner l’interprétation lors de la recherche d’un cryoprécipité (figure 1). Tout le dispositif de prélèvement Figure 1 – Exemple de cryoglobuline positive (haut) et de sérum lipidique et hémolysé (bas) dans lequel il est impossible de détecter un cryoprécipité.
3.2. Facteurs liés au milieu La condition essentielle à la précipitation de ces protéines est une baisse de la température, ce qui explique que les signes cutanés sont les plus fréquemment rencontrés chez les sujets ayant une cryoglobuline. Pour les cryoglobulines mixtes formant des complexes immuns, il a été montré in vitro que leur précipitation était fonction de la température et de leur concentration [15]. Plus la concentration est élevée plus la température de précipitation est élevée, ceci expliquerait les signes rénaux : la filtration glomérulaire concentre les protéines sanguines entraînant une précipitation locale des complexes immuns cryoprécipitants. Brandau et al. [16] ont également montré que plus la température diminue plus les complexes immuns formés sont gros, associant plus d’IgG et d’IgM. La solubilité des cryoglobulines varie également avec la force ionique du milieu. L’association à d’autres molécules telles que la fibronectine, l’albumine, des fractions du complément (C1q, C2, C4) favorise également la précipitation des cryoglobulines [14].
4. Méthodes d’analyse La recherche, l’identification des cryoglobulines ainsi que le rendu des résultats manquent de standardisation. Vermeersh et al. en 2008 [17] ont mené une enquête par questionnaire dans 137 laboratoires participant au programme de contrôle de qualité UKNEQUAS (United Kingdom national external REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2012 - N° 444 //
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doit être maintenu à chaud (aiguille, tubes). Quinze à vingt millilitres de sang seront prélevés sur des tubes secs sans gel, afin d’obtenir un volume minimal de 4-5 ml de sérum. Le prélèvement est alors mis à 37 °C le temps de la coagulation (2 h). Si l’analyse n’est pas réalisée sur place, les tubes sont alors emballés dans du coton cardé ou des compresses, puis gardés au chaud à 37 °C jusqu’au ramassage par le laboratoire, dans une étuve ou un thermos. L’acheminement vers le laboratoire se fera dans des récipients permettant de maintenir la température à 37 °C tels que des bouteilles thermos remplies de sable chauffé, préférentiellement à de l’eau (attention ne pas dépasser 37 °C) ou un caisson de transport isolé et des blocs thermiques (Trans Control 37 °C, Sarstedt). La possibilité d’envoi des tubes par pneumatique immédiatement après le prélèvement facilite la conservation à chaud. Les conditions de prélèvements et de transport sont identiques dans le cadre de la recherche de cryofibrinogène dans le plasma : préchauffage des aiguilles et des tubes (tube citraté ou EDTA, surtout pas d’héparine [9]), transport à 37 °C, conservation à l’étuve jusqu’à centrifugation. Si le laboratoire ne fait pas la recherche de cryoglobuline ou de cryofibrinogène, il est préférable de réaliser cette phase pré-analytique sur place et de n’envoyer dans le laboratoire réalisant l’analyse que le sérum, décanté après coagulation 2 h à 37 °C, ou le plasma, dans des tubes à fond conique. Le transport de ces échantillons pourra alors être réalisé à +4 °C ou à température ambiante. Il est essentiel de ne pas laisser les prélèvements plus de 18 h à 37 °C sinon ils sont complètement hémolysés et la recherche n’est plus réalisable. Une fois le sang coagulé, les tubes sont centrifugés à 37 °C ou température ambiante (2 100 g, 15 min). Le sérum est ensuite séparé en deux fractions aliquotes dans des tubes à fond conique à conserver à +4 °C : l’une de ces fractions aliquotes permettra la vérification de la présence d’un cryoprécipité par redissolution à +37 °C. Ce sérum permettra également la réalisation d’analyses sur l’échantillon prélevé dans les conditions optimales pour que la cryoglobuline ne précipite pas : dosage du facteur rhumatoïde, des immunoglobulines, de la fraction C4, électrophorèse des protéines sériques. Pour la recherche de cryofibrinogène, le plasma décanté est mis dans un tube conique à +4 °C, si le volume le permet une fraction aliquote sera prélevée afin d’être mise à 37 °C et d’observer la disparition du précipité.
