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Table ronde : Thrombopénies de l’enfant (SHIP)
Purpura thrombopénique idiopathique aigu : quoi de neuf en 2007 ? Acute idiopathic thrombocytpenic purpura: what’s new in 2007? P. Lutz Unité d’hématologie pédiatrique, hôpital de Hautepierre, 8, avenue Molière, 76400 Strasbourg, France Disponible sur internet le 16 avril 2007
Mots clés : Purpura thrombopénique idiopathique Keywords: Idiopathic thrombocytopenic purpura
Le purpura thrombopénique idiopathique (PTI) de l’enfant traduit un déséquilibre immunologique le plus souvent transitoire et bénin, décrit dans de nombreuses publications. Nous rappelons ici les données les plus récentes. 1. Sur le plan épidémiologique Diverses études, dont le registre international (Intercontinental Childhood ITP Study Group, ICIS), montrent que l’incidence est de l’ordre de 4 ou 5 cas pour 100 000 enfants par an. C’est plus que chez l’adulte. Le garçon durant les premières années est un peu plus souvent atteint, puis vers 10 ans le sex-ratio s’inverse peu à peu ; chez l’adulte, c’est chez la femme que ce diagnostic est plus fréquent. Pour ce qui concerne la période de survenue dans l’année, pour certains il n’y a pas de prédominance, pour d’autres le PTI survient plus souvent au printemps ou en hiver. Les études épidémiologiques précisent aussi le risque hémorragique. Sept fois sur 10, il y a peu de signes cliniques cutanés et aucune hémorragie. Ce n’est que dans 3 % des cas qu’il existe une hémorragie importante, épistaxis, gingivorragie, hématurie ou hémorragie digestive. Le risque principal, l’hémorragie cérébroméningée, reste faible (0,2 %) avec décès 1 fois sur 2 ; il n’est pas plus fréquent chez le tout petit par rapport à l’enfant plus grand. Il existe des différences physiopathologiques, cliniques et thérapeutiques entre le PTI de l’enfant et celui de l’adulte ;
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plus l’âge de l’enfant augmente, plus sa maladie se rapproche de celle de l’adulte. Le passage plus fréquent à la chronicité chez l’adolescent (26 % avant 1 an, 47 % après 10 ans) est un exemple. Sa définition (après 6 mois d’évolution) est peutêtre à moduler. Le registre international montre qu’un certain nombre d’enfants au-delà de ce délai continue à guérir (1/4 entre 6 et 12 mois) et qu’il y a peut-être lieu de ne parler de chronicité qu’après 1 an ou plus. Cela est important en termes de décision thérapeutique. 2. Sur le plan physiopathologique La physiopathologie du PTI reste imparfaitement précisée. La destruction plaquettaire est surtout liée à la présence d’autoanticorps dirigés contre les antigènes membranaires plaquettaires, souvent les glycoprotéines IIb/IIIa et Ib. La fixation des plaquettes opsonisées sur les récepteurs FCγRIIA des macrophages induit une signalisation intracellulaire activatrice de la phagocytose. Il est habituel, surtout chez l’enfant qui va guérir rapidement, de constater un possible facteur déclenchant dans les jours précédents : une infection, une piqûre d’insecte, ou encore une immunisation, ainsi la vaccination contre la rougeole. Il en résulterait un déséquilibre immunologique, un état permissif pro-inflammatoire de type TH1 qui, dans le contexte de l’immaturité des cellules T régulatrices CD25+ de l’enfant jeune, aurait pour conséquence une dérépression des lymphocytes B naturellement sensibilisés à l’égard des antigènes plaquettaires et normalement quiescents dans le cadre de la tolérance physiologique, et finalement la production d’auto-
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anticorps. Ce déséquilibre immunologique serait ponctuel, expliquant le caractère le plus souvent transitoire du purpura thrombopénique idiopathique de l’enfant. En cas d’évolution chronique ou chez l’adulte, la fabrication des anticorps répondrait à un mécanisme différent. On considère classiquement que la production médullaire, pour compenser la thrombopénie, est augmentée. À la ponction de moelle, le nombre normal ou augmenté de mégacaryocytes est un argument. Cependant, le conflit immunologique peut concerner aussi la multiplication et la production mégacaryocytaires d’où une réponse médullaire à la thrombopénie non optimale. Sont des arguments : les taux normaux de thrombopoïétine sériques par opposition aux taux élevés constatés lors de thrombopénies d’origine centrale ; l’action délétère du sérum de patients atteints de PTI à l’égard de cultures in vitro de