Quand et comment traiter une puberté précoce centrale ?

Quand et comment traiter une puberté précoce centrale ?

Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 237-9 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01008661/SCO Table ronde...

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Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 237-9 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01008661/SCO

Table ronde : La puberté précoce

Quand et comment traiter une puberté précoce centrale ? J.C. Carel1*, A. Linglart1, M. Roger2, N. Lalhou2, J.L. Chaussain1 1 Service d’endocrinologie pédiatrique, groupe hospitalier Cochin Saint-Vincent-de-Paul, 75014 Paris, France ; 2service de biochimie hormonale, groupe hospitalier Cochin Saint-Vincent-de-Paul, 75014 Paris, France

Le traitement des pubertés précoces centrales repose sur les formes retard des agonistes de la GnRH. Il s’agit de traitements dont l’utilisation est en apparence simple, mais qui impose une grande rigueur, dans l’évaluation des indications ainsi que dans la surveillance à court et long terme. PHARMACOLOGIE DES AGONISTES DE LA GnRH Les agonistes de la GnRH ont en commun la substitution de la glycine 6 par un D-amino-acide. L’effet super-agoniste de ces molécules est dû à un accroissement du temps de présence au contact des récepteurs de la GnRH des cellules gonadotropes. Mécanisme d’action L’administration d’un agoniste ne supprime pas la pulsatilité de la GnRH endogène. En revanche, le maintien de taux élevés de GnRH ou d’un agoniste entraîne une désensibilisation partielle des récepteurs et la perturbation de l’expression des gènes des gonadotropines : l’expression du gène de la sous-unité α des gonadotropines est stimulée alors que celles des sous-unité β de FSH et surtout de LH sont diminuées. Les taux des gonadotropines diminuent fortement jusqu’à devenir éventuellement indétectables, alors que le taux de la sous-unité α libre augmente jusqu’à un plateau et constitue un index de l’imprégnation thérapeutique [1].

*Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (J.C. Carel).

Pharmacocinétique L’effet inhibiteur ne peut être maintenu lorsque la concentration de l’agoniste s’abaisse au-dessous de 50 pg/mL. Les formulations à libération prolongée donnent des taux circulants de l’agoniste stables et élevés (supérieurs à 100 pg/mL). Les formes 3 mois, non actuellement disponibles en pédiatrie, réalisent des performances analogues [2]. Pharmacodynamique L’effet inhibiteur des agonistes de GnRH sur les sécrétions gonadotropes apparaît après un temps de latence. Pendant la première semaine, c’est l’effet stimulateur agoniste qui est observé : stimulation importante de la libération de LH et de FSH pendant 3 jours, suivie d’une stimulation gonadique. En même temps les taux de la sous-unité α s’élèvent. Les taux des deux gonadotropines s’effondrent progressivement après le pic du troisième jour alors que la sous-unité α reste élevée en permanence. La suppression complète de la réponse de FSH et de LH au test de stimulation par GnRH peut demander un peu plus de temps, mais constitue le test de référence pour l’efficacité du traitement. Restauration après arrêt du traitement Chez presque tous les enfants, des sécrétions hypophysaires et gonadiques normales d’enfants en cours de puberté sont restituées en 3 mois, et chez tous les enfants en moins de 6 mois. Les seules exceptions concernent les enfants ayant une pathologie hypothalamique causale (enfants irradiés) chez lesquels un déficit gonadotrope peut faire suite à une puberté précoce centrale.