4.2. Recherche d’une cryoglobuline et d’un cryofibrinogène 4.2.1. Cryoglobuline Les tubes sont ensuite placés à +4 °C pendant des temps variables selon les laboratoires (de 12 h à 9 jours dans l’étude de Vermeesch et al. [17]) : 7 jours étant recommandés afin que toutes les cryoprotéines aient précipité. Si cela est possible, l’observation d’un cryoprécipité doit se faire quotidiennement, sachant que la cryoprécipitation peut survenir en quelques heures (cryoglobuline de type I et quelques type II) ou en plusieurs jours (cryoglobulines mixtes de type II et III). La recherche est réalisée par observation visuelle du sérum. Le cryoprécipité peut se présenter sous différentes formes : précipité blanc de
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volume variable au fond du tube, précipité formant de fines volutes quand il est remis en suspension délicatement, précipité floconneux au sein du sérum, formation d’un cryogel dans certains type de cryoglobulines pouvant se traduire par une prise en masse du sérum. Ce cryogel est souvent difficile à observer et surtout difficile à isoler du fait de sa structure, il ne faut pas le perdre lors des différents lavages. Nous avons observé pour certains patients, un cryoprécipité partant de la surface, pouvant ressembler à une couche lipidique : la centrifugation de l’échantillon est alors essentielle pour les différencier. La présence de lipides, l’hémolyse et encore plus les deux phénomènes associés rendent difficile voire impossible l’interprétation de cette recherche (figure 1). Un nouveau prélèvement à jeun devra être demandé. Pour les prélèvements contenant un précipité, l’aliquot supplémentaire sera placé à 37 °C et la disparition rapide (quelques minutes) du précipité doit être observée, ceci confirmant le fait qu’il s’agit bien d’une cryoprotéine. La mise en évidence d’un cryoprécipité dans le tube conservé à +4 °C pendant 7 jours doit être confirmée par son identification et sa quantification. La quantification la plus simple et la moins coûteuse est la mesure du cryocrite, estimation du volume de cryoprécipité mesuré dans un tube de sédimentation gradué à fond conique, type tube de Wintrobe, après centrifugation. Cette procédure est peu sensible et peu reproductible, et n’est plus recommandée [18]. Les procédures recommandées sont décrites dans le § 4.3.2.
4.2.2. Cryofibrinogène Le plasma décanté est placé 4-7 jours à +4 °C, avec un minimum de 72 h [9]. Un précipité apparaît sous la forme d’un trouble plus ou moins important ou d’un culot de précipitation. De la même manière, la présence de lipides et l’hémolyse rendent difficile voire impossible l’interprétation de cette recherche. S’il y a présence de cryoglobulines chez un patient, elles peuvent précipiter dans le plasma comme dans le sérum. Il est alors essentiel d’identifier le cryoprécipité plasmatique (cf § 4.3.2) pour affirmer la présence d’un cryofibrinogène.
4.3. Identification et quantification d’un cryoprécipité Il faut s’assurer que le cryoprécipité observé dans le sérum ou le plasma soit effectivement constitué d’immunoglobulines ou de fibrinogène.