mégacaryoblastes ; ou la possibilité de corriger la thrombopénie par des produits stimulant la thrombocytopoïèse tel l’AMG 531. Ces nouvelles substances sont actuellement testées chez l’adulte. D’autres données physiopathologiques expliquent des constatations cliniques. Le syndrome hémorragique est souvent peu marqué ; on invoque la qualité hémostatique particulière des plaquettes néoformées ou les microparticules procoagulantes plaquettaires résultant de la lyse des thrombocytes. Certains enfants, pourtant, montrent un tableau hémorragique plus important. Pour le comprendre, il faut rappeler le rôle dans l’hémostase des glycoprotéines membranaires plaquettaires, qui interagissent avec de nombreuses protéines de la coagulation, telles le fibrinogène ou le facteur Willebrand. Chez les enfants présentant des manifestations hémorragiques plus importantes la spécificité particulière des anticorps induirait une thrombopathie en plus de la thrombopénie. Certains enfants paraissent plus aptes à développer un PTI. Chez eux l’étude des polymorphismes des récepteurs macrophagiques FcγRIII montre une incidence plus grande de mutation F→V (phénylalanine→valine) à l’origine d’une affinité plus grande à l’égard des anticorps. Quelques enfants ne répondent pas au traitement par immunoglobulines ; on peut constater une prédominance d’anticorps anti-GPIb, agissant plus par cytotoxicité directe ou la fixation du complément que par le biais de la phagocytose impliquant le récepteur FcγRIIA. Le mode d’action des immunoglobulines est sans doute complexe : blocage mais aussi modulation des récepteurs FcR, activité antiidiotypique, modification de la production et de la clearance des autoanticorps. 3. Sur le plan clinique La présentation habituelle est bien connue. Il s’agit d’un enfant entre 1 et 8–10 ans, chez qui, brusquement, alors qu’il est en parfaite santé, survient un purpura cutanéomuqueux en l’absence de tout autre signe clinique. Le point clinique actuellement souligné est qu’il ne faut pas considérer ces enfants sous le seul regard du chiffre plaquettaire en opposant les enfants ayant plus de 20 000 plaquettes qui ne justifient pas, en l’absence d’hémorragie, de traitement et ceux qui ont
moins de 20 000 ou 10 000 plaquettes et à traiter. Il paraît important de hiérarchiser le syndrome hémorragique en vue des décisions thérapeutiques. Il existe plusieurs classifications. L’approche anglaise la plus simple oppose : les formes peu marquées où l’on ne constate que quelques pétéchies ou ecchymoses cutanées ou muqueuses ; les formes modérées où des lésions cutanéomuqueuses plus importantes s’associent à une hémorragie muqueuse, épistaxis ou gingivorragie, de peu d’importance ; enfin, les formes sévères où le syndrome hémorragique impose une transfusion et/ou une hospitalisation. La fréquence respective de ces 3 formes chez les enfants ayant moins de 20 000 plaquettes est de 72, 25 et 3 %. Il y a sans doute lieu en termes de décision thérapeutique de tenir compte du tableau clinique sans se fonder systématiquement sur le chiffre plaquettaire. 4. Sur le plan du diagnostic La première étape est de s’assurer qu’il s’agit bien d’un purpura thrombopénique idiopathique, qui est un diagnostic d’exclusion, en l’absence d’examen biologique spécifique de cette entité en pratique courante. Il convient par l’interrogatoire, l’examen clinique et éventuellement les données biologiques, d’éliminer autant que possible une autre cause de thrombopénie. L’âge de survenue précoce, la notion de thrombopénie ou de purpura antérieurs, des anomalies de la forme plaquettaire, en particulier des plaquettes de grande taille, des antécédents familiaux sont autant d’arguments en faveur d’une thrombopénie constitutionnelle qui est un diagnostic actuellement plus souvent posé. La notion d’infections répétées évoquant un déficit immunitaire, l’existence d’une fièvre lors de l’admission ou encore d’une pâleur ou d’une viscéromégalie, des signes d’atteinte rénale, l’atteinte d’une autre lignée à la numération, des schizocytes sur le frottis sanguin conduisent à évoquer d’autres diagnostics. Faut-il faire une ponction de moelle ? Dans l’enquête auprès des pédiatres hématologues de la SHIP, publiée en 2006 dans cette revue, la réponse est oui lorsque le traitement envisagé est une corticothérapie, et non dans les autres cas. Cette opinion dans d’autres pays n’est pas partagée avec la même constance, la ponction de moelle ne paraissant pas indispensable