Psoriasis : une maladie systémique inflammatoire chronique

Psoriasis : une maladie systémique inflammatoire chronique

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008)135, S296-S300 Psoriasis : une maladie systémique inflammatoire chronique Psoriasis as a chronic inf...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008)135, S296-S300

Psoriasis : une maladie systémique inflammatoire chronique Psoriasis as a chronic inflammatory syndrome

D’après la communication du Pr Denis Jullien Service de Dermatologie, Hôpital de l’Hôtel-Dieu, Place de l’Hôpital, 69288 Lyon cedex 02, France

MOTS CLÉS Psoriasis ; Biothérapie ; Inflammation ; Physiopathologie

KEYWORDS Psoriasis; Biotherapy; Inflammation; Physiopathology

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Résumé Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique de l’adulte. A chaque phase clinique du psoriasis (début de la plaque, extension de la plaque et persistance de la plaque) correspondent des réponses immunologiques spécifiques : des événements précurseurs et/ou déclencheurs de l’inflammation, des événements amplificateurs et des événements liés à des défauts de régulation. Tous ces événements sont régulés par des cellules de l’immunité cellulaire et par des cytokines. La connaissance de ces mécanismes et en particulier des molécules cibles à chaque phase permet de comprendre l’intérêt de disposer de plusieurs types de biothérapies pour le traitement du psoriasis et d’entrevoir ce que pourraient être les futures cibles des biothérapies. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Psoriasis is a chronic inflammatory disease of adults. Each clinical phase of psoriasis (plaque onset, plaque extension, and plaque persistence) has its specific immunological responses : events that warn of and/or trigger inflammation, events that amplify inflammation, and events related to regulation defects. All these events are regulated by immune cells and cytokines. Knowledge of these mechanisms and particularly target molecules at each phase aid in understanding the advantages of having several types of biotherapy available for treating psoriasis and give an idea of what could be the future targets of biotherapies. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Correspondance Adresse e-mail : [email protected] (D. Jullien).

© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Psoriasis : une maladie systémique inflammatoire chronique

Le psoriasis est une des maladies inflammatoires chroniques de l’adulte les plus fréquentes. Les périodes de rémission et de rechute peuvent alterner tout au cours de la vie des patients. Psoriasis cutané, polyarthrite inflammatoire et comorbidités comme par exemple le syndrome métabolique appartiennent tous à un même syndrome inflammatoire chronique. La notion de diffusion à d’autres organes de l’inflammation à partir des plaques cutanées est une notion maintenant assez bien connue. En témoigne un article récent paru dans Nature [1] ; les auteurs ont montré, à partir d’un modèle de souris transgéniques que des altérations épidermiques modifiant l’expression des cytokines et du recrutement épidermique des leucocytes permettaient d’obtenir des signes d’inflammation cutanée mais aussi d’arthrite inflammatoire. Les auteurs ont constaté que la protéine JunB appartenant à la voie de signalisation JunB/AP-1 était moins exprimée dans les lésions cutanées de psoriasis. A partir d’un modèle de souris transgénique, les auteurs ont été capables de diminuer spécifiquement l’expression épidermique de ces molécules de type JUN et reproduire ainsi des lésions cutanées de psoriasis. Mais ils ont également observé que ces souris développaient parallèlement des phénomènes de résorption osseuse, de périostite et d’infiltration granulocytaire arthritique. À ce jour, l’événement initiateur des lésions de psoriasis le plus précoce identifié au niveau épidermique est la production des molécules S100A8 et S100A9, deux molécules ayant des propriétés chimiotactiques et pro-inflammatoires permettant le déclenchement de la cascade inflammatoire connue dans le psoriasis (augmentation de l’expression des cytokines IL-8/CXCL8, CXCL1, CXCL2, CXCL3, CCL20, IL-6 et du TNF-α) [2]. Les phénomènes d’inflammation chronique peuvent être schématiquement regroupés en trois types d’événements : des événements précurseurs et/ou déclencheurs de l’inflammation, des événements amplificateurs et des événements liés à des défauts de régulation. Transposés aux lésions cutanées de psoriasis, ces événements correspondent successivement à l’apparition de la plaque de psoriasis, à son extension et à sa persistance. Au cours de ces dernières années, la compréhension des mécanismes de l’inflammation aiguë et chronique dans les plaques de psoriasis a considérablement progressé. Ces nouvelles connaissances seront donc présentées ci-après.