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INDICATIONS, UTILISATION PRATIQUE DES AGONISTES DE LA GNRH, RÉSULTATS À COURT ET LONG TERME Les objectifs des traitement freinateurs de la puberté par agoniste de la GnRH sont multiples. Tout d’abord, ils visent à faire régresser ou à stabiliser les signes de développement pubertaire, tant au niveau physique qu’au niveau psychique et comportemental. Ceci est particulièrement important quand la puberté survient très en avance, créant un décalage important par rapport aux pairs dans le processus de maturation. D’autre part, ces traitement visent à améliorer la taille, dont on sait qu’elle peut être compromise par la puberté précoce. Enfin, la tolérance à court, moyen et long terme de ces traitements doit être surveillée. Mise en route du traitement, surveillance pratique, résultats à court terme Les agonistes à libération prolongée sont exclusivement utilisés. Deux médicaments sont disponibles en France : le Décapeptylt (3 mg, injections intramusculaires tous les 28 jours) et l’Enantonet (3,75 mg, injections sous-cutanées tous les 28 jours). Les formes à libération trimestrielle sont commercialisées en France, mais pas encore dans l’indication de la puberté précoce (essais cliniques en cours). La dose habituellement utilisée est d’une ampoule par mois pour les enfants pesant plus de 20 kg et d’une demi ampoule par mois pour les enfants de moins de 20 kg. Cette habitude diverge quelque peu de l’AMM qui recommande 50 µg/kg pour le Décapeptylt. La durée d’action effective de ces médicaments est de l’ordre de 5 semaines : on peut donc tolérer des déviations de quelques jours à la périodicité de 28 jours. On assiste habituellement à une régression ou à une stabilisation des signes pubertaires. La survenue d’un épisode d’hémorragie utérine de privation doit être signalée à la patiente et sa famille (environ 10 à 15 % des cas). La prescription initiale de progestatifs afin de prévenir ces métrorragies initiales est inefficace et a été abandonnée. La vitesse de croissance diminue habituellement au bout de 6 à 12 mois de traitement, de même que la vitesse de maturation osseuse [3, 4]. L’efficacité biologique de ces traitements doit être surveillée. Chez le garçon, la testostérone plasmatique est un index fiable, l’objectif (concentration plasmatique ≤ 0,30 ng/mL, dosage radio-immuno-

logique). Chez la fille, les dosages d’estradiol, sont peu discriminants. Le critère habituellement retenu pour attester du freinage efficace de l’axe gonadotrope est l’absence de réponse de la LH à la GnRH exogène, avant l’injection suivante. Nous utilisons habituellement une limite de 3 UI/L pour définir un freinage efficace. En cas d’inefficacité clinique ou biologique (stéroïdes sexuels ou pic de LH élevés), la compliance au traitement devra être soigneusement discutée. Si la compliance apparaît correcte, l’intolérance cutanée est la première cause d’inefficacité de ces traitements. Dans ces cas, l’absence habituelle d’intolérance croisée entre les deux médicaments (Enantonet et Décapeptylt) permet de régler le problème en changeant de produit. Sinon, il s’agit probablement de variations individuelles de la pharmacocinétique de ces produits et on améliorera en général l’effet du traitement en augmentant la dose unitaire (150 à 200 % de la dose habituelle) ou en rapprochant les injections (toutes les 3 semaines par exemple). CONDUITE DU TRAITEMENT ET RÉSULTATS À LONG TERME Les données de la littérature sont relativement concordantes, indiquant en général des tailles adultes moyennes voisines de la taille cible [5-7], bien que les publications plus anciennes aient rapporté des résultats moins satisfaisants. Un point important et rarement analysé en détail est celui du moment optimal de l’arrêt du traitement. L’analyse détaillée des données présentées suggère un âge de 11 ans comme âge optimal d’arrêt du traitement, sa poursuite après cet âge risquant de se traduire par une diminution de la taille adulte. Cependant, on ne dispose pas de données prospectives sur ce point qui reste controversé [7] et l’âge d’arrêt du traitement devra être adaptée au cas par cas en fonction de l’âge, l’âge osseux, la vitesse de croissance, la taille cible, la taille prédite. Tolérance La tolérance générale des agonistes de la GnRH est en général bonne. Les effets secondaires les plus fréquemment observés sont liés à l’hypogonadisme induit par le traitement. Les bouffées de chaleur sont la manifestation habituelle (environ 15 à 20 % des patients), de même que l’asthénie. Des céphalées

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Traitement de la puberté précoce centrale