si l’examen clinique et l’étude du frottis sanguin sont rassurants, tant dans ces conditions, le diagnostic de leucémie aiguë est peu vraisemblable. À l’inverse, cet examen est nécessaire en cas de doute clinique ou biologique ou si la maladie persiste. Pour ce qui concerne les examens complémentaires à réaliser pour le diagnostic, les recommandations sont en cours d’écriture dans le cadre de la SHIP. Elles insisteront sur ce qui est indispensable (ainsi la numération et l’étude du frottis sanguin) de ce qui l’est moins parce que peu utile en termes de décision thérapeutique (c’est le cas des sérologies virales courantes de l’enfant ou des sérologies qui ont peut-être plus leur place chez l’adulte : hépatite C ou virus HIV), ou encore des examens réalisés plutôt lorsqu’une autre hypothèse diagnostique est évoquée (ainsi l’étude de l’hémostase, des taux séri-
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ques des immunoglobulines, de la présence éventuelle d’autoanticorps tels les anticorps antinucléaires…). 5. Sur le plan traitement La thérapeutique reste guidée par l’opinion des experts dans la mesure où des données scientifiques ne sont pas disponibles. En effet, il faudrait pouvoir préciser la diminution du risque hémorragique, en particulier cérébral, induite par tel ou tel traitement. Un essai de randomisation avec ce critère, n’est pas possible pour diverses raisons dont le nombre de patients nécessaire. Les études comparant les différents traitements se limitent au suivi du chiffre plaquettaire, se corrigeant plus ou moins vite. Une telle approche omet aussi les effets secondaires des traitements et les notions de qualité de vie et de coût. Les corticoïdes restent largement utilisés avec une prédilection actuellement pour des doses plus élevées que la dose de 2 mg/kg habituelle et pour des périodes plus courtes (par exemple 4 mg/kg par jour pendant 4 jours avec arrêt brutal). L’utilisation de très fortes doses (30 mg/kg par jour pendant 2 ou 3 jours), prônée dans certains pays, ne semble pas retenue en France. Il n’est pas justifié d’envisager une corticothérapie prolongée pendant plus de 1 mois. L’utilisation d’immunoglobulines paraît le choix actuellement le plus fréquent. La dose est de 800 mg ou 1 g/kg ; cependant, des doses plus faibles (ainsi 500 mg/kg) corrigent presque aussi souvent, peut-être un peu plus lentement, la thrombopénie. Il paraît excessif de chercher à optimiser l’effet thérapeutique en répétant dès le deuxième jour la perfusion. C’est sans doute la charge protéique importante, réalisée par la perfusion d’immunoglobulines, qui explique les céphalées
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vives non exceptionnelles le lendemain, motif fréquent de nouvelle consultation et parfois d’un scanner cérébral. On réduit la fréquence de cet effet secondaire en perfusant sur 18–24 h. L’utilisation d’anticorps antirhésus lors de la première poussée de PTI n’apparaissait pas une possibilité thérapeutique dans l’enquête auprès des pédiatres hématologues de la SHIP en 2003. Pourtant c’est le traitement le plus souvent choisi en Amérique du Nord. Il existe un effet dose et celle de 75 γ/kg paraît optimale si l’on veut corriger avec la même rapidité que les immunoglobulines le chiffre plaquettaire. L’utilisation des anti-D qui se fait en intraveineuse directe paraît pour cette raison à privilégier, d’autant que l’argument des coûts plaide aussi en sa faveur. Cependant, la description récente d’accidents sévères évoquant un accident transfusionnel (hémolyse aiguë avec CIVD et insuffisance rénale) responsables du décès de 5 adultes, vient freiner l’enthousiasme en faveur de l’utilisation des anti-D. Il existe une quatrième approche thérapeutique qui est le non-traitement d’un enfant peu symptomatique, même si le chiffre de plaquettes est inférieur à 20 000 ou 10 000. Ce choix, souvent pris en Angleterre apparaît raisonnable compte tenu de la bénignité de l’affection et de sa disparition dans environ 60 % des cas en 4 à 6 semaines, ce qui traduit en fait la demi-vie des autoanticorps antiplaquettaires. Pour certains auteurs, en particulier allemands, cette approche de non-traitement permet une qualité de vie optimale ; ce n’est cependant pas le consensus en France. Cette notion de qualité de vie, dont les instruments de mesure commencent à être utilisés, y compris en France, deviendra peut-être un élément du choix thérapeutique. Références sur demande à l’auteur