Apparition de la plaque de psoriasis La compréhension de ces événements précoces a nécessité la mise au point de nouveaux modèles expérimentaux. Ainsi le modèle de greffes hétérologues de peau périlésionnelle des plaques de psoriasis a permis l’étude chronologique des mécanismes de développement des plaques de psoriasis. Il a permis de mettre en évidence notamment le rôle des cellules de l’immunité innée présentes in situ. Dans ces modèles de greffe hétérologue, un fragment cutané de peau humaine saine périlésionnelle (en bordure d’une plaque de psoriasis : peau « pré-psoriasique ») est greffé sur une souris (AGR 129) fortement immunodéprimée ne possédant ni lymphocyte T, ni lymphocyte B mais uniquement des

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cellules NK (Natural Killer) immatures [3]. Des lésions de psoriasis apparaissent alors spontanément en huit semaines sur la greffe. Ce modèle a permis de démontrer que : – l’activation et la prolifération des cellules T in situ présentes dans la peau « pré-psoriasique » étaient nécessaires et suffisantes pour le développement des lésions de psoriasis. L’utilisation d’anticorps bloquant la prolifération de ces cellules T in situ empêche l’apparition des lésions de psoriasis [3] ; – la prolifération des cellules T in situ est dépendante de la production locale de TNF-α par des cellules dendritiques myéloïdes CD11c+. L’injection d’anticorps anti-TNF-α à la souris greffée bloque le développement des plaques de psoriasis sur la greffe [3] ; – les cellules pré-dendritiques plasmocytoides s’accumulent dans la bordure active des plaques de psoriasis et deviennent actives pour produire précocement et transitoirement de l’interféron-α au cours de la formation des plaques de psoriasis [4] ; – l’interféron-α produit par les cellules pré-dendritiques plasmocytoides est essentiel pour l’activation et la prolifération des cellules T in situ. En effet après déplétion des cellules pré-dendritiques plasmocytoides par injection de BDCA-2, la greffe de peau ne montre aucun signe de lésion psoriasique. En injectant ensuite de l’interféron-α à ces mêmes souris, des plaques de psoriasis peuvent se former [4]. Mais qu’est-ce qui en amont peut activer ces cellules prédendritiques myéloïdes ? La clé semble être un peptide antimicrobien endogène, le LL37, surexprimé dans la peau psoriasique [5]. Cette dysrégulation de l’expression de LL37 semble rompre la tolérance innée à l’ADN du soi. En formant un complexe avec l’ADN du sujet, le LL37 va activer la production d’interféron-α en se couplant aux toll-like récepteurs de type 9 des cellules préplasmocytoïdes. S’appuyant sur la constatation que les traumatismes favorisent l’apparition des plaques de psoriasis (phénomène de Köebner), un des modèles pouvant expliquer l’apparition des premières lésions de psoriasis serait le suivant : le traumatisme cutané entraînerait une libération d’ADN qui couplée à une dysrégulation de l’expression épithéliale de LL37 favoriserait la prolifération et l’activation des cellules pré-plasmocytoïdes dans la peau psoriasique. Ces cellules produiraient alors une quantité anormale d’interféron-α favorisant alors la maturation des cellules myéloïdes et des cellules T in situ inductrices de lésions de psoriasis. Dans ce modèle, l’immunité innée permet de faire le lien manquant entre les facteurs environnementaux et l’inflammation liée à l’immunité cellulaire cutanée. Il est vraisemblable que d’autres facteurs environnementaux pourraient agir en faisant intervenir soit l’immunité innée, soit l’immunité acquise pour déclencher une réaction inflammatoire liée à l’immunité cellulaire.

Extension des plaques de psoriasis Les modèles actuels de physiopathologie du psoriasis sont le plus souvent centrés sur le rôle de la sécrétion des cytokines