4.3.1. Isolement et lavage du cryoprécipité Toutes les étapes suivantes sont réalisées à froid : centrifugation à +4 °C, réactifs conservés à +4 °C. Si la température ambiante est élevée, il faut travailler avec les tubes mis dans la glace. Ces étapes sont identiques pour les cryoglobulines et les cryofibrinogènes, nous les décrirons donc uniquement dans le sérum. Le cryoprécipité doit être isolé par centrifugation du sérum (2 100 g pendant 15 min à +4 °C). Il est essentiel à cette étape de relever le volume exact du sérum dans lequel est isolé le cryoprécipité, afin de rapporter les résultats finaux de dosage des cryoglobulines au volume initial de sérum et rendre les résultats en g ou mg/L de sérum. Le culot obtenu est ensuite lavé plusieurs fois dans un tampon phosphate
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(PBS, pH = 7.4) ou du sérum physiologique froid afin d’éliminer le sérum contenant des immunoglobulines non cryoprécipitantes et autres protéines sériques. Trois lavages en tampon ou sérum physiologique sont suffisants pour éliminer le sérum [19]. Lors de l’identification électrophorétique des immunoglobulines, il est conseillé de tester la pureté du cryoprécipité en contrôlant l’absence d’albumine : réalisation d’une piste témoin révélée par un antisérum total ou du Fixative2® (Helena Biosciences, acide sulfosalicylique / trichloracétique) par exemple. Le précipité lavé est remis en suspension dans un volume suffisant de tampon ou sérum physiologique, en fonction du volume du cryoprécipité ou des analyses à réaliser par la suite. Au laboratoire, nous reprenons le cryoprécipité dans un volume minimal de 500 μL jusqu’à 5 mL de tampon. L’ajout de Fluidil® (Sebia, France) et le mélange par vortex de la suspension favorisent la dissolution du précipité. Cette suspension est remise à 37 °C pendant une nuit pour permettre la dissolution totale du cryoprécipité pour réaliser les analyses ultérieures.
Figure 2 – Immunofixation de cryoprécipités redissouts à 37 °C.
2a
4.3.2. Identification et quantification des cryoprotéines La suite des démarches est variable selon les laboratoires [17]. Certains ne font que la recherche d’une cryoglobuline (1573, B20) ou d’un cryofibrinogène (K085, BHN20) et transmettent le cryoprécipité, d’autres identifient et/ou dosent les protéines ou les immunoglobulines (cotations BHN, K081, K083 et K084 pour les cryoglobulines, K145 pour les cryofibrinogènes). 4.3.2.1. Cryoglobulines Dans les laboratoires identifiant les cryoglobulines, les démarches sont également différentes. Le plus souvent, la quantification du cryoprécipité est effectuée en dosant les protéines totales ou les immunoglobulines totales (mesure de l’absorbance à 280 nm, technique colorimétrique au rouge de pyrogallol par exemple) puis la cryoglobuline est identifiée par électrophorèse-immunofixation, immunoélectrophorèse et autres techniques [20]. La quantification par l’appréciation du cryocrite ou la mesure des protéines totales est une manière indirecte d’évaluer la concentration de cryoglobuline. Associer une électrophorèse-immunofixation permettant d’apprécier la présence d’autres protéines, et la quantification des immunoglobulines dans le cryoprécipité est une démarche plus sensible et spécifique pour confirmer le diagnostic de cryoglobulinémie [19]. Dans notre laboratoire, dans un premier temps, nous identifions la cryoglobuline en réalisant une électrophorèse-immunofixation (figure 2), nous permettant de nous assurer de la nature immunoglobulinique du cryoprécipité, puis nous dosons en néphélémétrie (réactifs pour faibles concentrations) les immunoglobulines identifiées. La concentration de protéines ou immunoglobulines dans le cryoprécipité, repris dans un volume fixe de tampon, doit être rapportée au volume initial de sérum à partir duquel la cryoglobuline a été isolée, les résultats sont donc rendus par L ou mL de sérum. Il est important de rappeler que la concentration en cryoglobuline n’est pas proportionnelle à la gravité des signes cliniques : de petites cryoglobulines peuvent déclencher des manifestations cliniques intenses [21].
2b
AST
G
A
M
κ
λ
2c AST : anti-sérum total, G : Acs anti-γ, A : Acs anti-α, M : Acs anti-μ, κ : Acs anti-κ, λ : Acs anti-λ, Helena Biosciences. 2a. Cryoglobuline de type I composée d’une IgG Kappa monoclonale. 2b. Cryoglobuline de type 2 associant une IgM Kappa monoclonale et des IgG polyclonales. 2c. Cryoglobuline de type III composée d’IgG et d’IgM polyclonales.
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Figure 3 – Logigramme de recherche, d’identification et de quantification d’une cryoglobuline.
Figure 4 – Immunofixation d’un cryofibrinogène, après redissolution à 37 °C.