transitoires sont également souvent rapportées. Les effets sur la composition corporelle et sur la masse osseuse ont été largement discutés. Certains ont proposé l’administration systématique d’une supplémentation calcique (1 g/j) [8]. Les données à long terme montrent une normalisation de la masse osseuse après l’arrêt du traitement. Les phénomènes d’intolérance locale au point d’injection concernent entre 5 et 15 % environ des patients dans les séries publiées. L’intolérance locale impose en général l’arrêt du traitement et l’essai d’un autre agoniste de la GnRH. De plus, les réactions locales sévères s’accompagnent d’une inefficacité du traitement [4]. Indications (et non indications) des agonistes de la GnRH dans les pubertés précoces Les manifestations pubertaires précoces ne sont pas synonymes de puberté précoce centrale et de nombreux variants non évolutifs de pubertés précoces ont été décrits. D’autre part, l’âge physiologique de début de la puberté est une notion statistique qui reste mal précisée, car elle dépend de l’ethnie, de l’état nutritionnel, et de facteurs individuels génétiques pour l’instant inconnus. Dans ces conditions, nous utilisons pour orienter les indications thérapeutiques des agonistes de la GnRH plusieurs critères qui doivent être concordants : 1/ La puberté a-t-elle cliniquement commencé avant l’âge limite habituellement utilisé de 8 ans chez la fille et 9,5 ans chez le garçon ? 2/ La puberté est-elle cliniquement évolutive ? Les signes ont-ils évolué d’un seul tenant, ou le développement mammaire a-t-il régressé secondairement ? Un corollaire est la maturation utérine, une hauteur utérine de plus de 35 ou 36 mm avec une morphologie utérine pubère ou intermédiaire nous paraissent être des signes nécessaires avant d’envisager un traitement freinateur. 3/ Existe-t-il des signes biologiques d’évolutivité ? La confirmation biologique de l’activation de l’axe gonadotrope est importante tant pour éliminer une puberté précoce d’origine « périphérique » que pour confirmer l’évolutivité de la puberté centrale. Le pic de LH au cours du test à la GnRH reste pour nous le meilleur signe de cette maturation. La valeur seuil devra bien sûr être étalonnée en fonction des dosages et des normes de chaque laboratoire.

4/ D’autres considérations peuvent être prises en compte mais nous semblent complémentaires par rapport aux critères précédents : – la puberté précoce compromet-elle de façon sensible la taille adulte ? – la puberté précoce survient-elle dans un contexte de surpoids ? Ce point n’a pas, à notre connaissance, été analysé de façon détaillée, mais il nous apparaît qu’un surpoids important est une contre-indication relative au traitement. – la puberté précoce compromet-elle l’équilibre psychologique de l’enfant ? Enfin, il nous paraît important d’insister sur le fait que les anomalies isolées de la taille ne sont pas des indications thérapeutiques des agonistes de la GnRH dans le cadre des pubertés précoces [9, 10]. RE´ FE´ RENCES 1 Lahlou N, Carel JC, Chaussain JL, Roger M. Pharmacokinetics and pharmacodynamics of GnRH agonists : clinical implications in pediatrics. J Pediatr Endocrinol Metab 2000 ; 13 : 723-37. 2 Carel JC, Jaramillo O, Montauban V, Teinturier C, Colle M, Berlier P, et al. Evaluation of quarterly subcutaneous injections of leuprorelin 3M depot (11.25 mg) in the treatment of central precocious puberty. Ped Pediatr Res 2001 ; 49 : 141A. 3 Roger M, Chaussain JL, Berlier P, Bost M, Canlorbe P, Colle M, et al. Long term treatment of male and female precocious puberty by periodic administration of long-acting preparation of D-Trp6luteinizing hormone-releasing hormone microcapsules. J Clin Endocrinol Metab 1986 ; 62 : 670-7. 4 Carel JC, Lahlou N, Guazzarotti L, Joubert-Collin M, Roger M, Colle M, et al. Treatment of central precocious puberty with depot leuprolide acetate. Eur J Endocrinol 1995 ; 132 : 699-704. 5 Carel JC, Roger M, Ispas S, Tondu F, Lahlou N, Blumberg J, et al. Final height after long-term treatment with triptorelin slowrelease for central precocious puberty : importance of statural growth after interruption of treatment. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 1973-8. 6 Heger S, Partsch CJ, Sippell WG. Long-term outcome after depot gonadotropin-releasing hormone agonist treatment of central precocious puberty : final height, body proportions, body composition, bone mineral density, and reproductive function. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 4583-90. 7 Klein KO, Barnes KM, Jones JV, Feuillan PP, Cutler GB. Increased final height in precocious puberty after long-term treatment with LHRH agonists : the National Institutes of Health experience. J Clin Endocrinol Metab 2001 ; 86 : 4711-6. 8 Antoniazzi F, Bertoldo F, Lauriola S, Sirpresi S, Gasperi E, Zamboni G, et al. Prevention of bone demineralization by calcium supplementation in precocious puberty during gonadotropinreleasing hormone agonist treatment. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 1992-6. 9 Carel JC, Hay F, Coutant R, Rodrigue D, Chaussain JL. Gonadotropin releasing hormone agonist treatment of girls with constitutional short stature and normal pubertal development. J Clin Endocrinol Metab 1996 ; 81 : 3318-22. 10 Bouvattier C, Coste J, Rodrigue D, Teinturier C, Carel JC, Chaussain JL, et al. Lack of effect of GnRH agonists on final height in girls with advanced puberty : a randomized long-term pilot study. J Clin Endocrinol Metab 1999 ; 84 : 3575-8.