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par les leucocytes activés provoquant des changements de la structure cutanée en utilisant des voies de signalisation préprogrammées. La découverte de nouvelles cellules T et de cellules dendritiques dans la peau pathologique a conduit les chercheurs à modifier et à compliquer les modèles physiopathologiques actuels. Il y a seulement 4 ou 5 ans, le psoriasis était considéré comme une pathologie auto-immune à médiation cellulaire reposant essentiellement sur le paradigme des lymphocytes Th1 et Th2. Les modèles reposaient sur le rôle principal des lymphocytes pro-inflammatoires CD4+ T-helper (Th1), des lymphocytes cytotoxiques CD8+ (Tc1) et de la production d’interféron-gamma. En effet, un grand nombre de gènes liés à l’interféron sont surexprimés dans les lésions psoriasiques ; ils représentent environ 5 % des gènes surexprimés (environ 1300) dans les plaques de psoriasis. Récemment, une nouvelle sous-population de lymphocytes T CD4 helper a été décrite. Le nom donné à ces cellules découle directement de la cytokine qu’elles produisent, à savoir l’interleukine 17 (IL-17). Ces cellules Th17 semblent jouer un rôle primordial dans la physiopathologie du psoriasis. Ces cellules Th17 se différencient à partir de cellules Th naïves sous l’action combinée d’interleukine 21 (IL-21) et de TGF-α et prolifèrent sous l’action de l’interleukine 23 (IL-23). Cette cellule TH17 va à son tour sécréter de l’IL-17A et F, de l’IL-21, de L’IL-22 et du TNF-α. Le rôle de ces cytokines dans le psoriasis a été étudié par plusieurs équipes [6-14]. Il a été montré que : – l’expression du gène de l’IL-23 est augmentée dans les lésions de psoriasis par rapport à la peau normale ; – l’injection directe d’IL-23 dans la peau de souris induit une cascade d’événements (dépendante du TNF-α et de IL-20R2 et indépendamment de IL-17A) provoquant une hyperplasie épidermique et une inflammation ;

Figure 1.

– l’IL-22 produite par les cellules Th17 est une cytokine pro-inflammatoire. Mais elle est également capable de retarder la différentiation kératinocytaire. Elle induit une acanthose et une inflammation dermique par activation de STAT3 (Signal Transduction and Activators of Transcription 3) dans la peau de souris. L’IL-22 induit la sécrétion kératinocytaire de peptides antimicrobiens β-defensine 3, de protéine S100 A7-9, 12 et 15. Elle augmente l’expression de la kératine 16 et diminue l’expression des kératines 1 et 10 ainsi que de la fillagrine ; – les anticorps dirigés contre l’IL12 et l’IL-23 sont efficaces pour le traitement du psoriasis, probablement en interférant avec les voies Th1/Tc1 et Th17 ; – l’IL-17 est une cytokine pro-inflammatoire. Elle induit la production dans les kératinocytes humains de facteurs chimiotactiques (CXCL1-8 qui attirent les polynucléaires neutrophiles et CXCL20 qui attire les cellules dendritiques porteuses de CCR6 et les cellules mémoires Th1/ Th17) de peptides antimicrobiens α-defensine 2 et 3 et de protéine S100 A7-9 ; – le derme de la peau psoriasique contient en moyenne 6,2 % de cellules productrices d’IL-17A contre seulement 0,5 % dans le derme d’une peau apparemment normale. Certaines de ces cellules sécrètent à la fois de l’IL-17 et de l’interféron-α ; – il existe dans le derme de la peau psoriasique une plus grande quantité de cellules produisant de l’IL-17 que de cellules produisant de l’interféron-α seulement. Les cellules dendritiques représentent une classe importante parmi les leucocytes présents dans le derme de la peau psoriasique [15]. La variété des cellules dendritiques est très importante et leur identification dans les tissus est assez complexe. Parmi ces cellules dendritiques, l’une d’elle a été récemment identifiée et semble jouer un rôle essentiel

Modèle de physiopathologie du psoriasis centré sur les cellules dendritiques CD11C+. D’après Zaba LC et al. [17].

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dans le psoriasis. Cette cellule dendritique appelée CD11c+ qui ne possède pas les marqueurs des monocytes ni des cellules de Langerhans semble être la contrepartie humaine des TIP, cellules dendritiques de souris ainsi nommées car productrices de TNF-α et d’iNOS (inducible nitric oxyde synthase) [16-17]. Ces cellules dendritiques CD11c+ sont bien plus nombreuses dans le derme et l’épiderme des lésions de psoriasis que les autres cellules T. Elles produisent des molécules de l’inflammation que sont le TNF-α, les iNOS, l’IL-23 et l’IL-20. Elles expriment la molécule CD11a et leur activité est fortement réduite par l’efalizumab. L’activité de la maladie psoriasique sous efalizumab est davantage liée à l’infiltration des cellules dendritiques et du taux d’ARN messagers des iNOS qu’à l’infiltration des cellules T. L’activité de ces cellules est également modulée en amont par l’etanercept par blocage du TNF-α, des iNOS, des IL 20 et 23. Ceci explique la complémentarité des biothérapies dans la prise en charge des patients atteints de psoriasis. Ce modèle centré sur ces nouvelles cellules dendritiques CD11c+ ou TIP-DC est schématisé sur la figure 1 [17].