Fix : Fixative2®, Helena Biosciences ; Fibrin : Acs anti-fibrinogène, Dako ; Fibro : Acs anti-fibronectine, Siemens.
4.3.2.2. Cryofibrinogène L’identification d’un cryofibrinogène est réalisée par une immunofixation du cryoprécipité isolé et redissout, que l’on révélera sur deux pistes, par un antisérum anti-fibrinogène et un antisérum anti-fibronectine (figure 4) par exemple. La concentration de fibrinogène dans le cryoprécipité peut être évaluée par mesure de l’absorbance à 280 nm par rapport à une gamme d’étalonnage [22]. Dans notre laboratoire, ce dosage est réalisé en immunodiffusion radiale (NL Fibrinogen®, Siemens), la concentration étant ensuite rapportée au volume de sérum dans lequel a été isolé le cryofibrinogène. Ceci nous permet d’évaluer et de suivre la présence de cette cryoprotéine chez les patients. Terrier et al. [22] rapportent dans leur série une concentration moyenne de 70 mg/L (50-1 160 mg/L).
4.4. Perturbations biologiques associées aux cryoglobulines et cryofibrinogènes La classification des cryoglobulines prend en compte la clonalité des immunoglobulines constituant le précipité, immunoglobulines monoclonales ou polyclonales, il est donc essentiel lors de l’identification de déterminer le type (IgG, IgA ou IgM, Kappa ou Lambda) et l’aspect monoclonal (une bande nette avec un antisérum anti-chaîne lourde γ, α ou μ au même niveau qu’une bande avec un anti-sérum anti-chaîne légère κ ou λ) et/ou polyclonal des immunoglobulines (aspect homogène étalé dans la zone des immunoglobulines). Dans la figure 3, nous proposons une démarche de recherche, identification et quantification des cryoglobulines, établie d’après les données de la littérature [18, 19] et notre propre expérience. Établir un consensus pour ces différentes étapes est une priorité pour les laboratoires afin de rendre des résultats comparables quant à la quantification et l’identification des cryoglobulines dans l’objectif d’accréditation de cette analyse.
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Les cryoglobulines mixtes ont fréquemment une activité facteur rhumatoïde (FR), liée soit à l’immunoglobuline monoclonale dans les types II, soit aux immunoglobulines polyclonales dans les types III. L’activité FR le plus souvent mesurée est liée aux IgM, IgM anti-IgG, et doit être recherchée dans le sérum prélevé et conservé à chaud et dans le cryoprécipité. Elle peut perturber d’autres analyses telles que la détection d’auto-anticorps ou des dosages néphélémétriques ou turbidimétriques… De fausses hypogammaglobulinémie et hypoprotidémie peuvent être révélées sur l’électrophorèse et le dosage des immunoglobulines, si ces analyses sont réalisées sur le sérum prélevé sans conditions particulières. Il est alors préférable de réaliser ces analyses sur des échantillons prélevés à chaud, afin d’éviter la précipitation des cryoglobulines in vitro. La présence d’une immunoglobuline cryoprécipitante peut être méconnue ou sous-estimée si le prélèvement, le transport et la coagulation ne se sont pas déroulés à 37 °C. De même, l’exploration du complément peut être modifiée par la présence de
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cryoglobuline. En effet, la précipitation éventuelle d’une cryoglobuline in vitro peut entraîner la fixation de certaines fractions du complément, en particulier C1q, C2 et C4, sur le cryoprécipité pouvant être responsable d’une hypocomplémentémie arctéfactuelle [13]. Cette diminution de la fraction C4 avec un C3 normal ou légèrement diminué et une activité CH50 effondrée doit être vérifiée sur le sérum conservé à chaud. Les interférences avec d’autres examens biologiques peuvent être liées à la présence de cryoglobulines qui entraînent de nombreux autres composants sériques lors de leur précipitation. Les signes biologiques associés aux cryofibrinogènes concernent essentiellement la coagulation : on peut noter un défaut de fibrinolyse se traduisant par une perturbation des tests de coagulation [9, 11]. L’activité du complément CH50 est normale, ainsi que le dosage des fractions C3 et C4.