Maintien des plaques de psoriasis Les réactions inflammatoires sont des phénomènes physiologiques dans l’organisme. Le problème dans le psoriasis est que cette inflammation ne disparaît pas spontanément. Alors pourquoi l’infiltration et l’activation des cellules effectrices persistent-elles dans les plaques de psoriasis ? Cela peut être lié à l’absence de facteurs inhibiteurs de régulation et/ou à la persistance de facteurs d’activation locale. Des défauts de régulation des cellules T ont été mis en évidence récemment ainsi que la tendance de l’infiltrat cellulaire dans les plaques de psoriasis à s’organiser à la manière d’un tissu lymphoïde. Il a été montré ci-dessus que les cellules naïves Th pouvaient se différencier en 3 sous-types de cellules T effectrices de l’inflammation chronique (Th1, Th2 et Th17). Mais elles peuvent également se différencier en 2 sous types de cellules régulatrices appelées Treg (nTreg et iTreg) ou encore cellules inductrices de tolérance. Quel rôle jouent ces cellules Treg dans le psoriasis ? Il a été montré que l’activité suppressive de ces cellules Treg (CD4+, CD25high, Foxp3high) dans le sang périphérique était diminuée dans le psoriasis [18-20]. Ces cellules sont donc bien présentes mais elles ne fonctionnent pas correctement. De façon surprenante au premier abord, le nombre de cellules Treg est plus élevé dans la peau psoriasique que dans la peau normale. Mais en réalité le ratio cellules Treg versus cellules T effectrices est diminué. Donc les cellules Treg sont certes augmentées dans la peau psoriasique mais elles ne sont pas assez nombreuses pour réguler la plus forte augmentation du nombre des cellules effectrices T. Cette dysrégulation des cellules Treg est donc probablement un des mécanismes de la chronicité des lésions de psoriasis par suppression insuffisante des cellules T effectrices qui continuent à proliférer et restent activées. Un autre mécanisme susceptible d’entretenir les lésions de psoriasis serait que l’infiltrat leucocytaire dermique dans les lésions de psoriasis pourrait fonctionner de la même

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façon qu’un tissu lymphoïde organisé. Plusieurs arguments plaident en faveur de cette hypothèse [9, 21]. Les lésions de psoriasis contiennent des amas de cellules dendritiques et de cellules T dans le derme. Il existe une expression in situ de cytokines pro-organisatrices du tissu lymphoïde (CCL19, CCL21, CXCL12 et CCL18). De plus l’expression de récepteurs aux cytokines comme le CCR7 sur les cellules T et les cellules dendritiques favorise l’organisation des cellules selon le même principe que dans les ganglions lymphatiques. Les cellules endothéliales partagent de fortes similitudes avec celles observées dans les ganglions lymphatiques. La coexistence de cellules T et de cellules dendritiques dans ces amas pourrait favoriser l’activation des cellules T in situ et entretenir ainsi l’infiltrat immunologique dans les plaques de psoriasis.

Conclusion Cette revue des connaissances récemment acquises dans la physiopathologie du psoriasis a permis de montrer le rôle essentiel des cellules in situ, des cellules dendritiques myéloïdes et plasmocytoides dans l’induction des lésions de psoriasis. L’amplification des phénomènes et l’extension des plaques sont liées bien entendu à la présence de cellules Th1 mais aussi et surtout aux cellules Th17. A ce stade, les cellules dendritiques (notamment les TIP DC) favorisent non seulement l’activation des cellules Th1 et Th17 mais elles jouent également un rôle propre dans l’amplification des lésions de psoriasis. La chronicité des plaques de psoriasis semble liée à la dysrégulation des cellules T régulatrices et à la réorganisation de l’infiltrat dermique cellulaire en tissu lymphoïde périphérique. Toutes ces découvertes ouvrent des perspectives pour les biothérapies avec de nouvelles cibles potentielles. Elles montrent également l’importance de disposer de plusieurs types de biothérapies pouvant intervenir à des phases différentes de la maladie ou de façon complémentaire.

Conflits d’intérêts Essais cliniques (en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude) ; Interventions ponctuelles (rapports d’expertise et activités de conseil) ; Conférences : invitations en qualité d’intervenant pour Wyeth, Merck-Serono, Abbott, Janssen-Cilag, Schering Plough, Léo, 3M.

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