5. Manifestations cliniques et pathologies associées aux cryoprotéines 5.1. Cryoglobulines Ce sont souvent les signes cliniques qui font évoquer la présence d’une cryoglobuline, d’autant plus que ces signes sont provoqués par le froid, tels que le phénomène de Raynaud et le purpura. La présence de cryoglobuline peut être asymptomatique, jusqu’à des manifestations cliniques graves, telles que l’insuffisance rénale. Les demandes doivent être initiées en fonction d’un contexte clinique évocateur, l’interprétation se fera avec tous les éléments cliniques et biologiques.
drome sec, lupus érythémateux systémique et polyarthrite rhumatoïde) et des pathologies infectieuses virales (en particulier l’hépatite C), bactériennes ou parasitaires, Elles ont également été décrites chez des patients avec des pathologies hépatiques aiguës ou chroniques [23]. Les cryoglobulines de type II peuvent être retrouvées dans certains syndromes lymphoprolifératifs ou dans des gammapathies monoclonales dont l’immunoglobuline monoclonale a une activité FR. L’expression clinique des cryoglobulines mixtes est très variable, dépendant de chaque patient, mais liée au développement de vascularite des petits et moyens vaisseaux, par précipitation de complexes immuns cryoglobulinémiques à la surface des endothéliums vasculaires. Dammacco et al. [23] ont montré que les vascularites sont plus fréquentes dans le cas de cryoglobulines de type II et sont proportionnellement inverses à leur concentration (figure 5). La présence de signes généraux peu spécifiques comme la triade fièvre-asthénie-arthralgie est classique, et plus évocatrice si elle est accompagnée d’un purpura signe d’une vascularite cutanée. D’autres symptômes plus spécifiques, rénaux ou neurologiques, ou un contexte clinique tel qu’une maladie auto-immune ou une infection à VHC, font plus particulièrement évoquer une pathologie à cryoglobuline et justifient leur recherche.
Figure 5 – Les manifestations de vascularite sont plus fréquentes avec les cryoglobulines de type II (courbe haut : immunochimie des cryoglobulinémies) et sont inversement proportionnelles au cryocrite (évaluation semi quantitative de la cryoglobuline) (courbe bas : niveaux de cryocrite).
5.1.1 Cryoglobulines de type I Les cryoglobulines de type I accompagnent le plus fréquemment des pathologies immunoprolifératives : macroglobulinémie de Waldenström, gammapathie monoclonale, myélome multiple, leucémie lymphoïde chronique… Leurs concentrations sont élevées, avec un cryocrite élevé et une concentration en protéines totales ou immunoglobulines supérieure à 2 g/L. Elles sont plus fréquemment de type IgM qu’IgG, très rarement IgA. Il a été décrit quelques cas de chaînes légères libres précipitant à froid. Elles peuvent représenter jusqu’à un tiers de l’immunoglobuline monoclonale. Fréquemment, il n’y a aucune manifestation clinique liée à ces cryoglobulines. Néanmoins elles peuvent se traduire par des lésions cutanées (purpura, ulcères des membres inférieurs), par un syndrome d’hyperviscosité, avec des symptômes neurologiques (maux de tête, confusion), oculaires, ORL (épistaxis…) et rénaux [21, 23]. Dans ce cadre, la quantité de cryoglobuline (cryocrite et concentration) est directement liée aux signes cliniques. Un échange plasmatique visant à diminuer cette concentration est le traitement recommandé et la quantification de la cryoglobuline est intéressante pour suivre la réponse à ce traitement.
5.1.2. Cryoglobulines mixtes de type II et III Les cryoglobulines mixtes de type II et III sont associées à des pathologies auto-immunes (le plus fréquemment syn-
D’après Dammacco et al [23].
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Les manifestations cliniques les plus fréquentes des cryoglobulines mixtes sont des éruptions purpuriques intermittentes. Le purpura peut être accompagné d’un phénomène de Raynaud, d’ulcères, d’œdèmes et d’urticaire. Il s’agit de purpura touchant préférentiellement les membres inférieurs, moins fréquemment le dos et très rarement la face. Il est intermittent et il n’y a pas toujours d’éléments déclencheurs identifiés, les apparitions étant séparées par des périodes d’apparente rémission. Les lésions régressent spontanément, laissant des taches cicatricielles sur la peau. Des ulcères peuvent apparaître, souvent au niveau des malléoles, ainsi que des ischémies responsables de nécroses en particulier aux extrémités. Un phénomène de Raynaud atteignant les mains, les pieds, les oreilles ou le bout du nez fait partie des premiers signes cliniques. Des arthralgies touchent les articulations des mains, les genoux et les hanches. Les atteintes rénales sont retrouvées chez 17-31 % des patients [21, 23]. Il est décrit une protéinurie ou une microhématurie, des syndromes néphrotiques et néphritiques, pouvant évoluer jusqu’à une insuffisance rénale aiguë chez 10 % des patients ou une insuffisance chronique après plusieurs années. Le plus fréquent diagnostic histologique décrit est une glomérulonéphrite membranoproliférative. Des neuropathies périphériques sont fréquemment décrites, chez 60 % des patients dans certaines séries [23], elles se traduisent par des paresthésies et des douleurs, le plus souvent des membres inférieurs. Diverses atteintes hépatiques peuvent être retrouvées chez 2/3 des patients. D’autres organes peuvent être touchés comme les poumons (hémorragies alvéolaires) ou les intestins. Les douleurs intestinales, signe d’une vascularite intestinale, sont des symptômes tardifs d’évolution grave des cryoglobulinémies.
5.1.3. Cryoglobulines mixtes et infection par le virus de l’hépatite C La découverte du virus de l’hépatite C en 1989 a radicalement modifié la classification physiopathologique des cryoglobulines, de nombreuses cryoglobulines essentielles deviennent alors secondaires. Il a été montré une association entre cryoglobuline mixte et infection au VHC : les antigènes du VHC sont retrouvés au sein des complexes immuns cryoprécipitants formés par une IgM à activité FR reconnaissant une IgG spécifique du virus [5, 6]. Dans la revue de Ramos-Casals et al. [7], la prévalence d’hépatite C chez les patients avec une cryoglobuline mixte varie de 30 à 100 % selon les études. À l’inverse, 12-56 % des patients VHC+ ont une cryoglobuline mixte, qui sera symptomatique chez 5-8 % de ces patients. Chez ces patients, la durée de la maladie est doublée et les complications rénales ou hépatiques sont plus fréquentes. L’évolution vers un lymphome B, un cancer de la thyroïde ou un hépatocarcinome concerne 15 % des patients ayant une hépatite C et une cryoglobuline mixte, dans la cohorte de 210 patients décrite par Ferri et al. [24]. Les cryoglobulines, même en faible quantité, chez les patients ayant une hépatite C peuvent être impliquées dans l’évolution de cette pathologie du fait de vascularites parfois sévères. Leur recherche et leur suivi sont donc essentiels dans la prise en charge de ces patients.
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5.2. Cryofibrinogène Les cryofibrinogènes sont fréquemment asymptomatiques. Sinon, les symptômes sont liés à des phénomènes thrombotiques cutanés et viscéraux pouvant être extrêmement graves. Les signes les plus fréquents que l’on peut imputer aux cryofibrinogènes sont cutanés : purpura, livedo reticularis, ecchymoses, ulcérations, nécrose ischémique et gangrène, pouvant aller jusqu’à l’amputation. Toutes les parties du corps et en particulier les mains, les pieds, les oreilles, le nez et le bas du dos sont atteintes [9, 11]. Ces signes peuvent être accompagnés de signes généraux (malaise, fièvre). Il est décrit des événements thrombotiques sans relation avec la concentration de cryofibrinogène chez 25 % des patients ayant un cryofibrinogène secondaire à une pathologie inflammatoire : thromboses cutanées directement attribuables au cryofibrinogène et d’autres thromboses plus difficilement imputables à cette cryoprotéine (infarctus myocardique, thrombose cérébrovasculaire, phlébite, embolie pulmonaire…). Paradoxalement, des saignements sont décrits simultanément aux thromboses, en particulier quand le cryofibrinogène est en concentration élevée (> 1 g/L). Ils seraient liés à la déplétion en facteurs de la coagulation ayant précipité avec le cryofibrinogène [25]. Des signes articulaires (11-38 %), neurologiques (8,3-18 %), néphrologiques (syndrome néphritique, 20 %) ont été également décrits [11, 25]. Il existe peu d’études de prévalence des cryofibrinogènes, leur présence étant largement sous-estimée. Récemment, Saadoun et al. [11], dans une série de 2 312 patients recrutés en 10 ans dans un service de médecine interne-immunologie, ont retrouvé 515 cryofibrinogènes positifs (22,3 %), dont 455 associés à des cryoglobulines (19,7 %) et 60 isolés (2,6 %). Terrier et al. [22] rapportent une prévalence de 10,9 % de cryofibrinogène sans cryoglobuline détectable, soit 11 parmi 101 patients admis dans un service de néphrologie. Ils n’ont pas mis en évidence de différence de type de néphropathie en absence ou présence de cryofibrinogène. En revanche, les patients avec un cryofibrinogène ont une fréquence significativement plus élevée de thromboses veineuses ou artérielles graves.
6. Démarche diagnostique d’une cryoprotéinémie 6.1. Diagnostic d’une cryoglobulinémie La présence d’une cryoglobuline doit être surveillée régulièrement si elle comporte une Ig monoclonale : même en faible quantité, il est important d’en faire le suivi car leur présence signe une stimulation monoclonale de lymphocytes B pouvant évoluer vers un lymphome [7, 26]. À l’inverse, il n’est possible d’affirmer l’absence d’une cryoglobuline qu’après sa recherche sur plusieurs prélèvements consécutifs du fait d’une éventuelle négativation par précipitation in vitro si la phase pré-analytique n’est pas parfaite [13]. De plus, la concentration d’une cryoglobuline circulante peut varier si elle a précipité in vivo dans les vaisseaux cibles [17, 18]. L’interprétation d’un résultat de cryoglobuline est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas de corrélation directe
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entre la quantité de cryoglobuline et la gravité des signes cliniques et que l’on retrouve des cryoglobulines en faible quantité chez des sujets asymptomatiques. Les cryoglobulines de type III polyclonales sont souvent transitoires et disparaissent avec la guérison de l’infection qui les a suscitées [17]. En parallèle à la recherche de cryoglobuline, l’explo-ration du complément doit être réalisée : activité fonctionnelle CH50, dosage des fractions C3 et C4. Le profil caractéristique décrit en association avec les cryoglobulines est une activité CH50 effondrée et une diminution de la fraction C4 avec une fraction C3 dans les valeurs normales et serait le signe d’une cryoglobuline active (co-précipitation du C4 ou activation in vivo). Ce profil est retrouvé chez 61 % des patients avec cryoglobuline de type II et 55 % avec cryoglobuline de type III, comparé à 16 % de patients avec recherche de cryoglobuline négative, dans la série de Vermeersch et al. [19]. D’autres examens biologiques permettant le diagnostic d’une pathologie associée à la présence d’une cryoglobuline doivent être réalisés en fonction du contexte clinique : électrophorèse des protéines, titrage d’autoanticorps spécifiques, sérologies virales,… Des examens histopathologiques des lésions peuvent confirmer le diagnostic : les dépôts de cryoglobulines apparaissent sous forme de thrombi hyalins bouchant les petits vaisseaux dans les différents organes concernés. Les biopsies cutanées des lésions de purpura révèlent des images de vascularites leucocytoclastiques, avec un infiltrat mixte inflammatoire. Au niveau rénal, la biopsie révèle une glomérulonéphrite membranoproliférative de type I chez 70 % des patients. Des dépôts constitués d’IgM, d’IgG et de C3 peuvent être mis en évidence au niveau des membranes glomérulaires. De même, les neuropathies cryoglobulinémiques sont caractérisées par des lésions de vascularites des vaisseaux périneuraux et endoneuraux [7].
6.2. Diagnostic d’une cryofibrinogénémie La recherche d’un cryofibrinogène dans le plasma doit se faire en parallèle de la recherche d’une cryoglobuline dans le sérum, l’interprétation de sa présence en sera modifiée. Il est possible d’explorer la coagulation, mais les modifications ne sont pas systématiquement retrouvées. Des augmentations de concentration sérique d’alpha 1 antitrypsine et d’alpha 2 macroglobuline ont été décrites, de même que leur présence dans le cryoprécipité. Le fibrinogène est augmenté dans les pathologies inflammatoires sous jacentes des cryofibrinogénémies secondaires, mais cette augmentation n’est pas corrélée avec la concentration de cryofibrinogène. Aucune variation du complément n’a été retrouvée [11]. En présence de signes cliniques évocateurs et d’un cryofibrinogène plasmatique positif, le diagnostic de cryofibrinogénémie peut être confirmé par une biopsie de peau, à réaliser avant la nécrose : on retrouve une occlusion des capillaires par des dépôts éosinophiles pouvant s’étendre dans l’intima, parfois associée à une vasculopathie thrombotique pauci-inflammatoire, dans 50 % des cas de la série de Belizna et al. [25].
7. Traitements 7.1. Cryoglobulinémie Le plus souvent asymptomatiques, les cryoglobulinémies sont suivies mais non traitées. Dans le cadre de cryoglobulinémies symptomatiques, des traitements immunosuppresseurs (corticoïdes, cyclophosphamide, azathioprine…) seront mis en place en fonction de la sévérité des signes cliniques et seront associés au traitement de la pathologie sous jacente. Les biothérapies et en particulier le rituximab (Acs anti-CD20) ayant pour cible les lymphocytes B et pour but de réduire les clones produisant les cryoglobulines, sont les approches thérapeutiques actuelles. Terrier et al. [27] montrent dans une série de 242 cas de vascularites cryoglobulinémiques non infectieuses, que le traitement par rituximab associé aux corticoïdes a une meilleure efficacité thérapeutique que les corticoïdes seuls ou associés aux agents alkylants. De même, dans le cadre des hépatites C compliquées de vascularites à cryoglobulines, une étude récente [28] montre l’intérêt de l’association traitements anti-viraux/rituximab, permettant de gérer l’infection et les complications de vascularites liées aux cryoglobulines. Enfin, l’échange plasmatique sera utilisé dans le cadre des cryoglobulines de concentration élevée, responsables de signes cliniques systémiques, afin de réduire les complexes immuns circulants et leur dépôt dans les organes ou les conséquences d’une hyperviscosité. Mais ce traitement peut se traduire par une phase de rebond avec une augmentation de synthèse de cryoglobulines. Un traitement par cyclophosphamide sera alors associé pour éviter ce phénomène.
7.2. Cryofibrinogène Les cryofibrinogènes sont souvent asymptomatiques ou difficiles à relier à la pathologie. Dans les cas symptomatiques, en particulier de thromboses sévères, les traitements utilisés sont des agents fibrinolytiques (streptokinase, stanalozol, alteplase), des agents anticoagulants (héparine, warfarine, anti-vitamine K ou aspirine à faible dose), des immunosuppresseurs (prednisone associée au cyclophosphamide ou azathioprine ou chlorambucil) [9, 22]. L’effet anti-inflammatoire des immunosuppresseurs diminue l’inflammation sous-jacente et permet de contrôler la cryofibrinogénémie. L’échange plasmatique est également utilisé en cas de concentration très élevée de cryofibrinogène.
8. Conclusion Les cryoglobulines et les cryofibrinogènes peuvent être impliqués dans des pathologies sévères, mais sont souvent asymptomatiques. Leur prévalence est mal connue et certainement sous-estimée. Leur recherche est délicate car elle requiert des conditions pré-analytiques strictes et difficiles à mettre en place. Néanmoins, il est essentiel de les identifier, de les quantifier et de suivre leur évolution car ces cryoprotéines peuvent être responsables de complications graves. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET-AOÛT 2012 - N° 444 //
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